Les dindes et le dindon (la fin)

La course vers Entre-Monde se terminait à la bibliothèque, le Cyliong s'étendit sur les marches menant à la bibliothèque devenant un obstacle imprévu à la course des bureaucrates et des aventuriers. Le grondement sourd venant de sa poitrine m'indiquait qu'il avait tout sauf envie de passer sa première nuit de repos ici. Il avait été si utile ces derniers jours, je ne pouvais pas lui refuser ça.

-On va se dépêcher. Je donne le chat à manger au loup et on rentre.

Il valida l'idée et je partais avec mon paquet de dindes sous le bras. J'en oubliais que je devais attendre le chat. S'il fait usage d'autant d'énergie à courir qu'il n'en a pour parler, il ne devrait pas avoir de difficulté à suivre le rythme.

J'entre dans la bibliothèque, l'air aseptisé, l'odeur du papier en décomposition me prend au nez. Je préfère vraiment la forêt.
Arrivé au comptoir, je dépose le paquet et j'attends patiemment qu'on vienne valider la fin de mission. Tout ça pour rendre service à Eva qui craignait que ce chat casse-pied ne se fasse dévorer par une dinde excédée par ses caprices... On aurait dû le laisser se faire dévorer, non ?

-Me prends-tu pour un vulgaire matou, après tout ce que nous avons vécu ensemble, Wergeld, ça me peine !

Je sautais à bas de sa monture. Pas de regard pour la grosse bête, ni pour le chasseur. Je trépignais jusqu'à la bibliothèque. Les marches étaient des falaises à escalader, puis le carrelage glissant sous mes griffes, froid sous mes délicats coussinets.

-Presses-toi l'ami, l'odeur de chien mouillé me rend malade.

Je double un groupe et je m'élance avec souplesse sur le comptoir d'Eva Carine, louve mal léchée.

Cette fois, j'avais prévu. Après avoir envoyé Wergeld en personne éviter à ce chat de gouttière la mort par monstre interposé, il m'était venu une idée pour les accueillir comme il se doit. Pwyll sur mon comptoir, je m'y attendais. Il me fait le coup à chaque fois.
Dès qu'il posa les pattes sur le bois propre, je dégainais une bouteille de parfum bon marché. Je l'avais acheté à la sauvette en passant par Magna ce matin et je l'ai baptisé "Antichat". Une pression sur le soufflet de cuir, un nuage de parfum atroce s'échappa du flacon en direction du chat.

-Avec ça, tu ne sentiras plus le chien mouillé...

Il ne sentira plus rien pendant trois jours. Carine non plus et c'était tant mieux. Moi en revanche, j'allais devoir supporter ce parfum bas de gamme... Un mal pour un bien. A l'attention de K'ouen j'adressais un clin d'oeil, les primes seraient de toute manière payées dans la journée.

Je suis estomaqué. Je ne suis plus le premier avec qui Eva est vache. Pwyll m'a dépassé sur la liste de ceux qu'elle ne supporte plus de voir.
J'abandonne Pwyll a son triste sort de chat parfumé dès qu'il m'est possible de m'éclipser poliment. Car avec une Eva remonté, il vaut mieux se montrer poli. Je me sentais obligé de lui souhaiter une bonne journée en quittant la bibliothèque, accompagné d'un :

-et bonne chance Pwyll !