Duvetoilé pour faire dormir les louveteaux

Utiliser un heurtoir qui vous raconte ses déboires c'est une chose. Que ce même heurtoir de porte débite autant de paroles à la minute qu'un dieu de ma connaissance s'en est une autre. Mais si en plus vous croisez plus d'objets vivants sur le vaisseau que de matelots dignes de ce nom... Il est probable qu'un loup développe une peur de l'avion et qu'une bibliothécaire se retient de prendre ses jambes à son cou.
Un peu de tenue, j'ai une réputation à tenir et la bibliothèque ne survivra pas éternellement à mon absence.

-Bonjour, je cherche Corben. Pour lui acheter un duvet magique.

Vais-je réussir à convaincre Carine de dormir dans une couverture qui se ferme avec une fermeture ? Autre débat...

<<...Et puis en plus, vous savez quand on vit continuellement à plus de 500m dans le ciel, on est constamment assailli par l'humidité. Et dans ces cas là, on rouille. Vous imaginez ça ? Vous venez un jour utiliser un heurtoir et crac, l'anneau vous reste dans la main. Ou bien la griffe, notez hein, je ne suis pas omniphobe. J'avoue que je préfère tout de même des mains comme les votre à des membre préhensiles gluants. Oh, en parlant de gluant, ca me rappelle ce jour où une mouette est venue se poser sur- Oh, le Techomage passe non loin, je vous annonce. Hem-hem. DAME -vous vous nommez ? Ah, bien, merci - DAME EVA CARINE, QUI ATTEND MAINTENANT DEPUIS 5 BONNES MINUTES. Voila, bonne journée à vous. Et vous devriez vous tailler quelque peu les ongles, ils raclent sur le>>

J'ouvrai la porte, éloignant la... Ce qui équivaut à la bouche de Murray de ma future cliente.

- Eva ! Quel plaisir de te voir ! Entre donc. Normalement, Murray annonce les clients directement, mais il semble qu'il ait voulu vider un peu son sac, hein Murray...

Je finissais ma phrase en serrant les dents en tournant mon regard vers le heurtoir qui faisait de son mieux pour siffler avec un anneau de fer entre les dents. Tout en laissant ma cliente passer s'installer dans le salon où brûlait des buches infinies dans la cheminée, je claquais des doigts et ma théière se mit à siffler discrètement.

-Bonjour Corben.

En marchant vers le salon je lui chuchotais mes remerciements pour m'avoir sauvé de "vie et mort d'un heurtoir" qui m'avait semblé être un film mauvais dès sa production. Alors, y assister en avant première n'était pas dans mes objectifs du jour.

-Je ne vais pas te déranger longtemps, je souhaitais acheter l'un de tes duvets, pour cette histoire de conte au Pic d'Arcturus.

Puis, me ravisant :

-Mais...

J'hésitais.

-Aurais-tu quelque chose qui puisse bloquer une métamorphose ?

Dompter le loup n'avait pas été facile et plus le temps passait et plus je craignais de ne pouvoir y arriver à nouveau. La peur de lâcher un fauve en pleine bibliothèque était plus grande que jamais. Mais la vérité me sauta aux yeux, je pensais à dire adieu au passé et à poser, enfin, mes dernières valises dans l'Entre-Monde. Si j'espérais vivre une vie normale, elle ne pourrait jamais l'être avec Carine continuellement au bord de la libération.

J'avais déjà commencé à aller chercher l'un des duvets empilés dans le placard du fond quand Eva me demanda une requête beaucoup plus personnelle, vu le ton employé.
Connaissant la nature de la demoiselle, je me doutais qu'elle ne me demandait pas une nouvelle crème anti-rides.

– Hum... Je ne pense pas avoir un objet tout prêt à te donner. Je n'ai jamais travaillé sur une telle demande. Si tu veux on peux voir ensemble ce que tu cherches exactement et je pourrais essayer de te bricoler quelque chose. Je t'avoue que la métamorphose commence à toucher au domaine du vivant, et les Dieux ont limité la Technomagie. C'est bien typique d'eux : Créer tout en limitant. Genre «  on vous donne l'électricité, mais ca sera juste du 60V ».

Je toussotais, stoppant mes jérémiades. Éva n'avait pas besoin qu'on lui rabâche un cours sur les Dieux et leur étrange façon de veiller sur nous.

– Bref. Sinon, je peux commencer des recherches et voir ce qu'il a dans mes grimoires sur le sujet avant de te proposer des solutions. Si tu es pressée, autant que je vois maintenant les points avec toi. Sinon, je te tiendrais régulièrement au courant de mes trouvailles.

-C'est compliqué...

Je venais chercher de l'aide et non lui fermer la porte au nez. Je me repris d'un soupir, d'un sourire et d'un regard vers le salon. Il en avait fait du chemin ce canonnier devenu technomage.

-Je suis un loup-garou. A la différence des originaux, le loup peut s'échapper en permanence. La lune ou le soleil, il n'en a cure. J'ai besoin de quelque chose qui me permettrait de garder la maitrise.

C'est vrai que je le maitrise assez bien. En ville, Carine a juste assez de bon sens pour me laisser faire à sa place. Il se doute que je suis plus adaptée à ce monde. Bien sûr, il serait prêt à tout pour s'échapper, tuer jusqu'à plus soif et retourner à une vie sauvage qu'il considère comme juste et normale. Cette bonne volonté, à peine améliorée depuis l'aide d'Augure, n'est pas éternelle. Je pouvais le sentir comme un genou qui grince avant un orage.

-Jusqu'à aujourd'hui j'ai été capable de le tenir en laisse. Mais il y a eu une époque où ce n'était pas le cas. Je veux prévenir un retour de bâton. Même si l'objet n'est pas parfaitement efficace, si au moins il peut m'aider à gagner en marge de dominance, ce serait toujours ça de pris.

Ma vie de solitaire l'était un peu moins ces derniers mois, une situation nouvelle qui ne venait pas sans risque. Je n'avais jamais perçu une telle agitation, une telle fureur chez loup. Sauf... Sauf avant, avant l'Entre-Monde. Alors que nos rôles étaient inversés. Ils marchaient dans la neige rabrouant une vague pensée humaine parasitant ses instincts.

- Ah-hun...

Seule réponse naturelle face à un tel problème.

Alors, je tenais à clarifier quelque chose, c'était le ''ah-hun'' type «Oulalala, mais c'est diablement compliqué» plutôt que le ''ah-hun'' type «Cause toujours, ranafout'».
Comme ça, le colocataire avait un caractère un peu trop trempé dans l'acide sulfurique... Ça allait être galère à bricoler quelque chose qui marcherait comme un garde-fou, voir comme une laisse.

- Je sais qu'il existe un enchantement pour faire fuir les prédateurs, mais ça nécessite un plus gros prédateur. Je ne suis pas sur que ton loup en a beaucoup. Et s'il en a, il va falloir monter une expédition...

Je me frottais le menton, poursuivant mes réflexions. Le but n'était pas d'envoyer un groupe de personnes en danger pour seul but de ramener

- En seconde solution, je peux tenter de te faire un enchantement de bouclier, mais ce genre de magie ne dure pas dans le temps. Je peux essayer d'utiliser des matériaux faciles à trouver pour te permettre une recharge, mais il faut qu'il aient une action répulsive sur les lycans : Argent, Belladone, églises, lotion épilatoires ou tout ce genre de trucs.

J'écartais les mains dans un air désolé.

- Je sais que ca peut sembler faiblard, mais dans ce que je connais des grimoires, ce sont les seules solutions immédiates que je peux te trouver.

Il essayait et c'était honorable de sa part. Pourtant, à y réfléchir, je n'étais pas convaincu par les solutions proposées.

-Je ne suis pas vraiment une louve-garou au sens conventionnel... L'argent, la belladone... Ces choses là n'ont aucun effet sur moi, ni sur mon loup.

Je regardais mes mains, ne sachant pas comment expliquer au technomage comment j'en étais arrivée là sans en dire trop sur mes origines.

-Je ne crois pas qu'un bouclier suffira. Peut-être que nous réfléchissons dans le mauvais sens tous les deux. Carine ne prend forme réelle que lorsque les événements l'y obligent. Il déploie des trésors de forces pour y arriver si je lui refuse la sortie. Donc, si nous ne pouvons empêcher le loup de se transformer, nous pourrions peut-être trouver un enchantement qui l'apaiserait. Qu'en dis-tu ?

Forcément, si le loup était particulier, ça risquait de nécessiter un peu plus qu'un recette de vieille grand-mère.
Son loup ne prenait le dessus que quand les circonstances s'avéraient nécessaire... Avait-elle eu besoin d'être en grave danger pour le découvrir ?

L'histoire d'Eva me sembla d'un bien plus sombre que ce que pouvaient s'imaginer les ragots de bas étage. Cette petite demoiselle avait du vraiment en baver. Et elle était devenue Bibliothécaire de la moins calme des temples des savoirs.
Les 8 avaient une dent contre elle ou bien ?

- Je peux tenter un enchantement d'ivresse – c'est souvent utilisé pour rendre groggy les cibles d'une arme de jet, ou autre. Mais j'ai peur que ce soit tout ton corps et non seulement le loup qui soit ciblé. Peut-être couplé à une affinité animale, ça pourrait marcher. Je ne te promets rien, mais ce peut être un début de -

Un long silence se posa après ma proposition. Je fis les cents pas, comptant sur mes doigts ou marmonnant pour moi même des séries de calculs et de noms complexes.
Je m'arrêtais un instant, les doigts joints en prière, mes pouces posés sur mes lèvres, regardant Eva de biais.

- J'ai une autre proposition. Une qui pourrait résoudre ton problème, probablement une bonne fois pour toutes. Il faut toutefois avant tout que tu saches que ça va nécessiter beaucoup de couches d'enchantements. Je pense que tu comprends que ton cas est particulier. Il s'agit incapaciter une partie de toi. Il faut à la fois la cibler elle et seulement elle, trouver un moyen de la maintenir hors de portée de ton autre toi, de faire durer l'enchantement dans le temps et surtout qu'il tienne. Les enchantements en cascade sont comme des multiprises. A trop brancher dessus, ça finit par claquer. Et j'ai peur d'une répercussion.

Mon ton jovial était remplacé par un air légèrement inquiet. Ce que je m’apprêtais à lui proposer serait à la fois ma plus grande création et mon plus gros challenge. Et de loin.

J'étais pensive. Corben s'emballait sur son histoire d'enchantement superposés et moi j'en étais à me demander si ce n'était pas une très mauvaise idée. Vouloir protéger ma nouvelle vie était un but louable, mais de là à risquer d'être changer en grenouille à douze pattes...

-Corben, je ne sais pas. Je suis pas certaine que passer d'un arcturien à un autre soit un échange avantageux. Ivre ou sous le coup d'enchantements instables, j'en reviens à un problème simple : je serais incapable de rattraper le coup si ça ne marche pas. Tu n'imagines pas les dégâts que causeraient Carine en cas de libération non-contrôlée.

Augure savait de quoi il était capable. Je le savais également et plus j'y pensais, plus ça me faisait froid dans le dos. La haine du loup n'a jamais été aussi grande que depuis ces derniers mois où il n'était plus le maitre à bord.
Ce serait terrible si sa première cible était le seul homme à avoir passé la barrière de ma meute virtuelle.

-Non. Vraiment, je ne me sens pas capable de prendre de tels risques.

- Je comprends, ne t'inquiètes pas. A vrai dire je suis presque heureux que tu refuses. Cette idée était vraiment très, TRÈS bancale. Géniale, mais bancale. Et j'aurais pu être responsable de la disparition de notre bibliothécaire préféré.

Je levais les bras en l'air, un peu à court de propositions.

- Sinon il reste la solution un peu plus aléatoire : Recréer des souvenirs heureux forts ou des situations stressantes suffisantes par flash ou visions brèves pour créer un effet Post-traumatique ou de béatitude suffisante pour calmer l'animal. Le soucis que je vois avec cette solution c'est qu'en cas de danger, si le loup ne sort pas, tu seras en danger.

Mes pouvoirs n'étaient pas infinis, quoique mes brochures publicitaires disaient. Les Dieux n'aimaient pas qu'on touche à leur prérogatives.