Les disparus du dôme

De stupéfaction, Uriel faillit baisser son arme. Il se reprit au dernier moment, courageux mais pas téméraire. Il n'avait pas manqué l'agilité de son adversaire - agilité qui en d'autres circonstances aurait fortement intéressé ses instincts de mâle, mais les tentatives d'homicide avaient tendance à refroidir sa libido - et en déduisait qu'il valait mieux pour lui ne pas baisser sa garde.

"Tu ne sais pas qui je suis ?" s'écria-t-il sans savoir s'il devait être soulagé de ne pas avoir affaire à une petite main de la mafia, ou inquiet d'être tombé sur une tueuse en série. "Ça te prend souvent d'attaquer des inconnus dans la rue ? Ou alors... Ah, mais attends !"

Les mots de la demoiselle aux yeux bleus méfiants finirent par lui donner une idée de ce qui se passait. Il se dérida. Sa posture se détendit et il alla jusqu'à pointer son pistolet ailleurs, en parfaite contradiction avec sa décision précédente.

"T'as un problème avec les anges ? Ça me va, ça. Moi aussi j'ai du mal à les encadrer, les collègues tout proprets. Leurs auréoles font mal aux yeux, et puis franchement, peu importe ce qu'ils en disent, certains péchés sont très plaisants... surtout ceux commis avec des mortels."

Il appuya cette remarque d'un large sourire lubrique pour sa jolie assaillante.

"Moi c'est Uriel. Je suis, paraît-il, un ange déchu. Ça veut dire que quand j'en ai eu marre du Paradis, j'ai mis le bordel à la maison, puis je suis allé mettre le bordel chez les mortels, et toute la fratrie m'en a voulu à mort et m'a banni. Mais je m'en fiche, c'était qu'un tas de péquenauds coincés. Ici au moins, on croise des gens intéressants. Je peux avoir ton nom, belle demoiselle ?"

Uriel haussa les sourcils, ravi.

"Une succube, hein ? Ça, c'est la meilleure nouvelle de la journée."

Il rengaina à son tour son arme tandis que ses pensées déviaient sur des scénarios dignes de films pornos. Maintenant qu'il n'était plus en danger... Ah, me*de. Si, il l'était. Contrarié, il fronça le nez.

"J'adorerais faire plus ample connaissance, Tatiana, mais en fait j'ai un truc sur le feu. Tu n'aurais pas vu passer un garçon un peu plus petit que moi, les cheveux blancs, l'air renfrogné, avec une queue de singe pendue au derrière ?"

Même dans l'Entre-Monde, ce n'était pas une description qu'on rencontrait tous les jours. Pourtant, si Tatiana avait vu Âdièl, elle serait bien la seule. Aussi enchaîna-t-il directement, se doutant déjà de sa réponse :

"C'était mon coéquipier sur une mission qu'on a prise à la Bibliothèque, en fait. On était censés enquêter sur des gens qui disparaissent à Atlantis... Sauf que cet idiot a disparu à son tour. Donc je suis carrément dans la mouise, faudra que tu m'excuses si je ne peux pas rester. Mais on peut échanger nos coordonnées, hein ! Tu m'as l'air d'être une femme qui gagne à être connue."

Une fois qu'on passait outre ses premiers élans sanguinaires. Mais Uriel en avait vu d'autres, et il était capable de pardonner beaucoup de choses à une belle femme, surtout quand elle s'avérait être une démone de la luxure.

En y réfléchissant mieux, il eut une meilleure idée. Il examina Tatiana d'un œil moins avide et plus critique. Elle savait de toute évidence se servir de son katana, elle était rapide, elle avait un sacré caractère...

"A moins que ça ne t'intéresse de remplacer mon coéquipier manquant ? Il y a une jolie prime de 50 pims par personne si on boucle cette mission."

Elle acceptait ! Comme quoi, sa chance ne l'avait pas encore tout à fait abandonné ! Il prit note de passer bientôt au temple faire une offrande à K'ränessa, des fois que.

"Parfait !" s'écria-t-il avec plus de bonne humeur qu'il n'en avait manifesté depuis l'enlèvement d'Âdièl. "On va faire une équipe du tonnerre, j'en suis sûr !"

Il se remit en marche vers les limites du dôme, invitant Tatiana à le suivre d'un geste de la main.

"OK, alors voilà le topo : depuis quelques semaines, des gens disparaissent sans prévenir en ville. Et quand je dis 'disparaissent', c'est vraiment ça : ils peuvent être en train de marcher en plein milieu de la rue, et puis tout à coup, pouf ! les témoins clignent des yeux et il n'y a plus personne. Comme s'ils s'étaient téléportés. Sauf qu'aucune des victimes n'est censée avoir ce pouvoir. Et évidemment, plus personne n'entend parler d'eux après ça."

Il se tourna vers sa nouvelle coéquipière pour vérifier qu'elle suivait bien ses explications jusque-là. Ses yeux dévièrent quelque peu sur la combinaison très seyante de Tatiana et il dut faire un effort pour se concentrer à nouveau sur ce qu'il disait.

"Donc bref, voilà, on est censés comprendre ce qui se passe, et si possible retrouver les disparus. J'ai déjà interrogé pas mal de gens, mais ils n'ont rien pu me dire de très folichon. On a quand même une piste..."

Il leva les yeux et pointa du doigt le dôme au-dessus des maisons. De l'autre côté de la barrière qui abritait Atlantis de la pression des fonds marins, un banc de méduses était visible. Elles dérivaient à quelques kilomètres de la ville, mais elles étaient si nombreuses qu'on les apercevait même de là où Uriel et Tatiana se trouvaient.

"Ce sont des méduses Atreya. Apparemment, elles génèrent une énergie qui ressemble à celle des titres de Perçant... Et comme par hasard, elles sont arrivées à peu près en même temps que les disparitions ont commencé. Ça ne me rassure pas, mais il faudrait aller les examiner de plus près... J'ai loué un sous-marin à l'épicerie. Il nous attend au sas le plus proche, droit devant."

Il fronça le nez. La perspective de remonter dans ce cercueil ambulant ne l'enchantait vraiment pas.

"Autant te prévenir tout de suite," ajouta-t-il en se tournant à nouveau vers Tatiana. "J'ai horreur d'être sous l'eau. Les sous-marins, ça me rend nerveux. Même cette ville de fous me rend nerveux ! J'espère que tu n'as pas le même problème ?"

Qu'au moins l'un d'entre eux reste calme s'il se passait quelque chose de dangereux et qu'il se mettait à paniquer comme un hystérique.

Spoiler:

Un oiseau apparut soudain de nulle part et faillit foncer dans Tatiana. Il dévia au dernier instant et alla s'empêtrer dans les cheveux d'Uriel en pépiant de contrariété. Alors là ! Ce maudit animal avait le chic pour le rendre ridicule. Pour paraître cool devant sa future conquête potentielle, on repasserait !

"Reste tranquille, saleté, tu vas finir par me rendre chauve !" râla-t-il en essayant de le repêcher avant qu'il ne lui arrache la moitié des cheveux à force de se débattre. "Tatiana, je te présente mon animal de compagnie complètement débile : Machin. Désolé pour lui, il n'a que deux neurones en état de marche dans sa caboche."

Il présenta le pinson blotti au creux de ses mains à la jeune femme. Machin examina Tatiana d'un petit oeil noir, puis se transforma en chat et escalada le bras d'Uriel jusqu'à aller se cacher contre son cou.

"Ca lui arrive souvent, fais pas gaffe. Il peut se changer en tout et n'importe quoi. Enfin, surtout n'importe quoi. Si tu vois une araignée, évite de l'écraser. On ne sait jamais, avec lui. Tiens, c'est notre sous-marin."

Il s'arrêta devant un sas encastré dans la paroi du dôme. De l'autre côté de la barrière transparente attendait l'Aigle de Mer, le sous-marin de l'épicerie.

Aigle de Mer:

Uriel fit la tête, mais ouvrit le sas et laissa Tatiana entrer la première.

"Les dames d'abord... Tu vas voir, c'est plutôt simple à piloter, ce truc. Pour un cercueil ambulant."

Spoiler:

Uriel suivit le regard de Tatiana et frissonna d'angoisse.

"J'espère bien qu'on pourra éviter..."

Puis il fut traversé d'un éclair d'inspiration. En principe, une combinaison de plongée, c'est super moulant, non ? Il mesura du regard les jolies courbes de sa nouvelle partenaire et changea soudain d'avis.

"Ah, mais si tu veux te changer au cas où... C'est sûr, hein, on ne sait jamais après tout," argumenta-t-il avec un sourire de vendeur de dentifrice. "Tu peux même le faire maintenant pendant que je pilote, si tu veux gagner du temps !"

Et sur ces mots il lui tourna le dos pour aller se poser dans le fauteuil de pilotage. Il fit même un effort surhumain pour ne pas jeter de coup d’œil derrière lui et vérifier si elle suivait ou non sa suggestion. Ses hormones finirent par reconnaître que mettre Tatiana en pétard serait contre-productif.

Il n'était qu'à moitié concentré sur ce qu'il faisait, mais il réussit quand même à les détacher du sas sans heurts. Le sous-marin pivota et s'éloigna de la ville. Machin s'était perché sur le tableau de bord. Sa queue battait l'air et balayait toutes les 2 secondes l'écran du sonar. Uriel la chassait du revers de la main en râlant.

Quelques minutes plus tard, ils approchèrent du banc de méduses. Uriel ralentit et amena le sous-marin parallèlement aux gros fruits de mer qui dérivaient lentement près des fonds marins. On pouvait à présent les voir à travers le hublot de la cabine de pilotage. Uriel les examina avec méfiance.

"On y est... D'après les instruments, ça fait... ben, un gros paquet de méduses."

Étaient-elles conscientes qu'elles avaient de la visite ?

Spoiler: