Le choix d'une monture

Entre-Monde est si vaste qu'une monture est nécessaire pour s'y déplacer.
Je n'aime pas la magie, les perçants me font peur, chaque fois que Azurée m'a fait voyager avec j'ai eu peur de rester coincée entre les deux mondes...

L'errant m'avait donné rendez-vous à l'épicerie. Je devais par-achevé mon équipement et pour lui faire plaisir j'étais venue. Mais la vérité était que je me sentais bien équipée.
Il ne me manquait qu'une monture.

J'entrais décidée, prête à endurer ses commentaires à faire un choix quant à l'animal qui m'accompagnera à partir d'aujourd'hui.

Elle sait se faire attendre ! La journée entière j'ai été visité par toute une ribambelle de clients, des plus agréables aux plus patibulaires. J'attendais patiemment sa venue, toute la matinée, je dressais l'oreille au son de la porte qui s'ouvre. Syel ne m'avait pas donné l'impression d'être une lève-tard.

Au fur et à mesure des allés et venues des clients, je perdais de ma jovialité. Lorsque Syel passa enfin le pas de la porte, je balançais dans les bras d'un client, trop exigent et pas assez sûr de ce qu'il voulait, un lot de montres de toutes les couleurs possibles. Il me regarda m'en aller souhaiter la bienvenue à la nouvelle cliente sans réussir à me retenir.

-Ma sœur, c'est toujours un plaisir de te voir.

Je l'invitais à me suivre vers le comptoir. Elle voulait sûrement des bottes de voyages, ou bien cette montre qui aide à se repérer... J'aurais dû lui préparer un set de choses utiles.

Je suivais Azurée. Toujours aussi jovial avec ses frères et soeurs. Une fois, je me suis demandée s'il n'était pas schyzophrène. Il est aussi amer avec tous les profanes qu'il peut être courtois avec les membres de notre peuple...

-Plaisir partagé, mon frère.

Alors... Comment vais-je amener dans la conversation ma demande ?
Je ne vais pas tourner autour du pot cent ans.

-Azurée, montre-moi les Daken.

Plus déterminée que moi en cet instant ça n'existe pas. Il allait devoir se faire à l'idée que je voulais un dragon dangereux et dominateur.

Un daken ? Ciel ! C’est le cas de le dire, elle a une araignée au plafond de la taille de la citadelle !
Je suis perplexe. Sans savoir quoi lui répondre sinon un balbutiement de oui et de non mélangés. Impossible de ne pas lui montrer ma désapprobation. Ce plan est dangereux et voué à l’echec, elle doit bien s’en rendre compte.

-D’ordinaire, je serais la premier à te féliciter pour ce côté aventureux, mais un daken… Ils sont territoriaux, dominateurs, agressifs…

Intelligent, puissant, rapide, protecteur…

-Tu es une femme Syel, il se pourrait qu’il ne t’accepte pas. Allons ! Je ne vais pas te laisser acquérir la seule bête capable de te dévorer en une bouchée pour le plaisir.

Têtu, je me figeais devant la porte menant aux écuries et la main sur la poignée je me refusais à l’ouvrir.

-Ma sœur, penses-y sérieusement. Ils peuvent peut-être se permettre la folie d’essayer de dompter un dragon aussi difficile, mais toi… C’est dangereux, trop dangereux même !

Si je le répétais encore une fois, ce n’aurait pas le même impact, au moins je lui présentais sincèrement mes inquiétudes. Elle y pensera peut-être lorsqu’elle me brisera les jambes et passera cette porte de force.

Je pouvais briser cette brindille d'errant, je le savais et il le savait. Je trouvais très courageux de sa part de se mettre entre moi et mon choix. Je le trouvais très protecteur aussi. Au lieu de lui briser les os du bras, je posais une main amicale dessus et lui offrait une expression bienveillante.

-Azurée, je sais que tu ne penses qu'à mon bien, mais j'ai choisi ce dragon parce qu'il est dangereux et loyal.

Je ne reprocherai à personne de me rappeler que je suis une femme. C'est vrai, j'en suis une, je n'ai aucun problème avec cette notion. Je suis une soeur de la Silnà, je suis une donjion... Je suis en réalité beaucoup de choses pour beaucoup d'autres.

-Je sais ce que je fais, maintenant laisse-moi passer.

Je lui étais reconnaissante de se soucier de moi. Bien que je lui écraserai ce qui fait un homme s'il insiste encore...

A contrecœur j’ouvris la porte. Je passais devant elle et lui ouvrait le chemin jusqu’à l’enclos éloigné du daken.
Je refusais de lui parler. Je commencerais par bouder toute forme de discussion. Si cela ne la convainc pas de changer d’idée pour prendre une monture moins dangereuse et moins exotique, je trouverai un autre moyen de lui montrer ma désapprobation.

Il n’y avait qu’un seul dragon par enclos. Ces mêmes enclos étaient assez hauts et assez grands pour qu’ils puissent déployer leurs ailes. La promenade étant faite par une équipe de spécialistes, jusque-là les conditions de vie de ces créatures m’étaient totalement indifférentes.

Silence. Si elle voulait une présentation de ces bêtes sanguinaires, il y avait un livret disponible proche de la porte de ravitaillement.
Je croisais les bras sur ma poitrine et je regardais fixement, têtu, le mur d’en face.

Je ne l’aiderai pas à faire son choix. Et puis quoi encore !

Autant résonner un âne ! J'avais trop de respect pour lui apprendre à me traiter comme une enfant. C'est lui qui se comporte comme un gamin avec ce visage buté. Mais quel imbécile !

-Mon frère, je veux voir celui-là de plus près. Fais-le sortir.

Les différents spécimens étaient tous beaux et tous différents, des détails, une manière de se comporter différait chez chacun d'eux. Un point commun, leur regard intelligent. Ils savaient que l'un d'eux serait choisi pour quitter l'Epicerie et se trouver un compagnon de voyage.

J'en avais choisi un robuste, le coup de griffe facile qu'il donnait sans état d'âme à son dîner encore dans la poussière. On dirait qu'il boude sa nourriture...

Je lançais un regard courroucé à Azurée, je lui conseille de s'exécuter ou j'ouvre cet enclos moi-même !
Il va continuer de rester silencieux encore longtemps ? Si je n'étais pas à ce point en colère j'aurais essayé de lui expliquer en détails pourquoi je faisais le choix d'un dragon au lieu d'un griffon comme il les apprécie tant.
Mais je suis en colère et ce que femme veut femme obtient. Qu'il le veuille ou non, j'aurais un daken, il peut donc se soumettre et tolérer ou se rebeller et risquer ma rancune.
Je suis généreuse, je lui laisse le choix...

Ce n’est pas parce que tu m’appelles comme un frère que je trouve le ton agréable… Même si je suis totalement hors de moi, je ne peux m’empêcher d’adorer ce côté de sa personnalité. Autoritaire, déterminée. Quelle idée de donner des armes à ce genre de femme.
C’est sexy, c’est vrai, c’est dangereux aussi. Pour tous les hommes normalement constitués et non entrainés comme les donjions !

Toutes ces excuses en tête j’ai été dévérouiller les portes de l’enclos. Ensuite, j’ai demandé poliment à monsieur le Daken irrascible s’il voulait bien sortir pour faire connaissance avec la jeune femme.

En parlant de son côté sexy, cette sœur s’était retrouvée en tête-à-tête avec un magicien réputé au speed dating. Elle pouvait bien me reprocher de m’être éloigné avec une rouquine qui a eu le charme pour me faire tourner la tête. Elle-même s’était laissée distraire.

Je remarquais un ballon accroché à l’un des barreaux de la cage. J’allais le décrocher pour y remarquer la présence d’une drôle de créature dedans. Encore une invention perdue de l’Entre-Monde destinée à polluer Ciel.
Je m’éclipsais quelques secondes pour renvoyer ce ballon là où il voulait être, loin dans les cieux.

Le daken se donna un genre. Il quitta l'enclos la tête haute et à peine un regard pour Azurée et moi. La bête était fière et comptait bien le montrer. Je suis aussi un daken à mes heures perdues, c'est pourquoi je lui ai tendu une main, paume vers le ciel.

-J'ai besoin de toi pour survivre. En échange, tu seras libre.

Il me toisa d'en haut, abaissa la tête comme il ne me voyait pas plier le coude. Il ignora ma main plusieurs minutes. Je savais qu'il me regardait puisque son iris gauche était toujours adaptée pour me voir. J'ai simplement attendu qu'il daigne toucher ma main du bout de sa gueule.

-Marché conclu.

J'envoyais mon badge de la banque à Azurée.

-Tu vois, je ne me suis pas faite manger.

Au dragon, je lui désignais la grande porte pour sortir.

-A plus tard l'ami.

Il s'en alla dignement et déploya ses ailes dans la nuit.