La cerise sur le gateau

Derrière son sourire énigmatique, Ayame était avant tout un homme intelligent. Bien plus que je ne l'étais et que je ne le serais jamais. Ce qui en faisait un allié tout particulièrement précieux à mes yeux.
Et même si sa tête bien pleine lui donnait une valeur spéciale, sa bienveillance et son altruisme étaient autant de qualité qui le rendaient indispensable.

Le semi-elfe me prouvait une fois encore que son esprit avait un coup d'avance sur le miens. Il planifia une sortie en ville, me conduisit sans révéler son secret jusqu'à Ordae. Je reconnus le chemin pour l'avoir emprunté plus souvent en trois ans que lui en soixante-dix.

-Pourquoi allons-nous à la forge ?

Il s'attendait à ce que je devine notre destination. C'est pourquoi son éternel sourire se para d'un brin d'espièglerie. C'est ce côté amusé qui équilibre le caractère de l'elfe, s'il était parfait il serait ennuyant. Ayame est intelligent, gentil et surtout sournois.

Le fait qu'il ne réponde pas à ma question termina de me rendre bougon.
Certes, c'était une mauvaise excuse pour justifier mon aspect général et quotidien ces derniers temps.

-On a peut-être mieux à faire que du shopping, non ?

Il m'ouvrit la porte de la forge et je respirais l'odeur de la suie et du métal chaud.

-Non, nous n'avons pas mieux à faire, quand tu auras compris tu seras heureux que j'y ai pensé. Et... La forge n'est que l'étape la plus rapide. Essaye les gantelets, là, tu veux bien ?

-Non je ne veux pas "bien" mais à t'entendre je n'ai pas le choix ou le ciel va me tomber sur la tête. Donc...

En attendant que forgeron ou commis se présente, je relevais ma manche et commençais à essayer les gantelets en exposition.

Le tablier de cuir épais qu'elle devait porter pour déambuler à la forge lui semblait peser une tonne. Lay'leva était bien contente de ne pas avoir en plus à actionner les lourds instruments de travail de la forge.
Elle termina son examen rapide mais attentif du catalogue de la forge et se dirigea vers la zone de vente de l'établissement, ou un homme dont le visage lui rappelai quelque chose essayait des gantelets avec un air renfrogné. Un autre homme au regard vif l'accompagnait, l'incitant à choisir une de ces pièces d'armure.
Elle se dirigea vers eux de son pas léger, le dos droit malgré le poids du tablier de forge.

-Bonjour messieurs, puis-je quelque chose pour vous?

Elle esquissait le sourire doux et sincère qu'elle accordait toujours à ses clients dans sa propre boutique.

-Je ne suis ici qu'exceptionnellement, si bien que mes qualités en matière de conseil sont limitées, je ne peux objectivement vous dire seulement que ce modèle vous sied particulièrement.

Nous levions la tête d'un bel ensemble vers la nouvelle venue. Je m'attendais à voir Voiz. L'autre forgeronne aurait-elle trouvé un nouvel emploi ailleurs ? Ayame la salua d'un sourire bienveillant et courba un peu l'échine pour la saluer.
Quant à moi, digne de mon propre caractère, je baissais les yeux sur le gantelet que j'essayais.

-J'aime bien aussi, les écailles se logent entre elles quand on plie le poignet, il est plutôt souple.

L'elfe tiqua sur mon absence totale de politesse. Il se détourna vers moi et jeta sur le gantelet un regard critique.

-Chope une épée à côté et vérifie tes mouvements.

Si le gantelet m'empêche de jouer avec mes épées à la maison, nous sommes tous les deux bien conscients qu'il ira pourrir dans un placard. Donc, exécution. Je me dirigeais vers le support aux épées à deux mains. Décrochant un cimeterre particulièrement volumineux, je le soulevais et le fis rouler dans ma main.

-Hey et si on prenait un sabre aussi ?

L'elfe fit "non" de la tête.
C'est vrai quoi, j'ai déjà trois épées dont l'une est presque aussi lourde que moi.

D'un autre mouvement, je lui fis tracer dans l'air un large demi-cercle.

-Il va prendre celui-là, conclu Ayame rien qu'à me regarder jouer avec le sabre. Wergeld...

Ayame fouillait sa poche pour trouver mon badge de la banque, profitant de ma distraction passagère pour gagner du temps. Il ne s'attendait pas à ce que je l'interrompe.

-Attends, on n'a pas finis. Je vais essayer les jambières.

L'elfe se massa la tempe tandis que je me dirigeais vers les protections.

-Je ne suis pas très épais, vous auriez des modèles plus petits ?

Les jambières que je voyais étaient trop larges pour mes jambes, j'allais nager dedans comme dans une piscine...

Lay'leva ne se départi pas de son sourire lorsque le dénommé Wergeld éluda totalement les salutations d'usage. Un client bougon, c'était assez courant, il n'y avait pas de raison de s'offusquer. Surtout qu'il ne lui avait pas manqué de respect en soi; elle était là pour lui vendre des objets, pas parler de la pluie et du beau temps.
Elle continua de suivre ses deux clients à bonne distance, montrant qu'elle restait à disposition sans risquer de les gêner dans les essayages.
Attitude qui lui paru fort avisée lorsque Wergeld testa sa prise en faisant tournoyer un sabre de bonne longueur.
Ah, voilà que son client s'intéressai aux jambières...

-Je vais vous chercher ça tout de suite.

Elle disparu prestement dans la réserve de la forge... Pour en revenir en poussant un petit chariot comportant des casiers munis de crochets qui maintenaient une petite collection de jambières d'une taille plus adaptée à celle de Wergeld. Elle arrêta et freina le chariot à quelques pas de ses clients du jour et fit un pas en arrière, en faisant un petit mouvement circulaire du bras.

-Celles-ci doivent être plus adaptées. Je vous laisse faire votre choix, messieurs.

J'ai essuyé un petit paquet de remarques. L'elfe commença par se plaindre que j'étais bien trop maigrichon pour mon appétit. Après une demi-douzaine d'essayages se soldant par un elfe hilare et un K'ouen exaspéré... Une exclamation revigora mon capitaine :

-Celle-là semble t'aller ! Attend, comment tu te sens dedans. Fais voir les attaches !

Pour avoir manqué de rompre les lanières d'un précédent modèle, je laissais faire l'elfe quand il vérifia la solidité, la présence et l'efficacité des attaches. Quand il se releva, il était satisfait et ça se voyait.

-Marche un peu pour voir.

Je sentais bien ma jambe plus lourde, elle déséquilibrait mon allure, en l'absence de sa jumelle c'était on ne peut plus normal. Ayame passa une main sur son menton et m'observa faire quelques pas.

-Aucun problème pour lever la jambe ?

-Tu te fiches de moi ?

Si légère que je pourrais faire un salto arrière... Si je savais faire un salto arrière.
Ayame se tourna finalement vers la vendeuse et lui offrit un sourire rayonnant. Il sentait venir la fin de la récolte.

-Cette paire là sera parfaite.

Ayame avait déjà préparé le badge de la banque qu'il tendait à la jeune femme. Il était évident qu'il voulait quitter la forge avant qu'une autre catastrophe survienne. Je pourrais, par exemple, vouloir acheter une hallebarde ou bien un bouclier...
Il se demandait intérieurement pourquoi tous ses enfants aimaient les armes, qu'avait-il fait pour mériter ça ?

Les deux clients ayant arrête leur choix, Lay'leva s'empara des pièces d'armure concernées ainsi que du badge de la banque que l'elfe lui tendait.
Elle alla se poster derrière le comptoir, vida un sachet de boules de polystyrène dans un carton et y déposa gantelet et jambières. Elle referma le carton et encaissa rapidement.
Puis elle mit le carton dans un sac qu'elle tendit ainsi que le badge à ses clients par dessus le comptoir.

-Merci de vos achats, bonne journée Messieurs.