Quand la Silnà participe à l'effort de guerre...

Mahaut se redressa tant bien que mal entre les caisses et les sacs qui avaient accueilli leur atterrissage. La situation n'était pas sans lui rappeler un périple dans la région d'Everden, il y avait bien des hivers de cela. Cela le fit sourire, ce qui pouvait paraître déconcertant pour son frère errant vu son état de panique.

Le donjion délassa pourpoint et guêtres. Il les ôta et la cotte de maille suivie. Cette dernière l'avait protégé en grande partie, ne laissant que les bras et le bas de ses jambes pour cible aux morsures. Pourtant la chemise de Mahaut était bel et bien tâchée de rouge en plusieurs endroits. Il l'enleva pour laisser son frère et sa soeur œuvrer, dévoilant ainsi un torse qui arborait déjà un nombre conséquent de cicatrices de tailles et de formes diverses.

L'Aîné s'empara d'un couteau et découpa ses chausse afin de garder un peu dignité alors que se jambes se retrouvaient nues. Si son torse avait été relativement épargné grace à la couverture, ses jambes mêlaient ses propres plaies aux blessures de Syel. Il regarda cette dernière avec un sourire bienveillant. Elle ne devait pas s'en vouloir, en tout cas Mahaut ne lui en tiendrait pas rigueur.


Il porta ensuite son attention sur Azurée qui semblait redouter le moment où il verserait le contenu de sa bouteille sur les plaies de l'Aîné. A lui aussi, Mahaut sourit avec bienveillance. Il trouvait l'errant beaucoup trop stressé. Il ne devait pas, le pire restait sans doute à venir.


Il partit d'un petit rire et cala une petite tape sur l'épaule d'Azurée. Il y avait un peu de moquerie dans ce geste, mais dans les yeux de Mahaut il y avait surtout de la gratitude. De par sa vigilance, Azurée avait sauvé sa soeur.


Fidèle à ses mots, le donjion se laissa soigner sans tressaillir. L'alcool brûlant ses chairs à vifs le fit grogner plus d'une fois, mais il n'eut aucun mouvement brusque. Après tout, ce n'était pas son premier rodéo.

Mahaut n’était pas aveugle et il eut vite repéré la culpabilité de Syel, bien avant qu’elle demande pardon. L’aîné fit pourtant mine de ne pas voir l’état de sa sœur. Ils auraient le temps d’en discuter plus tard, quand la donjion serait de nouveau en paix avec elle-même. Si se rendre utile pour remettre le convoi sur les rails était sa façon de se calmer, alors soit.

Seul dans le wagon avec Azurée, Mahaut fit parfois échos au monologue de son frère par de courtes réponses, mais la plupart du temps, il ne comprenait pas la moitié des références utilisées. Une preuve de plus que ce monde n’était pas le sien. Mais les deux frères de la Silnà partagaient au moins la conviction que leur sœur se remettrait de cette épreuve.

Les bandages faits, Mahaut fouilla dans son sac de voyage pour y trouver des affaires propres et des pantalons en un seul morceau. Il s’habilla. Ses jambes le brulaient et tiraient mais rien de bien profond ou lancinant. Au lendemain matin, ces blessures ne seraient déjà presque plus. Avant qu’Azurée ne quitte le chariot à la recherche de son animal, Mahaut lui posa une main sur l’épaule.


Des mots simples qui exprimaient toute la reconnaissance de l’Aîné qui se dirigeait désormais vers l’attelage pour en prendre les rênes. L’atmosphère était encore étrangement calme. Elle rappela à Mahaut une scène qui ne semblait pourtant pas avoir grand-chose en commun. Cette fois il s’était joint à l’attroupement de marins à poupe d’un navire marchands. Tous étaient silencieux et tous regardaient dans l’horizon nocturne un éclair zébrer le ciel et frapper d’immenses vagues. Il régnait alors un silence parfait. Tous étaient entrains de réaliser qu’ils avaient survécu à ce terrible orage.

Et comme lors de ce périple en haute mer, le présent convoi se remettait petit à petit à vivre. L’orage de volatile était passé et il ne semblait pas y avoir de casse à déplorer. Les caravaniers sortaient progressivement de leurs abris. L’Aîné vit Syel s’activer à droite et à gauche sans répit. Une chose était sure, c’était que les marchands filaient droit. Pourtant en voyant ces impies exprimer leur reconnaissance à sa sœur, à son frère et à lui-même, la colère grondait de plus en plus fort en Mahaut. Aussi demanda-t-il à l’un des profanes de lui apporter un appareil capable de porter sa voix par-dessus le vacarme renaissant. L’homme disparut et revint quelques minutes plus tard avec un haut-parleur. Il expliqua rapidement à Mahaut comment s’utilisait l’engin et puis s’en alla.

Amis marchands ! Aujourd’hui l’un de mes compagnons a sauvé la vie à deux des vôtres. Un noble geste qui j’espère trouvera la réponse qu’il mérite ! Un noble geste qui aurait pu entraîner un noble sacrifice. Un noble geste qui n’aurait jamais dû arriver ! Lorsque l’on vous dit d’agir selon nos ordres à l’instant où nous vous les donnons, il n’y a pas de place à l’interprétation ! Nous respectons la valeur de vos vies, il serait opportun pour vous de respecter la valeur des notres. Que l’on se comprenne bien, si cela se reproduit alors les responsables subiront le sort de leur sauveteur. Quel qu’il soit ! Nous sommes là pour assurer la sécurité du convoi, mais ne croyez pas que vos vies comptent plus pour moi que celle des membres de mon équipe ! Considérez-vous comme avertit.

Durant son discours improvisé, Mahaut s’était levé du banc du chauffeur et si son ton et sa posture n’était pas agressifs, ils n’en étaient pas moins menaçants. Que ces impies stupides mettent encore en danger l’un des siens et le sang coulera… Le silence qui suivit les paroles de Mahaut se mua peu à peu en murmures et le brouhaha finit par revenir. Mahaut se rassit et prit les rênes des chevaux. Il venait de se montrer aussi dur que ces impies le méritaient et pourtant son sourire bienveillant ne tarda pas à réapparaître sur son visage.

Syel revint. Ses traits fins arboraient un air moins grave, mais il était évident que quelque chose la taraudait en son sein. Mahaut choisit de laisser la route faire son oeuvre. A force de voyager, il avait apprit que l'incessant cahotement d'un chariot finit toujours à la longue par délier les langues. Le donjion n'était pas homme à brusquer les siens sans raison.

Finalement, alors qu'Azurée était en chemin pour les rejoindre, Syel desserra les mâchoires et laissa filer son fiel. Mahaut ne pouvait lui en vouloir. Il voyait d'ailleurs en sa soeur beaucoup de lui-même au même âge. Ce qu'elle pensait, il l'aurait sûrement pensé avec autant de force qu'elle était entrain de le faire.


Il ne fallait pas s'y tromper, Mahaut n'avait aucune sympathie pour ces impies. Cependant, il avait vu bon nombre de personnes qui méritaient de mourir et si chacune d'entre elle l'étaient, le monde serait bien plus vide. Serait-ce pour autant un bien... Il n'en était pas sûr. Ce dont il était certain, c'était que question n'attendait pas de réponse. Pas de sa part.

La réflexion de l'Aîné dura un certain temps et ses pensées dérivèrent vers d'autres sujets lorsque une nouvelle fois Syel prit la parole. Sa soeur était droite et sans détours dans ses propos. Mahaut était tout aussi direct et bien des fois on le lui avait reproché. Aujourd'hui, il comprenait un peu mieux pourquoi. Dans ces moments, être de l'autre côté de la question est inconfortable.

Un inconfort qu'Azurée, du haut de son perchoir, ne semblait pas ressentir. Et ses mots étaient justes, bien qu'ils ne reflétaient pas toutes les raisons qui ont poussé l'Aîné à conclure une alliance.


Mahaut inscrit une pause dans sa tirade pour mieux agencer ses pensées. Il était né protecteur, avait grandit guerrier. Parler avec cohérence de politique et de stratagème ne lui était pas naturel.



Une autre pause. Cette fois pour s'assurer que personne aux alentours ne pouvait entendre.


Les textes que Mahaut avait trouvé sur le sujet étaient obscurs et peu nombreux. Dès qu'il en aurait l'occasion, il apporterait les sphères à la Citadelle. Les Prédicains en sauront sûrement d'avantage.



Le ton de Mahaut n'avait rien de dur, même s'il transpirait la détermination de fer du donjion. Il rêvait d'un avenir où la citadelle serait grouillante de frères et de soeurs, pas de couloirs toujours plus vide et silencieux. Il se battait pour ça et il se battrait jusqu'à ce que ce futur soit en marche.

Un brin d'humour et un rire pour alléger cette gravité que ses propos n'avaient pu qu'amener. Mahaut ne voulait pas faire peser sur les épaules de sa soeur ou de son frère le poids qui lui incombait de porter.