Tattoo Tabou

Les vibrations envahissent tout, elles transpercent mon corps qui ondule en rythme. Pour la première fois de ma vie, je découvre l’exaltation d’un concert de rock. La foule en liesse m’emporte vers la scène. A présent, je peux la voire, cette fille à la voix si puissante que ses cries m’ont conduite jusqu’ici. J’ai les yeux qui pétillent quand je la découvre pour la première fois, elle me parait toute puissante vu d’ici. Ses vêtements déchirés, ses chaînes et ses clouent qui étincelles. Je scande le nom du groupe à plein poumons.

Cette musique puissante m’inspire des visions d’aventures et de quêtes périlleuses. Des quêtes passées, des quêtes rêvées, des quêtes désirées. Je ferme les yeux, j’en oublie que je suis en plein cœur de Magna et que le danger rode partout autour de moi.

La musique se termine, et le groupe doit quitter la scène pour laisser place à un autre. Mon cœur se serre, je ne veux pas qu’elles arrêtent de jouer. Je réclame un rappel en commun accord avec le publique. Mais déjà elles disparaissent. Un autre groupe s’installe et quelques minutes plus tard la musique repars. Plus brutal, moins entraînante, je me sens plus tellement dans mon élément. La foule autour de moi se met à chahuter. Un coup dans l’épaule je vole de quelques centimètres et m’écrase contre un orc furax. Je me retourne et écarquille les yeux, il abat son bras tel une massue, j’esquive de justesse, il frappe quelqu’un d’autre qui réplique. C’est le début d’une bagarre général que je fuis difficilement.

Je m’extirpe du publique tant bien que mal reprenant mon souffle coupé par l’adrénaline. Quelques secondes plus tard l’orc sort à ma suite, je le dévisage, étonnée, qu’il m’ait suivi. Il a toujours l’air aussi remonté. J’inspire profondément et prend mon courage à deux mains, je m’approche et lui décoche mon coup le plus célèbre, un bon coup de pied dans le tibia signé Lilou. Il ne sourcille même pas. Après un temps de réflexion il explose de rire et se jette sur moi. Il attrape mon poignée et me soulève. Mes pieds suspendus dans le vide battent les airs.

- Lâche moi sale monstre !!!

Je me suis encore fourré dans de beaux drap, au fond moi j’espère qu’un certain moire va surgir et me sortir de ce pétrin.

Un concert de plus à Magna. Nemesis attirait de plus en plus de monde après notre tour à la BCP, même dans le quartier sans loi. On n'avait pas encore le droit à notre concert rien qu'à nous, mais des gens devenaient des habitués des lieux où l'on performait. On avait des fans quoi, des fans !

Cette fois-ci, on jouait pas une musique à nous, mais bien notre version de Make me wanna die de The Pretty Reckless. Ma voix rauque résonnait dans toute la pièce au travers du titre Rockstar. Je me laissais emporter et fis à mon habitude le show, glissant sur scène, me jetant dans la foule en fin de musique, et j'en passe.

Les gens me reposèrent sur scène et après avoir discuté avec les filles, je partais dans la foule m'amuser un coup. Kira n'en avait absolument rien à faire... Faut dire qu'à Magna elle n'a pas trop son mot à dire... Ce n'est pas comme si je devais "bien me tenir" ici.

Le public en demandait plus à mon plus grand plaisir. J'aurais bien aimé retourner sur scène, mais on m'en interdisait maintenant l'accès. Le tour aux autres... Pfff... S'ils sont nuls, ils sont nuls, c'est tout. Autant passer (et rester) aux meilleures.

Alors que je passais en dansant au milieu de la foule, j'entendis des cris. Une baston ! Je suis pas du genre à stopper les bastons générales, ni à y participer... J'aime les déclencher, et admirer le spectacle, c'est tout. Je ricanais gardant tout de même quelque peu mes distances et faisant le tour de la zone de combat.

Une gamine était l-... Une gamine ?! Elle fout quoi ici ?! Je poussais les gens pour passer et m'approcher. Il y avait bien une chose que je ne pouvais pas blairer, c'étaient les types qui s'en prenaient aux gamins. Les gosses et moi... "Grande-soeur Nora arrive ma petite !"...

Je tapais un bon coup dans l'orc qui tenait la fille pour qu'il se tourne vers moi.

Eh, c***** ! Attaque-toi à quelqu'un de ta taille !

Oh, je vous vois venir hein... Rien à voir avec la taille physique, tout est dans le mental. Quoi que. J'ai rien dis. Un blaireau pareil n'est pas de ma taille, trop petit... Même pour la gosse. Enfin bref ! Mon pouvoir était activé à l'instant où il croisait mon regard. Il se mit à me regarder bêtement, vide de tout contrôle.

- Lâche-la. Il le fit. Et excuse toi je-suis-un-bisounours.
- Je m'excuse.
- Maintenant... Hm... Tu ne trouves pas que le sol bouge drôlement ? Genre comme sur un bateau, mais en 10x plus fort.

L'orc titubait d'un coup et partait sur le côté, coupant le contact visuel avec moi et tombant sur un troll. Maintenant qu'on avait refilé un peu de combustible à la baston, on pouvait y aller. Je prenais par la main la petite et la tirai en dehors de la "salle de concert", l'emmenant dans un coin plus tranquille en ricanant.

Fiouuu... Enfin... Ça va petite ? Rien de cassé ? Dis-je en lui souriant et en ébouriffant ses cheveux.

Submergé par l’hostilité de cet Orc, je panique. Mon empathie m’indique qu’il ne souhaite pas uniquement me blesser, mais aussi m’atomiser. Je hurle de toutes mes forces et balance mes pieds dans son poitrail. J’arrive à peine à l’atteindre, je flotte lamentablement au-dessus du sol comme un vulgaire sac à de pommes de terre. Ma dernière heure arrive…. ou pas.

- Eh, c***** ! Attaque-toi à quelqu'un de ta taille !

Je cherche aux alentours ma sauveuse que j’imagine grande comme une montagne. Je ne vois personne. Je baisse les yeux pour découvrir la chanteuse que j’admirais sur scène quelques minutes plus tôt.

- Némésis, je chuchote pleine d’espoir.

Bon… Je dois bien admettre que sa punchline laisse à désirer. Mais mon cœur de groupie passe l’éponge sans problème. Grande par les actes, c’est déjà pas mal. Je ne comprends pas trop ce qu’il se passe. L’orc s’excuse et me pose au sol. Il doit sacrément avoir les chocottes pour écouter cette fille au doigt et à l’œil nan ? Je me demande si sa réputation est si grande qu’elle n’a même pas besoin d’entrer dans la bagarre, elle doit être sacrément forte ! L’orc fait même exprès de tituber sur la simple demande… Waw…

La chanteuse me tire par le bras. Je ne comprends pas pourquoi on prend la fuite vu qu’elle est si forte, mais je ne vais pas m’en plaindre. Un tête-à-tête avec une star ça n’arrive pas tous les jours. Je suis sûre que Kaïl va être hyper jaloux quand je vais lui raconter ça.

- Nan rien de cassée grâce à toi ! Merci.

Je souris des étoiles pleins les yeux lorsqu’elle m'ébouriffe les cheveux. Des questions se bousculent, mon esprit s’emballe, je ne peux pas empêcher d’ouvrir les vannes :

- Comment t’as fait ça ? T’es super forte en fait ! Il a eut tellement peur qu’il a même pas voulu se battre ! Tu t'appelles Némésis ? Depuis quand tu chantes ? C’est vachement cool, j’avais jamais vu de concert avant. Tu chantes drôlement bien ! Je peux avoir un autographe dis ?

Je m’arrête d’un seul coup et reprends mon souffle j’avais débité tout ça en une seule fois sans même lui laisser le temps de répondre avant de poser d’autre question. En faisant tout ça, je me balançais de gauche à droite tel une enfant surexcité. Mon souffle repris, je fouillais dans ma sacoche et en sortais mon livre de cuir rouge, celui dans lequel je consigne toutes mes expériences. Je le tendais à ma sauveuse, de façon à lui faire comprendre qu’un “non” me fendrait le cœur.

Elle est trop chou... Elle me regarde de ses deux yeux illuminés... J'ai beau traîné avec des gamins et leur donné mes bons conseils, voir quelqu'un me regarder comme ça, c'est... Plutôt nouveau. En tout cas à ce niveau-là d'admiration. Je lui souriais et me penchais à son niveau pour discuter.

L'orc ? C'est de la magie ! Avec moi, rien ne pourra t'arriver !

Seulement si l'ennemi est seul... Et idiot. Je n'allais pas prendre la petite pour une abrutie, autant casser la magie de suite et dire ce qu'il en est. D'ailleurs, les enfants, le père noël n'existe pas. Ce sont vos parents qu'achètent vos m**des, et comme ils ne vous aiment pas, ils offrent toujours les trucs qui ne sont pas sur votre liste. Voilà.

Et nan, je ne m'appelle pas Nemesis. Repris-je en ricanant. C'est le nom de mon groupe ! Moi, c'est Nora. Et toi petite ?

Elle en posait des questions... Pour la suite, je me mettais à compter sur mes doigts avant de m'arrêter sur "p****n je suis vieille en fait".

Je chante depuis que j'suis petite ! Autant que toi, voir plus. Et merci, contente que ça t'ai plu ! T'auras qu'à revenir les autres fois, hein ? Il y a pas toujours des blaireaux comme ça. Et puis tu reviendras quand on aura notre concert à nous, les Nemesis !

Rien que de parler de ça me remplissait les yeux d'étoiles scintillantes. C'était un rêve que j'espérais bientôt voir réalité. On était toutes sur la même longueur d'onde là-dessus...

Il ne restait plus que la question sur l'autographe. La petite sortait d'ailleurs un carnet de son sac, ouais bon, c'est une fausse question quoi... Et puis je n'aime pas signer ces trucs, c'est nul et pas original. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire...
Eurêka ! Je griffonnai sur son carnet une main faisant le signe du métal/hard rock et sur celle-ci, le visage mignon d'un lapin. On avait même les oreilles avec les deux doigts relevés de la main ! Je signais entre les doigts "Nova", l'habitude après chaque dessin...

Et voilà pour toi ! Ça te plaît ? Dis-je en retournant le carnet et le lui présentant, une main tatouée le tenant et l'autre faisant le même signe.

Nemesis / Nora ça va, c’est facile à retenir ça commence pareil…

- Moi, c’est Lilou, Lilou Erelm, dis-je fièrement en annonçant mon nom de famille.

Avant, c’était juste Lilou. Depuis toute petite, je rêvais d’avoir un nom plus long comme les princesses de contes ou les nobles, maintenant, c’est fait… Bon d’accord, c’est un nom court, mais c’est celui de mon papoune alors le reste on s’en fiche, j’appartiens à une tribu, c’est tout ce qui importe.

- Tu chantes depuis petite, ça fait pas longtemps alors t’as pas l’air si vieille non ? Ou alors t’es comme les immortels qui ne vieillisse pas, c’est ça ? Trop bien ! T’es quoi ? Une déesse ? Un esprit ? Un ange ou un truc comme ça ? J’ai eut une copine ange, mais elle ne pouvait pas cacher ses ailes. Elles sont où les tiennes ?

Je voyais les yeux de la chanteuse s’enflammer de passion lorsqu’elle parlait de son groupe. J’aime les gens passionnés, ils sont plus vivant, ils ont toujours plein de chose à dire, je pourrais les écouter des heures me parler d’un caillou sans intérêt, du moment qu’eux ça les passionne. C’est beau à voir, comme une jolie peinture, sauf que ça bouge.

Nora prend mon carnet et commence à dessiner. Je dois bien admettre qu’elle dessine aussi bien que le moire. Des lumières s’allument dans mes yeux quand je comprends ce qu’elle dessine.

- C’est magniiiifiquee Nova !!! Tu pourrais pas me le dessiner sur la main dis ? Tu dessines souvent ? T’en fais des jolies choses ! Moi, je ne sais pas dessiner, j’aimerais bien apprendre pour impressionner quelqu’un, mais quand j’essaie, c'est vraiment pas beau. Si, je sais bien faire les coquelicots, mais c’est tout.

Je me rends compte que je demande beaucoup de choses, mais que je n’ai rien à lui offrir… Ce n'est pas très sympa. Moi, j’ai la vie sauve, un beau dessin et un souvenir inoubliable d’un super concert, et elle rien du tout. Pas très équitable tout ça.
Je m'accroupis et farfouille dans mon sac sans fond. Je tire sur la corde de ma trousse à pharmacie, je farfouille parmi mes remèdes en court d’élaboration, je ne peux pas lui donner un de ceux-là… Il faut d’abord que je les utilise sur des cobayes. Mon regard s’arrête sur une potion verte en provenance directe de l’atelier de mon père, un pic-vert. Très utile pour soulager les douleurs quelqu'en soit la nature. Je hoche la tête et souris contente d’avoir trouvé un objet à lui offrir, mais ce n’est pas encore suffisant. Je tire une autre corde et en fait remonter mon pot à Cookie.

- Tiens, c’est pour toi ! Je lui tends d’une main la potion verte, et de l’autre le bocal de cookie ouvert. Pour te remercier de tout ce que tu fais.

Lilou Erelm... Erelm, ça me disait quelque chose, mais quoi ! J'avais beau cherché, je n'arrivais pas à trouver ce que ce nom m'inspirait. Et pendant que je réfléchissais, la petite ne s'arrêtait plus. Elle était passée dans le mode berserk. Des questions plus des questions avec une pincée de questions... Et puis on s'arrête, pour mieux reprendre ensuite. Questions, questions ! Tout plein de questions...

Je ne suis pas un ange. Je suis une Naga, et je dois aussi être la réincarnation de la déesse du rock. Dis-je en ricanant. Et j'ai 30 piges, mais je vis plus que les humains alors... Oh, et tu as quel âge toi ?

Après mon autographe, je me refais assaillir de questions. Au moins j'avais eu un peu de répit pendant que je dessinais. Une vraie bavarde cette petite ! Il y avait un potentiel monstre de peste sous ce petit sourire mignon, je peux vous l'assurer.

Te le dessiner sur la main ? Tu veux un tatouage ? Disais-je pour blaguer (bien que j'avais eu mes premiers très tôt). Et je dessine assez souvent ouais. Tiens, on va aller un peu plus loin, je vais te montrer mon coin de dessin ! Puis s'tu veux, je pourrai t'apprendre. Je ne sais pas si je suis une très bonne prof par contre.

Je préférais me dédouaner à l'avance. Et puis, face aux gosses je préférais dire la vérité que simplement me vanter. Ce n'est pas des adultes, faut pas les prendre pour des c**s.

Lilou cherchait dans son sac et en sortit finalement une boite et une fiole verte qu'elle me tendait. Un cadeau ? Je n'allais pas dire non... Bien que l'étrange potion m'inspirait que peu confiance. Ou alors... Mais oui ! Erelm ! L'alchimiste ! C'était la fille de l'alchimiste !

C'est ton père qui a fait ça ? Et merci, c'est sympa ! N'hésite pas si tu veux de l'aide ou discuter. Mais d'ailleurs, j'y pense... Tu fais quoi à Magna ? J'suis pas sûre que tu es une habituée du coin, c'est dangereux ici, hein.

Ouais, ouais, je fais la morale aux gosses. Quoi ? Vous avez un problème ? Les parents ne savent pas les tenir, et puis si c'est quelqu'un de marrant, on écoute toujours plus... Un peu comme les maîtres de miroir quoi. Je suis sûr que c'est pour ça qu'ils ont pris Meliel et Hiryu. Écouter des fous, c'est toujours plus amusant que d'écouter les rationnels.
Je rangeais la potion dans mon sac et prenais un cookie que je mordais à pleines dents.

Tu les as faits ? 'Sont super bons ! Dis-je en remettant ma main dans le bocal. Et aller, on y va ! Je vais te montrer un endroit cool !

Je la pris par la main et la tirai dans les ruelles de Magna. Je connaissais le quartier comme ma poche et trottinant pour ne pas la perdre, nous arrivèrent sans embûches à mon jardin "secret". Entre plusieurs débuts de bâtisses en béton, se trouvait un terrain à ciel ouvert plein de m**des. Chaque mur entourant l'endroit était entièrement peint de milliers de couleurs. Des couches et des couches de dessins pour en arriver là... Dès que j'avais une idée, paf.

Je sortais une bombe de peinture que j'envoyais à Lilou.

Tu veux t'amuser un peu ? Je dessine ici, et puis ça me donne pas mal d'idées pour des tatouages ou des musiques... Je travaille en chantant ou en me mettant de la musique. J'ai même une amie de Nemesis qui m'accompagne souvent en musique, c'est cool...

- 30 ANS ! Mais t’es presque aussi vieille que papoune ! On dirait pas. C’est quoi une Naga, c’est une Nova ? Une Nora ? Je ne comprends plus rien maintenant. Moi, j’ai 12 ans et demi.

Mon idole me propose un tatouage… Un tatouage, un dessin indélébile que j’aurais toujours sur moi, fait par une personne que j’admire… Bien sûr que je suis partante !

- Ah oui, je veux bien un tatouage, mais peux être pas un lapin du coup. Faudra le signer aussi, je veux que tout le monde puisse voir qu’il est de toi, sinon personne voudra me croire. Je réfléchissais quelques secondes avant de reprendre. Un coquelicot, ce serait jolie, tu sais dessiner les coquelicots ?

Je lui offrais son cadeau, elle n'avait pas l’air très rassuré en voyant la potion, je ne comprenais pas pourquoi, mais je ne m'attarderais pas dessus.

- Oui, c’est mon père qui les fabrique. J’en fabrique aussi, mais c’est assez instable pour le moment. Mais si tu n'as pas peur, tu peux tester mes produits. Je pourrais revenir te voir quand je veux, c’est vrai ? Merci beaucoup ! Je n’y manquerais pas. Je suis venue parce que je cherche quelqu’un, il est souvent dans le coin. Mais c’est rare que je le trouve. Tu le connais peut-être, il s'appelle Kaïl, lui aussi, il dessine, même que ses dessins prennent vie, il peut créer des animaux ou des éponges géante qui gobent des cailloux ou… plein d’autres trucs ! C’est vraiment marrant comme pouvoir.

Nora mord dans son cookie et affirme qu’il est très bon. Je rougis, ravie, puis je me fais tirer par la main dans les rues de Magna.

On atterrit dans un coin en ruine, des murs délabrés recouverts de couleurs, effondrées par endroits. Partout où mon regard se pose, il y a des dessins. Je laisse échapper un long “waaaaaaaaaaaaaw” d’admiration.
De ma vie, je ne pense pas avoir déjà vu un lieu aussi beau que celui-ci.
Qui pourrait croire qu’au coeur d’un quartier sombre, malfamée et sale, on puisse trouver un paradis coloré comme celui-ci. Je sautille partout, pour tout regarder. Je m’approche pour admirer les détailles puis recule pour avoir une vue d’ensemble. Je veux graver chaque millimètre de ces murs dans ma mémoire. J’ai l’impression d’entrer dans une autre dimension, comme si Nora venait de partager avec moi son secret le plus intime.

Surprise, j’ai du mal à attraper la bombe de peinture que la chanteuse me lance, je manque de la faire tomber, elle passe d’une main à l’autre, sans réellement se laisser attraper, j’arrive à la saisir, juste avant qu’elle n’atteigne le sol. Ouf.

- Oh oui, je veux bien m’amuser, mais je ne voudrais pas faire des dessins tout moches ça casserait la magie de ce lieu. Mais je peux chanter si tu n'as pas les oreilles trop sensibles. Kaïl n'arrête pas de dire qu’il ne faut pas que je chante parce que ça va attirer les arcturiens à Elantra. Je ne comprends pas pourquoi.

Malgré l'appréhension que j’ai à dessiner dans ce lieu sacré, je prends mon courage en main et j’avise un morceau de sol encore vierge de création artistique. À défaut de chanter, je fredonne l’air que j’ai entendu un peu plus tôt durant le concert. Il n’a pas quitté mon esprit depuis que je l’ai entendu.

La bombe de peinture est capricieuse, j’en ai plein les doigts et quand je fais un trait sur le sol, ça fait des gros pâtés très moche par endroit. Mon trait, qui n’est pas très fluide déjà à la base, se retrouve encore plus bosselé. C’est ainsi que née sous mes pieds un dessin cabossé, sensé représenter mes animaux de compagnie, Molly, Higor, Titou, Dagota, ainsi que 3 bonhommes stickman de tailles différentes. Le plus grand tenant une fiole de chimie, le second coiffé d’un bonnet et le dernier avec des cheveux ondulé. Le résultat est assez médiocre. J’ai carrément envie de tout recouvrir de noir.

Ma patience à bout, je me relève, j'ai les vêtements couverts de peintures, mais je m'en fiche. Je rejoins Nora là ou elle a commencé à dessiner. Je la regarde faire avec admiration, j'aimerais tellement savoir en faire autant, alors je me concentre pour essayer de comprendre comment ça fonctionne. Je remarque qu'elle incline sa bombe d'une certaine façon, elle gère le flux de peinture comme une pro.

- c'est drôlement beau ! comme tout ce qu'il y a ici.

"30 ans ! Mais t'es presque aussi vieille que papoune"...

Je haussais un sourcil, elle avait décidément une drôle de façon de récompenser sa sauveuse. Je l'avais dit, sous ce petit sourire mignon se cachait un potentiel de peste absolument énorme. Un monstre... Un vrai de vrai... Mon sourire n'était plus vraiment présent, et je réfléchissais à comment j'allais reprendre la chose, finissant par feinter un sourire. Elle devait ne pas y avoir trop réfléchi... La remarque passait trop bien pour avoir été voulue méchante, ou alors c'était une sacrément bonne actrice.

Nora, c'est mon prénom, Nova, c'est mon nom d'artiste et je suis une Naga, comme ton père peut être un humain.

Je pouvais m'avancer là-dessus, j'étais quasi-sûre de la race de l'alchimiste. En tout cas, il y ressemblait pas mal.
La petiote avait l'air intéressée par un tatouage coquelicot, je trouvais l'idée top ! Et puis maintenant, les tatouages on les retire comme on veut...

Retour à maintenant, la bombe de peinture attrapée par la gamine, elle allait pouvoir s'essayer à ça et moi, j'allais pouvoir réfléchir à son tatouage. Elle me reparlait de son "Kaïl", et c'était apparemment un vrai petit caïd, en plus d'être extrêmement drôle. Sa remarque sur les arcturiens j'allais me la garder au chaud, une jolie expression entre-mondienne !

Tu diras à ton copain qu'il est très drôle. Et t'inquiètes dessine. Il n'y a pas de problème.

Alors qu'elle se mettait au travail en taguant le sol, je l'entendais chantonner l'air de notre musique. Elle était terriblement attendrissante cette petite... Beaucoup trop mignonne. C'est ainsi qu'imaginant les instruments, je me mis à chanter en sortant mes bombes à moi.

Faisant rapidement une zone blanche sur un mur, le travail commença. Coups de peinture ici et là, un coquelicot commençait à se former en peinture rouge. Le centre de la fleur était remplacé par un œil globuleux similaire au mien, violacé. La tige tortueuse dessinait ma signature. Un air satisfait, je me retournais vers Lilou qui complimentait le dessin.

Il te plaît ? Merci ! Tu veux ça comme tatouage ? Et toi alors t'as fais quoi ?

Je passais à côté d'elle rapidement et allait voir son de-... Moche. C'est le premier mot qui me venait à l'esprit. Elle avait 12 ans et je croyais voir l'œuvre d'un gamin de 3 piges. Son truc dans le dessin, c'était la médiocrité. Un pâté de peinture m'inspirant une belle m**de. Bon, au moins c'était mignon, des hommes bâton représentant son père et elle, je pouvais presque deviner que l'autre était le fameux "Kaïl".

C'est... Un début. Je vais être honnête, c'est raté, mais genre bien. Disons que le niveau de ratage est clairement un art. Tu vois ce niveau ? C'est ton dessin sur l'échelle de la mocheté. Disais-je en me mettant sur la pointe de pieds et levant bien haut mon bras.

L'exagération était voulue comique, et je repris en lui ébouriffant les cheveux.

Mais tu feras mieux la prochaine fois. Après de l'entraînement, tu ne feras pas mieux que ces murs parce que je suis trop forte. Ricanais-je. Mais tu battras ton copain-là... Kail !

- et c’est quoi une Naga ?

Pendant que je recouvrait le sol de mon oeuvre ”d’art brute”, on chantait ensemble. J’aime bien chanter quand je m’occupe des plantes dans la serre ou que je mijote des remèdes dans ma chambre, mais c’est rare que je partage ça avec quelqu’un. Je trouve que ça donne un autre goût à la musique.

Sur le mur où Nora vient de taguer, je découvre un magnifique coquelicot avec un oeil en guise de bouton. Si je pouvais repartir avec ce mur sous le bras… Je vous jure que je le ferais ! Mais c’est pas possible dommage…
Nora me propose de le redessiner sur moi sous forme de tatouage ! Je hoche la tête de haut en bas, ravie de devenir une oeuvre d’art vivante, ça ne m’aurait jamais traversé l’esprit, mais je trouve l’idée géniale.

La chanteuse part à la découverte de mon “oeuvre”, j’ai hâte de savoir ce qu’elle en pense, même si je n’ai pas son niveau j’y ait mit tout mon coeur. Houla elle tire une drôle de tête ça veut dire quoi ? Il ne lui faut que quelques phrases pour me faire comprendre qu’elle trouve ça immonde. J’ai un pincement au coeur et mon sourire disparaît. Je baisse légèrement la tête, déçue de ne pas avoir réussi à l'impressionner. Si seulement je pouvais lui montrer ce que je sais faire avec un scalpel et des bandages… Le résultat serait différent. Il faut s’y faire, je ne suis pas une artiste, ou du moins pas ce genre d’artiste.

Lorsqu’elle m’expliquait ou se situé mon dessin sur l’échelle de la mocheté, je me passait un bras derrière la tête, un sourire gêné sur les lèvres, je me grattais l’arrière du crâne.

- Je sais pas si je vais renouveler l’expérience on dirait que je suis pas très forte dans le domaine. Tu devrais me voir avec un scalpel je m’en sors beaucoup mieux selon Atrya. Je te montrerais un jour.

On sait jamais peut être qu’un jour j’aurais l’occasion de la soigner au sanctuaire, bien que je ne lui souhaite pas.

Même si je disais ne pas vouloir retenter ma chance, en vérité, j’avais ma fierté, je continuerais d’essayer, mais loin du regard des autres. J’avais un jolie carnet à la maison qui n'attendait que d’être saccagé…

C'est quoi une Naga ?.. J'ai presque envie de répondre, vous avez 4 h. J'étais le pire modèle de ce qu'est une Naga. Quand on pense à ça, on pense souvent aux hommes-serpents, moi, j'étais un peu spéciale. Dans mon monde, tout le monde ressemblait à des humains, peu importe la race. On a juste quelques traits raciaux, comme mes yeux ophidiens ou... Ma langue de vipère.

Euuuh... En gros, ce sont des hommes-serpents, mais il y en a qui ressemble à des humains, comme moi. Pose pas trop de questions là-dessus, c'est dur de répondre.

Finalement, après avoir "critiqué" le dessin de la petite, elle prenait un air tout mignon en rétorquant qu'elle était tout de même meilleure avec un scalpel. Sur les mots, "je te montrerais un jour", j'ai eu un peur, je vous avoue. Elle souhaite quoi ? Que je me blesse ? Et même si c'est le cas, aussi doué soit-elle, je ne serais pas très rassuré de me faire soigner par une gamine...

Tu me montreras si tu veux, mais pas sur moi, hein ! Ou tu pourras le faire sur moi quand tu seras doctorante. Je t'appellerai même Docteur Erelm si tu veux.

Un petit silence s'installait. Je réfléchissais à quoi faire, et repensais à ce hochement de tête devant mon œuvre à moi. Autant partir là-dessus, allons tatouer Lilou ! Son père allait être ravi, je vous le garantis.

Tatouage, alors !

Je la pris par la main et la traînais dans Magna. On quittait mon petit "jardin" et passait dans des rues, des ruelles, puis nous arrivions à l'entrée d'une vieille station de métro. J'entrais et continuais d'entraîner Lilou. On sautait sur les rails inutilisées puis marchait un moment avant d'arriver dans un tunnel désaffecté où se trouvait une rame de métro totalement taguée.

Bienvenue chez Nemesis !

Je la fis entrer et nous passions dans chaque wagon en courant. Chacun d'entre eux était différents, certains faisaient studio de musique, d'autres servaient à beaucoup de choses... L'un était plein de matériel informatique, et celui qui m'intéressait était richement décoré et contenait de quoi se tatouer. Le matériel était là, même mon gadget préféré : un truc que j'avais payé une fortune pour tatouer. Il générait une zone stérile ! Une pression sur un bouton et adieu microbes !