Ça va finir en poulet !

Si vous êtes de ceux qui pensent que le peuple Chertan n'est composé que de grands hommes-lions fiers et puissants, parcourant l'Entre-Monde la crinière au vent et rugissant au crépuscule comme les rois de la jungle, alors venez. Approchez, et observez un peu la scène qui se présente sous vos yeux ébahis. Car du Chertan fier et majestueux ne restait plus grand chose à présent qu'il promenait son perroquet géant au bout d'une laisse...! Kallistrat venait de quitter le zoo de Tern en compagnie de Constantine, et s'étaient immédiatement dirigés vers la sortie nord afin de rejoindre la zone du dehors. Et si l'air frais de l'extérieur et les effluves parfumées de Ing chatouillaient agréablement les sens délicats du chaton, le perroquet quant à lui, commençait déjà à venir à bout de sa patience.

« Je ne le mangerai pas parce que la mission dit qu'il ne faut pas... mais s'il continue, tu crois que j'aurai le droit de l'assommer ? »

Et puis pour couronner le tout, l'animal n'avançait pas très vite et s'arrêtait souvent pour admirer le paysage, se retournant ensuite vers son escorte pour leur débiter des propos à réveiller une haine viscérale même chez un Bisounours. Évidemment, les deux compagnons de route ne pouvaient pas deviner que l'oiseau se contentait de répéter ce qu'il avait entendu au cours de sa vie d'animal captif.

« Ah ! Si j'apprends qu'il lui est arrivé quelque chose... j'aurai le droit de l'assommer ? »

Kallistrat tira sur la laisse, et l'oiseau se débatit furieusement. Autrement dit le voyage s'annonçait particulièrement stressant. Chaton tendit alors la corde à Constantine d'un air exaspéré.

« Prends-le toi. Je vais le faire avancer ! »

Sitôt dit, sitôt à quatre pattes. Il se plaça derrière le perroquet et fit mine de lui mordre les fesses, ce qui eut pour effet de faire bondir l'animal en avant. Bon... et bien on y arrivait !

Kallistrat s'ébroua à grand bruit avant de prendre un air boudeur.

« Je ne l'ai pas mordu ! J'ai juste fait semblant... »

Ceci dit si l'oiseau n'y mettait pas du sien, il finirait bien par le dévorer... ou le laisser à Constantine. Le chaton avait sa fierté, et s'il avait promis qu'il ne mangerait pas le perroquet, alors il ne le mangerait pas. Quant à y goûter, l'expérience était tentante, mais il n'était pas sûr de résister au cas où la saveur lui plairait. Alors il s'abstiendrait. Il ne se priva pas d'éclater d'un rire profond assez inquiétant toutefois en voyant le perroquet bondir en avant sous l'exhortation musclée de l'androïde. Si c'était pas de la maltraitance animale ça ! Les moustaches frémissantes, Kallistrat grogna. Juste comme ça, comme un bête chien, pour voir l'effet que cela ferait au volatile insupportable. Réponse immédiate : vous avez déjà vu un perroquet courir ? Sous le nez d'un gros chat qui plus est... dans cinq minutes il était cuit !

« Il vaut mieux que je passe devant, sinon je vais vraiment avoir envie de le manger. » avoua le Chertan en récupérant la laisse.

Et de toute façon, l'oiseau pouvait bien tenter de s'enfuir, notre chaton était tout disposé à le rattraper à sa manière.

« Est-ce que tu es étanche ? Parce que nous allons arriver aux marais et c'est plein d'eau dedans. »

Les oreilles du Chertan pointèrent aussitôt vers la direction du cri, mais avant même qu'il ait eu le temps d'analyser les odeurs qui lui parvenaient – il fallait bien admettre que les effluves de putréfaction du marais mettaient ses sens à rude épreuve – Constantine avait lâché l'insupportable volatile pour s'élancer dans les hautes herbes ! Kallistrat la regarda s'éloigner l'air stupéfait qu'un tas de ferraille puisse se déplacer si vite malgré son poids... et au fait, elle ne risquait pas de s'enfoncer dans la vase ? Un coup d'œil vers le sac à dos blanc dont il ne se souvenait déjà plus du nom le fit hésiter. Courir aider Constantine ou surveiller l'oiseau ? Jugeant qu'il pourrait toujours retrouver ce satané perroquet s'il faisait mine de s'enfuir, ce qui donnerai lieu – à coup sûr – à une chasse très excitante, il bondit à son tour dans le sillage de la cyborg, courant ventre à terre comme il aimait tant, les quatre pattes au sol. Après une centaine de mètres, il rattrapait déjà la machine et dut freiner des quatre fers en se retrouvant nez à nez avec...

Avec quoi au juste ?
Chaton écarquilla les yeux. Jamais encore il n'avait vu une créature pareille, et manifestement, elle non-plus n'avait jamais vu de Chertan de sa vie ! Elle poussa un nouveau cri et couru gauchement se cacher dans les hautes herbes. On aurait dit un énorme dindon remuant son postérieur, ce qui failli faire rire Kallistrat... s'il n'avait pas sentit une odeur qu'il n'aimait pas particulièrement.

« C'est juste un gros herbivore qui glousse bizarrement. Viens, je n'aime pas savoir notre perroquet tout seul. »

À ces mots, notre fier Chertan se redressa sur ses deux pattes et s'en retourna auprès de leur précieux butin... sauf qu'il ne retrouva sur place que le petit robot blanc tout seul, le perroquet lui ayant faussé compagnie. Furieux, Kallistrat envisagea de se lancer à sa poursuite pour le dévorer, ce dont Constantine sut le dissuader. À la place, ils retournèrent au zoo annoncer la perte malencontreuse de leur colis.