(mission urgente) Chasse dans le froid

Il semblait qu'au plus la Nuit perdurait, au plus il faisait froid. Malgré les mois d'été, les gros manteaux, les écharpes et les bonnets étaient ressortis. Siothrún n'échappait pas à la règle, et s'il arrivait à bien supporter le froid, la douce chaleur du soleil lui manquait. Jusqu'à présent, il arrivait à compenser ce manque en aidant là où il le pouvait, en profitant du sourire de quelques personnes, et des chaleureuses intentions d'entraide. Mais il se disait, de-ci de-là, que le danger de l'obscurité s'accroissait au dehors. Le froid du Nord venait, et avec lui, des réfugiés transis, affamés, épuisés, et souvent blessés. S'il les avait aidés à leur arrivée à la capitale, il se lamentait de leurs inquiétudes pour ceux qui marchaient derrière eux. Un appel aux courageux prêts à risquer leur vie pour éloigner les bêtes sauvages - ainsi, sécuriser les routes - avait été lancé, mais le demi-dieu n'était ni courageux, ni doué pour les armes.

Aussi, s'il se dirigeait actuellement vers l'antre de son amie Eva, muni d'un café chaud, c'était pour rendre le livre qu'il avait emprunté, et par inquiétude pour la gérante. La dernière fois qu'il était venu, elle avait une mine si épuisée et sombre, qu'il était normal qu'il veuille au moins prendre de ses nouvelles. En entrant dans les lieux, le froid grignotant sa peau fut vite chassé, remplacé par la douce caresse d'une salle chauffée. Il enleva ses gants si usés qu'on pouvait les appeler mitaines, puis s'approcha du comptoir d'Eva.

Il n'était pas seul, d'autres personnes se trouvaient là, et la bibliothécaire parlait avec un des deux groupes. Siothrún attendit donc derrière un jeune couple qui discutait, tenant toujours le café chaud destiné à son amie. En s'approchant, il adressa un poli « Bonjour » et ne prêta pas attention à la discussion. Ses yeux, cependant, remarquèrent par hasard - mais avec curiosité - la fiche de mission remplie de deux noms, et de quelle mission il s'agissait. Ils s'agrandirent un peu, lorsqu'il comprit qu'ils allaient sortir de la ville pour chasser les animaux sauvages attaquant les réfugiés.

Sans qu'il ne put l'empêcher, faisant preuve d'un peu d'indiscrétion, il les questionna :
« Vous partez pour le Nord, pour chasser les animaux attaquant les réfugiés ? »
Il y avait une certaine admiration dans ses yeux, quand il les regarda.

Spoiler:

La jeune femme, qui s'était tournée vers lui, avait le visage dur d'une combattante aguerrie. Elle avait ce genre de beauté frappante et forte, quelque chose qui saisissait et inspirait le respect. Son regard n'était pas méchant, mais il n'était pas doux, il était calme et attentif, scrutateur. Oui - une femme qui savait indéniablement se battre, qui connaissait le danger et qui n'avait pas peur de l'affronter, si la raison se montrait suffisante. À la voir le juger ainsi, elle prenait la mission vers le Nord avec un sérieux à toute épreuve. C'était une bonne chose, qu'elle y aille. Une personne si déterminée ne pouvait être que bénéfique - et ces personnes, dehors, avaient tellement besoin d'aide, comme il avait pu le constater.

Pourtant, la proposition et la question de la jeune femme fit écarquiller les yeux de Siothrún. Lui, partir vers les terres sauvages, en dehors d'Entre-Monde et dans le noir complet, infesté de bêtes sauvages ? L'idée était terrifiante pour le peureux qu'il était. Il n'était certainement pas combattant - quant à l'aide, il faisait déjà son possible ici. Seulement voilà, si ce jeune couple projetait de réaliser cette mission, la raison en était à l'insuffisance des efforts au sein même de la ville. Tout de même : lui, partir ? Malgré son envie tenace d'aider ses prochains, il doutait d'être d'une quelconque utilité, au contraire, il serait certainement gênant. Il ne suffisait pas d'avoir envie, il fallait être également capable de le faire.

Or, il en était incapable, c'était évident pour lui. Sûr de ce fait - ou plutôt jamais sûr de lui - il baissa un regard honteux, empli de chagrin pour ses personnes qui avaient plus que besoin d'aide.

« Non, je... J'aimerais plus que tout aider ces malheureuses personnes, mais... Je ne ferrais qu'être un fardeau encombrant, » expliqua-t-il, défaitiste.

En effet, le blond n'avait aucune idée de comment réagir face à des bêtes sauvages affamées. Et ses yeux, alors ? En portant son regard dans l'obscurité, ses yeux n'en devenaient pas nyctalopes, il ne voyait pas clairement. Toutefois, il avait remarqué qu'il était capable de distinguer certaines choses, à percevoir une vague forme, à simplement comprendre ce que ses yeux ne percevaient pas bien. Quand bien même, en pleine action, projeter son regard ailleurs, et perdre contact avec la réalité autour de lui, n'était pas une idée judicieuse.

Les yeux baissés, Siothrún les fit glisser jusqu'à Eva, qui se chargeait de l'autre groupe. Il eut alors la pensé que, même s'il souhaitait - décidait - d'y aller, la bibliothécaire n'accepterait peut-être pas. Elle le connaissait, l'appréciait - du moins il lui semblait - et ne voudrait certainement pas l'envoyer au devant du danger. À cette pensée, s'interposa celle de toutes ces personnes ayant fait difficilement face au froid et aux ténèbres, ayant affronté la faim et le danger, ayant traversé la peur. Cette image le hantait, quoi qu'il en dise.

Spoiler:

L'intervention de l'homme surprit Siothrún - il semblait bien plus ouvert que sa compagne, et bien plus enclin à être amical envers lui. Évidemment, le demi-dieu savait parfaitement apporter couvertures, boissons et soutien aux réfugiés : il le faisait déjà régulièrement dans la ville. Aussi opina-t-il à la question, conscient que s'il venait, sa tâche serait la même. Ce seront les conditions qui changeront : pas de vives lumières provenant des lampadaires, pas d'effervescence bruyante mais un silence de discrétion, et quelques vilaines bêtes qui ne joueront pas les infirmiers. Mais apparemment, ce dernier point serait l'affaire de la femme - Syel, comme il l'a nommée. Avec un certain étonnement, et une admiration dans la moindre mesure, Siothrún détailla un peu plus cette jeune femme. Elle semblait forte. Pourrait-il compter sur elle ?

La réponse à cette question lui faisait peur, d'autant plus qu'il n'en connaissait pas la réponse. Lorsqu'Eva vint vers eux, le visage fermé (mais il percevait son inquiétude derrière cette intransigeance), elle lui imposa presque sa réponse. Ceci émut le jeune artiste plus qu'il ne l'imaginait. Il s'était attaché à Eva, et il découvrait que la réciproque était tout aussi vrai. Bien entendu, il n'était pas aveugle au point de croire qu'elle ne l'aimait pas un peu, cependant elle le montrait avec autant de hargne pour la première fois. Une légère rougeur atteignit ses joues, stupidement heureux de cette attention.

Silencieux jusqu'ici, Siothrún baissa les yeux vers ses mains, où s'y trouvait la tasse de café chaud qu'il avait pris pour la bibliothécaire. D'une oreille attentive, il perçut les mots de Syel. Elle avait parfaitement raison, il le savait plus que quiconque, en voyant tous ces réfugiés arriver dans un état lamentable. Tous ces visages malheureux et épuisés lui revinrent en tête. Bien sûr, l'idée de sortir de la ville le faisait trépigner d'excitation (il rêvait de voyager) comme elle le rendait immobile de frayeur. Que devait-il faire ? Qu'avait-il envie de faire ? Il se concentra sur les volutes de fumée chaude s'échappant du gobelet qu'il tenait, se remémorant le visage fatigué d'Eva qui l'avait poussé à acheter ce maigre présent.

« Je - J'ai pris ceci, pour vous, Eva, » expliqua-t-il maladroitement en déposant le café chaud sur le comptoir, face à son amie.
Aider était indéniablement dans la nature de Siothrún. Il l'avait toujours fait dans une moindre mesure, mais avec cette guerre, il passait le plus clair de son temps à apporter son soutien à des inconnus. Le résultat était là : il aimait cela, il aimait aider pour ensuite voir un sourire, et il ne voulait pas s'arrêter.

« J'ai vu... les réfugiés qui arrivent du nord, à moitié morts de froid et d'inanition. J'ai entendu leurs récits, leurs inquiétudes pour ceux qui n'ont toujours pas atteint la ville. Je... J'aimerais beaucoup les aider, et... » argumenta-t-il pour Eva, d'une petite voix.
Il baissa à nouveau les yeux, conscient d'aller à l'encontre de ce que souhaitait vraiment Eva. Il lui faisait certainement de la peine, et cette idée le rendait triste. Ces personnes, à l'extérieur de la ville, étaient-elles une bonne raison pour que Siothrún inquiète son amie ? Oui. Mais comme il tenait à elle, ce ne serait pas dit qu'il n'essayerait pas de la rassurer - un peu.

« Je veux... y aller. Concernant les dangers qui existent... Je suis sûr de pouvoir faire confiance à ce jeune couple. Mais vous les connaissez certainement mieux que moi. Le puis-je ? » demanda-t-il à Eva, coulant un regard vers Syel et Azurée - et le papier de mission.

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