Tant que tu es là... [pv Wil]

Gin? Trois lettres lui aussi.
Le chat avait filé si vite qu'il manqua de se demander s'il l'avait vraiment vu.
Gin t'es ridicule là.
Alors il comprenait ce qu'on lui disait ce chat, vraiment?
Elle répondit par un rire, répondit à quelque chose qu'il n'avait pas entendu. Le chat parlait? Comme Stern pouvait lui parler? Ca... Penser au demi-dieu lui tira un rictus bref et dégoûté. Il aurait voulu ne pas avoir à retourner à la caserne, ne pas avoir à retrouver les sanctuaris et ces soi-disant devoirs qu'il avait, et qu'il ne faisait pas... Il aurait voulu ne pas être prétorien, ne pas avoir de responsabilité. Regarder l'herbe pousser à longueur de journée? Non quand même pas, il serait mort d'ennuie avant la fin de la première heure. Non, mais juste être... Être quoi?
Son regard pâle quitta le vide dans lequel il s'était perdu, se posa sur Wil.
Wil, décidément...
Il aimait bien ce nom. Le hasard faisait bien les choses. Si Stern ne lui avait pas pris la tête, ce matin, ce jour même, il ne serait jamais venu ici, il n'aurait jamais été dans cette grotte, il n'aurait jamais rencontré cette fille, n'aurait jamais entendu son nom, et n'en aurait jamais eu un...
Aël.
Un nom qui lui plaisait bien.
Peut-être le premier non qui lui plaisait vraiment, de tous ceux qu'il avait pu porter.

Une intelligence artificielle... Exacte, il n'en était pas une. Enfin si, mais... Partiellement. Enfin.. Non. Si...
Il ne savait plus. Son cerveau marchait, mais il ne savait pas si ce cerveau était celui avec lequel il était né. Et quelle que soit la réponse, il était sûr d'une chose: ce cerveau était trop vieux, était déjà mort depuis longtemps, et ne fonctionnait plus que grâce au générateur d'impulsion qu'on lui avait collé dans la tête. Sans ça... Il aurait été incapable de réfléchir. Il n'aurait été qu'un légume, déconnecté de la réalité, dans l'impossibilité de voir, d'entendre, de parler, de... Incapable de tout.
A la question de Wil, il pencha à nouveau la tête sur le côté, son regard tombant sur le sol entre eux, puis sur Gin. Pour finalement revenir sur elle, comme si son attention revenait immanquablement sur elle.
Il n'en savait rien, il le supposait juste. Ce qu'il était n'avait pas de nom, c'était juste un infernale mélange de tout et rien, dépourvu de sens et de logique. Il était sans doute quelque chose à la base, mais on lui avait enlevé et rajouté tant de chose qu'au final, il n'était plus rien. Spécial, peut-être. Il y avait des riens spéciaux. Mais ils restaient des riens, malgré tout.

Il s'y était fait.

Abandonnant ces pensées, un mouvement de Gin attira à nouveau son regard. Il l'observa un instant, trouvant le comportement du félin comme... Familier. Tapi par terre, comme aux aguets. Instinctivement, il choisit de ne pas bouger. De juste relever les yeux sur Wil.
Dénaturée. Il jeta un coup d'oeil autour d'eux. Reculant un peu plus ses mains, il sentit ses doigts heurter un métal froid. Et surtout ne pas se retourner... Une hallucination de sa part, quelque chose d'irrationnel.
Il aurait voulu pouvoir oublier, mais pas qu'à moitié. Vraiment, complètement. Pouvoir reprendre à zéro, recommencer sa vie comme il voulait, où il voulait, tout seul ou non, comme prétorien ou pas. Ou... Peu importait. Mais juste...
Juste oublier.

Que le physique d'une elfe alors.

"Et dedans, t'es quoi?"

Si elle n'avait que le physique, le reste c'était du quoi?
Et... Comment peut-on être rien de spécial?

"Je sais pas ce que je suis. Quelqu'un s'est approprié celui que je suis pour en faire ce qu'il voulait. Et maintenant..."

Il haussa les épaules avec un sourire fataliste. Maintenant il s'en foutait. C'était comme ça, voilà tout. Il aurait voulu se souvenir, mais il ne pouvait pas. Il aurait voulu courir, manger normalement, être normal, mais non. Il ne pouvait pas. Son style de combat? Il n'en avait pas, il évitait de se battre autrement qu'à l'arme à feu. Pourtant il savait très bien se débrouiller, à mains nues ou à l'arme blanche... Mais non, ça non plus. Rien de physique, il ne pouvait juste pas, parce que sous l'effort, son coeur n'accélérait pas.
Il baissa les yeux sur ses genoux, ramena une de ses mains devant lui pour en examiner la paume.

" Aël..."

Il sembla chercher quelle ligne de sa main concernait ce nom-là. Trouva ou non, peu importait.
Mais ses yeux pâles, en se reportant sur Wil, semblaient contenir un sourire.

"C'est beau."

Et il n'aurait su dire à quel point... C'était étrange.
Mais il lui était infiniment reconnaissant.

Oublier ? Il veut vraiment oublier. Toute sa vie ou juste des passages ?

Le génie n'alla pas chercher à comprendre. Il pointa son index vers le drôle de type, visa, tira.
Sauf que le génie était un génie par un tireur d'élite. Le rayon magique rebondit sur on ne sait quoi et frappa Ez après un petit tourbillon inutile... Autant dire que le sort n'allait pas bien fonctionner. C'est bien pour cette raison qu'il fila avant que le prétorien ne se rende compte que :

Il n'avait rien oublié de ses souvenirs.
Qu'il allait oublier tout ce qu'il devait retenir.

Ne pas oublier de libérer M.brigand, ne pas oublier de sortir le chien, ne pas oublier d'appeler la banque.

La mémoire d'un poisson rouge greffé au prétorien...

Spoiler:

Je tachais de retrouver en moi les images des intelligences artificielles croisées dans l'Entre-Monde, dans les Fumerolles, sur Northrives…il y en avait oui, mais je me plaisait à croire qu'il n'en était pas une. Qu'il avait quelque chose d'humain, de biologiquement humanoïde. L'apparence tout d'abord. Bien que mes yeux flirtaient au même moment avec son regard animal, ses dents quand il parlait, cette cicatrice. Mais deux mains, deux jambes, une tête, deux yeux. Oui ça aurait pu être pire. Ne pas se fier aux apparences, ce que m'avait toujours dit son frère. Sauf que là, je ne voulais pas croire qu'il soit un lycan, pas même qu'il n'était un robot sans émotions. Ses gestes, ses rictus, son attitude n'étaient pas indifférents à ce que je disais. Non, il n'en était pas un.
A ma question je le vis pencher la tête sur le côté. Gin en fit de même, l'observant, les oreilles tendues vers lui, les pupilles dilatées comme s'il était un énorme jouet sur lequel il allait pouvoir sauter d'une minute à l'autre. Sa queue faisait des allers et retours incessants, balayant le sol de la petite grotte. Je posais mon regard sur lui, suivant celui d'Aël puis releva le nez pour voir qu'il m'observait.
Nos regards ancrés l'un dans l'autre, il n'y eut pas le moindre bruit pour venir perturber la cascade qui s'écrasait dans la mare. Moi ça m'apaisait cette ambiance en général. Ce bruit me rappelle la surface et les forêts ou j'avais grandi. Le chat attira l'attention de mon interlocuteur alors que je tournais la tête pour observer la surface liquide. Mais je vis une sorte de reflet sur la surface mouvante, une sorte de silhouette. Gin feula et je me tournais à nouveau vers.

*Il a fait un truc bizarre ! Je te jure que c'est vrai !*

Je fronçais légèrement les sourcils, et observa le reste de la grotte. Moi aussi j'avais senti quelque chose. Je ne dis rien, mais restait sur mes gardes. Le félin n'avait pas bougé, tapi mais l'air plus agressif cette fois. Sa queue balayait méchamment la pierre, toutes moustaches en avant.
Et dedans t'es quoi ? Rien de spécial ?

"J'ai dû me faire à une vie ici qui est bien loin de celle de mon enfance."

Se retrouver toute seule ici, alors qu'avant j'avais un paquet de voisins. La solidarité d'un peuple elfique, alors qu'ici j'étais devenue plutôt individualiste.

"Je suis un tas de contradictions."

Je savais que j'avais perdue une part de moi, là bas, dans ces forêts. Venir ici m'avait changé, mais c'était ainsi. C'était un choix à faire, et je me devais d'en rester fière.

Il reprit la parole. Ne pas savoir ce que l'on est…la suite des mots fut étonnante. Une marionnette ? C'était ce qu'il était en train de dire. Je ne cillais pas, l'écoutant finir sa phrase…mais non…Et maintenant quoi ?
Il haussa les épaules et sourit. Blasé ? Rien que l'idée que je puisse avoir une personne à diriger mes faits et gestes me hérissait.
Ma liberté était ce que je chérissais le plus. Et il ne le savait pas mais j'étais bien contente que le lien avec Gin n'aille pas dans les deux sens, qu'il ne puisse pas lire dans mes pensées.

Je ne sus que répondre à cela, je n'avais pas pitié, je trouvais juste ça…courageux. Courageux de vivre en sachant parfaitement que l'on était pas maître absolu de soi. Et là ? Pourquoi était il ici ?

"Tu es venu trouver refuge dans les Fumerolles alors ?"

J'eus un petit sourire en coin à cette question, comme pour dédramatiser un peu ce que je ressentais.
Gin toujours tapi se calmait petit à petit et rampa sur quelques centimètres pour s'approcher plus encore d'Aël. Les oreilles aplaties.

C'était étrange comme maintenant je ne pouvais pas décrocher mon regard de son visage, comme si en le regardant je pouvais trouver ce qui le rongeait. Comment pouvait on s'approprier quelqu'un de la sorte ?
Observant sa paume de main, il dit son nom…mon nom. Le notre. En entendant sa voix le dire je ne pus retenir un sourire. Un vrai. Nos regards se croisèrent. C'est beau. Oui, je trouvais aussi. Et plus ça allait, plus je me disais que je n'avais pas pu trouver meilleur prénom pour lui. La lueur dans ses yeux, presque reconnaissante…
Est ce qu'il disait ça à tout ceux qui le baptisait ?

*Regarde ses yeux de merlans fris…Wil tombe pas dans le panneau hein, un moment d'inattention et paf ! ça te bouffe ces choses là. Il a dit lui même qu'il était pas vraiment lui même justement.*

Je ne fis absolument pas attention aux paroles de Gin.
Je baissais les yeux sur mes genoux et finit par bouger et étendre mes jambes, prenant appui derrière moi.
Aël, j'avais toujours trouvé que ce prénom avait une magie à lui tout seul. Je me gardais bien de lui dire ce qu'il signifiait. Reposant mon regard sur son visage, une ombre de sourire voguait encore sur mes lèvres.
Notre nom, mais peut être la seule fois qu'il l'entendrait, peut être oui, que je ne le reverrais pas et que je ne pourrais pas l'appeler, que cette rencontre reste un souvenir. Et que ce nom reste un fantôme, que je ne pourrais plus jamais prononcer ou entendre sans penser à ce Aël là. La première fois que je donne un nom, une idée d'identité. Ce n'est pas quelque chose que je risque d'oublier.

"Il te va bien."

Ange.

Un feulement du chat. Aël n'osa même pas baisser les yeux sur Gin. Wil observa la grotte, lui, il se contenta de l'observer elle. Elle n'était pas née aux Fumeroles. En même temps, une elfe, ici... C'aurait été assez étrange. Une elfe dénaturée, que physiquement elfe... Et dedans?
La vie de son enfance, ça avait ressemblé à quoi? Etait-elle fille unique? Avait-elle grandi avec ses deux parents?

Oui. Il l'espérait. Il espérait qu'elle ait eu un frère, une soeur, peut-être les deux. Qu'elle ait pu au moins atteindre l'âge adulte sans se poser de questions compliquées sur des choses compliquées. Qu'elle ait pu avoir une vie... "Normale', du moins jusqu'à l'âge adulte. Après...
Ses traits se tendirent, ses pensées se tordant d'une gymnastique complexe pour atteindre quelque chose qui n'existait pas. Des souvenirs, encore. Tellement parmi d'autres. Le visage d'un enfant, une voix fluette et haut perché, un rire en clochette, un sourire où manquait des dents. Un t-shirt trop grand, un short trop court, des bleus pleins les genoux. Un coup de gomme, le dessin, tracé grossièrement au crayon de ses pensées, s'effaça comme il était venu. Sur Terre, ses souvenirs prenaient racines le jour où il s'était engagé chez les Renaissants.

Un tas de contradictions.
Un peu comme tout le monde.
Non, lui il savait ce qu'il voulait, ce qu'il avait à faire. Ce que...
Trouver refuge dans les Fumerolles. Oui, mais se réfugier... Pourquoi? De quoi?

Plusieurs fois, il cligna des yeux, puis fronça légèrement les sourcils. Un coup d'oeil à Gin, avant de revenir sur Wil. Il était venu pour être loin de... De quelque chose d'important. Quelque chose d'important, mais dont il ne voulait pas. Qui ne lui allait pas, qui le poussait à partir, à aller voir ailleurs. A venir s'enterrer sous terre, alors qu'il... Qu'il risquait de voir quelqu'un ici, aux Fumerolles... Quelqu'un d'important. Qui? Quelqu'un à qui il devait... Quelque chose... Quelque chose d'important. C'était quelque chose associé à son travail. Son travail, ça aussi, il devait...

" Je suis là pour ne pas avoir à faire mon travail..."

Quel travail? Bon sang, mais c'était important ça pourtant, c'était... Il aurait dû s'en souvenir, il s'en souvenait d'ailleurs d'habitude de ça. Le présent, les choses proches, il n'oubliait pas. Le passé fuyait, mais le présent... Jamais. Sauf aujourd'hui. Et encore, pas pour tout. Parce qu'il se souvenait de ce qu'il avait fait la veille, l'avant veille même. Il se souvenait aussi de tout ce qu'il avait dit juste avant, avec Wil.
Une envie de se tapir dans ses souvenirs lointains. En sachant qu'ils s'effondreraient sous ses pieds, comme ils le faisaient toujours.

Puis son nom. Aël.
Qui aurait-il été avec ce nom là?

Ses yeux tombèrent au creux de sa paume, avant de s'en arracher.
Oublier tout, absolument tout. Par choix. Parce que c'était ce qu'il voulait. Parce que peu importait ce dont il se souvenait, ça ne lui apportait rien. Il avait toujours tout repris à zéro, partout. En ayant sans arrêt une identité qui n'était pas vraiment la sienne, un savoir artificiel. Tout effacer, se réécrire une vie.
Reset?

Il te va bien.
Ses yeux pâles dérivèrent sur le chat. Un sourire se glissa à ses lèvres, un vrai sourire. Le passé, c'était pas ça son problème. Son problème c'était ce présent, aussi artificiel et faux que tous les autres. Ca ne lui appartenait pas. Il n'avait rien créé, il n'avait pas évolué. Figé au point mort depuis une éternité, et jusqu'à ce que tout s'arrête. Mais les miroirs fermés...
Une chance de tout effacer?

Lentement, il tendit une main vers Gin.

" Wil, c'est un joli nom aussi."

Un très joli nom même. Qu'il aurait voulu pouvoir écrire quelque part, à côté de Gin et Aël, pour ne pas l'oublier. Pour ne jamais l'oublier. Il aurait voulu se les graver sur le crâne ces mots, pour ne jamais les perdre.

"Pourquoi un tas de contradictions?"

Son regard se détacha un instant du chat pour se porter sur elle.
La curiosité était un vilain défaut. Mais pour une fois que son passé restait loin de lui, que le présent n'existait plus non plus... Pour une fois qu'il était tout seul, avec personne d'autre que lui... Pour une fois, il avait envie de savoir.

Je voyais bien que ma question tendait son visage. A quoi pensait il ? Là. Maintenant. Qu'est ce qui pouvait bien se passer dans sa tête ?
Il clignait des yeux, fronçait les sourcils, des coups d'oies…
Pourquoi était il venu aux Fumeroles, est ce que la réponse était grave ? C'était comme si elle le dérangeait. Je n'avais pas l'intention de le mettre mal à l'aise mais je ressentais curieusement comme le besoin de le connaitre un peu. Un minimum. Savoir une partie de sa vie, ce moment là, notre simple rencontre. Savoir pourquoi il était ici. Juste ça, pas plus, je ne pourrais pas, ma curiosité ne pourrait se satisfaire. J'aurais voulu tout savoir, ce que l'on était quand on était "rien de spécial". Les personnes qui pouvaient prendre possession d'un être.
Un tas de questions se bousculaient dans mon esprit. Trop de questions.
Je suis là pour ne pas avoir à faire mon travail…
Quel travail pouvait bien il faire ? Est ce que c'était lui qui avait choisi ce travail ou cette personne qui attendait de lui certaines choses…? La deuxième hypothèse semblait être la plus plausible s'il voulait fuir cette responsabilité.

Quel travail…

Il était comme plongé dans ses pensées. Comme lorsqu'on est hantée par une idée. J'observais, je ne disais rien.
Alors, ici aux Fumeroles il était tranquille ? Remarque, qui viendrait le chercher ici dans cette petite grotte au fin fond d'un quartier sombre…Il avait bien trouvé sa planque, et qui sait peut être qu'il reviendrait ici s'il y était tranquille. Une vague de réjouissance m'effleura.
Je reviendrais ici peut être un peu plus souvent finalement.
Qu'il aime son nom serait alors ma petite victoire de la journée. Aël.

"C'est sur qu'au fin fond d'une grotte aux Fumeroles tu as bien trouvé ton coin pour échapper aux contrariétés."

J'eus un léger sourire. Les contrariétés de ce genre ce n'était pas quelque chose que je connaissais. Moi j'avais la chance de dessiner à longueur de journée, de vadrouiller et répertorier les plantes du coin. J'étais seule patronne de moi même et cette liberté j'y tenais.

Gin se tendit, je vis son dos se contracter alors que la main d'Aël arrivait lentement vers le pelage du félin. Je sentais une énorme vague de méfiance autour de mon compagnon.

"Gin."

Une mise en garde, juste pour lui rappeler que je n'aurais pas tolérer qu'il ose lui sauter dessus. Le félin bougonna et resta tapi, une oreille relevée, et l'autre toujours couché sur le haut de son crâne. Il regardait la main arrivée vers lui.

Je relevais le nez à mon tour afin de croiser son regard un instant mais il était resté rivé sur le chat.

"Merci. C'est un diminutif...moins conventionnel."

Elenwil. Un nom purement et simplement elfique. Si je lui avais dis mon prénom dès le début, il ne m'aurait pas demander si j'étais une elfe c'était certain.
Je finis néanmoins par trouver le chemin de ses yeux. Pourquoi ? J'hésitais. Il y en avait finalement beaucoup. Mon regard tomba sur la surface aquatique à côté de moi et je portais une main juste pour l'effleurer, sans vraiment la toucher, juste pour sentir la fraicheur sur ma paume. J'étendis les doigts pour en capter le plus possible.

"Je suis née dans des grandes forêts, à l'air libre avec la nature. Je me retrouve ici sous terre. Après avoir vécu en communauté, je suis devenue individualiste. Je vis seule en appartement contre ma grande maison et mon quartier avant. Et pour autant je n'oublie pas les valeurs d'avant."

Des contradictions oui. Une nouvelle vie opposée à mon enfance. Je portais les deux en moi.
Je quittais des yeux la petite mare pour les relever vers l'eau claire qui dégringolait dans la grotte. Je reposais ma main près de moi avant de regard le félin.

Alors c'était ça que ça faisait, de n'être vraiment rien de spécial?
De n'avoir rien d'important en tête? Aucune responsabilité, rien d'autre que... Que du présent. Un présent libre et ouvert, sans aucune limite, sans aucun devoir, sans rien, sans personne. Les maîtres pouvaient toujours aller se faire voir, ce type des Fumeroles également, ce travail qu'il fuyait... Tout pouvait bien aller au diable. Ils se passeraient de lui, difficilement peut-être, sans doute aussi bien que lui se passerait d'autre.

Rien d'important...
Et le passé avait soudain l'air d'être plus léger.
Dans cette grotte, il n'y avait rien pour l'y ramener.
Et le présent n'étant plus là non plus...

Il ne restait que lui. Et le chat.
Et Wil...

Un sourire aux lèvres, il dévisagea le chat. Échapper aux contrariétés... A tout même. Mais il ne devait pas ça qu'au fond de cette grotte perdue. Parce que des grottes, petites et grandes, il en avait traversé d'autres avant d'atterrir dans celle-ci. Et aucune n'avait eu cet effet-là, l'effet d'oublier. Son coin pour échapper aux contrariétés, c'était une fille, un chat. Wil, Gin. Deux inconnus, comme tous les autres. Comme Mauritz, comme Ïug. Comme Erick. Des gars qu'il avait quasiment oublié, alors qu'il avait passé soixante dix ans à se battre avec eux. Des mecs comme des frères. Le temps passant, jour après jour, il les oubliait un peu plus. Des brides de voix, quelques regards... Comme Mattéo. Comme Elise. Des gens qu'il n'oublierait jamais. Comme ce môme... Parce qu'ils avaient parlé, ils s'étaient adressés à lui comme si... Comme s'il existait. Et en parlant avec eux, il n'avait pas eu l'impression d'être celui qu'on avait lâché à l'aveuglette dans un foutu monde qui n'était pas le sien. Il avait eu l'impression... D'être lui.
Un sentiment de liberté.
A des lieux sous terre...
Gin.

Aël cilla, jeta un coup d'oeil à Wil. Presque surpris, presque.
Le vide n'avait jamais été aussi agréable. Cette endroit, cette fille, son chat, tout ça était unique. Il n'avait jamais connu ces choses. C'était comme être... Comme être en terrain neutre. Un terrain neutre et calme. Pas de guerre, pas de combat, pas de devoirs, de responsabilités. Une totalité liberté de penser.
Liberté de juste exister...

" Les vrais noms n'ont pas beaucoup de sens."

Wil, à ses yeux à lui, ça en avait. Comme Gin. Comme Aël.
Pour une fois. Comme lui...
Son geste vers le chat se suspendit. Non, pas... Pas le chat.
Gin.

Une forêt, Ing? Finir aux Fumeroles, ça... Une communauté contre l'individu, l'appartement contre la maison, le petit contre le grand, l'infiniment grand contre l'infiniment petit? Et les valeurs d'avant...
Sa main se retira, alors qu'il se retournait vers Wil pour la dévisager, elle. Un tas de contradictions, ça oui, elle en avait l'air. Une elfe dénaturée, qui n'avait d'elfique qu'un corps, qui n'avait de son enfance que des valeurs, et du présent que ce qu'elle voulait. Il aurait voulu que ce genre de maladie soit contagieuse.

De ses yeux pâles, il suivit les traits du visage de la jeune fille, la courbe de son cou, celle de son épaule, jusqu'au creux de son coude, et enfin le bout de ses doigts. A quelques millimètres de l'eau, un rien, au final... Il se surprit à vouloir voir son reflet, à nouveau. Pour savoir ce que ça faisait de se regarder sans rien être, sans rien d'important. Et puis ça aussi, c'était sans importance. Alors il reporta son regard clair sur elle.

" Tout le monde est individualiste ici. C'est comme un... Principe de base, d'en avoir rien à cirer des autres."

Percutant ce qu'il venait de dire, il reporta son attention sur le chat. C'était ingrat, injuste de dire ça, et il le savait très bien. Ce principe de base n'était à personne d'autre qu'à lui. A force de... De changer tout le temps, de n'avoir rien. Pas de repère, pas de... Égoïste alors?

" Quel égoïsme..."

Sa main s'écarta à nouveau du félin. Comme si c'était un crime de vivre pour soit tiens. Comme si c'était criminel de ne penser qu'à soi. Après... Avoir vécu si longtemps, pour tant de choses, pour... Rien.
Okay d'accord, il était égoïste, mais franchement... Il en avait rien à foutre.

Pour lui. Juste...
Pour Aël.

Je ne savais même pas quelle heure il était. Je n'avais pas encore mangé, je n'en ressentais pas le besoin non plus, le baluchon était toujours là, ça pouvait bien attendre. Je ne voulais pas perdre ce fil de conversation, pas perdre ce bout de sa vie, de la mienne, cette rencontre brève qui serait bien peu de temps au final dans ma semaine. Je resterais là le temps qu'il faudrait, j'y étais bien et personne ne m'attendait. Même Gin ne semblait pas prendre en compte le reste.
Le temps avait bien peu d'importance quand la sensation d'être à sa place envahissait l'esprit.
Mes doigts contre la pierre froide semblaient encore plus froids que si j'avais plongé la main dans la mare. Mes yeux revinrent sur le chat et remontèrent vers Aël. Les vrais noms n'ont pas beaucoup de sens…
Ils donnaient une identité, le mien me donnait une catégorie. Une race.
Ce n'était peut être pas pour autant qu'il me formatait en soi, c'est vrai.
Wil. N'importe qui aurait pu porter ce nom là. Elenwil…juste une elfe.

Son geste vers le chat se suspendit et Gin leva les oreilles surpris. Relevant un peu la tête il la pencha pour observer le regard que le type posait sur lui. Sa main se retira. Déçu le félin leva une patte, aucune griffe dehors, mais histoire d'attirer son attention. Il rampa encore un peu pour sentir l'une de ses jambes qui étaient en tailleur. Il tendit le cou et releva le nez vers lui, posant une patte sur son molet.

Je fus surprise de voir à quel point Gin pouvait ressembler à un chat, parfois je l'oubliais. S'il s'était approché à ce point et le toucher, c'est qu'il sentait que ça allait, qu'il n'y avait pas d'agressivité.
Je sentais son regard sur moi si bien que je relevais le nez vers Aël.
Principe de base.
Je savais qu'il avait raison. Combien de fois Gin me l'avait dit que j'étais égoïste, que j'en avais rien à faire de lui. C'était faux. Sans lui je ne m'en serais pas sorti ici, je n'aurais pas appris toute cette vie sur Entre-Monde. Et je lui en était reconnaissant. Mais je n'avais pas pris l'habitude d'aller vers les autres, j'étais plus taciturne, ce qu'il comptait comme de l'égoïsme. Je vivais pour moi et pour Gin avant tout.
Quel égoïsme. Oui j'étais la première à me le dire.

"Je le suis devenue avec le temps. Apprendre à vivre pour moi et Gin. C'est aussi apprendre à être soi et ne plus dépendre d'une communauté, de ce que l'on attend de moi."

La liberté. C'était égoïste la liberté. Mais j'aimais plus que tout la mienne. Et me dire que lui ne pouvait pas avoir la chance de la vivre comme moi je le faisais…

Gin ouvrit la bouche comme s'il avait miaulé mais aucun son n'en sortit, je tachais de ne pas faire attention à ses pensées, il cherchait juste à capter l'attention d'Aël pour voir s'il était vraiment un type "gentil". Ses yeux de félins plantés dans ceux de mon interlocuteur.
Et lui, on attendait toujours quelque chose de lui ? Il dépendait vraiment de quelqu'un ?
Pas étonnant qu'il vienne ici…
Il ne restait plus qu'à espérer qu'il reviendrait.

"Ma liberté est égoïste, aussi belle soit-elle."

J'en eus soudain presque honte….
Mon regard descendit sur la surface de l'eau, lui offrant mon profil, j'observais le reflet dans l'eau, le reflet de la cascade, une partie du mien et celui d'Aël.

"Combien as tu de nom ?"

Besoin de savoir, de connaitre un peu plus ce que valait notre nom. Aël. Je savais qu'il serait unique, je savais que personne d'autre ne le lui donnerait, trop à l'opposé de ce qu'il dégageait. Mais...combien...

Être soi et ne plus dépendre d'une communauté.
Ne dépendre de personne? Réfléchir autant sur des détails si... Métaphysique, ça n'était pas dans ses habitudes. Il n'avait pas été modifié pour ça, il n'avait jamais... Vécu pour ça. Ses vies, puisqu'il devait en parler au pluriel, n'avaient été qu'une suite de batailles et de combats, de guerres dont il n'avait pas vu le début, dont il ne connaîtrait jamais la fin. L'individualisme... Il l'avait constaté. Mais ça n'engageait que lui. Considérer ça comme de l'égoïsme, ça n'engageait que lui. A ne jamais vivre pour soi, il n'était même plus sûr d'être capable d'être égoïste autrement qu'à l'extrême. Le jour où il ne penserait plus en communautaire... Quoiqu'égoïste, toujours perdu dans sa tête qu'il l'était...

Ses yeux clairs se posèrent sur le chat qui s'était rapproché, comme cherchant à acquérir ce qu'il ne se décidait pas à lui donner. Il ne se souvenait pas avoir eu de quelconques facilités avec une bestiole dans une existence antérieure, ou... Ou même dans celle-là. Les animaux, les gosses, les femmes... Il n'y connaissait rien. Le social, pas plus que la psycho... Non, lui il n'avait de qualifications que dans l'art de se battre. La stratégie, les armes, les styles de combats... Là-dessus oui, il était calé. Pour peu qu'il n'oublie rien... Mais le reste...
Toujours le regard rivé au chat, Aël se décida à tendre à nouveau la main vers lui.
Non, pas le chat. Gin. Gin...
Du bout des doigts, il effleura le dessus du nez de Gin, les fit glisser jusqu'à son front. A peine, il osa passer la pointe de ses ongles sur la peau du félin, légèrement. Puis il se rendit compte de son geste, et à nouveau, comme incertain, retira sa main en fronçant les sourcils. le vide du présent avait quelque chose de... D'étrange. Des réflexes, des pensées, des doutes qu'il était incapable d'avoir d'habitude... Le passé s'éloignait, rien ne l'appelant plus ici. Le présent et ses charges reculaient, comme...

Il repassa un doigt le long du visage de Gin, comme pour en dessiner le contour. Son regard bleu revint sur Wil, avec un sourire... Calme et lointain. Compréhensif? Il n'était pas sûr de ce qu'était la liberté. Il n'était pas sûr qu'elle puisse toujours être belle.
Egoïste. Ou mais...

" Mais elle est belle. On est pas libre pour les autres."

Alors liberté et égoïsme, ça allait peut-être ensemble naturellement.
Il se surprit à vouloir essayer. Ferma brièvement les yeux. Libre, c'aurait été quoi pour lui? En dehors de ce travail dont il n'arrivait pas à se souvenir, il n'avait rien. Pas de but, pas de rêve, pas d'avenir... Dans ce monde, il n'était que... Il ne savait pas ce qu'il était. Mais il n'avait pas plus de liberté que dans les autres, de ça, il en était sûr.
Rouvrant les yeux, il suivit le profil de Wil à la surface de l'autre. Songea que si lui, il la voyait, elle, elle pouvait aussi le voir. Et... Et alors?

Il porta son regard sur le profil de la jeune femme. Elle avait demandé sans le regarder. Il n'avait même pas de réponse exacte. Comment aurait-il pu se prétendre libre? Il ne savait rien de lui. Tous juste une poignée de noms, liés à une poignée d'existences.
Combien as-tu de noms... Triztan, il s'en souvenait. Comment l'appelait Mattéo?
Surpris, il n'entendit aucune voix lui répondre. Mattéo ne lui avait pas donné de nom, il en avait eu un en arrivant. Lequel... incapable de remettre le doigt dessus. Mais ça faisait déjà deux. Avec Caesius, ça faisait... Trois.
Ou avait-il appris la langue d'Eö? Quatre.
Celle de cette bestiole croisée à la caserne? Cinq.
Ce môme? Six.
Et Ez...

" Sept, peut-être plus."

Il ne savait pas...

" Mais personne ne me les a jamais choisi."

Au hasard d'un générateur de prénoms, entre deux autres qui auraient tout aussi bien fait l'affaire. Aucun n'avait jamais eu de sens, sauf celui que... Celui du gamin, mais il n'arrivait pas à s'en souvenir.
Ses yeux, perdus dans le vide, cherchèrent à nouveau ceux de Wil. Un sourire.

" Sauf Aël."

Sauf trois lettres données par une fille qu'il ne reverrait peut-être jamais.

Gin vit à nouveau la main arriver vers lui. Il baissa les oreilles, les rabattant en arrière alors qu'il approchait son doigt de son nez, il huma son parfum le temps qu'il put avant que le geste termine sur le haut de sa tête. Il ferma à moitié les yeux. Gardant toujours un peu de méfiance, ne pas fermer les yeux complètement. L'animal l'observa lorsqu'il retira sa main en fronçant les sourcils.

*quoi ? J'ai une tache sur le nez ?*

Pour toute réponse Gin continua de l'observer et passa une patte par dessus son oreille, sur son nez aussi t'en qu'à faire. Un semblant de toilette ? Non, juste pour virer ce qu'il pouvait avoir sur la tête pour qu'il fronce des sourcils comme ça en le regardant avec ses pupilles fendus. Finalement il était peut être plus félin que lycan. Ne pas trop s'avancer sur ce détail.
Mais le chat, bien trop content d'avoir un peu de douceur, se mit à ronronner et tendre le cou quand Aël contourna son visage.

J'observais le manège de mon compagnon avec un sourire en coin. Il était pas possible celui là. Puis mon attention remonta jusqu'à lui. Il sourit. On est pas libre pour les autres…
Une phrase, à méditer. On était pas libre pour les autres, je me la répétais plusieurs fois, pour en percevoir la moindre nuance.
Etre libre pour soi.
C'était aussi une façon de le voir.

Et oui elle est belle…

"Notre liberté dépend de nous. A toi de construire la tienne."

J'eus un petit sourire à son adresse et reporta mon attention sur la surface de l'eau. Son reflet, le mien. Je regardais son reflet qui bougeait avec les mouvements de l'eau, lui donnant parfois une drôle de tête. Des vaguelettes, ça donnait presque le vertige de le regarder comme ça. Mais son attention se portait devant lui sur moi. Indirectement nous nous observions, faisant plus ample connaissance, menant notre chemin de pensée l'un sur l'autre.
Que pensait il de moi ? Que pensais je vraiment de lui ? Pensais je seulement quelque chose en particulier ? Je n'avais pas de jugement à porter, je lui portais trop de respect pour ça. Lui qui n'était "rien de spécial". Lui qui…sans le savoir me touchait. Si toutes les rencontres étaient comme celle ci je me serais volontiers posé dans le milieu d'une place à Northrives par heure de pointe.
Mais non je le savais, tout le monde n'était pas comme lui. Il était unique. Rien de spécial à la fois.
Sept peut être plus…
Sept noms. Sept vies….
Je penchais la tête toujours en observant son reflet. Mais…Je ressentis son regard sur moi, je le voyais dans cette eau me regarder.
Personne, sauf Aël.
Gin leva une oreille et se tourna vers moi, pour voir la réaction que je pouvais avoir à ces mots.

Je tournais la tête vers lui. Muette, ne sachant ce que répondre à cela. Une vague de surprise éclaira mon regard sans que ça déteigne sur mon visage.
Sauf Aël. Je plantais mon attention dans les yeux bleus clair de mon interlocuteur.
Serais je donc la seule à lui donner un nom ? A le baptiser ? De ce prénom qu'il trouvait "beau". La seule ? Non peut être pas. La première ? Oui.

Le silence s'installa, le bruit de la cascade envahissait les lieux. Il sourit. Une ombre de sourire vint sur mes lèvres, s'étendant un peu plus. Un sourire sincère. De remerciement.
Ange.

"Je crois que je ne risque pas d'oublier cette rencontre…C'est la première fois que je baptiste quelqu'un."

Gin se tourna à nouveau vers lui, juste à ses pieds.

Le ronronnement du chat attira son attention, aussi efficacement qu'à chaque fois que Wil parlait.
Et elle parla à nouveau. Et, sans tourner la tête, ses yeux pâles se tournèrent vers elle.
Construire sa liberté?

Avec curiosité, il scruta le sourire de Wil, y chercha ce qu'il aurait du comprendre. Mais à nouveau, elle fixa l'eau, et il n'eut plus que son profil à regarder. Alors que cette phrase lui tournait dans la tête...
A toi de construire la tienne.

C'était une offre? Une invitation à le faire? Un conseil?
Une simple remarque... Un petit bout de vérité.
Tu veux être libre? Sois-le.
Pourquoi faire? Le temps qu'il le devienne, on l'en priverait à nouveau. La liberté c'était futile, ça ne durait pas. Il y avait toujours quelque chose pour un jour la détruire. Même en se battant pour la conserver, au final c'était toujours pareil. La liberté n'existait pas vraiment, à moins que l'on soit capable d'être seul, de ne dépendre de rien et de personne... Et même ainsi, était-on vraiment libre?
Vaste question.

"Ca n'aurait pas de sens d'être libre aujourd'hui."

Ses doigts s'approchèrent à nouveau du chat pour s'égarer sur son pelage, du bout des ongles. Peu lui importait ce que'était la liberté. Il n'était pas philosophe, ces questions là il les avait toujours laissé à plus curieux que lui. Le seul principe qu'il avait à retenir, c'était que la liberté appartenait aux autres. Et que sa liberté à lui ne lui appartenait pas. Même si dans chaque univers où il était... Si, il y avait toujours eu quelque chose pour le pousser à devenir celui-là plutôt que celui-ci. Sur Terre il s'était engagé, parce qu'il n'y avait eu aucune autre option. Et il s'était engagé du côté de ceux qui savaient comment vivre longtemps, parce que... Parce que mourir tôt, ça n'aurait pas eu de sens pour ceux qui le trimbalaient de monde en monde. Chez Mattéo, idem il n'avait pas eu le choix. On l'avait foutu en bas de l'échelle sociale, et il n'avait pu faire que ce qu'on lui disait. L'instinct de survit s'en était mêlé... Quant à l'Entre-Monde...
Les caresses s'interrompirent, son regard fixé sur le chat se perdit n'importe où. Entre lui et Gin, en plein dans le vide, là où il n'y avait rien à voir, rien à regarder, rien d'autre que du vide.

Quant à l'Entre-Monde...
Un soupire passa ses lèvres. Les mots capables de décrire sa situation s'esquivèrent.
Il regarda le chat à ses pieds. Être libre aujourd'hui... Il était là où on voulait qu'il soit. Il ne pouvait pas prétendre devenir libre, mais il ne resterait pas longtemps en place. Il ne pouvait tout simplement plus, parce que ça n'avait plus de sens. Sa chance, c'était que, les miroirs fermés, personne ne pourrait jamais le récupérer. Tant que les miroirs étaient fermés, il avait une chance de retourner les choses, de changer, de faire ce qu'il voulait, et de préférence d'en mourir. En mourir avant que les miroirs ne se rouvrent, parce qu'après... Après tout redeviendrait comme avant.

Sa main revint vers le chat, le caressa entre les oreilles.
Ses yeux sur la fille, qu'il dévisagea attentivement. Ce visage là aussi, il aurait voulu pouvoir le graver quelque part pour ne jamais pouvoir l'oublier.
C'est la première fois.

" Mais c'est pas la dernière."

Non, bien sûr que non. Elle était jeune, un de ces quatre elle se trouverait bien un gars sympa, et puis... Elle aurait des gosses, un jour, elle leur donnerait des noms. Eux aussi, elle les baptiserait. Ces gosses venus d'elle, qui ne serait rien qu'à elle.
Une dernière caresse pour le chat, puis il se leva, s'étira.

"J'espère que t'oublieras pas."

Parce que lui, pour peu qu'il survive à l'Entre-Monde... Ailleurs, plus tard, dans longtemps, il l'aurait oublié.
Comme il avait oublié les autres. Et il ne lui resterait plus que ce nom. Aël...