La caverne d'Arcturus

-Mince ! Attends j'ai oublié la ration de Soare.
-Mais laisse là ici cette bête, elle pourra pas nous suivre !
-Mais si, elle est grande maintenant, presque adulte, hein Soare !

Le chaton, nouvellement requalifiée grande panthère, me donna un coup de langue râpeux sur toute la main. Elle me faisait les yeux doux. Ils me disaient beaucoup de choses, comme cette peur de rester seule au palais...

-D'accord on l'emmène... mais elle attendra au campement, j'en veux pas sous terre on a déjà vu ce que ça donnait !

Le grand blond en avait le sourire jusqu'aux oreilles, il passa un collier de cuir à l'animal qui lui mordillait les poignets en y laissant de sacrées traces. Si ça ne tenait qu'à moi je l'aurais remise dans la nature, mais la panthère ayant toujours eu une gamelle remplie sans faire d'efforts ne saurait pas survivre seule dans la nature.
Et je ne l'avouerai pas à haute voix, mais maintenant elle fait partie des meubles...

-Tu as les titres ?
-Ouai, le Cyliong est à l'écurie, ajoutais-je en tapant sur ma poche de poitrine. J'ai récupéré nos prototypes.

Autour de nous une foule se pressait dans toutes les directions. Une horde de commissaires aux mines sombres ou volontaires remplissait le hall et une partie de la cour intérieure. La fontaine était assaillit de gens assit sur les dalles de marbre gris.
En sortant dehors je constatais la faicheur de cette matinée de l'Entre-Monde. L'automne enfin là faisait petit à petit mourir le soleil. C'était une bonne saison pour partir en chasse dans les souterrains... Un soupir, je hissais entre mes épaules une énorme épée au tranchant douteux mais au poids impressionnant. Il faut le dire, je ne compte plus vraiment sur son tranchant actuellement, le poids de la lame suffit largement à trancher ce que je veux, combinée à ma force et les dégâts peuvent se compter en millions.

En haussant le ton, je me dresse de ma petite moyenne de centimètre dans la foule de tous ces géants (même les femmes sont grandes dans mes milices... c'est un comble).

-Vérifiez bien vos bagages pas de retour possible avant la fin de l'expédition. Henrir ! hurlais-je sans me retourner.

Une voix assurée me répondit dans mon dos.

-Wergeld...
-Récupère les volontaires, file-leur le matériel et envoie les moi. Je te laisse quelques hommes avec des titres au cas où. En cas de problème tu peux nous rejoindre au volcan.

Il acquiesça sans un mot et s'éloigna. Son corps élancé en disait long sur son exaspération. Les grandes expéditions sont monnaies courantes, mais rares sont celles de cette envergure.

-Prêts !

Quelques hochement de tête.

-On y va !

Quelqu'un a prévenu le prétorien et les autres maitres de ce voyage qui laissera la zone du dehors sans maitre quelques jours ?... Je crois que j'ai oublié. Si Aya ne l'a pas fait, les journaux s'en chargeront pour moi. Nous ferons des économies de téléphone.

Spoiler:

A l'entrée nord de la grande place, un bouchon de créatures ralentissait la circulation de K'ouen. Les citadins étaient certains que la grande statue couverte de lierre, de lichen et de plaques de boue, ne se trouvait pas là la veille. Intrigués, les passants ralentissaient le pas, murmuraient entre eux, mais aucun n'osait intervenir. Après tout, à part polluer le paysage, la chose ne gênait personne, et dans le doute, on préférait garder ses distances. Même si K'ouen était essentiellement peuplée d'êtres humains, on se trouvait tout de même dans l'Entre-Monde, et on avait déjà vu des habitants plus étranges encore.

De fait, le colosse était bel et bien vivant - mais ces jours-ci, c'était tout juste. Il y avait trop longtemps que Voiz se tenait éloignée des volcans, préférant les villes surpeuplées. Elle avait senti les premiers signes de détérioration de son énergie trois mois auparavant, et choisi de les ignorer. Voiz se plaisait à K'ouen; les humains figuraient parmi les créatures les plus expressives que l'esprit ait rencontrées dans l'Entre-Monde, on ne s'ennuyait jamais avec eux. Elle pourrait bien attendre quelques semaines avant de se remettre en route.

Mais durant ce dernier mois, elle avait sombré dans des torpeurs de plus en plus profondes et rapprochées. Cela devenait préoccupant; en outre, Voiz était devenue incapable de soutenir une conversation sans s'endormir au milieu d'une phrase, et aussitôt qu'elle se réveillait, ses interlocuteurs avaient disparu. Ce qui n'était pas très pratique si elle était censée réparer leurs armes.

La mort dans l'âme, l'esprit s'était donc résolue à se remettre en quête d'un volcan; c'est alors qu'elle avait entendu parler d'Arcturus: une mission d'exploration organisée par un archéologue dans les montagnes de Grâce.

L'occasion était trop belle pour la laisser passer: Voiz ne demandait pas mieux que d'avoir des compagnons de voyage, et la perspective d'explorer des galeries souterraines faisait rougeoyer son noyau de lave.

Le seul problème était d'arriver à temps.

Il fallut le déplacement sinueux d'un serpent entre les plaques les plus friables de son corps pour tirer l'esprit de sa torpeur. Dressant mécaniquement la tête, Voiz constata que le soleil n'avait pas encore fini son ascension. Si elle ne se rendormait pas en chemin, elle pourrait atteindre les bureaux de recrutement avant midi.

La foule s'écarta largement lorsque le colosse se redressa sur ses larges jambes dans un épais nuage de poussière. A mesure qu'elle approchait du bâtiment central, son corps commença à se liquéfier et à mincir, semant des touffes de lierre après lui. Le surplus d'argile vint allonger ses bras, que Voiz laissa trainer derrière elle comme deux longs serpents sombres. Le phénomène lui valut quelques grimaces de dégoût, mais ainsi le risque de percuter quelqu'un était amoindri.

Ce fut sous cette apparence humanoïde que Voiz entra dans la vaste salle de réunion, modelant distraitement son masque de pierre pour imiter les grimaces qu'elle avait aperçues à l'extérieur. Elle se rappela à temps que les demandes de mission nécessitaient des formes d'expression particulières, et remodela son visage pour former un sourire poli, bien que légèrement craquelé:

- Bonjour, dit-elle dans un murmure. Sa métamorphose récente avait rendu son corps tendre, et l'acoustique laissait à désirer. Mon nom est Voiz Montis. Je dépends du miroir de K'ien, et je suis volontaire pour la mission d'Arcturus.

Voiz pencha la tête de côté pour mieux scruter l'expression de la secrétaire, espérant n'avoir rien oublié de la procédure. Sans hausser un sourcil, l'humaine prit quelques minutes pour consulter une liasse de papiers sur son bureau, avant de lui indiquer où signer. Voiz dut s'y reprendre à trois reprises, mais la secrétaire ne parut pas s'en formaliser.

- Je vais vous conduire à la salle de réunion, dit-elle en posant une pancarte "Retour dans cinq minutes" sur son bureau. Vous y trouverez vos coéquipiers.

Henrir reçu le coup de téléphone qu'il attendait et aussitôt se dirigea-t-il vers la salle de réunion. Il entra, s'excusa pour l'attente et alluma un large écran. La vidéo commençait. Ma tête en gros plan en train de froncer le nez.

-T'es sûr que ça marche là ?

En retrait la voix d'Ayame, hilare.

-Oui, ils te verront. Parle, ça tourne !

L'écran frémis avec la caméra alors que je m'éclaircis la gorge. Reprenant un semblant de sérieux devant l'objectif, je commençais mon discours.
En arrière plan, une dense forêt équatoriale et les tentes des équipes occupées à préparer l'expédition.

-Merci à vous d'être venu. Comme vous le voyez je ne suis pas présent et pour cause, je vous attend sur le pic d'Arcturus.

Nouvellement renommé pour l'occasion.

-Un titre de perçant provisoire vous sera remis quand cette vidéo se terminera. Il vous emmènera au campement. Avant cela, je dois vous parler de l'expédition que vous êtes sur le point d'accepter.

La caméra bouge à nouveau, un petit singe passe devant l'écran et montre sa tête curieuse. La main gantée d'Ayame le chasse aussitôt, le singe s'en va en faisant de nouveau trembler l'image. Non, on est pas aidé...
Je reprenais :

-L'expédition du Bouvier nous emmènera à plus de deux mille trois cent mètres sous terre. Nous cheminerons dans un labyrinthe de galeries creusées par le volcan éteint, précisais-je par sécurité, et certainement les habitants de la cité en ruine. Notre mission pourrait s'avérer dangereuse, les aérations ont potentiellement pu recueillir un nombre incalculable d'espèces de créatures dangereuses, mais à cela s'ajoutera un voyage pénible et certainement très long. À mesure que nous descendrons la pression se fera plus forte et en même temps l'air sera moins chargé en oxygène. Si vous souhaitez vraiment être utile, vous êtes prévenu, les dangers viendront de partout.

Retrouvant un léger sourire, je chassais ces recommandations de la main.

-Aujourd'hui Arcturus sert de relais à d'amples fouilles archéologiques. L'intérêt culturel de ces ruines et de ce qu'elles dissimulent dépassent de loin toutes les découvertes que nous avons faites sur l'Entre-Monde depuis la fermeture des miroirs. Notre mission sera d'ouvrir la voie à cette avancée. Et pour cela...

Quelqu'un appelait le maitre de K'ouen dans mon dos. Un bref silence, je repris.

-Je vous en parlerai plus longuement à votre arrivé. Avant de partir, le majordome vous conduira jusqu'au hangar. Merci de choisir les équipements que vous souhaitez tester durant notre expéditions. Ces prototypes nous viennent de Cerclon qui souhaite participer à l'aventure. Si vous avez besoin de matériel supplémentaire dites le à Henrir, il saura vous trouver ce qu'il faut.

La vidéo terminée, l'écran s'éteignit. Henrir, le majordome prit aussitôt le relais de mon discours. Il distribua un sac par personne.

-Ce sac contient un kit de survie, une trousse de secours, un coussin aérosoporiphique, un masque pro-tech, une lampe torche et une gourde glacière. Veillez à la remplir avant de descendre sous terre... Mais en plus, vous trouverez dedans un baladeur subsonic. Les baladeurs et tout le reste du matériel seront à restitués à votre retour de l’expédition, ceux là sont programmés pour communiquer uniquement entre eux. Vous serez en lien direct avec le chef d'expédition Sire Poh et avec le maitre et son capitaine.

L'exposé terminé, il leur indiqua de le suivre. Dévalant les couloirs à un rythme effréné, le majordome les fit descendre au premier sous-sol et devant une large porte métallique tapa un code confidentiel. Les panneaux se mirent en branle et découvrirent un large hangar.
Des étagères ruisselaient de matériel rare.
Aussitôt Henrir leur mit entre les mains deux pinces d'Altaïr.

-Elles vous serviront à l'escalade. Tenez l'embout fermement dans votre main, les deux pointes de métal se fixeront à votre poignet à l'aide d'un champs électromagnétique... ou électrostatique... Enfin, c'est lumineux et solide, je l'espère pour vous. Les vertèbres de l’appareil se ficheront dans n'importe quelle matière minérale et y resteront jusqu'à ce que vous donniez l'ordre de vos doigts pour le décrochage... De mon temps on utilisait des piolets... Enfin ! Vous en avez deux chacun, vous devez tester l'efficacité du matériel et sa solidité.

Sans plus attendre, il entraina les volontaires plus au fond.

-Maitre Wergeld et Ayame utilisent les magnetic, dit-il en désignant un prototype d'une moto flottant au dessus du sol. Elles ont la particularité de ne consommer aucun carburant pour fonctionner sinon un peu d'électricité au démarrage. L'énergie circule en continue et provient des deux roues. Elles sont adaptées aux terrains rocailleux et à la ville. Avant que j'oublie, elles peuvent aussi cesser de flotter et rouler sur le sol. Leur inconvénient principal, leur poids, elles pèsent chacune six cent trente kilogrammes. Silencieuse et solide, vous ne dépasserez pas les cent kilomètres heure avec.

Passant au modèle suivant il désigna une moto similaire.

-Celle-ci est plus légère et plus fragile. En revanche elle est bien plus rapide que la précédente. Elle consomme le dioxyde de carbone contenu dans l'air, elle ne flotte pas comme vous le remarquez. C'est le modèle Antarès. Celle d'à côté vous parlera un peu plus, ces motos modernes ont été revisitées pour permettre une consommation minimale d'essence. Une bouteille d'un litre pour deux cent kilomètre à cent kilomètre heures. Elles sont moins rapides mais plus faciles à piloter.

En se tournant vers le groupe, il sourit.

-Choisissez votre modèle selon vos goûts et ... mensurations. Vous en aurez bien besoin pour parcourir les kilomètres de galeries qui vous attendent.

Avant qu'ils n'entrent dans de lourdes spéculations sur les moto, il leur fit tourner la tête vers une table recouverte d'armes.

-Et maintenant, les armes. Ce sont des armes utilisant l'électricité. Aucune d'elle n'est faite pour tuer, elles sont faites pour paralyser uniquement. Quatre seconde de charge pour trois tirs. Le colt est pratique à porter, léger et facile à utiliser. Il ne s'adapte pas à ses cibles, chaque charge est faite pour paralyser un être humain adulte en bonne santé. Vous avez aussi dans la même gamme le fusil, cinq secondes de charge pour trois tirs simultanés. Le M5 est le plus rapide, deux secondes de charge, les charges s'adaptent aux cibles qu'il faut analyser -il désigna le capteur- pendant la charge, sinon, le tir sera comme celui du colt. L'arcturus est certainement le plus efficace, deux secondes de charge, vous désignez vous même la puissance avec la main gauche -un bouton placé sous le canon- viseur et lampe intégrée. Déconseillé si vous n'avez jamais tiré au fusil.

Il sortit enfin les parchemins de sa veste.

-Et voici vos titres Perçant. Veuillez rejoindre le hall d'entrée dès que vous aurez récupéré votre équipement. Si vous souhaitez obtenir du matériel en plus utilisez l'interphone.

Il distribua les titres et s'éclipsa vers l'entrée du hangar.

Spoiler:

Dévaler les étages à la suite d'Henrir n'avait pas été aisé. L'humain était rapide, et à trois reprises Voiz avait craint de le perdre au détour d'un couloir. Heureusement, la tignasse blonde du premier volontaire était facile à repérer. Voiz n'avait pu déterminer sa race, mais au vu de la légèreté de ses pas, il n'était sans doute pas humain.

Suivant les instructions d'Henrir - Voiz avait eu la vague impression que la remarque sur les "mensurations" s'adressait plus particulièrement à elle - l'esprit inspecta d'abord les motos. Aussi loin qu'elle se souvienne, elle n'avait eu que deux occasions de monter l'un de ces engins, et cela remontait à plusieurs années... Il fallait espérer qu'il lui en restait quelque chose.

Elle porta rapidement son dévolu sur une magnetic; les autres modèles s'effondreraient certainement sous son poids. La seule chose qui l'inquiétait véritablement était sa maniabilité... Mais pas autant que celle des pistolets.

La tête de Voiz oscilla avec incertitude entre les armes présentées et ses larges griffes rocailleuses. Les mains faisaient partie des formes les plus difficiles à adopter. Elle pouvait réaliser une imitation grossière pour tenir un guidon, mais presser une détente...

Elle considéra les armes. Le fusil semblait le plus adapté... Les trois tirs simultanés pouvaient compenser le temps qu'il lui faudrait pour utiliser l'arme. Mais même ainsi, Voiz doutait d'en faire un usage bien efficace, et avec toutes les inconnues que comportait l'expédition, leur mission risquait d'en être compromise.

Observant attentivement les mains de son coéquipier, Voiz agita les griffes de sa main gauche. Des plaques de terre affluèrent jusqu'à son épaule pour former une collerette improvisée tandis que les griffes s'étrécissaient, jusqu'à former cinq doigts crochus. Ceux du milieu paraissaient trop courts. Avait-elle oublié une articulation...?

Voiz attendit qu'ils se solidifient, et tenta de les replier. Comme avec réticence, les doigts s'exécutèrent avec de légers craquements. Le pouce, l'index et l'auriculaire arrivèrent à mi-parcours. Le majeur et l'annulaire ne bougèrent pas.

Un peu penaude, priant fermement pour que le combat rapproché lui suffirait, Voiz ramassa le fusil et coinça le holster contre une plaque de roche à sa taille. Elle tâcherait d'assouplir ses nouveaux doigts pendant le trajet. Après un coup d'oeil à son coéquipier, elle se dirigea vers le hall.

Spoiler: