Tant que tu es là... [pv Wil]

Cette fois, il avait craqué. Il n'aurait pas crû que ça arriverait, parce qu'il avait toujours pensé qu'il s'en foutait, mais qu'il s'en foutait réellement. Et là... Stern avait quoi, exagéré? Pas plus que d'habitude. Il lui avait juste demandé de faire un effort, au moins durant une heure, pour assumer son poste et les devoirs allant avec. Lui?
Pourquoi faire?
Peut-être que le dieu n'aurait pas dû l'engueuler. Ce qu'il avait raconté? Ca, le prétorien n'en avait aucune idée. Il n'en avait pas retenu un mot, à vrai dire, il n'avait rien compris. Planté à un maître de lui, celui qui faisait tout ce que lui aurait dû faire avait parlé fort, trop fort. Et lui, il avait senti ses tympans vibrer, et son cerveau refuser d'acquérir les informations. Un tas de sons perçants et incompréhensibles... Il évitait le bruit, surtout ces temps-ci. Depuis... Depuis il ne savait pas quand. Ce "quand", il avait décidé de l'oublier. Et il s'était rendu compte qu'il suffisait de le vouloir pour y arriver.
Qui, quand, pourquoi...
Je ne te croyais pas lâche.

Tout oublié, sauf ça.
Parce que ça te fous la trouille. Serais-tu lâche?
Moi, je suis lâche.
Je ne te croyais pas lâche.

Dans une ruelle des Fumerolles, il pila net, porta une main à sa tête. Ca aussi, ça le fatiguait. Ces voix, toujours les mêmes... Il aurait voulu, préféré, entendre celles de ses anciens camarades. Ils n'avaient parfois ni noms, ni visages, mais ils avaient toujours quelque chose de rassurant que les autres voix n'avaient pas. Ces gars, ils savaient d'où ils venaient, de quoi ils parlaient. De ce monde-là, son monde à lui. Ca, c'était fiable. Mais Mattéo, des souvenirs lui manquaient. Il savait encore qui il était... Ce qu'ils avaient eu en commun... Peut-être.
Mais lui...
Lui, "moi, je suis lâche", lui il ne savait pas.
Mon cher ami...
Lui non plus.

Il cracha un juron, glissa à nouveau ses mains dans ses poches et reprit sa route. Ce matin, il avait vraiment pété un plomb. Il s'en fichait, Stern avait cherché. Et puis il connaissait le dieu, il n'oserait pas porter plainte. Se couvrir en foutant la trouille à ses subalternes? Il n'en doutait pas, ça allait un de ces quatre lui retomber dessus. Et ce jour-là, adieu... Adieu la caserne. Adieu la belle vie? Il n'aurait pas été jusqu'à dire ça. Adieu sa vie d'aujourd'hui, voilà tout. Et, au fond...
Peu importe.

Il tourna à gauche à un croisement, s'arrêta brusquement. Il n'avait pas remonté une rue, il n'avait pas franchi un banal croisement. Il n'avait pas rencontré âme qui vive depuis... Un bout de temps. Le prétorien se retourna, puis regarda à nouveau devant lui. Soupira, ferma les yeux. Même en tendant l'oreille, aucun son ne lui parvint. Pas un bruit, seulement un léger clapotis dans la direction qu'il s'était apprêté à suivre. Perdu? Il n'aurait manqué plus que ça... C'était l'ennui des Fumeroles. Il n'y avait pas autant d'espace que d'habitants. Des fois, sans faire attention, on se retrouvait dans un petit coin vide. Vide et calme.
Un nouveau soupire passa ses lèvres, sur lesquelles un très léger sourire se glissa. Du vide et du calme, lui, il ne demandait pas mieux. Ici, Stern ne le capterait pas. Du moins quand il rouvrirait les yeux, ce qui n'était pas gagné vu le coup de tête qu'il s'était pris. Le dieu, ça l'avait étalé. Ez lui, ça avait fait taire tout ce vacarme dans sa tête. Plus ça allait moins ça allait...
A force, il en avait l'habitude. A moins qu'il ne devienne dingue au point de ne plus s'en faire?
Peut-être.

Enfin le tunnel s'ouvrit sur une petite grotte ou deux éléphants se seraient un peu sentis à l'étroit. Un puit venu de quelque part au dessus, permettant l'écoulement d'une cascade dans une espèce de mare aux canards qui devait être percée au fond, puisqu'elle ne débordait pas, sans se vider non plus.
Au flair, Ez décréta qu'ici on lui foutrait la paix. Stern ne le chercherait pas là, et il n'y avait personne d'autre pour vouloir le trouver. Conclusion, la seule personne pouvant potentiellement s'intéresser à lui étant hors jeu, il serait tranquille un bout de temps. S'accroupissant au bord de l'eau, il tendit un doigt vers la surface, s'en arrêta à quelques millimètres. Haussa un sourcil.
Surpris de découvrir son reflet.
Ca faisait un bail qu'il ne s'était pas vu...

La seule manière de pouvoir l'amener avec moi dans cette petite grotte que j'aimais beaucoup…se trimballer avec un baluchon enfermant une part du délicieux plat de poisson de ma mère. Le meilleur selon GIn. Et ma mère qui avait toujours la bonne idée de lui en garder en réserve…
La queue en l'air, il n'avait pas détaché son regard du paquet que je tenais dans ma main, bavant presque de bonheur en imaginant qu'il allait bientôt pouvoir se jeter dessus. Pitoyable spectacle. Un chat c'était un estomac sur pattes. Il n'y avait bien que comme ça que je pouvais avoir la totale maitrise sur lui.

*Allez grouille j'ai faim, je suis sûr que tu entends mon estomac là !*

Histoire de vérifier l'une des mes oreilles frémit dans sa direction. Et je lui fis non de la tête. On était bientôt arriver de toute façon. Mes pas commencèrent à résonner alors que j'entrais dans la grotte.
La mare de cette grotte n'était pas très chaude, elle provenait de l'eau de pluie de la surface, elle était relativement claire mais terriblement froide.
Il m'arrive de m'y baigner, quand la motivation l'emporte sur ma timidité à affronter cette température polaire.
Gin gambadait joyeusement devant moi, reculant pour mieux voir son diner se rapprocher de lui.
Je m'enfonçais dans la grotte, la connaissant suffisamment pour savoir que j'y étais tranquille et que je pouvais y faire ce que je voulais, je n'y avais jamais croisé qui que se soit. Sauf que là…
Gin s'arrêta et se tourna rapidement pour scruter la paroi noire. Il me restait encore une partie du tunnel à parcourir. Gin avait soudain plus envie de son déjeuner, la curiosité du félin le poussant à avancer lentement, à pas de loup.

*Je passe devant reste là.*

Depuis quand il était aussi courageux lui ? Sans doute parce qu'il avait déjà senti qu'il n'y avait pas de danger, sinon il m'aurait laissé volontiers en plan, me débrouiller. J'obéis, en silence.

Gin continuait d'accéder au fond de la grotte, faiblement éclairé d'ailleurs. Là ou l'eau s'écoulait, la roche s'était largement creusé et un rayon de lumière venait donner à tout être la possibilité de distinguer les alentours. Une petite grotte avec ce point d'eau pas plus grand qu'une mare. Le clapotis de la cascade venait faire frémit les oreilles de l'animal, parasitant son ouïe. Le pelage noir se confondait avec la pierre alors qu'il jetait un oeil discret vers le fond. Il y avait bien quelqu'un. Une silhouette humaine. Un homme visiblement. Les yeux du félin brillaient et trahissaient sa présence. Le premier réflexe fut de vérifier qu'il n'y avait pas de cadavres près de lui. Non. Bon alors c'est bon.
Gin s'approcha enfin, la démarche plus sure. Il s'arrêta à un peu plus d'un mètre, histoire de ne pas être à porter de bras et pencha la tête sur le côté, les oreilles en avant, intrigué.
Qu'est ce qu'il avait à se regarder comme ça dans l'eau ?

Je n'avais pas de nouvelles, mais je l'entendais respirer dans mon esprit, il était toujours vivant mais je préférais attendre son signal pour me montrer. J'avais beau être une elfe, sa morphologie le rendait plus discret que moi.

*C'est bon, c'est un type tout seul. C'est pas un lycan, il n'a pas de cadavres avec lui, il planque personne. Tu peux venir.*

Je secouais la tête. Je suis même certaine qu'il était sérieux. Un fin sourire glissa sur mon visage alors que je prenais la direction du fond du tunnel. Mes pas étaient bien moins discrets que les siens bien que je faisais le maximum pour ne pas faire trop de bruit et pour ne pas paraitre agressive.
Un type tout seul…
Que j'eus bientôt l'occasion de voir un peu plus, sa silhouette penchée au dessus de l'eau.

J'étais sur le point de dire à Gin de partir, tant pis, on repassera plus tard. Mais le félin tourna sa tête vers moi et anticipa mes propos en secouant la tête pour me dire que non il n'en était pas question. C'est moi qui avait le déjeuner de toute façon, c'était moi qui décidait de là ou on allait le manger.

J'aurais bien aimé dire quelque chose mais je ne voulais pas paraitre impolie.
Et puis si cet homme était là, c'était qu'il devait chercher un peu de tranquillité en plus. Pour toute réponse Gin se mit à ronronner toujours en me regardant et se vautra sur le dos, les quatres pattes en l'air comme pour me supplier de rester.

*Steuplééééééé ! Allez !*

Quel cirque…C'était facile pour lui, il n'avait pas à se dépatouiller pour expliquer qu'il ne voulait pas déranger, lui il était juste là pour faire le beau et manger son repas !
Un peu mal à l'aise je me demandais ce que j'allais bien pouvoir dire. Je repris la direction de l'endroit ou je m'adossais toujours, au bord de l'eau, contre la pierre. Avant de m'asseoir je jetais un coup d'oeil à l'homme histoire de voir à quoi il ressemblait.

"C'est rare de voir du monde ici."

Ça pour le coup c'était de la phrase ! Gin eut un rire moqueur alors qu'il se redressait pour se poster sur ses quatre pattes. Il se tapit comme s'il était prêt à bondir, aplatit les oreilles et allongea un peu le cou pour observer le visage penché de l'inconnu.
Une étrange sensation vint s'insinuer en lui. Pas un lycan...euh...pour le coup, il baissa sa tête jusqu'au sol, les oreilles aplaties, plus si sur de son observation.

Calme, quoique méfiant et prudent,le prétorien examina le visage qu'il distinguait à la surface de l'eau, cherchant à comprendre pourquoi ça l'intriguait tellement. Pas né de la dernière pluie, il savait quand même ce qu'était un miroir, il en avait croisé un bon paquet dans son existence. Pourtant se voir là, se voir ici... Se voir maintenant?
A peine, il se pencha un peu plus. Pivota légèrement la tête sur la droite, observa le côté gauche de son cou. C'était ça surtout qu'il reconnaissait. Le souvenir d'un regard sans couleur, sans visage, sans rien. Plus une impression qu'autre chose... Il avait perdu ce jour-là? Non il avait gagné. Et la saveur de cette victoire, il n'était pas prêt de l'oublier. Mort de fatigue, pour une bonne cause... Contre qui s'était-il battu? Il ne savait plus tiens. Mais gagner, ce jour-là, quel plaisir... Alors qu'il ne s'était battu pour rien, pour aucune cause... Il s'était battu avec plus de rage et de violence que jamais. Pire qu'une bête, et sans raison. Pourquoi?
C'est ta vie, c'est tout.
Ce peuple n'était pas fait de grands philosophes. Ils se posaient peu de questions. Pour ainsi dire pas...

C'était de ça surtout, dont il se souvenait. Son visage, ses yeux, le reste... C'était les cicatrices qu'il avait reconnu alors? Et sans ça? Il s'était penché consciemment, pour... Non, pas pour son reflet.
Redressant la tête, il se fixa en fronçant les sourcils.
Manquait plus que ça.
Génial, il allait bientôt revenir à l'état de singe même pas foutu de s'identifier et totalement inconscient de la notion de soi! Le rêve... Ou pas. Il se montait la tête pour rien. Il devait juste être fatigué, et puis à force d'être toujours dans la lune, il avait du mal à reconnecter avec la réalité. Or son visage, c'était la réalité. Et ces cicatrices, elles, ses souvenirs dans lesquels il se perdait. Il aurait dû s'y attendre en fait, à ce que ce genre de stupidité arrive.
C'est rare de voir du monde ici.
Il ne releva pas la tête, encore à mi chemin entre la grotte et ses pensées.

" Mais ça arrive."

Il sonda un instant ses yeux clairs.
Puis se redressa franchement, cherchant du regard, et trouvant, la nouvelle venue. Il sentit ses doigts effleurer l'eau, sans pouvoir dire si elle était plus froid que chaude. Une fille, assise là, comme si elle en avait l'habitude. Une habitante des Fumerolles? Il pria pour que non.
Rare ne veut pas dire impossible.
Il laissa couler quelques secondes, la fixant sans rien trouver à dire. Sans rien penser. Occuper à suivre les sens qui acceptaient encore de fonctionner pour alimenter sa paranoïa naturelle... Et quand ses pupilles fendues s'écartèrent enfin de l'inconnue, ce fût pour tomber sur un...
Chat?
Un grognement plus instinctif qu'agressif se murmura sur ses lèvres. Suite à quoi il reporta son attention sur la fille...
Comment t'appelles-tu?
Commet l'aurait-il su? Il avait voulu répondre, mais une foule de prénoms s'était présentée à lui, et il n'avait pas été foutu de dire lequel lui appartenait. Ou plutôt lequel il ne portait pas...

" C'est surtout rare d'y voir des gamines et des chats."

Tu ne sais pas? Alors ce sera...
Toujours accroupi, il ferma les yeux. Ce sera, ce sera... Il ne savait plus ce que ça avait été. Il ne savait même pas d'où ça venait... Heureusement que se faire harceler par de l'incompréhensible ne le dérangeait pas, sans quoi il serait devenu fou depuis longtemps. A moins que ça ne soit déjà le cas...
Et ça aurait expliqué comment il le supportait.

Mais ça arrive. Oui, sans doute, ce n'était pas une propriété privée, et je doutais fort d'être la seule habitante des Fumeroles à venir squatter cet endroit.
Il finit par se redresser pour cette fois chercher mon regard et il le trouva…Pas un lycan qu'il dit lui ?! Ces yeux là n'étaient pas humain en tout cas. J'observais Gin tapi pas loin du type. Curieusement il avait presque changé d'attitude, un peu moins sur de lui et un poil plus craintif d'un coup.
Je relevais le nez vers lui alors que je sentais son regard sur moi. Oppressant, je venais une fois de plus de perdre l'occasion de ne pas obéir à Gin.
Les doigts de "l'homme" vinrent troubler la surface lisse et paisible de la mare, mon attention s'y attarda quelques secondes, avant de revenir vers le type.
Il était quoi au juste ?
Un grognement sortit de ses lèvres et je vis les poils du dos de Gin s'hérisser alors qu'il montrait les dents sans bruit. Les moustaches en avant, menaçant, mais vu son gabarit il était bien peu de choses à côté de l'homme.
C'est surtout rare d'y voir des gamines et des chats. Gamine. C'était comme ça qu'il me voyait, quel âge avait il au juste lui ? Pas évident de trouver une réponse à cela.

*Ah la vache je me suis planté je crois…*

Je ne voulais pas répondre à Gin, pour le coup je n'étais pas sure de vouloir qu'il sache le lien qui m'unissait à mon chat. Je ne répondis rien alors que Gin commençait à ramper en arrière tant bien que mal. Il finit par se détourner et sprinter dans ma direction pour venir se réfugier à mes côtés.
Je ne bougeais pas, assise contre la roche. Gin ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil au dîner qu'il y avait près de moi. Après tout on était venu là pour manger.
C'est surtout rare d'y voir des gamines et des chats. Ce qui voulait dire qu'il venait ici aussi lui ? un habitant des Fumeroles ? Je ne me souvenais pas l'avoir déjà vu, je m'en serais probablement souvenu de ces yeux là…

"Qu'est ce que vous en savez ?"

Ou alors il bluffait…Enfin c'était un moyen comme un autre de savoir s'il venait squatter cet endroit lui aussi.
Gin leva les oreilles dans ma direction et posa ses deux pattes sur mon bras.

*Hey oh ! Le provoque pas s'il te plait hein, je veux pas être le dessert moi ! En parlant de dessert, amène la boustifaille."

Ça lui ressemblait bien ça. J'observais toujours le type en attendant qu'il me réponde.
Gin lui jeta un coup d'oeil et finit par tenter d'ouvrir le baluchon par lui même, je le lui arrachais sans ménagement afin d'avoir aussi ma part.
Après lui avoir tendu sa part de son poisson dont il raffolait. Trois part de tarte en plus. Ah ma mère…
Tarte aux légumes et tarte à la viande. Je préférais de loin la première.

"Vous avez faim ?"

Tant qu'à être un minimum polie…
Bizarre cette sensation, il n'était pas humain ça au moins c'était une certitude. Gin releva le nez de sa gamelle, une arrête dans les moustaches. Ses pupilles dilatées regardèrent en direction de l'homme puis du baluchon qui regorgeait de bonnes odeurs.

*Quoi ? Arrêtes tes conneries ! Si t'en veux pas, je prends moi ! Donne moi ça.*

Je pris bien la peine de prendre le baluchon et de le lever au dessus de ma tête pour décourager le félin. Il rumina et se mit à bouder. Bien obliger de céder il retourna vers son assiette de poisson.

Un sprint de chat, amusant. Une fille et un chat...
Une autre fille et un autre type de chat, un fille rousse, un chat de deux cent cinquante kilogrammes... Légèrement, il fronça les sourcils, scruta le visage de la fille, comme s'il aurait pu y trouver quelque chose de familier. Une fille simple, une fille elfe vu les oreilles. Démons et anges pouvaient aussi avoir des oreilles de ce genre, mais eux, il en était malade quand il les croisait, alors... Alors non. Elle pouvait aussi être n'importe quel genre de bestiole en fait, vu ce qui grouillait dans l'Entre-Monde. Une elfe c'était sans doute le plus probable. Comme Eo... Non.
Il se tendit légèrement, écarta de ses pensées le guérisseur, ainsi que l'idée que l'inconnue soit une elfe. Elle pouvait être n'importe quoi. Et c'était bien plus intriguant de penser ça, que de pouvoir la classer dans une catégorie aussi banale que celle des elfes.
La voix de la fille, perçant le silence de la grotte, le tira de ses pensées.
Vous?
Il secoua la tête. Il n'en savait rien.
S'il vous plaît...

Le prétorien secoua à nouveau la tête, comme pour dire qu'il n'en savait rien. Et surtout pour chasser la petite voix de sa tête. Chaque voix qui s'allumait un jour dans sa tête se faisait omniprésente, comme cherchant à parler le plus possible pour l'obliger à se rappeler, se souvenir. AU début, quand il n'y avait eu que ses hommes, que ceux de la Terre, ça avait été... Clair et limpide. Mais plus ça allait, plus ils étaient nombreux.
Un mouvement du chat. Et quoi, il comprenait ce qu'ils disaient? Pas impossible, c'était intelligent ces bêtes là.
Puis la bestiole tenta d'ouvrir le sac, et la fille ne le laissa pas faire. Sortit du sac quelque chose qu'elle tendit au chat. De loin, Ez renifla l'air, chercha et trouva l'odeur nouvelle. Poisson?

"Vous avez faim?"

Il leva ses yeux clairs vers elle. Surpris.
Il suivit le petit cirque entre la fille et son chat, comme s'il avait du mal à admettre ce qu'il avait sous les yeux. Non, il n'avait pas faim, et en même temps... Si. Mais pour peu qu'il se mette à se remplir le ventre, il en aurait pour toute la journée, puis toute la journée suivante pour digérer. Avec un appétit pareil, il doutait qu'elle ait assez dans son baluchon pour le nourrir... Et puis c'était curieux non?
M'inviter à son pic nique' souterrain...
Une ombre de sourire sembla vouloir se glisser sur ses lèvres.
Alors ce sera...
Un nouveau grognement, tout léger. A peine audible.
Il se leva doucement, s'approcha de la fille et de son chat pour s'accroupir devant eux. A un mètre, ni plus ni moins. On aurait mesuré la distance entre eux et lui, c'est exactement un mètre que l'on aurait trouvé. Ni plus, ni moins.

" T'as pas peur toi."

Les autres non plus. Au final il ne faisait peur à personne d'autre qu'à lui-même.
Il baissa les yeux, le temps de songer que...
Je ne te croyais pas lâche.
Il se prit à la détester, comme à chaque fois que ces mots résonnaient dans sa tête. Lui, lâche... Il n'était peut-être pas courageux, et il était sans doute beaucoup de choses. Mais lâche, ça... Jamais. Et l'idée qu'une petite peste bien plus lâche que lui le...
Il ferma les yeux. Les rouvrit pour fixer la fille.
Reset.

"Comment t'appelles-tu?"

Il avait voulu répondre, mais une foule de prénoms s'était présentée à lui, et il n'avait pas été foutu de dire lequel lui appartenait. Ou plutôt lequel il ne portait pas...
Tu ne sais pas? Alors ce sera...
Non, il n'avait pas su. Et il ne savait toujours pas.

Je m'énervais rarement, je n'étais presque jamais impolie, une fille bien élevée oui. Mais je savais que le caractère entêté que j'avais, tout comme mon frère, me causerait des soucis. Chacun ses défauts. Peut être même serait ce aujourd'hui que j'aurais mon premier problème avec l'un des habitants de l'Entre-Monde, allez savoir. Je ne m'étais jamais servi de la dague que je portais à la ceinture, jamais, et bien évidemment aujourd'hui je ne l'avais pas. Elle trônait fièrement sur l'une de mes tables de travail.
Après tout ce type ne me rassurait pas, le lui montrer serait bien la pire erreur.
Il secoua la tête à ma première question sans pour autant devenir agressif comme j'aurais pu le penser, ou le penser Gin. Juste un signe de tête, il n'en savait rien. Donc il ne venait pas ici souvent. Donc il ne devait pas être du coin.
Je finis par sortir du sac les trois autres parts de tartes qu'il y avait, bien emballé, l'odeur était appétissante.
Gin releva le nez et loucha sur les parts avec envie. Je lui tournais la tête vers son poisson avec autorité.

"Mange ton truc toi."

Gin eut un grognement que je ne compris pas, il ne valait mieux pas remarque. Le chat leva le nez pour croiser le regard du type, j'en fis autant. Il m'observait, comme si ma question avait été complètement stupide. Faim…peut être que ce n'était pas son style alimentaire, ce qui, au vu de la forme de ses pupilles, n'aurait pas été étonnant. Mais pas la peine de juger, il n'était pas humain, ce qu'il était vraiment resterait probablement un mystère.
Gin entendit le grognement et aplatit une oreille alors que l'autre se redressait, attentive à la suite.

*Quoi "greuh" ? il est pas net ce type je te le dis moi.*

J'aurais bien aimé lui répliquer que c'était un peu de sa faute si on en était là maintenant mais le lien de télépathie allant dans un seul sens…Je lui lançais une pichenette dans l'oreille pour le faire taire. Il baissa la tête et se mit les moustaches dans le pavé de poisson dans le même temps, de la sauce plein le museau.

*Je trouve ça vraiment pas drôle !*

J'eus un sourire en coin alors que Gin commençait à se lécher les babines et se débarrasser de la sauce en ralant. Pour changer.
Mais le type se leva et s'approcha soudain. Comme un réflexe je voulus reculer mais l'idée ne parvint pas jusqu'à mes muscles, j'étais déjà collé à la pierre.
Peur ? Pourtant elle n'était pas rassuré. S'il était un lycan elle l'aurait tout de suite su et Gin aurait déjà tenté la technique du chat noir de luxe en furie. A savoir faire le gros dos et fuir comme un lâche.

Dans le baluchon, deux pommes et une poignée d'abricots, sans compter les deux parts de gâteau en dessert.
Il était bien posé à côté de moi, à l'opposé du félin. Je préférais ne pas répondre à ce qu'il venait de me dire, bien qu'il n'avait pas forcément l'air agressif, on ne sait jamais. Je regardais le reste de son visage, scrutant ce qu'il était, une cicatrice dans le cou, des cheveux rouges…et des yeux fendus comme ceux d'un chat. Mon prénom…J'hésitais à lui mentir. Ou alors un peu. Mon surnom suffirait.

"Wil. Et toi ?"

Passer au tutoiement.
Je pris la première boite qui enfermait une part de tarte ainsi que de la viande. Je pliais mes jambes en tailleur et la déposa devant moi, avec la fourchette. S'il en voulait il n'avait qu'à se servir. Du coin de l'oeil je vis Gin faire une tentative d'approche vers la boite de viande.

"Ose seulement faire un pas de plus et tu ne verras même pas la couleur de ton dessert."

Elle parlait à son chat, et elle avait une façon de lui parler... Et ces gestes... A croire qu'il pouvait comprendre, qu'il pouvait même répondre. Heureusement qu'il n'y avait pas de norme dans ce monde là, sans quoi il aurait trouvé ça bizarre. Étrange, de la part d'un type comme lui, incapable d'être répertorié. Une incroyable créature de plus? Une fille aux oreilles pointues, aux cheveux sombres, courts, aux yeux verts, trop verts, accompagnée d'un chat... Non ça n'avait rien de bizarre en fait. Ca ne l'était pas plus que le reste.
Toujours accroupi, il percuta qu'elle n'avait pas répondu à sa question.
Wil, c'est joli.
Non ça ne l'était pas. Ca n'était que trois lettres qui se suivaient, tout bêtement. Ca n'était pas joli, mais c'était agréable à prononcer. Du moins à entendre, parce que ça ne sifflait pas à l'oreille, ça ne grinçait pas, ça n'était ni brusque ni cassant, ça ne raclait pas les tympans, ça n'engourdissait pas le cerveau. Ca n'était pas mou non plus, c'était... Juste ce qu'il fallait.

Un besoin de s'entendre le dire...

"Wil."

Il pencha la tête sur le côté. Ca venait tout seul sur la langue, se prononçait sans effort. Un étrange nom, bref, court, et pourtant il n'y avait rien à lui reprocher. Seulement trois lettres. Oui, finalement, c'était joli.
Et toi?
Comment t'appelles-tu?
Triz, on a besoin de...
Tierce!
Caesius...

Il se passa la langue sur les lèvres, jeta un coup d'oeil au chat. Un ventre sur pattes donc.
Triz, c'était Triztan. Et c'était la même personne que Tierce, le même monde. La Terre, il s'en souvenait. Et les autre, Mauriz, Ïug, Erick, et Second, et Prime... On va démolir des vieilles pierres! Oui il s'en souvenait, ça, il y pensait tous les jours, dans l'espoir de ne jamais l'oublier. Tous les jours, il se repassait le même cinéma, tout ce qu'il avait conservé de là-bas, tout ce qu'il n'avait pas encore oublié. Au final c'était bien peu, parce que ça ne lui prenait pas une heure. Une heure, pour se souvenir de soixante dix ans d'expérience...
Et toi?
Et lui, il ne savait pas. Ici, c'était Ez, mais ça n'avait pas plus de sens que de donner un nom à une cuillère à café, parce que des cuillères à café, on en avait toujours plusieurs. Sauf que lui, il n'était qu'un seul. Mais il avait été à tellement d'endroits, sans en garder un souvenir, qu'avoir un nom, franchement... De toute façon il l'oublierait. Un jour il quitterait l'Entre-Monde, d'une façon ou d'une autre, et il s'en irait. Il irait ailleurs, volontairement ou non, et on lui donnerait un autre nom, un autre langage, une nouvelle vie. Il risquerait de mourir, encore, il mourrait même peut-être. Mais on le sauverait, encore, d'une façon ou d'une autre. Et quand il serait à nouveau fonctionnel, on l'emmènerait ailleurs. Encore. Et ainsi de suite...

Le prétorien baissa les yeux, chercha quelque chose par terre. Deux mots.
Et toi?
Et plus rien.

"J'en sais rien."

En réfléchissant, il songea que jusque là, il avait toujours décliné le même nom. Ez Khy, prétorien. La différence entre aujourd'hui et hier? S'être fait traité de lâche? Non, il n'y avait pas que ça. Il perdait de plus en plus la tête? Peut-être bien. Il avait l'impression de vivre dans son monde, d'avoir quitté l'Entre-Monde sans utiliser de miroir. Il avait ne se souvenait plus de ce qui l'avait poussé à être prétorien, les noms et les visages des gens qu'il avait rencontré lui semblaient être bien peu. Comme saturé, il n'arrivait plus à donner une place à ce qu'il voyait. Aucun intérêt... Le monde aurait pu s'enflammer et partir en cendres, il n'aurait pas bougé le petit doigt. Eo avait besoin de lui pour trouver l'assassin de sa femme, de ses enfants, et lui, il s'en foutait. Le conseil, les maîtres...
Il secoua la tête, releva ses yeux pâles, chercha le regard vert de...
Wil.
Décidément, il aimait bien ce nom.

"Tu veux m'appeler comment?"

Alors ce sera...
Si un petit garçon avait pu lui donner un nom, elle, elle pourrait bien y arriver aussi.

Gin s'empêcha de faire un pas de plus et abaissa sa patte levée prête à s'approcher plus encore de l'autre portion de repas. En plus d'être bizarre il avait le droit à un traitement de faveur ce type ? Namého ! Elle était ou la justice là dedans ? Depuis quand le compagnon de chambré devait se retrouver à mourir de faim parce qu'il n'avait pas le droit à du rab' de bouffe ?!
Je l'entendais marmonner et râler, son attention se posant toujours sur la boite devant moi.
L'homme était toujours accroupi devant moi, il n'avait pas bougé d'un pouce. Je levais à nouveau le nez pour croiser son regard quand il prononça mon nom. Mes oreilles bougèrent légèrement alors qu'il penchait la tête sur le côté.
Gin l'observa et pencha la tête du même côté que lui, intrigué. Les oreilles en avant. Une curieuse similitude entre mon attitude et la sienne, un mimétisme dont je me rendais compte au fil du temps. A se demander lequel avait une attitude humaine ou féline.
Wil.
J'attendais avec une certaine impatience qu'il me dise le sien. Quel nom pouvait il avoir ? Le mien, Elenwil, trahissait nettement mon appartenance à la race des elfes, peut être que le sien pouvait me donner une indication sur ce qu'il était. Un lycan ? Je n'y croyais pas vraiment. Bien que ses yeux là…avait tendance à me donner des frissons.
Le chat noir s'assit près de moi, statue qui observait le type et j'entendis sa voix me sortir.

*Je suis sur qu'il a pas faim…*

Je ne répondis rien, mes yeux verts observant le visage face à moi.
Gin se vautra sur le dos dans un geste presque théâtral.

*Pitié écoute je suis en train de succomber là !*

En effet, un tout petit grognement se fit entendre, son estomac criait famine. Ça ne se rassasiait jamais ces bêtes là. Exténuée par ses demande, je portais une main au baluchon et lui sortit son dessert que je lui posais devant le nez.

*Mwouhahaha !*

Au moins j'aurais la paix pour quelques minutes.
La réponse vint après un silence, une hésitation. Comment pouvait on ne pas savoir son nom ? Un robot ? Une intelligence artificielle ? Non, même eux avaient des noms et ils étaient en mesure de les dire.
Je ne pus m'empêcher de froncer les sourcils. Il avait forcément un nom, comment les gens pouvaient l'appeler sinon ? Un nom c'était une identité. Ne pas en avoir revenait à rester fantôme. Etait il un fantôme ?
Il secoua la tête et je n'en perdais pas une miette, j'entrouvris les lèvres pour dire quelque chose mais il me coupa et ses yeux pales et fendu percutèrent mes prunelles.
La question me dérouta une poignée de secondes. Sans comprendre pourquoi, un premier nom me vint à l'esprit. Un nom dont la signification allait totalement à l'opposé de ce que je pouvais voir de lui. Un nom que j'avais déjà entendu lorsque j'étais petite, un nom humain, dans une ancienne langue….Aël.
Trois lettres. Comme Wil.
Pourquoi ce prénom qui l'opposait totalement. Peut être que l'étrange sensation de ses yeux de loup avec son attitude qui n'était pas agressive me perturbait. Peut être que justement à ne pas savoir qui il était, un prénom qui avait si peu de point commun avec ce qu'il dégageait lui irait…
Je n'en voyais pas d'autre. Aël. Ange. Avec cette voix grave, cet étrange sourire et ses iris fendues menaçantes.

"Aël."

Pas plus de trois lettres.

"Je sais que tu as forcément un nom ici…"

Maintenant que je venais de le baptiser à ma façon, j'hésitais à connaitre celui que l'on utilisait ici pour le désigner. Comme une peur de connaitre sa vraie identité, pas envie de savoir quel nom d'autre lui avait donné. C'était égoïste. Et je le savais.

Mon regard s'abaissa vers mes mains sur mes genoux, hésitant à poser la question qui me brulait les lèvres depuis le début.

"Tu es un lycan ?"

Allez savoir s'il allait répondre à ça. Gin avala de travers et toussota avant de lever le nez vers moi puis se tourner vers le type, méfiant.

Dans le silence de sa réponse, personne ne se permit un seul mot.
La voix de gamin était la dernière à avoir parlé. Le ton de commandement n'avait rien rajouté en dehors de ces cinq petits mots. Un ordre, mais lequel? Il savait qu'il avait entendu ce souvenir à la caserne, mais quand... C'était avant, des jours plus tôt, des semaines. Des mois? Oui sûrement. Ca remontait à... Oh et puis ça n'était pas important. L'autre voix qui parlait tout le temps aussi, celle d'Erick, elle n'ajouta rien. Mauriz, Ïug, et tous les autres... Personne. Pas un mot, alors que d'habitude, ils trouvaient quelque chose à dire... Là, non. D'habitude les situations dans lesquelles il se retrouvait lui en rappelait d'autres. Les gens, leur noms, leurs visages, leurs voix, leurs paroles... Un détail suffisait à le renvoyer en arrière.
Et ce type qui l'appelait Caesius, ce gars-là avec son ton mielleux, ses yeux durs... Ce type qui lui foutait la trouille, comme tellement d'autres. Et le regard flou de Mattéo dont il ne gardait de souvenir que sa voix, des paroles, et surtout son nom... Son nom, son monde. Ce monde qui faisait que... Que non, il n'était pas un lâche.

Du coin de l'oeil, il aperçut un mouvement du chat, sans pour autant le fixer. Un grognement qui lui fit songer à la faim. S'il avait faim? Oui peut-être, mais il ne voulait pas manger ici. A bien y penser, il n'aimait pas les Fumeroles, il n'aimait pas être sous terre. Pourtant, être là dans cette grotte... Ca, il aimait bien. L'eau qui chutait du plafond venait de la surface, il y avait cette fille, son chat.

Aël.
Ca n'était que trois lettres qui se suivaient, tout bêtement. Ca n'était pas joli, mais...
Agréable à prononcer. A entendre. Sans sifflement, sans grincement, ni brusque ni cassant.
Ca ne raclait pas les tympans. N'engourdissait pas le cerveau. Ca n'était pas mou non plus. Juste...
Il baissa les yeux vers le sol. Ca ne ressemblait pas à tous ces noms qu'il se souvenait avoir portés, ces noms aux arêtes coupantes sur lesquels ses souvenirs s'écorchaient. Ca n'était pas un de ces noms artificiels qu'on lui avait donné au hasard, qui ne sortaient de nul par pour n'aller nul part, ces noms passe-partout dépourvus de sens, qu'on lui avait donné juste pour qu'il se fonde dans la masse.
Tu as forcément un nom ici...
Ez Khy. Le prétorien.

Ses pupilles fendues se replongèrent dans le regard vert de la jeune femme.
Suivit le trajet de ses yeux jusqu'à ses mains. Un... Lycan?
Le chat s'étouffa, il tourna la tête vers lui. Qu'est-ce qui lui prenait à celui-là? Et puis pourquoi ce regard méfiant? Et... Les chats avaient des regards méfiants? Amusant. Il n'aurait pas cru. En tout cas, il n'y avait pas de quoi avoir peur. Et comme si ce détail était important, il prit la peine de préciser ça au félin.

" J'suis pas dangereux."

Menteur.
Je t'envie. J'aimerais oublier. Ez, j'ai besoin de ton aide.
On trouvera un solution pour que tu les retrouves. Tu devrais savoir qu'ils ne me font pas peur.
Mes regards polaires...
L'envier, oublier... Elle avait osé lui sortir ça. Un souvenir sans visage, un murmure...
Ne pas réfléchir, ne pas songer que l'être, en face de soi, est un autre humain.
Ne pas croire qu'humain, on l'est. Que ça a un sens, qu'on a un but.
Un autre but que survivre...
L'envier? Lui qui ne savait même pas quel genre de vie il avait vécu?

Il l'en aurait frappé. Il l'avait fait? Oui, il aurait même pu la tuer sur place. Et... Une de ses mains se tendit, se glissa jusqu'à la gorge, effleura du bout du doigts les trois cicatrices parallèles tracées par Mattéo.
Tu ne te souviendras plus.
Dangereux, si. Il pouvait l'être, il savait très bien l'être. Armé ou non.

Son nom ici...

" J'ai eu d'autres noms ailleurs."

Il ne se souvenait pas avoir eu un jour un père et une mère pour lui en donner un. Il ne se souvenait même pas avoir été un gosse, alors... Alors pour une fois, ce serait bien quelqu'un d'unique qui lui aurait donné un nom précis et choisit. Pas n'importe quoi, au hasard, adapté à un monde. Pour une fois il aurait un nom pour une seule personne.
Il ferma les yeux. Soupira.
Bon sang, je perd la boule.
L'avantage, c'était qu'il s'en foutait. Que les autres aussi s'en foutaient.
Rouvrant les yeux, il passa d'accroupi à assis en tailleur, posant ses mains sur le sol derrière lui pour s'y appuyer.

" Je ne suis pas un lycan. Je suis rien de spécial en fait."

Même si, comme eux, il était sensible aux cycles lunaires. Que ses yeux fendus étaient dignes de l'un d'eux, que sa dentition tenait plus de celle d'un loup adaptée à un humain que celle... D'un humain.

"Et toi, tu es une elfe?"

Question posée à mi-voix. Ses yeux gris presque translucides posés sur elle, comme la suppliant de dire non.

Il n'avait rien dit, pas bouger lorsque j' avais dit ce nom. Comme s'il avait l'habitude qu'on lui en donne, comme si lui donner une identité était la plus grande banalité de ce monde. Jamais je n'avais été confronté à ce genre de situation. Un être étrange….et pourtant il y avait de quoi faire en bizarreries sur Entre-Monde.
Il ne répondit pas non plus à ma deuxième phrase. Tant mieux. Connaitre le nom qu'on lui donnait ici, finalement, détruirait l'image que je me créais de lui, de ce qu'il était, de son histoire.
Qu'était il au juste ?
Un nom unique, un nom qui m'était propre, que personne d'autre ne lui donnerait, ou probablement pas. Ce nom qui désormais était à mon image. Combien avait il de noms…autant qu'il faisait de rencontres, sans doute…
Après tout celui que je lui avais donné, le mien, ne valait probablement pas mieux qu'un autre. Mais je me plaisais à me dire que ces noms rendaient chaque rencontre unique. La mienne y comprit. J'étais désormais lié à ce mot "Aël".
Gin qui s'étouffait me lança un regard quand Aël s'adressa directement à lui. Ses oreilles se redressèrent comme des radars et il leva le nez vers l'homme.

*Les boules…tu crois qu'il lit dans mes pensées ?*

J'eus un petit sourire en coin à cette idée, ça aurait été drôle tiens, étant donné que la seule chose que Gin avait en tête en ce moment c'était son dessert…et sa paranoïa. Il n'était pas dangereux donc. Une phrase que je ne pris pas à la légère, une phrase que je ne pouvais m'empêcher de prendre avec sincérité.
Pour rassurer Gin je posais une main sur sa tête, le gratouiller entre les deux oreilles, il en ferma à moitié les yeux de plaisir et ronronna une poignée de secondes.
Une des mains d'Aël se tendit et je suivis son mouvement du regard, il la porta à sa cicatrice dans son cou. Celle que j'avais remarqué tout à l'heure. Trois traits parallèle, ce qu'une grande griffe aurait pu faire probablement.
Je relevais mes yeux vers son regard si étrange.

*Je vais tenter la technique d'approche et le "lèche-bottage", surveille mes arrières, j'ai moyen confiance.*

Je ne jetais pas le moindre regard à mon compagnon écoutant la voix du type s'élever dans la grotte. Sa voix couvrait les clapotis de l'eau sur la surface de la mare. Une voix grave, pas forcément désagréable.
Ailleurs. Il vadrouillait donc ? C'était sans doute pour ça que c'était la première fois que je le voyais ici. Et curieusement l'idée que je pouvais aussi bien ne jamais le revoir s'imposa à moi comme une évidence.

J'observais ses paupières closes avant qu'il ne soupire et s'installa en tailleurs comme moi.
Ce geste trop brutal fit peur à Gin qui avait commencé à se lever pour s'approcher de lui. Le félin sursauta et se retrouva en un bond dans le creux de mes jambes.

"Gin t'es ridicule là."

Trois lettres lui aussi.
Le chat se drapa dans sa dignité.

*J'ai pas eu peur, je testais ma capacité à réagir à tous danger potentiel.*

J'eus un petit rire. Bah voyons. Je relevais le nez vers Aël qui s'appuyait sur ses mains derrière. Pas un lycan.
Rien de spécial ? Comment pouvait on être rien de spécial, comment un être comme lui était venu au monde ? Etait arrivé jusqu'ici ? C'était des questions qu'elle avait appris à ne pas se poser ici, les réponses étaient toutes plus farfelues les unes que les autres.

"Tu n'es pas une intelligence artificielle…comment peut on être rien de spécial ?"

C'était plus une constatation qu'autre chose, il était plus…peut être un poil plus humain qu'eux. Ou alors il en était un début d'imitation. Rien de spécial. Oh si, moi je le trouvais spécial. Et pas forcément d'une manière plus péjorative.

Gin gonfla un peu la poitrine et commença sa technique d'approche, avancer tranquillement à pas de loup, haha, vers l'objectif. Un mètre à faire, ce n'était pas grand chose. Mais il fallait rester prudent.
Le félin finit par se tapir et poser le menton sur le sol, la tête légèrement penchée sur le côté, le cou tendu, comme un chaton l'aurait fait pour jouer avec une pelote de laine. Sauf que là, la pelote elle ne faisait pas le même gabarit. A mi chemin entre moi et mon interlocuteur, je le regardais humer l'air, cherchant le parfum de l'étrange personnage.

Il me retourna la question, pas étonnant. Un petit sourire en coin face à la ridicule attitude de Gin, je le perdis rapidement en voyant le regard que l'homme me lançait.
Je restais muette, ne sachant pas vraiment si cette réponse avait quelque chose de déterminant sur la suite de notre conversation. Comme la sienne pour la lycanthropie aurait eu un impact considérable sur ma méfiance.
Sans le lâcher du regard j'entrouvris les lèvres et finit par répondre :

"Une elfe dénaturée. Il faut croire que je n'en ai que le physique."

Je fis un rapide geste vers la grotte. J'avais bien grandi sur des étendues verdoyantes et forestières avant de venir m'enterrer dans une ville souterraine, dans un monde dont je ne connaissais rien.