La surveillance des loups

Deuxième fois que j'utilisais le système perçant. Je trouvais ce système extrêmement pratique et attendait avec impatience le moment où je pourrais acheter ce titre à la banque.

Nous arrivâmes moi et Uriel dans le garde poste du Pont. Il y avait quelques soldats présents. Certains surveillaient réellement les alentours comme ils pouvaient à l'aide des torches allumées ici et la. La lumière était devenu indispensable dans tout Entre-Monde depuis le début de la Nuit, encore plus au niveau des frontières avec le risque des invasions planant sur nous.

Je m’avançais vers un des gardes pour lui demander plus d'informations sur la possible localisation des loups. Apparemment ils ne s'approchaient pas tant que ça de l'infrastructure mais il les avait aperçu pour la dernière fois au Sud du garde poste.

- Mais.... Vous n'allez pas sortir comme ça ? Avec cette obscurité on ne sait pas ce qui peut arriver.
- Ne vous inquiétez pas pour nous, nous avons le matériel requis pour cette expédition. Pas vrai Uriel ?

Sur ces mots une petite flammèche pas plus grande qu'une épingle parcouru mon bras droit.

- Et puis comment voulez vous qu'on surveille cette meute si nous restons cloîtrés ici avec vous ?

Le soldat réfléchit et nous conduisit vers l'extérieur en nous souhaitant bonne chance.

Pratique de ne même pas avoir à utiliser son propre titre de transport. Si les choses tournaient mal, il pourrait toujours évacuer les lieux sans avoir à se soucier du délai de 24 heures. Entre Perçant et Hôtel, il était paré.

Uriel suivait à deux pas derrière Kraynegar, scrutant d'un air peu rassuré l'obscurité au-delà du garde-poste. Il fit un effort pour paraître cool et sûr de lui quand Kraynegar le prit à témoin.

"Ha ha, ouais, on est on ne peut plus prêts."

Et d'utiliser Lux, son nouveau titre favori. La petite boule lumineuse se matérialisa devant eux, guidant son chemin et celui de Kraynegar alors qu'ils s'enfonçaient ensemble dans la pénombre.

C'était une bénédiction, car dans une zone aussi montagneuse, il devint vite évident qu'il était primordial de voir où on mettait les pieds. Le terrain était parfois traître et toujours difficile. Par-dessus le bruit de fond constant de la faille non loin, comme une gigantesque soufflerie, des bruissements leur parvenaient depuis l'obscurité, traces d'une vie nocturne qui n'aurait pas dû exister à cette heure de la journée.

Uriel cherchait, pour l'instant en vain, le reflet de leur éclairage dans des yeux de prédateurs. Chaque minute qui passait sans menace apparente lui mettait un peu plus les nerfs à fleur de peau. Il commençait presque à espérer qu'on les attaque, histoire que toute cette adrénaline serve à quelque chose.

"T'as entendu quelque chose, là, ou c'est moi qui commence à débloquer complètement ?"

Il s'essuya le front, baigné d'une sueur froide.

J'étais aussi tendu qu'Uriel. Entre la Nuit éternelle qui ne nous permettait pas de voir plus loin que la lumière émise par Lux et notre proximité avec la Faille et tout les bruits qui en venait, cela n'allait pas arranger mon anxiété.

Le vent soufflait fort dans les montagnes au point que je ne savais plus vraiment ce que j'enendais comme bruit.

- J'entend beaucoup de chose Uriel, mais pas des bruits de loups.

A peine avais-je dit cela qu'un loup blanc passa devant nous. Une aubaine on avait plus besoin de les chercher. Cependant celui-ci courrait très vite. Que pouvait-il fuir ?

Nous n'avions pas le temps de se poser ce genre de question, nous devions savoir où ils se cachaient et apprendre le pourquoi de leur présence ici et de leur passivité.

Je commençais à suivre la direction qu'avait emprunter l'animal, malheureusement le terrain escarpé ne me permettait pas d'aller bien vite.

- Uriel essaye de voler, tu le suivras beaucoup plus rapidement que moi. Ne t'en fait pas pour moi je te retrouverais grâce à la lumière de Lux.

C'était un risque, je n'allais plus avoir Lux pour m'éclairer mais les loups étaient la priorités. Si nous perdions le seul que nous avons vu nous passerons encore des heures à le rechercher.

Une longue marche m'attendait éclairée par mes flammes. Je ne devrais cependant pas trop en abuser sinon je serais trop épuisé pour servir à quoi que ce soit. J’espère qu'il n'est pas parti bien loin.

"Gah !"

Uriel avait bondi d'un mètre dans les airs. Son cœur s'était arrêté de battre un instant avant de reprendre à triple cadence.

On n'avait pas idée de flanquer une frousse pareille aux gens ! Il soupira et détendit un par un ses doigts qui s'étaient crispés sur la poignée du katana à sa ceinture. Au moins le loup était seul. Il n'aurait plus manqué que toute une meute paniquée leur fonce dessus. Si finir déchiqueté par une horde de loups était une mort bête, finir piétiné par ladite horde serait carrément ridicule.

"Voler... Ouais, bonne idée ! Excellente, même !"

Il n'y avait pas de loups dans les airs. Il pourrait même narguer toute une meute d'en haut sans danger. Il fit apparaître ses ailes avec enthousiasme et prit son envol. Le décollage fut particulièrement aisé, pour une fois : un petit saut d'une corniche et les vents générés par la proximité de la faille firent le reste.

Il prit la direction de l'est, Lux flottant à mi-chemin entre lui et le sol pour tenter de repérer le loup. Il découvrit vite un inconvénient de l'altitude : le froid était encore plus cinglant là-haut, sans le moindre obstacle pour se protéger. Il serra les bras contre sa poitrine, frissonnant.

"Brrr, sale temps pour mettre les plumes dehors..." marmonna-t-il. Puis plus fort : "Ah ! Je le vois, Kraynegar !"

Un éclat de fourrure pâle venait de passer dans l'aura de Lux. Il battit des ailes pour prendre de la vitesse... et soudain, une forme aussi grande que lui jaillit de l'obscurité et le percuta.

Il dégringola du ciel avec un hurlement. La créature s'accrocha à lui, des griffes lui transperçèrent le flanc. Il vit une gueule pleine de crocs s'ouvrir et balança un de ses éclairs par pur réflexe. La décharge électrique la fit reculer avec un cri de douleur au moment où ils percutaient le sol. Ils roulèrent tous deux sur leurs pieds.

"Wyvern !"

Sans un bruit la magnetic filait dans la forêt. Les arbres, les roches, rien ne l'arrêtait, elle flottait entre les obstacles sans jamais les touches. Phares éteints, je parcourais ce qui me semblait être une zone préservée, il n'y avait pas de combat et la vue de l'autre côté de la faille était bouchée par l'épaisseur des arbres et le dénivelé.
Rien qui ne soit imparable pour des espions ou des éclaireurs. Officiellement, ce tour en forêt était une mission de surveillance sur un champ éloigné. Malicieusement, l'elfe avait fait remarquer que je ne manquais pas d'excuse pour faire autre chose, comme ranger le foutoir dans ma tente… Cette remarque me fit sourire, elle me distrayait au moment même une un ange et une wyvern tombèrent du ciel.

J'envoyais la moto dans le décor, une chance elle ne se retourna pas. Chaque arbuste traversé, chaque buisson déraciné était autant d'égratignures qui s'ajoutaient à mes bras.
A quelques mètres de là, l'ange et la wyvern étaient déjà dans mon viseur, dans deux secondes ma hache ira se planter profondément dans le flanc de la wyvern. Deux secondes pendant lesquelles je conseillerai à Uriel de se trouver un abri.

La créature n'était pas heureuse de se faire lapider, elle tourna vers moi sa gueule enragée. Elle ne savait pas, elle, que j'étais armuré de la tête aux pieds. Elle essayerait de me mordre et sentirait ses crocs rejetés sur les côtés. Que dire si j'arrive à lui asséner un coup de poing ! Le contre-coup de ma force annulé par les gantelets, la seule chose qui restera de sa tête sera méconnaissable dans quelques instants.

-C'est le moment de fuir Uriel !

Epée dégainée, je fonçais vers la wyvern pour l'occire. Il n'y a que comme ça que je les aime ces bêtes-là.

Toute une frontière sauvage et plongée dans l'obscurité la plus totale, et il fallait qu'il tombe par pur hasard sur K'ouen. K'ouen, l'aimant à ennuis le plus puissant de tout l'Entre-Monde. Pourquoi la vie le haïssait-elle à ce point ? Il n'avait provoqué qu'une ou deux guerres de rien du tout dans son monde natal !

"De quoi je me mêle ?" s'écria-t-il, vexé comme un pou.

Que quiconque débarque sans prévenir et choisisse de massacrer la bestiole pleine de dents et de crocs à sa place, et c'est précisément ce qu'il aurait fait : se cacher derrière le tronc d'arbre le plus proche et s'assurer de loin que la menace était écartée. Après tout, aurait-il raisonné, ses ailes étaient matérialisées et l'encombraient considérablement au sol.

Mais qu'on ait le culot de s'attendre à ce qu'il fuie, et de le revendiquer tout haut, en plus... sa fierté n'apprécia pas. (Son hypocrisie, elle, se portait bien.)

Il dégaina son pistolet avec un temps de retard. Il ne se serait guère soucié de qui il touchait, mais heureusement pour Wergeld (et par suite, Uriel lui-même), le combat prit fin tellement vite qu'il n'eut pas le loisir de tirer. Il fronça le nez devant l'état du cadavre.

"Je suis content de t'avoir donné un truc sur lequel taper," dit-il avec une ironie dégoulinante. "Maintenant tu peux t'en aller. J'étais occupé, là."

Il lui tourna le dos pour parcourir les environs du regard, mais évidemment, il avait complètement perdu le loup de vue. Et que faisait Kraynegar ? A quoi servait un compagnon de mission s'il n'accourait pas pour vous sauver de wyverns et de bourrins armés de grosses épées ?

"T'aurais pas vu un loup ? Le genre tout blanc et très rapide ?" ajouta-t-il du bout des lèvres.

Mon arrivée héroïque ne lui a pas plu. J'y ai pourtant mis les formes, la moto dans les ronces, la hache lancée adroitement, la réplique de celui qui tombe à pic et qui va faire de la viande hachée (hache, hachée... ah. ah.) avec une wyvern, il faut aimer le croquant des dents. Mes efforts ne sont jamais récompensés. Je commence à comprendre les dieux, les entre-mondiens sont quand même des ingrats.

Avec une ironie tout aussi dégoulinante, j'extirpe avec force lenteur ma hache et mon épée des restes fumant. La wyvern elle-même aurait pu ironiser si elle n'avait été aussi morte...

-De rien, ce fut un plaisir.

Je lui tournais le dos pour aller vérifier ma magnétic, jusqu'à ce qu'il parle de loups. Cette histoire... Elle me rappelle vaguement une note de l'elfe.

-Tous seul dans les bois, au bord de la faille, cherchant des loups... Sont dingues.

La magnétic était couverte d'égratignures. Une seconde j'ai pensé demander à Uriel de rembourser les réparations, quelle idée de tomber du ciel comme ça. L'autre se serait certainement insurgé. Ce pourrait être drôle d'essayer.
Je m'asseyais en travers de la moto en faisant mine de réfléchir.

-Je n'ai vu aucun loup.

Je démarrais.

-Si on me le demandait je prendrais peut-être le temps de les pister. Mais puisque tu n'as pas besoin de mon aide, je vais seulement me contenter de mon inspection. Si tu changes d'avis... Je lui désignais le baladeur dépassant de ma poche de poitrine et l'oreillette à son poste. Bon courage !

La moto s'éleva de quelques centimètres au dessus du sol et marqua un temps de pause le temps que les batteries se rechargent.
Avec cette guerre sur le dos je n'avais pas très envie d'être serviable, il y a temps à faire dans les camps, vérifier les rapports des éclaireurs prenait déjà une part considérable de mon temps.
A la fois, je me sentais incapable de laisser Uriel seul dans les bois, c'est comme ça, je suis un indécrottable sauveteur. Je vais peut-être m'assurer que mon inspection se fasse toujours proche de sa position. Car, contrairement à l'ange, je voyais très bien de nuit.

Coup d’œil frénétique aux alentours... Toujours aucun signe de Kraynegar. Il ne l'avait quand même pas laissé tomber ? Ou peut-être que les loups l'avaient trouvé les premiers ?... Peut-être qu'ils avaient fait exprès de les séparer pour les éliminer plus facilement ? Sa paranoïa s'enflamma comme un grand feu de joie.

"Attends !" s'écria-t-il, galvanisé par la peur de se retrouver tout seul.

C'est qu'il n'avait pas de baladeur, lui, n'en déplaise à Môsieur le grand aventurier. Il avait cru que ses jours à la bibliothèque étaient derrière lui, il n'avait jamais pris la peine d'en acquérir un. Il n'avait personne à joindre, de toute façon.

Mais un volte-face pressé prouva que Wergeld n'avait pas bougé d'un pouce. Il se sentit stupide d'avoir crié.

"J'ai perdu mon compagnon de quête," bougonna-t-il. "Si tu pouvais... enfin, ils ne vont pas se trouver tous seuls, ces loups. Et il paraît que c'est important. Dès qu'un Dieu est probablement impliqué, de toute façon, c'est important."

Il désigna une direction à l'aide de Lux.

"Il est parti par là."

Contre sa volonté, sa voix prit un accent implorant sur la fin. Il toussa pour l'éclaircir, humilié d'avoir à demander de l'aide.

Je lui renvoi un sourire narquois. Je n'étais pas surpris qu'il change d'avis, je comptais même dessus. C'est exactement le genre de réplique que j'espérais venant de lui, une octave plus basse… Mon inspection pouvait très bien se faire avec de la compagnie et un objectif plus attrayant qu'une balade en forêt. J'aurais eu tort de m'en priver. Soulagé de pouvoir faire mon travail sans avoir à me fondre dans les sous-bois, j'avançais prudemment jusqu'à lui et l'invitais à monter sur le véhicule.

-D'habitude ce sont les loups qui nous courent après et non l'inverse. Pourquoi en as-tu après celui-là ?

J'étais parfaitement au courant de la présence de nombreux loups paficiques depuis le début des hostilités, leur présence me laisse croire que Lu'faol garde un œil dans les parages. Confirmer cette information nous permettrait d'éviter les impairs… Ce qui semble être la spécialité de l'Entre-Monde, pas seulement la mienne.

Visiblement pas gêné par la nuit, je détaillais l'ange de pied en cape.

-Surtout si le pourchasser te fait croiser le chemin de Wyverns…

Les bêtes sont devenues mauvaises, sournoises. Depuis des jours elles se partagent un menu restreint. Juste avant l'hiver, cette situation de pénurie leur laisse à penser qu'elles n'hiberneront pas sereinement cette année. Alors elles deviennent plus agressives

-Il y a des bandages et du désinfectant là-dedans.

Le temps que tout le monde s'installe confortablement, je cherchais Ayame sur le baladeur. L'elfe décrocha dès la première sonnerie.

-On a un perdu dans la forêt, envoie du monde pour le trouver et l'escorter au camp. J'ai déjà récupéré son équipier.

L'elfe n'émit aucune protestation et raccrocha.

Ceci dit je nous emportais tous les deux à la poursuite d'un loup.
Je suivais des traces quasiment invisibles, parfois totalement inexistante. Les loups ne sont pas les créatures les plus faciles à pister, eux-mêmes sont des chasseurs, ils se déplacent à couvert du vent. De toute évidence celui-là était seul ou nous aurions déjà entendu les ricanements particuliers de la horde.
La nuit n'aidant pas, je retraçais le parcours imaginaire de l'animal.

-Ces loups ne chassent pas de ce que j’en ai entendu dire. Ça n’aide pas pour les situer puisqu’ils ne suivent pas les mouvements de leurs proies…