Chauds, les marrons! Chauds!

Arriver jusqu'à l'Auberge n'avait pas été une mince affaire. Non pas parce que le chemin était difficile à trouver (tout le monde sait où elle se trouve, après tout) mais parce que Magna ne correspondait pas vraiment à la définition d'un "quartier calme".
La longue cape bleue roi qu'elle portait comportait des motifs censés détourner l'attention des observateurs. Cependant, le niveau de vigilance des riverains ici dépassait parfois ce pouvoir. Elle avait dû à deux reprises coller sous le nez d'importuns un motif de terreur (rien de bien méchant, seulement une peur primale) pour pouvoir continuer sa route.
Elle passa à l'heure et d'un pas léger le seuil de l'Auberge et retira sa capuche (inutile d'attirer encore plus l'attention dans ces ruelles en paradant telle l'égérie d'une marque de lessive : "Avec Lektuga, votre linge sera plus blanc que Lay'leva). C'est avec un début de fou rire visiblement contenu qu'elle s'adressa à l'aubergiste:

-Bonsoir, je suis Lay'leva. Il semblerait que je sois votre employée ce soir.

Elle embrassa enfin la salle du regard.
Celle-ci était pour le moment vide; les derniers clients "réguliers" ayant été mis dehors afin de préparer les lieux pour le banquet. Les lourdes tables venaient à priori juste d'être alignées, les chaises (où étaient donc passés les bancs?) faisant toujours le garde-à-vous le long des murs.

-Par quoi on commence, patron?

L'aubergiste la dévisagea quelques secondes d'un air étonné (sans doute pensait-il aussi à la lessive, ou alors c'était l'air goguenard que lui avait donné son envie de rire...), puis il la regarda de la tête aux pieds et haussa enfin les épaules, à priori satisfait de son observation.
Il désigna la cape qu'elle avait déjà retiré et replié sur son bras.

-Commences déjà par te débarrasser de ça, il y a un porte-manteaux derrière, à coté de la cuisine. Ensuite tu m'aideras à finir avec les chaises et tu enfileras ce tablier avant d'aller en cuisine voir ce qu'il y a au menu. Tu as bien fait de mettre des vêtements sombres, y a moyen qu'ils soient tachés avant le milieu de soirée. Et j'espère que tu es en forme, tu es toute seule en salle, je m'occupe de remplir les pichets, entre autres.

Elle s'était déjà dirigée, tout en écoutant les instructions, derrière le comptoir pour aller accrocher sa cape aux crochets qui faisaient office de porte-manteaux dans un recoin du passage vers la cuisine. Elle mis discrètement les motifs qu'elle tenait jusqu'alors dans son poing dans une des poches de celle-ci. Il aurait été malencontreux de donner la frousse à un des convives.

Placer plus de cent chaises autour des longues tables ne fût pas une mince affaire mais ils en vinrent à bout. Le maître des lieux ne cessait de lui répéter ses instructions, ajoutant des détails et les agrémentant d'exemples anecdotiques ("la dernière fois, un client a failli se prendre un pichet sur la tête, ne fais pas la même chose surtout"). Elle ponctuait régulièrement la litanie d'un "oui patron".

Le passage en cuisine fut bref, juste le temps de faire l'inventaire des mets prévus pour le banquet et d'en retenir partiellement la liste.

-Bon tu sais tout, maintenant graves toi le sourire que tu avais en entrant et fais bien ton boulot.

Sur ce, il se dirigea immédiatement vers la porte d'entrée pour accueillir les premiers convives.

L'elfe avait insisté, je refusais systématiquement les invitations, l'elfe s'y rendait parfois mais la présence du Maitre de temps à autre valait autre chose que celle de son capitaine. Je finissais de me préparer sous son oeil critique. Il m'observa jusqu'à me voir récupérer ma veste, mon épée et ma hache.

-Tu comptes emmener tout ça à un dîner ?
-C'est Magna ?
-La hache c'est vraiment nécessaire ?

Je haussais les épaules et lâchais la hache sur la table basse. Un craquement du bois signala que la table plusieurs fois centenaire n'avait pas apprécier ce mauvais traitement.

-Oups...

L'elfe ne se détournait pas pour autant. Le problème c'est qu'il occupait l'encadrement de la porte. J'étais coincé dans la pièce sauf si je passais de force.

-Wergeld, l'épée...
-Ah non ! Je la garde ! Chaque fois que je suis sorti sans elle j'ai fini avec des problèmes. Et puis tu ne peux pas te permettre de critiquer, je vois parfaitement que tu emportes ton arbalète.

Il sourit.

-C'est Magna.

Ceci fait, un hi-bou nous déposa en plein Magna et le borgne trouva qu'il aurait pu nous rapprocher un peu plus tout de même. Il paya la course et vérifia l'état de ses vêtements avant d'accepter de se mettre en route vers l'auberge.

-T'as vraiment l'air ridicule avec cette épée en ville.
-Je préfère sauver ma peau avec mon épée plutôt que d'attendre que tu armes ton arbalète pour t'en charger. Pour un "garde du corps" t'es pas efficace dans des ruelles aussi étroites... T'aurais pu prendre l'épée de secours.
-Celle offerte par Souen ?
-Ouais.

Il sourit. Il aurait pu, c'est vrai.
On arrivait à l'auberge avec un peu de retard. Si monsieur tatillon ne m'avait pas obligé à me changer cinq fois, nous aurions été à l'heure !