Grillades de durites à la Vodka [PV Alieönwë]

Comment ça quand on savait pas boire on buvait pas ? Parce qu'il avait su marcher du premier coup lui peut-être ? Ben dis-donc, c'était qu'il était vachement fortiche ! Non mais franchement, c'est vrai quoi, il faisait péter tous les crétinomètres celui-là, avec ses réflexions à la con ! Et puis Neythen il se rappelait pas avoir signé une charte du type qui sait boire, en entrant. D'ailleurs, quand il s'était agit de foutre sa carte de crédit dans sa machine à sucer les pims, on ne lui avait pas posé de question sur le « oui mais monsieur, savez-vous boire ? ». Non mais ! C'est qu'il faudrait bientôt passer une licence pour se mettre la gueule à l'envers... comme en sport de haut niveau et tout ? Avec les trophées qui vont avec ? Sans déconner, ça ferait trop bien une coupe du monde de cuite, dans son bureau. En forme de mignonnette. Les mecs sobres, ce qu'ils pouvaient être chiants ! Un truc pas humain.

« Pourquoifairemechanger ? »

Un hoquet plus tard, il regardait Aliénor se précipiter vers une porte et disparaître dans une cabine. Il y avait ses pieds qui dépassaient. C'était pas un peu bizarre de se mettre à genoux devant la cuvette pour pisser ? Ah tiens en parlant de ça, il était venu pour, lui aussi. Sauf qu'il avait plus envie. Le plus louche dans l'affaire, c'est qu'il ne se souvenait pas avoir sortit son attirail... et encore moins l'avoir rangé. Par acquis de conscience, il vérifia quand-même – on n'est jamais trop prudent il paraît. Non, tout était à sa place. Par contre... euh... il n'avait pas fait ça là, c'était une blague...? Hein oui c'était une blague ? Allez quoi... Il planta un regard mauvais sur le commis et son pote l'aubergiste comme si c'était leur faute. D'ailleurs c'était leur faute, techniquement. C'était eux qui vendaient les bouteilles. Penser à ajouter « Boire rend incontinent » à côté des autres menaces, sur l'étiquette.

« Bon ben alors, t'façon va bien falloir que j'rent' ! »

Et puis à la rigueur, qu'il se soit pisser dessus ou qu'une canalisation ait pétée à son passage, qui verrait la différence ? Magna relevait des chiottes publiques géantes en ce moment, et personne n'était épargné. Il passerait peut-être même plus inaperçu dans cet état que s'il était propre sur lui, à tous les coups. Et puis merde, il était adulte – c'est ça, marrez-vous – consentant, vacciné et accompagné. Et il avait besoin de se rafraîchir. Non ça n'avait aucun rapport, et après ? Il en fallait un ? Il tourna mollement la tête vers Aliénor – enfin vers ses pieds... Sérieusement, elle faisait des bruits trop glauques, et pour pas la laisser toute seule avec sa solitude stomacale – solidarité d'ivrognes – notre respectable maître du miroir lâcha un rot tonitruant qui lui chatouilla la glotte. Enfin, tout ça pour dire qu'à l'origine, il en était à se dire qu'il irait bien se rafraîchir un peu. Il évalua donc la distance qui le séparait des premiers lavabos – deux mètres – et inspira profondément. Oh bah oui bien sûr, ça n'avait pas l'air bien épique dit comme ça, mais mine de rien c'était un sacré exploit que de tituber jusqu'à destination sans succomber aux dures lois de l'attraction terrestres. Alors, armé d'un courage à vous retourner une montagne, il s'élança comme un vaillant guerrier. Et heureusement qu'il fit de grands pas, parce qu'il n'aurait pas tenu un mètre de plus. Il se rattrapa de justesse à un lavabo avant de reprendre ses esprits. Une expression pas si stupide, maintenant qu'il y pensait. Parce que c'était un peu ça pour le coup, l'impression que des morceaux de son cerveau se barraient voir ailleurs s'il y était, et du coup, c'était un poil plus compliqué de piloter son corps...

Il fit couler l'eau, et plongea tête la première sous le jet glacé. Ça lui fit comme une gifle en pleine gueule. Du bien comme pas possible. Qui a parlé de masochisme ? Personne. Par contre il y avait la guérisseuse qui parlait de cul de bouteille, même que ça la faisait marrer, et même que Neythen aussi ça le fit marrer. Tableau magnifique du maître la tête sous l'eau, mort de rire en avalant de la flotte. Ça donnait un rire entrecoupé de « bloub-glou » un peu surréalistes qui le faisait se poiler deux fois plus. Au bout d'un moment quand-même, sentant le regard des deux autres peser sur sa personne, il se redressa et haussa un sourcil en croisant sa tête dans le miroir qui lui faisait face. Vache. Il avait l'air aussi frais qu'une poiscaille qui aurait pas vu la mer depuis longtemps. Il se grandit un peu pour se donner un semblant de contenance et alors, Isaac lui fit un sale coup. Loi de l'attraction universelle. Il tenta de se rattraper par un pas en arrière, et avant que les deux gus aient pu réagir, son corps bascula en arrière, raide comme un poteau télégraphique. Sa tête heurta le dormant d'une cabine avec une violence telle que le choc se répercuta en écho d'urinoir en urinoir. La seconde suivant, Neythen fixait le plafond de ses yeux vides. Pour le coup, il ne riait plus du tout, et un filet de sang s'écoulait de son cuir chevelu. Migraine assurée le lendemain.

Seulement voyez-vous, notre respectable maître bénéficiait du secours de deux concours de circonstance. Le premier était qu'il y avait un saint patron des types bourrés comme des queues de pelle. Le second était que dans un passé pas si lointain, on lui avait offert un beau pariétal en métal tout neuf. Du coup, la porte eut plus mal que son crâne... mais la peau elle, elle avait pas apprécié quand-même. Cinq secondes hébété, Neythen se remit à rire comme un abruti fini à la Vodka.

« Eh Ali ! T'sais j'crois qu'on va vraiment finir au sanctu... »

L'instant fut magnifique. Épique, presque. En deux temps trois mouvements, un type que Neythen ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam – d'ailleurs il ne connaissait ni Eve ni Adam non plus – entrait dans ses pissotières pour leur casser les... oreilles... Notre bon maître plissa les yeux. Allez, je vous rembobine, parce qu'il a raté un épisode...

Ken était donc paisiblement allongé là, la tête ouverte à côté de la cuvette des chiottes les plus proches. Et il se vidait de son sang aussi sûrement qu'Aliénor se vidait du contenu de son estomac. C'était même bien possible que son estomac finisse par sortir lui aussi, si on faisait attention aux bruits qu'elle faisait. Neythen se demanda si c'était possible. Si un estomac pouvait se retourner comme un gant de toilette et se faire la malle par la bouche ? Peut-être bien. À y réfléchir, le sien commençait à danser une drôle de valse. Mais avant d'avoir pu répondre à la complexité de cette question, il se retrouva avec un machin blanc sur le sommet du crâne, et l'autre avec ses lunettes de soleil qui lui intimait d'appuyer. Non mais comment il lui causait d'abord ? Ceci dit, ça restait un ordre, et par chance pour lui c'était encore la seule chose que Ken était encore capable d'assimiler à l'heure actuelle. Pour tout commentaire, il grogna comme un goret. Non, définitivement, les types sobres ils étaient pas marrants. Est-ce que lui était aussi chiant quand il était sobre ?

« Ali...? »

Sa voix résonna en écho dans sa tête à moitié ouverte, si bien qu'il n'entendit même pas si la guérisseuse lui avait répondu. Il se sentait plus mal que s'il avait été étendu sur le pont d'un bateau qui prenait la flotte, et la vue de l'aubergiste et de son second franchement pas drôle lui filait la nausée. Il se marrait mieux avec Aliénor. Au moins ils se comprenaient, dans leur monde aux éléphants roses. Il demandait pas grand chose lui, seulement qu'on lui foute une paix royale. Qu'on le laisse se noyer dans l'absurdité et la honte la plus totale, juste une fois. Qu'on le laisse avoir mal pour quelque chose, et se faire plaisir à en baver. Et puis merde, il verrait demain pour la réputation, la bienséance, tout ça. Au pire ils avaient qu'à demander à Briarée de le remplacer. Elle savait toujours bien se tenir, elle. Ils pouvaient même la nommer Maître à sa place si ça leur chantait. Lui là, fallait qu'il savoure ses vertiges et ses nausées. Alors bon, ils étaient bien gentils mais qu'ils aillent voir ailleurs s'il y était. Enfin bon... La voix d'Aliénor lui parvint tout de même au bout d'un moment. Ça parlait de crâne défoncé. Ah bon ? Où ça ? Neythen tourna la tête, juste assez pour voir du sang s'écouler autour de lui comme une grosse étoile de mer. Sérieusement, après le coup du bateau, il se croyait vraiment à la plage là. Eh mais en plus si ça se trouvait, c'était à lui tout ça... Du coup il lâcha sa plaie et fit une tentative désespérée pour ramasser son sang avec ses mains. Peut-être bien qu'il espérait tout remettre dans son crâne après, allez savoir. Et peut-être aussi que ça lui ferait passer les coups de burin qui lui martelaient tête ?

« Non mais j'crois qu'la porte elle a plus mal que moi... »

En y repensant, le truc à serviettes aussi, mais ça n'eut pas l'air d'alarmer la bonne femme qui s'était penchée sur lui. Pas du tout son genre de femme, pour tout dire. Blonde. Les yeux bleus... Et ça ne la fit pas rire non-plus. Encore une qui était sobre et pas marrante. En y regardant d'un peu plus près, elle ressemblait surtout à un homme en fait. Tout compte fait, oui, c'était bien un mec. Ou alors elle avait une voix vachement grave pour une femme. Et une ossature assez balèze... Uh... et il lui voulait quoi au fait ? Lui faire la morale ? Neythen cligna des yeux, interceptant des bribes de remontrances. Des mots trop compliqués pour son état d'ébriété avancé, mais sur un ton qui en disait un peu trop long à son goût.

« Va t'faire fout'... »

Non mais d'abord ! C'est vrai quoi, il avait rien demandé Neythen. Il l'avait même pas invité l'autre gus, qu'il savait même pas qui s'était en plus. Qu'est-ce qu'il venait le gonfler à lui souffler dans les bronches ? Alors franchement, que le blondinet ait entendu son insulte ou non, il s'en cognait royalement. Déjà qu'il avait cette fichue habitude de balancer à la tête des gens tout ce qui lui passait par la tête, si en plus il était bourré hein, fallait pas s'attendre à de la retenue. Tout ce qu'il savait, c'est que cet abruti lui avait pourri sa soirée. Lui, ce sale con d'aubergiste et son commis qui se prenait pour il savait pas trop quoi. Non mais écoutez-les remonter les bretelles d'Aliénor et les siennes, tout ça pour un verre en trop dans le nez – ok, disons plutôt une bouteille en trop. Et après ? C'était son estomac que la guérisseuse vidait dans les chiottes. Le sien à elle. Elle en faisait ce qu'elle voulait non ? Et puis lui aussi il faisait ce qu'il voulait de son sang. Ils avaient blessés personne, non ? Bon ! Ben qu'on leur foute la paix alors...

« A... Ah !!! La... lâchez-moi bordel !!! »

Le paysage se mettait à basculer sur fond de jurons très fleuris de la part du commis, ce qui fit beaucoup rire Neythen. C'est ça, dérouille ! Ben dites, c'était pas le tout d'avoir la moitié du squelette en métal, mais ça pesait son poids. Ils s'y attendaient pas à celle-là hein ? Parce qu'il pesait quoi l'ivrogne-irresponsable-qui-savait-pas-boire ? Cent-cinq... cent-deux kilos ? Demandez à ses articulations... ils avaient pas pensé à les remplacer celles-là... Peut-être qu'ils pourraient calculer son poids d'après l'état des miettes qu'il avait à la place des cartilages... Oh mais... Youh ouh, vive la verticale ! Neythen se cramponna au dormant – le même qui lui avait arraché la moitié du cuir chevelu – et en fut quitte pour un vertige comme pas permis. Il prit deux secondes pour se remettre vaguement, lorsqu'une bouffée de rage remonta comme un hurlement. Il ne vit pas grand chose à travers ses iris bleus, seulement que le blondinet s'en prenait à Aliénor. Verbalement surtout, mais aussi physiquement de ce que Neythen pu juger du haut de sa capacité restreinte à raisonner.

« Oh !!! Tu la lâche ?!! »

Il tituba jusqu'à Eönwë et se rattrapa de justesse à lui, lui broyant le bras au passage. Il prit vaguement note du fait que c'était sympa d'avoir laissé trainer un bras ici pour le cas où il en aurait eu besoin, ce qui avait été le cas. Et il aurait volontiers collé un pain au pauvre Elfe venu les secourir mais manifestement, le passage de la position raide mort par terre à celle sur deux jambes avait chamboulé sa gravité interne. Du coup il tomba à genoux et en fut quitte pour expérimenter les mêmes relents insolites dont les avait gratifié Aliénor vingt secondes plus tôt. Sauf que ça résonnait bizarrement quand ça venait de son propre estomac. Les yeux exorbités de stupeur, il tenta de se rappeler s'il avait vraiment mangé un truc pareil dans la soirée. Vu comme ça c'était vraiment pas ragoutant, mais il n'aurait pas su dire si c'était parce que c'était à moitié digéré ou si c'était l'effet du contraste entre le vomit en lui-même et la couleur des pompes d'Eönwë...

Peut-être bien un mélange des deux...

S'essuyant à peine d'un revers de main, il fouilla ses poches jusqu'à en sortir son PDA. Il effleura l'écran tactile en retenant un nouveau haut-le-cœur.

« Bri... j'crois qui faut m'évacuer là... »