Les pleurs de la sirène (PV William)

- Je suis désolé de vous avoir fait attendre Mr Broekheart mais ça a été difficile de suivre votre ami. Il est très discret et au fond sa vie est assez normale... Mais j'ai enfin trouver quelque chose disons.. d'inhabituel. Mais ça risque de ne pas vous plaire.
- Si je voulais quelque chose de plaisant je n'aurai pas fait appel à vos services.

Elliot se détestait de l'avoir fait. Jamais il n'aurait pensé qu'il en viendrait à faire suivre et espionner son propre petit ami. Pourtant, depuis l'invasion des pirates, un doute l'assaillait. Un doute qui brûlait son corps et le menait aux portes de la folie tant il n'en pouvait plus de ne pas savoir, de revoir la scène.

Il en était certain: il avait vu le regard de William s'illuminer quand la balle avait touchée la pirate. Ça avait été bref, ça avait été intense. Une lumière qu'il n'avait plus vu des années, pas même quand ils faisaient l'amour. Une lumière qu'il n'avait jamais vu mais qu'il devinait ancienne. Dans un autre monde, dans une autre vie, William avait été un ange guerrier et avait massacré des dizaines d'innocents. Et il avait aimé ça, avant de se repentir.

Elliot était persuadé que cette part sombre de son amant avait resurgit. Pour quoi et comment, il ne le savait pas mais il avait besoin de savoir. Alors il était allé chercher un espion dans les bas-fonds de l'Entre-Monde, un enquêteur peu fiable. Mais finalement, il semblait moins empoté qu'il ne le croyait.

L'homme sortit une enveloppe de son manteau.

- Après un de ses shifts, Mr Lester est sortit et a prit un taxi jusqu'à un quartier résidentiel. Il est entré dans un immeuble et en est ressortit quelques minutes plus tard. Il s'est ensuite rendu...au Love Hotel. J'ai mes connections là-bas, j'ai pu y entrer. Mais... enfin Mr Lester y a rejoint un homme et semblait passer une bonne soirée.

Pour prouver ses dires, l'enquêteur avait prit quelques photos. Elles étaient peu précises, à cause du besoin de discrétion mais ce qu'elles montraient suffirent à faire pâlir l'ondin. Au milieu des scènes obscènes, le jeune ondin pouvait voir ce qu'il craignait le plus: William, dans un lieu de débauche, avec un jeune garçon à peine adulte mais terriblement séduisant. Musclé, le regard vif, des cheveux de neige... Une boule d'angoisse lui coupa le souffle une seconde. Les photos parlaient d'elle-même: William semblait désirer ce garçon et ça semblait réciproque. Et ils n'étaient clairement pas là pour faire un scrabble. Ses mains se mirent à trembler légèrement. L'enquêteur continua son rapport.

- Ils ne sont pas montés dans une chambre et n'ont pas pu aller plus loin quelques baisers, un meurtre a été commis à ce moment là. Mais je n'ai pas vu qui l'avait fait...

Elliot n'avait aucune preuve, mais peut-être que c'était l'oeuvre de William. La voix soudain tremblante, il posa les photos presque trop calmement. Il se leva et alla chercher dans un coffre quelques pierres précieuses aux valeurs inestimables. Il les mit dans un petit sac et les donna à l'enquêteur.

- Voilà votre paiement. Partez maintenant, et oubliez moi, compris ?
- O-oui...

L'espion prit le sac et partit sans demander son reste. Le gentil Mr Broekheart avait maintenant une ombre terrifiante dans le regard et il préférait ne pas être là quand Mr Lester reviendrait de son travail !

Elliot regardait les photos. Encore et encore. La beauté du garçon inconnu. Les sourires et regards de William. Ces sourires qui n'auraient dû être QU'A LUI. Ce regard qui ne devait faire rougir QUE LUI.

Il ne se rendit compte qu'il criait qu'en entendant l'écho de ce cri. Un cri terrifiant, celui d'un monstre, à la fois trop aigu et trop puissant pour des oreilles sensibles. Sa tasse de thé qui traînait là se retrouva à s'écraser violemment contre le mur en milles morceaux de porcelaine. C'était un véritable chaos qui s'emparait d'Elliot, une sensation ignoble comme si de la lave en fusion coulait dans ses veines et brûlait son corps entier.

Ce n'est vraiment pas beau à voir une sirène jalouse....

Une journée de plus en moins. C’était ce que se disait William en arpentant mollement les rues qui devaient le ramener chez lui. La veille, il avait terminé sa mission au Love Hôtel, mission dont le souvenir s’estompait déjà peu à peu mais qui, comme les précédentes, l’avait « requinqué », en quelque sorte. Il avait rejoint le domicile comme à son habitude et s’était montré particulièrement de bonne humeur, même si tout restait relatif.
Ce fut dans le même état d’esprit qu’il rentrait désormais. Il ouvrit la porte de leur maison, lança une salutation, posa ses clefs et sa veste là où il avait l’habitude et se dirigea vers son amant qu’il trouva dans le salon. Arrivant par derrière lui, il se pencha en avant et déposa un baiser dans ses cheveux.

« Tu as passé une bonne journée ? »

Quelque chose clochait pourtant. Il aurait pu s’en rendre compte en rentrant dans la pièce mais était trop absorbé par sa propre routine pour prêter une grande attention aux débris d’une tasse par terre ou encore aux photos répandues sur la table basse qui le montraient au Love Hotel pendant sa mission. Il ne lui fallut guère de temps pour se rappeler cette personne qui paraissait les observer et que le blond avait visiblement trop rapidement écarté comme un simple mateur parmi d’autres.
C’était gênant.
William fit le tour du canapé en gardant son regard sur les photos. Tout en les regardant, le visage de celui qui les avait observés lui revenait en mémoire. Les traits étaient faciles à retenir. Il faudrait le retrouver plus tard, cela serait toujours un amusement de plus, un petit shot d’adrénaline qui se doublerait de la satisfaction de faire disparaître une personne dont les actions imbéciles avaient blessé l’ondin en lui révélant des choses qu’il n’avait pas besoin de savoir.

L’ange posa son regard sur Elliot en mettant une main dans la poche et en soupirant.

Il ne se départait pourtant toujours pas de son calme habituel, fixant son amant comme on fixerait une énigme à résoudre, une moue embêtée sur les lèvres. Dire que William ne voulait que passer une soirée tranquille en amoureux !

Elliot restait recroquevillé sur le canapé, les jambes repliées contre lui-même son torse. Ses yeux d'ordinaire d'un bleu limpide brillaient maintenant d'or, comme quand il avait sa forme d'ondin. Quelques écailles étaient même apparues sur son cou tant la colère bouillait en lui. Il se griffait les bras, près à assassiner quelqu'un.

William le fit sursauter en rentrant mais il ne bougea pas. D'ordinaire il serait aller à sa rencontre, aurait apprécier de le voir de bonne humeur et en aurait profiter pour réclamer quelques câlins et attentions. Mais là, il avait envie d'exploser et sa voix était presque cassée quand il répondit.

- Non.

Il suivit l'ange des yeux et le vit regarder les photos. Le jeune homme attendait une réaction, n'importe quoi. Il n'eut qu'un soupir ennuyé, comme si Elliot lui avait juste montré un bol cassé par erreur.... Toujours. Il était toujours désinvolte. N'importe qui aurait paniqué, donné des arguments pour démonté les preuves photographiques. Mais pas William. Ce n'était qu'un contre-temps. Et ça rendait Elliot encore plus amer.

- Tu ne te défend même pas.. J'imagine qu'on a plus rien à se dire alors ? Ça y'est tu t'es lassé de moi ?

Se dépliant douloureusement, Elliot se leva et prit une photo, un sourire fou aux lèvres. Jamais il n'avait été si amer, si frustré.

- Cependant je peux te comprendre. Il est beau garçon... Il est majeur au moins j'espère ? Parce que si tu commence à voir des mineurs, tu sera tombé bien bas...

Le regard de l'ondin se posa sur la tasse en morceau, qu'il avait balancé. La tasse que William lui avait offerte à Noël.... Ce souvenir, pourtant doux au départ, acheva de briser ses barrières. Rapide, il se retourna vers William et le gifla de toute ses forces, son regard brillant de colère.

- TU TE FOUS DE MOI ?! Je sais pas ce qu'il me retient de t'arracher les c***lles !!!

La tête de William partit sur le côté alors qu'il venait de recevoir la gifle de l'ondin. Il l'avait encaissée en silence, sans apparemment plus de réactions qu'il n'en avait montré auparavant. Il cilla néanmoins aux paroles de son amant et à ses accusations sans le moindre fondement. Lentement, il tourna la tête et fixa son regard sur Elliot. Subitement, une flamme brilla dans les yeux si longtemps inexpressifs de l'ange.
Et tout se passa très vite.
Le blond saisit l'ondin par les vêtements, le soulevant en poussant un cri de rage. Il se retourna dans le même mouvement et plaqua son amant contre le mur, la main gauche serrant les vêtements d'Elliot sous le col, le soulevant de dix centimètres au-dessus du sol, la main droite dans son cou et le serrant déjà jusqu'à l'étranglement. Ses yeux continuaient de briller d'une colère non maîtrisée. Nulle haine cependant dans ce regard de feu.

"Passe encore que tu oses me faire suivre..." siffla-t-il en rapprochant son visage de celui d'Elliot, l'observant en train de suffoquer. "... que tu me frappes..."

La main de fer du blond continuait de pendre en l'air le jeune homme. La veine de colère qui avait un instant barré son front s'était déjà envolé mais ses yeux ne se calmaient pas.

"Je pourrais même te pardonner tes écarts de langage..."

Face aux gestes de défense ou de réflexe d'Elliot, William desserra brièvement sa main droite pour le laisser prendre une trop brève bouffée d'air tout en resserrant plus fort sa main gauche.

"Mais que tu oses douter de moi... Je te l'interdis, TU M'ENTENDS ? TU M'ENTENDS ???"

William observa un instant son amant avant de le laisser retomber au sol tout en continuant de le maintenir contre le mur. Il ne l'étranglait plus mais le gardait cette fois-ci en exerçant une pression de son bras droit. Les flammes de ses yeux commencèrent à s'estomper, les hoquets d'Elliot n'y étant sans doute pas pour rien.

"Tu sais très bien que je ne suis qu'à toi..."

Toute pression cessa sur le jeune homme. Le blond s'était désormais reculé d'un petit pas, observant son amant. Cette libération s'accompagnait pourtant de ce qui prenait presque des airs de menace.

"...Tout comme tu n'es qu'à moi..."

Elliot savait très bien qu'il ne s'en sortirait pas sans mal. Que sa gifle ne passerait pas. Voilà 18 ans que leur amour avait tourné au drame, qu'il n'y avait plus rien de beau ou de pur, si ce n'est quelques instants aux allures de rêves.

L'ondin ne fut pas surpris de finir plaqué au mur. La main qui serrait ses vêtements à les déchiré, celle qui l'étranglait, lui étaient familières. Mais cette fois il ne pouvait plus laisser passer. Il ne pouvait plus juste subir. Il avait tout encaisser, mais à quoi bon s'il le perdait ?

Elliot tenta de s'échapper de cette poigne de fer. Il donnait des coups de pieds, agrippait son bras en espérant le faire lâcher, mais en vain. Il étouffait, l'air ne venant plus alimenter ses poumons. Sa vue se troublait, de teintait de noir. Alors ça y'est ? Ils allaient en finir ? C'était peut-être mieux....

Mais William le libéra.

- Tu sais très bien que je ne suis qu'à toi...

Le cœur au bord des lèvres, Elliot glissa au sol et se mit à tousser, longtemps, fort. Un peu de sang lui échappa, tâchant le sol et ses lèvres alors qu'une crise de panique le menaçait. Il réussit cependant à la contrôler et leva les yeux vers William.

- Tout comme tu n'es qu'à moi...

Une menace. Sous-entendue. Celle de mourir de sa main. Elliot ne demandait rien de mieux... De toute façon, sa vie il la lui devait et il ne pouvait en être autrement. Même si William partait en le laissant en vie, il tiendrait deux semaines, un mois peut-être, avant que la maladie ne le tue.

Mais Elliot n'en pouvait plus. Ces affirmations n'avaient plus de sens pour lui et les menaces ne fonctionnaient plus. Il était persuadé de n'avoir rien à perdre.

Ayant retrouvé un peu de force, l'ondin donna un coup de pied dans la jambe de son ange et lui lança un livre qui traînait là au visage. Il savait qu'il ne le toucherait probablement même pas, mais ses yeux brillaient de colère et de désespoir et son corps y réagissait avec fureur.

- Des menaces...encore...c'est si facile... kof kof.

L'ondin se redressa comme il put, s'appuyant au mur pour se remettre debout.

- Et je suis censé te croire sans rien dire ? Où es-tu toute ces heures que tu ne passe pas au Sanctuaire ? Qu'est-ce que tu faisais au Love Hotel avec ce minet ? Est-ce que tu m'aimes assez pour me donner des réponses ou est-ce que je n'ai pas assez d'importances pour que tu prennes de ton temps précieux à m'expliquer ?

Sa voix était cassée par l'étranglement mais il forçait dessus et cela renforçait l'amertume de son ton, l’agressivité dont il faisait preuve. Elliot avait besoin de savoir, quitte à y perdre la vie en provoquant l'ange devenu démon à ses yeux...

William fronça légèrement des sourcils, semblant ne pas comprendre les premières paroles de son conjoint. Des menaces ? Comment pouvait-il prendre cela pour des menaces ? L'ange ne faisait-il pas que réaffirmer simplement ce fait si évident, ce lien qui les unissait depuis si longtemps ? Car Elliot n'était pas le seul à songer parfois à la mort et le blond sentait déjà depuis de nombreuses années que la mort de son amant, inéluctable même s'il vieillissait beaucoup moins vite qu'un humain, scellerait aussi la sienne.
L'ange haussa les épaules. L'incompréhension entre eux n'était pas surprenante et William pouvait s'en prendre à lui-même car les secrets qu'il gardait ne faisaient que renforcer ces incompréhensions. Il n'en démordait toutefois pas : ces secrets ne concernaient pas l'ondin qui n'avait nul besoin, nulle nécessité de les connaître.

Le blond se retourna et se pencha sur la table basse pour attraper un petit mouchoir de la boîte qui s'y trouvait, avant de se rapprocher d'Elliot. Il leva la main peut-être un peu brusquement mais certainement pas dans l'intention de le gifler. Il clarifia néanmoins ses intentions.

« Calme-toi ! Je ne vais pas te frapper... »

Et de fait, avec les gestes doux dont il se montrait toujours capable, William essuya le bord des lèvres d'Elliot où perlait du sang.

« Tu me croyais très bien avant, pourtant... » commença-t-il sans interrompre ses gestes, avec une voix redevenue neutre, froide, mais froide de tristesse et de déception. « Donc... tu me crois capable de te tromper ? »

Avant même de finir sa question, William avait baissé sa main et plongé son regard dans les yeux d'Elliot, scrutateur.

En voyant William se baisser sur la table basse pour attraper quelque chose puis lever la main, Elliot eut le réflexe de se protéger de ses bras, craignant un nouveau coup aussi violent que rapide.

- Calme-toi ! Je ne vais pas te frapper...

Doucement, l'ondin accepta de baisser ses bras en observant son amant, restant tout de même sur ses gardes. Mais l'ange se contenta d'essuyer le sang de sa bouche, comme si de rien n'était. C'était justement cette attitude froide, ce désintérêt évident, qui rendait le jeune homme complètement fou. Après la colère, la tristesse l'emporta et la voix de l'ondin eut du mal à s'élever tant sa gorge était nouée.

- William... Tu ne comprend vraiment pas ? Tu n'a pas essayé un seul instant de réfléchir à ce que je ressentais, de te mettre à ma place n'est-ce pas ?

Elliot prit la main de son amant pour la poser sur sa joue, essayant de chercher une chaleur qu'il avait perdu depuis si longtemps. Mais les yeux de son bien-aimé restaient de glaces et lui faisaient toujours aussi mal...

- Tu es mon premier et unique amour. Mes sentiments n'ont jamais changé pour toi, pas un seul instant. Mais depuis que nous sommes ici... J'ai l'impression que le William que j'ai connu dans notre monde d'origine est mort. Tu ne souris plus. Tu ne ris plus. Et tes yeux, que j'avais pourtant tant envie de voir, ne reflètent que le vide. Tout t’indiffère, même moi.

Les larmes commençaient à envahir les yeux de la sirène et débordèrent sur ses joues. Elliot était épuisé... et ne savait même pas si continuer servait à quelque chose. William était mort à l'intérieur et il avait l'impression de parler à une statue de pierre.

- Tu dis m'aimer. Mais comment suis-je censé te croire quand tu disparais des heures entières, sans que je ne saches où tu es ? Quand j'apprend que tu va à un Love Hotel avec un autre homme et que tu refuses de me dire pourquoi ? Quand tes regards sur moi n'ont plus aucune flamme, quand tes caresses sont forcées et froides ?

Il relâcha sa main et recula comme il put, baissant les yeux. Il avait peur, peur car il l'aimait si fort, mais si William ne prenait pas conscience des choses, s'il ne se rendait pas compte de l'ampleur de la crise... Elliot n'était pas certain de s'en remettre.

Certes, les yeux de William se montraient froids très souvent. Pourtant, il avait suffi à Elliot d’indiquer que l’ange était devenu indifférent pour qu’immédiatement, une flamme s’alluma dans sa prunelle. Oui, le blond s’était distancié de tout, y compris de sa propre morale qui autrefois guidait sa vie ; cependant, la sirène incarnait bien le dernier lien qui pouvait le retenir à quelque chose de vaguement humain en lui.
Ce n’était pas l’amour romantique des adolescents innocents, c’était l’amour dur, dévorant et possessif de celui qui considérait son amant comme au-dessus de tout. D’accord, cette flamme envahissante, presque effrayante tant elle pouvait aussi expliquer la violence du blond envers Elliot disparaissait aussi rapidement qu’elle apparaissait, mais elle était bien là, au fond de William.

« Et toi, comment pourrais-tu comprendre ? »

Sa propre question recelait une tonalité plaintive. Après tout, Elliot n’avait que 34 ans. Trente-quatre. Pour l’ange, les choses étaient… plus compliquées. Des milliers d’années à arpenter cette terre de mirages, à adorer un dieu unique, à se torturer l’âme et le corps pour Lui ou à cause de Lui. Et tout cela pour… rien ? La vie n’avait rien de sacré, rien d’exceptionnel. Il n’y avait aucun dieu unique, donc aucun absolu auquel se référer. Aussi longue que fût la vie de William, elle ne représentait finalement rien, même pas une ridule sur la surface d’un étang perdu et nauséabond.
Chaque mort que le blond infligeait à des cibles choisies parfois presque au hasard sans que le ciel ne s’écroulât ou qu’un dieu colérique ne le frappât de son foudre n’était qu’une preuve de plus de l’inanité de… tout.

« Tu ne m’indiffères pas. Et je t’aime. »

Il s’était redressé. Ses mots étaient dits sans passion, mais évoquaient la fermeté d’un roc perdu sur une grève : frappé par les vagues même au plus fort d’une tempête, il restait là, inamovible, imperturbable, éternel.

« Et tu sais très bien que tu es le premier et que tu seras le dernier pour moi. Je ne supporte pas que l’on te touche, tu sais maintenant que c’est quelque chose que… je ne tolère pas. Crois bien que ce que je ne te permets pas ou que je ne permets pas aux autres, je ne me le permets pas non plus. »

Elliot cru rêver, il eut peur d'avoir rêver. Mais... Une flamme avait illuminé les yeux de William. Ca n'avait durer que quelques secondes, le temps d'un souffle. Mais l'ondin était certain de l'avoir vu, espérait ne pas l'avoir imaginé, et cette toute petite flamme lui donna assez d'espoir pour continuer à se battre. Parce qu'il ne supportera pas longtemps d'être face à un mur.

Il comprenait ce que William disait, en sous-entendu. Il savait qu'il avait face à lui un ange, un ange vieux de plusieurs millénaires, qui avait connu plusieurs guerres, avait tuer, s'était repenti, pour retomber. Il avait perdu sa foi, perdu ses ailes blanches magnifiques. Elliot le savait, mais ça n'excusait malheureusement pas tout à ses yeux...

Lentement, l'ondin se releva, les jambes encore un peu tremblante. Son cou lui faisait mal, là où William l'avait serré, mais il tenait bon. L'ondin préféra quand même rester contre le mur, pour s'y soutenir.

Les mots d'amour de l'ange, aussi durs étaient-ils, firent quand même plaisir à l'ondin qui sentit sa tristesse reculer un peu. Il tendit le bras pour prendre sa main et le forcer à revenir contre lui, cherchant son contact.

- Je le sais. Je le sais pourtant... Et crois-moi, je m'en veux de douter ainsi. Tu as raison, je ne peux pas comprendre ce que l'on ressent quand on a perdu la foi, après des millénaires à croire quelque chose aussi fort que toi.

L'ondin caressait la main de son ange, comme pour le rassurer.

- Mais il y a tant de choses auxquels tu peux croire ici... Il y a d'autre dieux, plus physiques. Si tu as besoin d'avoir la Foi, je veux t'aider à la retrouver. Tu peux croire à ces dieux, ils ne sont pas très différents de celui que tu appelais "Père". Tu peux croire aux forces de la nature, au Soleil, au Vent, à la Terre, à l'Eau.

L'ondin tenta un sourire, léger, doux, alors que ses yeux brillaient toujours d'humidité. Il avait tant pleuré que des écailles étaient apparues sur ses joues, les faisant briller d'argent. Il prit les deux mains de son bien-aimé pour les serrer contre son cœur.

- Tu peux croire en Nous. Je ne te demande pas de devenir un prince de conte de fée, ce ne serait pas toi. Je ne veux juste plus que tu me mente. Tu avais certainement une très bonne raison d'être avec ce garçon, dans ce Love Hôtel. Mais je veux savoir. Je préfère que tu me dises franchement "j'ai fauté" plutôt que tu restes silencieux. Je te pardonnerais toujours...mais tes silences vont finir par me rendre fou.

Le blond eut un petit rictus moqueur. Il n’avait jamais vraiment considéré Elliot de haut durant leurs années ensemble, même si sur bien des plans ils n’étaient tous les deux pas du même monde. Habitué à sa vie terrestre et encore pétri de ses anciennes certitudes, William n’avait aucune raison d’imposer à l’ondin ses millénaires d’expérience et de souvenirs. Dans ce nouveau monde qui était leur maison depuis près de deux décennies en revanche, il n’en allait pas de même. Et pour la première fois, l’ange ne parvint pas à réprimer ce qui était de la condescendance.
Choisir un nouveau dieu pour remplacer l’ancien ? À quoi bon ? Le blond s’était trop renfermé dans son monothéisme pour encore mettre sa confiance dans n’importe quel soi-disant « dieu ». Les esprits des eaux, de l’air, des forces de la nature… tout cela était bon pour les faibles d’esprit, ceux qui avaient besoin de se raccrocher à quelque chose, fût-il complètement illusoire.

William aussi avait besoin de se raccrocher à quelque chose, mais il avait trop besoin d’absolu pour accepter ces pis-allers à la saveur de tétines qu’on tendait aux chiards en pleurs.

« …Il n’existe aucun dieu… » laissa-t-il tomber en se retournant et en s’éloignant de l’ondin, brisant le contact physique que ce dernier avait tenté de rétablir, pour regarder par la fenêtre, à nouveau songeur.

Voilà quelle était désormais la certitude du blond. Il n’y aurait rien dans ce monde, dans cet univers, qui pourrait calmer sa déception d’avoir été joué pendant si longtemps, sa rage de ne trouver aucun sens à la marche du monde, sa fureur de n’être rien, de ne pas même être puni par un quelconque deus ex machina.
Pour autant, l’ange restait sensible aux mots de son amant. Il avait rompu le contact entre eux mais son silence et ses soupirs témoignaient d’une réflexion profonde. Il regardait par la fenêtre de leur maison et observa un passant quelconque dans la rue. Une autre vie qui ne représentait rien, comme la sienne.

Mains dans les poches, il tourna la tête vers Elliot et l’observa quelques secondes avant de finalement dire :

« Je suis allé là-bas, oui. Avec ce garçon. Il avait besoin de mon aide pour faire quelque chose. Je l’ai accompagné, nous sommes entrés, mais nous sommes vite repartis. Je n’ai pas fauté. Cesse de le sous-entendre ou de me demander de le dire. »

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