Je pense pouvoir être d'une quelconque utilité ...

Cela faisait déjà un moment que Selin n'était pas venue du côté du Cerclon. Au moins 3 ans. Seulement dernièrement elle avait eu vent d'une mission d'importance; bon le fait qu'elle soit d'importance n'était pas la raison principale de sa venue, il s'agissait surtout du conséquent salaire à la clef de cet exercice.
Exercice qui d'ailleurs, lui conviendrait parfaitement ! Se repérer dans la nuit pour apporter un colis, d'un point A à un point B. Rien de plus simple ! Bon, quelques bestioles par ci par là, mais sans doute rien d'increvable. Et puis, il ne devrait pas être si difficile de trouver quelqu'un qui serait susceptible de faire l'épée dans cette histoire.

Forte de ses résolutions, Selin fila dans la Nuit jusqu'à la Bibliothèque, priant pour que son cher "job de rêve" ne lui file pas entre les doigts. Arrivant dans le bâtiment, la Sorcière fila droit au panneau d'affichage. Après l'avoir brièvement parcouru des yeux, elle poussa un bref miaulement de satisfaction. Oui ! La mission s'y trouvait toujours.
Selin relut plusieurs fois le titre, pour être certaine de s'en souvenir : " Le domaine de la terre ".
Toute sourire, la demoiselle se précipita droit au bureau de la bibliothécaire pour l'avertir de son choix et demander de plus amples renseignements. Arrivée devant la porte, contenant son excitation, Selin frappa et attendit une réponse.

L'atmosphère de la bibliothèque me plaisait. Elle avait un coté intemporel qui se rappelait mon monde d'origine. Non pas que j'ai jamais été admise à la bibliothèque, bien au contraire, mais lorsque je n'étais que la gardienne de la Porte, perchée au sommet de ma tour, j'avais eu l'occasion d'apercevoir bien des sages et bien des érudits en quête de connaissance. Et c'était en cela ce lieu me plaisait: je m'imaginais les personnages d'alors pénétrant en ce lieux, s'asseyant à des pupitres et consultant des connaissances immémoriales, découvrant mille et un savoirs oubliés du commun des mortels.

Je ricannais aussitôt à cette idée. Les mages d'alors tout comme ceux d'aujourd'hui étaient sans nul doute à la recherche d'une seule et unique chose: le pouvoir. D'ailleurs, ne dit on pas que le savoir était le plus grand des pouvoirs ? J'étais à présent arrivé devant le panneau de la bibliothèque, ce qui ne me fût guère d'une grande utilité car j'étais bien incapable de déchiffrer: personne n'avais jugé utile d'enseigner la lecture à une statue de gargouille, fut-elle ou non animée. Je décidais donc de me rendre directement au bureau de la bibliothécaire afin de me renseigner sur les missions en cours.

Une bonne surprise m'attendais là, puisqu'une damoiselle se trouvait déjà sur place. Je m'inclinais donc du haut de mes un mètre vingt, me présentant en quelques mots:
- Salutations à vous. Je suis Nabot, gargouille de son état, présentement à la recherche d'un biais pour me rendre utile en ces temps troublés.

Selin sursauta, surprise d'entendre une voix. Quand elle était entrée, il n'y avait personne en vue -sinon elle ne serait pas là bien entendu.
Se retournant, elle marqua un temps d'arrêt devant ce qui se présentait à elle. Ce n'était pas très ... Beau. Pas du tout même. Néanmoins, c'était poli et ça parlait riche. Donc, c'était un petit truc pas beau un tantinet éduqué. Pensive, Selin passa quelques secondes à détailler cette apparition soudaine. Quelle peut bien être cette matière ? Elle se mordit les lèvres, résistant à l'envie de toucher cette étrange chose. Ce faisant, l'autre était toujours sérieux. Ou sérieuse en fait ?

Boarf, pas hyper important à savoir; il ne semble pas vraiment possible de se reproduire avec ça. Donc, pas la peine de se poser la question. Evitant de faire s'éterniser le silence qui s'étaient réinstallé entre nos deux protagonistes, Selin répondit, le plus poliment du monde :

"Ahem. Je vous retourne vos salutations. Je suis Selin Bargnunerk, aussi parfois nommée La Sorcière Chat. Je suis moi aussi là pour .. Être utile en ces temps obscurs et froids. Peut-être avez-vous vous aussi déjà trouvé une tâche à accomplir pour le bien commun ? "

Les tournures polies comme celles-ci la hérissaient. En parlant ainsi, Selin se sentait toujours comme prisonnière des mots. Ou non. Plutôt comme si elle enchaînait ses propres mots, au point qu'ils perdent leur brillance, leur lustre, leur sens, le tout derrière un décor factice, fait de politesses et de fastueuses constructions grammaticales. Et comme dans tout ce qu'elle avait l'habitude de faire, elle n'aimait guère s'embêter avec des fanfreluches et n'allait jamais qu'à l'essentiel. Aussi priait-elle pour que la bibliothécaire daigne répondre et la sorte de là. Avant qu'elle n'agresse la pauvre chose trop polie pour être honnête.

Non pas que la malhonnêteté la dérange, oh ça non ! Simplement, elle avait toujours préféré les gens malhonnêtes assumés. Eux, au moins, on savait à quoi s'attendre.
Alors que l'autre, avec sa politesse à la limite du précieux hein, pouvait tout autant être un mécréant déguisé, qu'un gentil faussement mécréant déguisé, ou encore un gentil trop gentil et donc pas sympa, mais pénible. Enfin quoi, avec toutes ces suppositions, il y avait de quoi se faire des nœuds au cerveau !
Et du coup après, elle ne pourrait plus remplir sa mission, étant dans l'incapacité de faire fonctionner sa tête correctement. Et du coup elle raterait tout et elle ne serait pas payée ! Et du coup, elle ne pourrait pas acheter les denrées indispensables à sa nouvelle expérience.
Conclusion, la gargouille lui devait 120 PIMs.
Il faudrait le lui faire savoir. Mais elle devait d'abord attendre la bibliothécaire pour lui expliquer qu'elle refusait finalement la mission. Bah oui, quitte à faire faux-bond, autant prévenir.

Voyant mon interlocutrice se racler la gorge et hésiter sur le choix de ses mots, mes yeux rougeâtres des gargouille se mirent à étinceler de malice alors que je me relevais de ma révérence. Avec un sourire hérissés de crocs métalliques, j'enchaînais:
- Damoiselle Chat, enchantée de vous connaître.

Un instant, j'imaginais demander à mon ami l'oiseau mécanique de nous rejoindre. Un chat, une gargouille et un oiseau, quelle belle compagnie nous ferions là ! Je manquais d'éclater à cette idée grotesque mais me retins de justesse. Au final, je décidais tout simplement de répondre à sa question. Car elle s'était dite sorcière, ce qui signifiait qu'elle devait receler davantage d'atout qu'il n'y paraissait au premier abord.
- A vrai dire: ne connaissant pas les lettres, je suis bien incapable de lire le panneau d'affichage. Quand à déterminer ce qui relève du bien commun ou non, il faudrait bien plus que mon cerveau d'airain pour cela, car il a la lourdeur du plomb et l'épaisseur du mercure. Ce qui offre ses avantages - vous en conviendrez.

Sentant que j'atteignais une certaine limite, je décidais de cesser de l'asticoter avec mon langage tarabiscoté:
- Bref, mon maître m'a ordonné d'aider à la bibliothèque et me voilà. On ne m'a pas encore dit quoi faire. Et vous ?

Avec un léger apaisement ces dernières heures, les aventuriers et les volontaires ayant trouvé de quoi s'occuper pour la plupart, personne ne s'attendait à ce qu'un trublion vienne poser des problèmes à la bibliothèque.
Pourtant, c'est exactement le moment qu'avait trouvé un vulgaire voleur pour tenter de subtiliser quelques archives uniques et inestimables exposées à l'étage des ressources d'avant la fermeture des miroirs.

Dévalant les escaliers quatre à quatre, le voleur manqua de trébucher sur la dernière volée de marche quand un loup au pelage grisâtre bondit sur le palier derrière lui.
L'individu tout encapuchonné fila vers la sortie sans demander son reste avec pour traine les aboiement furieux d'un loup non moins excédé.

Le plus drôle ? Un petit robot cubique suivait le loup et une fois que ce dernier campa sur ses quatre pattes pour parfaire son image et grossir son quota d'aboiements menaçant à la porte de la bibliothèque, le robot freina brusquement.
Trop tard ! Il rentra violemment dans le loup qui en tomba à la renverse.

Une fois debout, le loup changé en bibliothécaire furieuse, une pluie d'insultes plu sur le robot penaud.

-Un voleur Kip ! Un voleur dans ma bibliothèque ! Et toi tu lui ouvres les vitrines bien sûr !
-Kip ! Kip a entendu le monsieur dire qu'il ne pouvait pas lire à travers la vitre à cause du reflet de la lumière ! Kip!

Il se défendait le saligaud !

-Kip ! Hors de ma vue où tu ne vas bientôt plus pouvoir faire autre chose que chauffer mon café !

Le petit robot s'éclipsait en quatrième vitesse dans les étages.
C'est à ce moment que je remarquais la présence de visiteurs. Je me dirigeais vers mon comptoir, sans avoir retrouvé mon sourire et oubliant de les saluer.

-Que puis-je pour vous ?

Fronçant les sourcils Selin observait d'un œil assez circonspect son interlocuteur. De l'airain ? Ce truc .. Enfin, cette gargouille plutôt, devait être hyper lourde à déplacer ! Comment était-ce physiquement possible ? Surtout qu'elle ne l'avait pas entendue arriver.
Cette nouvelle information passionna Selin, qui se posait tout un tas de questions : était-ce possible de l'empoisonner ? Pouvait-elle seulement tomber malade et qu'est-ce qui serait susceptible de la guérir ? Et comment détruire cette quasi-armure vivante ? Avec une masse, à supposer qu'elle se laisse faire ? Pouvait-on seulement la blesser ? Peut-être par ses yeux ? Peut-être en la scellant dans le béton ou en la faisant fondre grâce à une forte chaleur ? Possédait-elle seulement des organes vitaux ? Elle venait de parler d'un cerveau certes, mais peut-être seulement par convention ? En même temps, elle semblait apte à opposer une réflexion, c'était donc fortement possible ... Mais dans ce cas, possédait-elle un cœur, des poumons ? Des cordes vocales ?
Une lueur d'intérêt éveillait maintenant son regard. Une telle créature pourrait peut-être l'aider ... Et puis si ce n'était pas possible, peut-être la laisserait-elle l'examiner un peu. Cela pourrait être tellement passionnant !

" Oh, je vois .. C'est un peu embêtant, il est vrai. Mais comme on le dit, un mal pour un bien ? "

Toujours un peu crispée, mais le cerveau carburant à toute vitesse, Selin répondit par un simple automatisme. Non vraiment, il était probable que cet étrange personnage puisse lui être utile et ce, de bien des manières. Peut-être qu'en lui proposant de faire cette fichue mission avec elle, elle aurait l'occasion de l'observer ! Voir même de nouer des liens suffisamment solides pour qu'il la laisse par la suite faire des tests ! Et puis ainsi, la gargouille effacerait sa dette; c'était tout bénef !
Tandis qu'elle évaluait les possibilités, le ton hautain et guindé de la bestiole finit par changer, par se normaliser, ce qui rassura un peu le Chat.

"Eh bien j'ai choisi une mission, très bien payée, qui consiste à amener des semences d'ici à un endroit assez éloigné. Il faut juste traverser la forêt si j'ai bien compris. Peut-être voudriez-vous m'accompagn..."

Selin fut coupée par un raffut de tous les diables et l'arrivée de la bibliothécaire, furieuse. Oulah, cela s’annonçait bien ! Etant la première dans la micro-file de deux personnes qu'elle composait avec la gargouille, Selin répondit :

" La mission, le domaine de la terre. J'aimerai la faire. Et lui là, il en cherche une de mission aussi. 'Fin, je crois. "

Simple, concis, clair. L'autre ne semblait guère patiente ce soir ..

Voyant la bibliothécaire débouler sous forme de loup, je me fis la remarque que les mages étaient décidément indécrottables. Aussi, je me fis-je pas trop prier pour laisser la dame Chat parler à ma place. Après tout, elle était bien plus humaine que moi, semblait avoir une mission en vue et surtout, avait l'air disposée à ce que je l'accompagne. Néanmoins, je ne pus m'empêcher de préciser:
- Ajoutons juste que je suis Nabot et qu'elle est dame le Chat

Il ne restait plus qu'a attendre la suite des évènements. Ou allait ou nous expédier ? J'espérais que cette mission du domaine de la terre ne nous emmènerait pas dans des boyaux souterrains. J'avais toujours eu du mal à circuler dans ce genre d'endroits, car mes ailes me gênaient. Avec un peu de chance, il suffirait d'emmener quelques graines à un champ quelconque. Cela pouvait être dangereux pour un humain moyen, mais pour une statue telle que moi, il y avait bien peu à redouter des créatures bordant la ville. A moins qu'il ne s'agisse d'aller plus loin ? Dans quel cas une troisième personne ne serait sans doute pas de trop.

En s'approchant des portes de la bibliothèque, Uriel faillit se faire renverser par un individu visiblement très pressé. Il cria une protestation, mais le malotru ne daigna pas s'arrêter pour s'excuser. On aurait cru qu'il avait une bête sauvage aux trousses.

Uriel renifla, méprisant. Il entra et se dirigea vers le comptoir. L'endroit était relativement calme pour l'heure, mais une jolie femme et une, euh, créature... (il crut un instant que quelqu'un avait déposé une statue très laide au beau milieu du passage, jusqu'à ce qu'il la voit bouger) s'entretenaient avec Eva. C'est alors qu'il entendit la jeune femme annoncer la quête de son choix.

"Hé, mais c'est ma mission !" s'exclama-t-il.

Quelqu'un avait osé prendre un ordre de livraison à sa place ?? Lui, le meilleur (peut-être) messager de tout l'Entre-Monde (intra-muros) ? Il ne pouvait déjà plus faire de livraison seul depuis que la Zone Extérieure était devenue si dangereuse, alors si en plus on lui chipait celles de la bibliothèque avec supplément de gardes du corps !

Réalisant ensuite que ce n'était pas son entrée en matière la plus brillante, il hissa un sourire charmeur sur ses lèvres.

"Enfin, je veux dire... Uriel, livreur," fit-il en s'inclinant. "Vous n'auriez pas besoin d'aide supplémentaire, par hasard ? J'ai un Perçant, je peux nous déposer à Zosma. Ça raccourcit le voyage. Je suis armé et j'ai aussi un Daken."

Un dragon équipé de crocs et de griffes aiguisés, ça comptait presque comme une arme supplémentaire... Enfin, quand Foudre était d'humeur à suivre son "propriétaire".

Dommage qu'il ne faille pas compter sur lui pour prendre des passagers sur son dos. De toute façon, il n'aurait sans doute pas pu porter le poids de la gargouille très longtemps, et Uriel doutait fortement que Nabot - drôle de nom - puisse voler de son propre chef. Il aurait préféré faire le voyage par les airs, mais tant pis.

J'étais un peu perdue, Dame Chat et Nabot faisaient une mission ensemble ou non ?

-Heureuse de voir de nouvelles têtes. Mais pour ce genre de mission vous allez devoir vous grouper. Je n'envoie pas mes aventuriers seuls dans la nature.

J'observais alternativement l'un et l'autre. Mon humour ne pouvait décroître ce qui ne voulait pas dire qu'elle allait en s'améliorant.
Ils furent sauvés par l'arrivée d'Uriel. En voilà un que je n'avais pas vu depuis un moment. Mon visage s'éclaira d'un sourire.

Je coupais tout le monde et :

-Parfait ! Trois inscrits pour le "domaine de la terre".

Ma patience était tout particulièrement limitée aujourd'hui, c'est pourquoi je pré-remplissais la fiche d'inscription avant de la soumettre aux nouveaux :

-Nom et prénom. Uriel vous expliquera comment fonctionne la bibliothèque après ça.

Un stylos claqua sur le bois du comptoir au moment où je le posais devant eux. Ce n'était rien comparé au raffût audible après ma disparition dans le vestibule derrière le comptoir. On pouvait m'entendre râler des :

-Kip ! T'as encore mis un foutoir sans nom dans ce placard ! Mais où est-ce qu'il est ce titre ?!

Voyant que ne ne faisait pas mine de bouger, je décidais de prendre la parole:
- Malheureusement, je ne sais ni lire ni écrire. Il va donc m'être difficile de noter quoi que ce soit, fut-ce à à l'aide de votre plume. Quelqu'un aurait-il l'obligeance de noter ? Ce faisant, je me hissais sur la pointe des pieds pour me saisir du stylo et le tendais vers Uriel.
- Je me nomme Nabot l'Uxeporte, poursuivis-je. Je vous épellerait bien mon nom mais comme les lettres me sont étrangères, je laisse libre cours à votre imagination pour m'orthographier. Concernant la dame qui est à coté de nous, ajoutais-je en lui glissant un regard, il me semble me souvenir qu'il s'agit de Selin Lechat.

Examinant l'homme de mes yeux rougeoyant, j'ajoutais:
-Comme je n'avais pas prévu une telle expédition, si vous le voulez bien, je vous propose de ne pas partir avant demain matin, afin que je puisse rassembler un peu de matériel. Mais pour cela, il me faudrait en savoir davantage sur notre petite virée dans ce fameux domaine de la terre.