En quête du dieu tigre

Avec moi, juste le Sampal dont les muscles roulent sous mes cuisses. Il fait froid, vraiment froid. Je suis frigorifiée, enroulée dans une couverture, à regarder à perte de vue de la neige, encore de la neige, et toujours de la neige. Les fées du lotus ne découvrent pas la vie dans un perce-neige, alors j'ai froid, ça coule de source. Allongée sur le dos de la créature j'écoute le silence de ce désert blanc. Shaeten avance, paisible, le froid n'a pas d'emprise sur lui. C'est injuste. Parce que j'ai froid et pas lui.

Là bas. Termer, des toits en pain d'épice recouvert de sucre glace. Ou des toits lourds recouverts de neige. Dur de faire la différence.

Je déteste le nord. Je déteste les missions où il fait froid. Je déteste... Non. J'aime ce paysage. Imperturbable, froid, austère, hostile aux non-initiés. Comme moi, mais moi je suis perturbable, et perturbée, tout ceux qui m'ont croisé l'ont remarqué. Ma monture n'a pas échappé à ce rituel, maintenant il sait pour les sautes d'humeur, le langage de charretier, les manières empruntées aux plantigrades...

Nous entrons en ville. En fait, Shaeten entre dans Termer et les gardes n'ont vu qu'une grosse couverture sur son dos avant de comprendre qu'il s'agissait de quelqu'un.
La civilisation ne reconnait pas les fées enrhumées. C'est de la discrimination des petits. Mais je crois que les fées ne passent pas souvent par ici. Les ailes translucides supportent mal les basses températures. C'est surtout pour ça que j'aime cet endroit. (Je suis de la ligue anti-fées)
Shaeten confié aux bons soins d'un jeune palefrenier bien content de se faire un peu d'argent de poche en offrant un coin d'écurie à ma bestiole, je me dirige vers la taverne qui répond au doux nom de "Bison gelé", ils auraient pu l'appeler le bison crever... C'est pas plus accueillant ! J'étale la neige de mes bottes sur la grille à l'entrée, consciencieusement, en regardant les mines en bordure de sortie. La table libre pas trop éloignée de l'âtre accueille mon petit gabarit comme il se doit.

Je souffle dans mes mains pour les réchauffer et fais un bond de deux mètres quand j'entends un rugissement au dessus de ma crinière.

-Qu'est-ce que j'vous sers petite dame ?

Me jette un grand baraqué chauve et moustachu.

-Un maitre de K'ouen, sa sauce de blondinet et ce qui peut aller avec... Et un vin chaud.
-Wergeld ! Y a une beauté qui te demande ! Rugit-il dans la salle.

C'est vraiment drôle, tout le monde le regarde comme si c'était la chose la plus normale du monde. Pour porter un tablier avec des canards dessus il doit purger une peine pour tapage diurne ou agression sonore... Ou il suit une thérapie, pas très efficace. Il s'en va et fait trembler le plancher à chaque pas. Il a entendu que j'ai commandé un truc chaud au moins ? Les hommes, c'est plus ce que c'était...

Ils sont où les deux beau-gosses ? Je les ai vu en photo, le petit brun a l'air constamment blasé mais quelle classe... Et l'autre blondinet... J'aime pas vraiment les blonds, à raison de plus s'ils ont une dégaine de pirate, mais lui... Dité, on ne croque pas le patron et son sous-fifre. Et j'ai lu dans quelques canards, pas ceux du tablier de monsieur le tavernier, des rumeurs sur ce petit brun, qui traine tout le temps avec un borgne. Il est fétichiste, s'il n'y a que ça je peux tester le cache-oeil. Mais je ne suis pas un homme. Il est gay ou macho. Les défauts d'un homme peuvent être corrigés, c'est une loi universelle.

Une beauté pour moi ? On m'a dit qu'un chasseur de monstre nous rejoindrait bientôt, c'est pas souvent que ce soit des femmes.

Voilà trois semaines que je coordonne les fouilles lancées sur tout le territoire, on cherche des temples, plein de temples. Tellement bien cachés que jusqu'à aujourd'hui on ne se doutait pas de leur existence. Nous avions choisi de rester dans le nord quand des gens avaient mentionné un tigre d'une taille peu commune manipulant la glace. Nous pensions évidemment qu'il s'agissait de G'einmyra, mais comme nous ne le trouvions toujours pas après avoir tourné autour des mers pendant des jours... On commençait à croire que les randonneurs nous avait pris pour des billes.

En effet. C'est une beauté. Chevelure longue et poitrine opulente. Taille fine, assez pour l'enlacer d'un bras. Le visage fier et le regard glaciale... S'il n'y avait pas Fafnir... Je suis un homme, ou quelque chose qui s'en approche fortement et elle est vraiment jolie. Le tavernier nous laisse tranquille après avoir déposer une choppe pleine de vin fumant. J'ai fini ma contemplation de ce petit bout de femme.

-Dité, c'est ça ?

Elle est armée et équipée pour voyager. Elle ne ressemble pas une opportuniste. Je m'installe sur la chaise en face d'elle. Je me laisse aller sur le dossier, nos affaires sont restées sur l'autre table. Aucun risque ici, Auguste (le moustachu) a l'habitude de voir des commissaires passer chez lui. C'est un peu la taverne des fonctionnaires, elle est proche de la mairie et de la plateforme des perçant, c'est logique.

-Appelle-moi Wergeld, et voici Ayame. Tu connais la région ?

Ayame s'est assit à côté, il a gardé ses gants. Son manteau était encore humide de la neige que nous transportions avant d'entrer ici quelques minutes avant elle. C'est un coup de chance qu'on se soit rejoint si tôt. Il nettoie son arbalète, me laisse l'introduction.

Beau gosse se montre. Il parait plus petit en vrai... Pour une fois que je n'ai pas en face de moi un grand gaillard d'un mètre quatre-vingt dix, je me sens grande et bien dans ma peau. Je l'aime bien rien que pour ça. L'elfe par contre est grand, beau, fin, bref une gravure de mode. Je ne l'aime pas. Trop concentré sur son arbalète, trop d'eau sur ses épaules et dans ses cheveux, ils reviennent d'une belle balade dans la neige, pauvre petit bout, il veut qu'on échange ? Je prends sa paie et son boulot, je lui laisse mon appartement au toit qui fuie et les missions bizarres, et mes dettes aussi.

-Ouep... heu... bof. Non.

Trop de questions d'un coup. J'avale une gorgée de vin, amer et franchement pas appétissant, mais ça me réchauffe et me dégivre les cordes vocales au passage.

-Dité, elle est ravie. Je suis déjà venu à Termer, je ne suis pourtant pas aller plus au nord.

En fouillant dans mon sac (j'y entrais presque en allant regarder sous un tas de bordel) je dégainais ma carte holographique, un peu cornée. Dépliée sur la table je l'étale et manque de renverser mon vin sur le maitre. Il gagne une prime de risque avec son boulot ? L'hologramme apparait, je zoome sur la région de Termer et les mers intérieurs.

-Elle est à jour. Depuis que A'vogenlhil a regagné les cieux, j'ai vu des mouvements de populations au niveau de la mer à l'est. Des meutes de loups s'éloignent des mers, la température est descendue de plusieurs degrés comparé à celles auxquelles la région est habituée. C'est définitivement trop froid pour préparer la saison des amours !

Parole de fée.

-Le tigre a été vu sur ce canal là, ongle posé sur le petit trait qui joint les deux mers sud. Mais je suppose que vous n'avez rien trouvé. Vu la fuite de certains groupes d'animaux je remonterai vers le nord, sur la rive est.

Maintenant, ils se démerdent, ils vont voir et pendant ce temps je me la coule douce... Ou pas.

Ayame en a levé le nez de son arbalète pour l'observer comme si... Comme si il existait une fille dans ce pays qui soit peut-être aussi givrée que moi.
Elle a bien deviné, nous avions déjà commencé à inspecter la rive Est. Et juste là nous n'avions pas vu grand chose sinon un groupe d'élans qui fuyaient la zone et reprenaient vers le sud pour trouver de quoi se nourrir. Suivis de près par des prédateurs bien décidés à suivre leur garde manger. Quelques ours se sont terrés dans les forêts avoisinantes, ils sont plus casanier qu'une meute de loup et trop attachés à leur territoire. Ce serait bien de nous assurer qu'ils survivent à cet hiver estival.

G'einmyra nous fait l'honneur d'une visite après des années dans le silence le plus complet. Est-ce parce que nous avons su apaiser son grand frère ou seulement qu'il veut nous aider à retrouver son temple ? Aucune idée, et comme nous avons déjà fouiller la zone du canal il n'y était pas pour nous indiquer le chemin.
Alors, l'idée est de le retrouver avant que notre région froide ne se fasse rebaptiser région morte.

-Il n'y a pas de temple sur la rive Est, du moins pas sur la partie qu'on a pu inspecter. Ni de tigre.

En observant la carte, je lui désigne la surface gelée qui s'étend sur la mer est.

-Il est probable qu'on soit forcé de s'aventurer sur la banquise. Tu as une monture adaptée pour ?

Aussitôt dit... Je l'emmenais dehors, Ayame libérais le Cyliong du titre Sarkina et je la suivais pour trouver son Sampal.
Nous quittions la ville quelques instant plus tard, au levé du vent. Cette région va de mal en pis, à ce rythme, il serait bientôt l'heure de faire évacuer toute la région. Encore Termer est la seule ville de plus de deux cents habitants, mais il a quelques hameaux habités pas assez gros pour figurer sur les cartes, plus au nord, les trouver et les forcer à quitter la zone avant que la température ne passe sous le seuil du zéro absolu... Encore un tas de paperasse en vue et des gens qui risquent leur foyer et leur vie.
On est jamais tranquille dans l'Entre-Monde.

Les félins avançaient sans s'arrêter bien que le vent nous cinglaient les flancs. Puis la neige commença à nous recouvrir.
Pour un début d'été, cela ressemblait à un blizzard hivernal en plein cercle arctique. Depuis des heures nous marchions dans la direction choisie. Sans défaillir. Sauf que dans le guide touristique ils n'ont pas mentionné "chute de température tout les dix mètres". Je me plaindrais à l'agence !

Jusqu'à ce qu'on n'arrive plus à voir le bout de notre nez. Quand les vents soulevèrent trop de neige pour espérer avancer, nous cédions devant la tempête et dans l'urgence on se mit à l'abri dans une alcôve naturelle au pied du glacier. Le vent n'entrait pas dans notre terrier mais le bruit assourdissant qu'il produisait en se frottant contre le glacier rendait difficile mes efforts de communication. Je m'approchais des deux autres et leur criait dans les oreilles sans réussir à correctement m'entendre parler.
Mes lèvres gelées, je me transformais en un réveille matin pris de folie (je grelotais sur place) ça ne devait pas aider le petit brun à comprendre mes phrases sans queue ni tête.

-La température chute de plus en plus, j'ai l'impression qu'on s'approche. Ce serait l'épicentre d'un séisme sauf que c'est une tempête de glace.

Et donc, si on réfléchit bien, la proposition c'est : faisons des tours de con dans la neige jusqu'à trouver là où sa se refroidit le plus et continuons par là...
Ma prochaine mission sera sur une île, au chaud, pas un grain de vent... Du soleil, de la sueur, des odeurs fruités et de monoi à tout les mètres de plage. Une serviette sous mon joli derrière et je verrai si une fée du papier toilette bleu peut bronzer.
Normalement, non, je ne bronze pas... Mais je peux oublier ce détail pour m'offrir des vacances au bord de la mer.

-Votre tigre, son truc c'est sûrement la glace ou la neige. Sans ça, il aurait pu prendre son pied dans un coin plus chaud...

Râler, c'est naturel. Ça détend, ça défoule aussi.
Dans l'épaisse fourrure du sampal, je serais mon sac contre moi. C'est mon issue de secours s'il fait trop froid, je plonge dedans !

Après la déclaration de Dité, je m'attelais à essayer de faire du feu dans un coin protégé du vent. Le bois que j'avais emporté était tout juste suffisant pour quelques braises. Dans l'espoir d'y faire chauffer un peu d'eau, cela devrait suffire. Ayame utilisait une petite pointe en bois pour déloger un morceau de glace. La glace dans une petit gamelle en acier, il le déposa dans le feu et y jetait quelques feuilles de thé.

Je sortais de petits gobelets métalliques que je remplis un à un. La brûlure de l'eau chaude apaisant le froid qui nous congelait sur place.
J'apportais son verre à la fée.

-Si tu as raison, j'espère que la température ne chutera pas plus encore si on approche du tigre ou de son temple.

Le Cyliong c'était allongé dans un coin, roulé en boule il cherchait la chaleur à l'intérieur de sa propre fourrure. Aya allait le ramené dans le Sarkina, ce serait certainement plus tranquille pour l'animal mais je refusais. Nous continuerons plus au Nord dès que le blizzard se calmera. Et nous aurons besoin de lui.

La tempête n'était pas prête de s'arrêter. Nous tiendrons peut-être deux jours avec les vivres apportées. Ou trois en rationnant au mieux. Mais nous serons bien obligés de nourrir les montures aussi. Autant dire que nos félins étaient des carnivores, ils supporteraient mal de manger du pain... Enfin, à la guerre comme à la guerre.

- Tu tiens le coup ?

Ayame hocha du menton, je me pris à observer Dité. Des chasseuses de monstres j'en rencontre peu, mais depuis les exploits de Caliope je ne critique plus les filles armées...

-Je tiens le coup.
P.S. : imaginons ce bout de phrase prononcé entre deux claquement de dents.

Le thé ne m'avait pas réchauffé, en même temps une gorgée d'eau chaude, ça ne réchauffe que les bédouins. Pourquoi ne suis-je pas née Viking ? Avec une couche de graisse naturelle même sous les paupières pour me protéger du froid ? Parce que les dieux se sont amusés à m'envoyer dans le corps d'une fée sans aile. La réponse est simple et je crois même qu'ils voulaient me voir enrager depuis les sphères divines.

Je sortais la carte de ma poche. L'hologramme désigna une lande de glaciers -bien plus petits et plus tranquilles sur ma carte- comme une croute blanche entre les mers gelées. Mon ongle suivait le tracé de la croûte et... Suivait pour l'éternité cette croûte sans fin.

-De la glace. De la glace. Avant il y avait des forêts de sapins mais la glace a tout recouvert. Si c'est le tigre qui fait ça, il devrait suivre un stage écolo...

Je n'ai pas fini ma phrase comme je le voulais, avec une moquerie insolente et un grand sourire tremblotant. Le vent mûgit plus fort et fit entrer une !#$*/# !!! d'averse de glace dans notre refuge. Le feu s'éteignit, l'eau fut recouverte de neige. La survivor, ma tasse, à moitié renversée par terre tirait une sale tête. On s'en fout, l'eau chaude c'est pour les filles.
Et les elfes ?

Une bordée de jurons, je me secouais. Trempée. Gelée. Fatiguée. D'accord, c'est la guerre. Ramène toi châton, je t'attends !
Congelée, je ferais pas mieux... Shaeten s'est levé avec moi, tous deux jetons des regards fréquents sur la sortie de secours.

-Blizzard ou congélateur. Blizzard... congélo... blizzard... amstramgram... Je choisi le blizzard. Si on continue d'attendre il nous piègera dans ce trou !

En selle chéri, dieu ou pas ce tigre va voir de quel bois je me chauffe ! Sans mauvais jeu de mots, promis.

Nous la suivions quelques mètres derrière. Le blizzard s'épaississait, si bien que je forçais le lion à se rapprocher du tigre de Dité. L'animal devait apprécier sa fée de maitresse, elle semblait légère, elle l'était plus que moi et le semi-elfe sur notre monture. Mais le lion ne s'affaiblissait pas. Robuste, il bravait le froid et le vent.
Le froid surtout.

-On ne trouvera pas se tigre en tournant au hasard dans la neige !

Obligé de crier car mon écharpe et le vent étouffe ma voix. Des fourmis dans les jambes, la température a bien trop baissée ces dernières heures.
Ayame me souffla quelques mots, presque inaudibles dans le vent.

-Pensons à faire demi-tour Wergeld, avant qu'il ne soit trop tard.

J'acquiesçais. Nous n'irions pas bien loin mort de froid et sans provisions.
Penser à faire demi-tour. Mais où sommes nous pour faire demi-tour. Le soleil, les nuages, plus rien n'était visible sinon un manteau blanc qui s'effritait sur nos têtes. Des cristaux de glace s'écrasaient sur nos vêtements, les bêtes gardaient la tête basse et fermaient les yeux.

Le vent redoubla de puissance, ses hurlements étourdirent notre monture qui chancela sur le côté. La bête lutta, elle n'avait aucune chance. À nous trois nous prenions le vent sur les flancs, il nous poussait avec une force incroyable. Cramponné à l'encolure de l'animal, nous basculions vers la fée.
Le cyliong s'écroula sur son voisin et nous emportait avec lui.

Un rugissement de Titan, le ciel nous tombe sur la tête !
Mais non, c'est juste messeigneurs Wergeld et Ayame qui me tombent dessus. Rien de plus normal... Surprise, je cris. Shaeten s'écrase sur le côté.
Jambe coincée entre le tigre qui se débat pour se dégager et une couche de glace quasi rigide, je me protège le visage. Mon compagnon manque de m'arracher un bras en repoussant le lion gris. Il s'éloigne de quelques pas. Il ne va pas vraiment loin, la tornade de vent et de neige confond le sol et le ciel.
Mais, comme nous ne marchons pas encore sur la tête, je sais où est le sol. Nos péripéties nous ont, juste, fait perdre le nord.

J'ai du mal à me relever, ma guibole est encore sous le choc du cinq cent kilos écrasé et de la neige qui a détrempé mon pantalon. Ouai. Il fait super froid maintenant. Je me transforme en congère... Pour une fois dans ma vie je n'ai plus rien d'une fée. C'est le plus beau jour de mon existence.

Ou pas.
Wergeld et Ayame, avec ma force (et demi) finissent par se relever à leur tour. Et je leur avoue ce que je n'ai même pas envie d'entendre.

-On est paumé.

Je n'ai pas de boussole. Naëvi me sert de sens de l'orientation, et le renard est resté à la maison. Le froid c'est pas trop son truc. Ce n'est pas le miens non plus.
Je répète pour ceux qui ne suivent pas !

-On est paumé au milieu d'une tempête !

L'un après l'autre, on se relevait, le lion le premier crachait ses feulements inaudibles dans la tempête, suivit de mes vulgarités sans cesse renouvelées. De Ayame le vent me porta le "na" du Sarkina qui fit disparaitre le Cyliong. Nous continuerons à pied, l'animal ne supportera plus notre poids combiné dans la tempête.
Et Dité vint me crier dans les tympans ce que nous devions bien admettre : nous étions perdus au beau milieu de nulle part.
En levant les yeux dans la tempête, nous devons bien l'admettre, soit elle se calme, soit nous sommes morts.

La surprise, la vrai, arriva en même temps que les derniers cris du vent. Les dieux m'écoutent ? La tempête se calme, s'estompe. Devant nous un ciel bleu sans imperfection et le sol blanc, uni à perte de vue. Quelques mètres devant, un tigre blanc, il nous regarde. Sous ses griffes, la glace grince sombrement. L'eau du lac gèle un peu plus en profondeur.

Sans voix, nous approchons. Le tigre ne bouge pas. Le froid, lui, n'est pas parti. Il semble palpable comme des lames de verres autour de nous. Un pas équivaut à une dizaine de degrés perdus. Le dieu tigre est fait de froid. Même un idiot le comprendrait. Nous ne pouvons pas nous approcher.

Il découvre ses babines à la chair rose, la glace sous nos pieds se fend, le sol gronde et s'ouvre une bouche béante. Il n'y a plus rien sous nos pieds pour nous retenir. Il rugit. Je ne trouve aucune prise pour tenir la tête hors de la gorge. Je tombe, comme tout le monde.