De retour chez les vivants !

Un an. Un an à tenter de revenir chez moi. Et maintenant que j'y suis enfin parvenu, je dois tout reprendre à zéro, ma vie et tout le reste. Je venais de passer à l'administration pour leur signifier que j'étais toujours vivant. Et après des heures de discussion, j'ai enfin pu retrouver mon titre de vivant.

Je n'avais plus d'endroit pour vivre donc en attendant de me retrouver un appartement, je décidais de passer à l'auberge, afin de passer un petit moment avec des vivants et tenter d'oublier ces images qui tournaient en boucle dans ma tête. Entendre les rires et les chansons d'ivrognes me faisait du bien. Et j'attendais. Quoi, je ne sais pas. Peut-être que quelqu'un que je connaissais entre. J'avais envie d'entendre une voie familière. Je songeais un instant à Virgile et un sourire ourla mes lèvres, j'espérais qu'elle avait trouvé quelqu'un de bien sur qui se reposer. Elle le méritait, c'était une fille super, mais j'avais disparu sans laisser de trace, il y a si longtemps, que je me doutais qu'elle m'avait oublié depuis longtemps. Mais pendant cette année horrible que je venais de passer, seuls le souvenirs des moments passés avec elle m'avait empêché de devenir dingue. Mais je laissais de côté tout ça en vidant mon verre et me laissais porter par la musique.

J'avais beaucoup changé pendant cette année, mes cheveux avaient sacrément poussés, un petit tour chez le coiffeur serait pas du luxe d'ailleurs... J'avais du les attacher comme j'avais pu avec un lacet de cuir, et mon bouc si bien taillé d'habitude avait un air de barbe de trois jours... faudrait que je trouve aussi une glace pour régler ce petit problème... Finalement, j'étais content de ne connaitre personne ici, mon égo en prendrait un coup. J'affichais un sourire amusé derrière mon verre, je devais avoir une sale allure.

Vous savez les acteurs ont ce grain de folie qui fait toute la différence. Les artistes en général en réalité, car il en faut de la sensibilité et de la passion pour exercer ce genre de vocation. Alors, quand un petit gringalet de messager m'a apporté un message d'un maitre de K'ouen débordé mais tellement magnanime qu'il m'envoie de ces nouvelles, j'ai presque espérer l'avoir entre mes mains pour l'étrangler. Jusqu'à ce que je lise le mot.
Le messager avait disparu, mon envie de meurtre sanguinolent avec lui. Sur le mot : "Caël est revenu, Wergeld."
L’ingérence du maitre ou de n'importe lequel de ses subordonnés me passait par dessus la tête. La première chose que j'ai faite c'est de filer à la forge. Personne, bien évidemment. Elle était fermée aujourd'hui. Un petit détour à sa taverne favorite et Eleyn m'avait embrassée d'une accolade à étouffer un cheval. J'hésitais à lui dire pour Caël, d'une part elle avait la force de retourner l'Entre-Monde en dansant le flamenco, d'autre part elle n'aurait pas cessée de me coller. Et malgré toute l'affection que j'ai pour elle depuis le disparition du forgeron, puisqu'elle c'était longuement occupé de moi durant toutes ces soirées noyée dans l'alcool ou asphyxiées sous mes couvertures, il était hors de question qu'elle m'empêche de corriger ce...
Ce...
Cet abruti de forgeron parti on ne sait où sans prévenir... Oh oui, je vais le tuer. Le secouer tellement fort qu'il regrettera d'être revenu des morts, ou d'autre part.

Sans pouvoir en parler à Eleyn, j'avais fais demi-tour, personne n'était dans le salon privé, et pas de Caël dans la salle principale. Alors, j'ai commencé une lente prospection de toutes les tavernes du quartier (à Ordae ça ne manque pas). Pan glissé par malice dans ma sacoche sorti sa tête de la sacoche quand les secousses de mes pas ralentirent.
Il grimpa sur mon épaule et s'accrocha à mes cheveux comme Tarzan ferait avec une liane.

-Je ne l'ai pas encore trouvé, Peter Pan, mais crois-moi, il ne m'échappera pas longtemps. Pour le moment, reposons-nous.

Même Pan avait semblé triste ces derniers mois.

-Faisons les preuves de notre grandeur artistique, m'exclamais-je si fort que les passants me regardèrent de travers. Quoi vous n'avez jamais vu un acteur exprimer son art les vilains !

Ce quartier m'a contaminé...
Je dégainais un maigre bloc de papier de mon sac. Et là, j'entrepris de plier mes mille grues à moi. Il n'y en aura pas mille, mais c'est l'intention qui compte. Un coup d'oeil et elles prirent vie.

-La première qui trouve Caël peut manger Pan !

Le singe s'offusqua et mes grues s'envolèrent dans tout Ordae... Et ailleurs. Car dès qu'elles ont prie vie, mes origamis ne sont plus liées à leur créateur. Et pour cette raison, je m'abstiens formellement de créer des créatures dangereuses, ce serait bête de finir dans l'estomac d'un lion en papier. Mon égo n'y survivrait pas, même féminin.
D'ailleurs, je portais des vêtements de Caël, j'étais si fine qu'il me fallait plier les manches cinq fois pour les hisser à mes poignets. Et je les remontais jusqu'aux coudes ! Une ceinture épaisse, mon sac et des bottes de marches sous une simple jupe, j'avais l'air de n'importe quelle jeune femme trainant sans craindre pour sa vie dans les ruelles médiévales.

A force de marcher sans but, j'ai fini par atterrir au bord du canal, en plein Northrives ! Et là, une petite grue attendait sur le garde-corps.

-Ohoh... Je crois qu'on a une gagnante !

La grue s'envola, une changelin et un singe en papier à ses trousses. Bondissant dans une décapotable (tirée par deux canassons) je suis arrivée au beau milieu de Magna sans avoir le temps de dire "ouf". L'homme me demanda une somme incroyable pour un si petit voyage, et quand j'eus payé, je remarquais la devanture de Providence. Evidemment ! J'aurais dû y penser !
Je bousculais la porte en l'ouvrant et sans attendre l'arrivée d'un serveur mes yeux fouillèrent les environs. Jusqu'à accrocher un seul visage, même hirsute et plus chevelu que d'ordinaire, il était reconnaissable entre mille :

-Caël Drake !

Je me faufilais comme une furie entre les tables. Droite et piquée dans le sol avec pour seul obstacle le verre de l'ex-forgeron.
J'ai hésité un moment, en le regardant entre mes cils et mes sourcils froncés. Et je me suis détendue, comme si c'était un mauvais rêve qui s'achevait enfin.
Pan n'eut pas une hésitation, lui, dès qu'il senti tout danger écarté, il sauta par dessus le verre et se pendit au bouc de son cocotier favori.

-Tu m'as manqué, un sourire et je m’assaillais en face de lui.

Spoiler:

Je me raidissais en entendant mon nom prononcé de manière si peu amène. J'aurais reconnu cette voix entre mille, je fixais Virgile, arrivant vers moi en mode furie. Et j'attendais le coup qui n'allait sans doute pas tarder à suivre. Dans un sens, je le méritais. Et je levais mes yeux vers elle, lorsqu'elle fut assez près. Et le coup ne venait toujours pas. J'hésitais, mais Virgile régla le problème et me fit me détendre quelque peu en s'asseyant.
Je décrochais Pan de mon bouc et l'installais sur mon épaule, un sourire timide sur les lèvres.

- Salut...

Je ne savais pas quoi dire depuis tout ce temps. Mais l'aubergiste régla le problème en arrivant là dessus.

- Tu veux manger quelque chose ?

Je me tournais vers l'aubergiste.

- Je prendrais juste un pichet de vin s'il vous plait.

Je me retournais vers Virgile, et bon sang, je ne savais pas quoi quoi lui dire. Alors j'attendais, n'importe quoi, Une phrase, un coup, n'importe.

Je remarque son sourire perdu -je suis un(e) romantique ne l'oublions pas- ses cheveux longs -Dieu! Qu'il est sexy- le même regard inchangé.
Pendant des mois je me figurais qu'il s'était fait tuer par des bandits, son corps pourrissant quelque part dans le marais. Ou bien mangé par un clan de lions affamés qui n'auraient laissé que des os et quelques bijoux indigestes. Et au fond de moi, je voulais croire qu'il avait seulement choisi de partir. Ma faute ou autre chose, la culpabilité n'était pas mon premier souci.

L'aubergiste me prend au dépourvu en arrivant avec ses bonnes manières. Je le regarde une bonne seconde avant de sourire et de commander tout ce qui me passe par la tête. J'ai faim, affreusement faim, comme jamais. L'appétit vivace grondait dans mon ventre.
C'est bien connue une femme angoissée mangera plus que de raison.

-Apportez des tartes, un assortiment s'il vous plait !

Et du sucre. Une femme mange du sucre, beaucoup. Plus qu'elle ne le devrait. Et je m'en fiche, parce qu'il vaut que je m'occupe ou je vais dire une bêtise. L'accabler de beaucoup de reproches ou me mélanger les pinceaux dans des au revoir maladroits. Après tout, s'il ne veut pas de moi, il suffit de le dire.

-Je suis désolé, je n'ai pas pu gardé la forge pendant ton absence.

Bingo ! Première gaffe. On ne doit pas donner les mauvaises nouvelles en premier... ça gâche la surprise.

-Mais elle n'est pas vendue, tu...

*pourrais la reprendre ? Plus tard ? Quand t'auras réussi à recommencer ta vie ?*

-Désolé. Je ne savais pas où tu étais... Tout ce temps.

Mon regard s'assombrit quelque peu lorsqu'elle me parla de la forge, j'avais fait un tour devant avant de venir me perdre dans Magna. Et sa fermeture m'avait laissé un arrière gout amer dans la gorge. Mais dans un sens, le fait de n'avoir vu personne dedans m'avait quelque peu remonté le moral, il fallait juste attendre un peu pour que je retrouve ma vie d'avant.
Je lui souris.

- T'en fait pas, je sais. Cette année a été... difficile.

Difficile. On va dire ça comme ça... Je ne voulais pas l'inquiéter encore plus, alors je me contentais de ça.

- Tu m'as manqué aussi.

Et voilà, c'était dit. Mais elle ne saurait sans doute jamais à quel point elle avait pu me manquer.
Je tournais la tête avec un sourire aimable vers l'aubergiste qui revenait vers nous avec nos commande. Rapide et efficace, j'appréciais.

- Merci.

De l'intimité ? Je pesais le pour et le contre pendant quelques secondes. Mais nous avions pas mal de choses à discuter avec Virgile. De choses privées. Je jetais un coup d’œil aux alentours.

- S'il vous plait, oui.

Je poussais un soupir, bon sang ce que je pouvais être mal à l'aise. Je grattais un instant Pan, toujours sur mon épaule qui s'amusait à tenter de détacher mon lacet, mes cheveux étant déjà assez emmêlés comme ça sans avoir besoin de son aide.
Je repoussais un soupir, cette fois à déraciner un arbre.

- Avant tout, je voudrais te dire que je suis désolé. Mais je ne sais pas ce qui c'est passé... Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans un endroit bizarre, j'ai tenté pendant tout ce temps d'en repartir, mais il y a quelques jours je me suis retrouvé dans l'Arcos sans savoir pourquoi...

Mon explication n'était pas claire, je le savais, même pour moi, je ne sais pas ce qu'il s'était passé, et je n'ai pas envie de savoir à dire vrai. Je ne voulais juste pas que ça recommence...
Je pris le pichet de vin, servis deux verres et en tendis un à Virgile.

- Comme au bon vieux temps ?

Que dire de plus ? J'avais disparu, elle avait refait sa vie et moi j'avais tout perdu. Point.

Sceptique, c'est le mot. Une assiette de petites tartes sous le nez, il n'y a que Pan pour loucher dessus, car moi je regarder Caël. Il n'avait pas l'air sous nourrit, ni malade. Juste... Changé. Une chose pourtant n'avait pas changé chez le forgeron, son incapacité à communiquer. C'est un truc de fille... Et s'il est beaucoup de choses, une fille, non, impossible d'imaginer que ce corps puissant puisse avoir la moindre parcelle féminine.
Mais je reste incrédule.

Quelque part. Enfermé. Une prison ? Un sortilège ? Tout ce temps écoulé et une si brève explication. Je suis, pour ainsi dire, sur le derrière. Était-ce vrai ou était-ce juste une excuse pour ne pas en chercher une autre plus crédible afin d'expliquer cette longue année sans lui.
La seule chose qui me fit prendre le verre et le lever pour trinquer avec lui, était cette certitude au fond de moi qu'il n'avait rien d'un menteur. Ce n'était pas un manipulateur. Il avait dans le sang du métal pur comme de l'or, et solide comme le fer. Ni ruse, ni fourberie.

-On aura d'autres occasions pour en reparler, fis-je à mi-voix.

Je lui arracherai d'autres détails. Pour me donner l'impression que cette année ne se soit pas perdu dans le vide qu'à laissé son absence.
Je lui ai manqué, cela me suffira. Parce qu'il m'a manqué aussi, affreusement.

-Il reste plein d'armes qui n'ont pas été vendues, des sabres gravés, des boucliers et des pièces d'armures... Et d'autres choses. J'ai demandé à être affecté à ta forge, j'y fais l'intérim', car jusqu'ici personne n'a eut l'audace ou les moyens de l'acheter. Les habitués espèrent tous le retour du Forgeron.

Avec une majuscule, parce qu'il était le meilleur.

-Avec un peu de temps, peut-être... Enfin ! Où vas-tu vivre d'ici là ? Tu as un endroit où aller ?

En croisant les doigts pour qu'il n'ait nulle part où crécher, chez moi c'est petit mais cela suffira à deux personnes ayant autrefois partagé plus qu'un lit.

Spoiler:

D'autres occasions ? Ca voulait dire qu'elle acceptait de me revoir encore ? J'eus un sourire heureux, quoique discret et rapide, le nez dans mon verre. J'acquiesçais d'un mouvement de tête. Peut-être qu'avec le temps j'arriverais à lui raconter. Peut-être. Mais je lui devais bien ça.

Reprendre la forge ? Est-ce que j'en étais encore capable...? Je réfléchis quelques secondes, et eut un sourire. Cette fois un vrai sourire, fier. Avec le temps, j'arriverais sans doute à retrouver ma vie d'autrefois. Ma vie à la forge. Mais est-ce que j'arriverais à reprendre ma place dans sa vie ? Ca ne dépendais que de moi de reprendre mon travail, mais le reste ne dépendait que d'elle. Elle ne me devait rien.

- On n'oublie pas ce pour quoi on a vécu pendant des années. Mes armes rechanteront de nouveau un jour dans l'entre monde, même si je dois attendre des années pour ça ! Et je sais que tu en a pris soin pendant mon absence !

J'eus un air gêné, lorsqu'elle me parla de logement. J'étais sans domicile depuis mon retour.

- Je viens à peine d'arriver en ville, donc je pourrais...

J'hésitais. Je pourrais quoi ? Aller habiter chez elle le temps de retrouver ma forge ?

- Prendre une chambre d'hôtel le temps de finir de régler mes papiers et de voir si je peux récupérer ma forge...

Je n'avais pas eu le courage de lui demander au final... Je n'ai pas changé depuis tout ce temps.

Oh oui j'en ai pris soin, ce sont elles qui n'ont pas pris soin de moi. Il n'imagine même pas la douleur de devoir emballer ses affaires et de travailler tous les jours dans sa forge qui sent le renfermé maintenant que l'âtre n'a pas chauffé depuis l'hiver et les malles pleines qui dégagent une forte odeur de cuir et de produit anti-bestioles. Il y avait les massues, les hallebardes, les épées aussi hautes que moi qu'il a fallu porter, livrer, montrer, nettoyer.
Je déteste sa forge. Mais je ne le lui dirais jamais. Ce pourrait être l'élément déclencheur d'une guerre sentimentale. Trop de cadavres potentiels, je passe.

-Oui, ils ont des chambres toutes mignonnes à Provid...

Je m'arrête net.
Pan, sur le bout des doigts, se faufile tel un serpent entre la vaisselle. Il approche discrètement de mon assiette et tend une patte, lentement, à destination de l'objet de son larcin.
L'animal en papier n'a pas le temps de chiper un bout de tarte que je repose mon verre sur sa queue. Le pauvre en sursaute si haut qu'il manque de renverser le breuvage en prenant ses jambes à son cou. Ou plus précisément, ses pattes au cou de Caël.
Pas prête à m'occuper du singe farceur en cet instant, une ride frontale surligne mes sourcils froncés.

-Tu sais j'ai aussi un appartement. C'est petit et au beau milieu de Magna, mais en se serrant un peu...

Mon sourire revient à l'idée de dormir dans un lit ensemble. Je m'éclaircis la gorge pour dissiper mon embarras.

-...Donc, en se serrant en peu, tu pourrais rester autant que tu le voudrais. Il faudra cohabiter avec moi et Pan bien sûr.

Et le monstre dans le frigo.
Et quelques voisins rongeurs qui se trompent de portes de temps à autre. J'y peux rien, c'est Magna. Humide et mal famé.

-Et puis j'ai gardé toutes tes affaires. Je n'ai pu me résigner à m'en séparer, j'étais persuadée que tu reviendrais un jour, au moins pour récupérer tes outils.

Je lui proposais un bout de tarte. Pan se propulsa comme un Ninja pour venir se pendre à la croûte et se balancer jusqu'à ce qu'un morceau daigne se détacher... Et je serais bonne pour lui rechanger son papier ce soir.