Anathème

-Ici nous souhaiterions aménager un parc d’étude. Sa taille risque d’être assez considérable, les spécimens de graminées apportés des terres à l’est sont vraiment très nombreux, de plus il nous faudrait plusieurs hectares de serres rien que pour les plants de Mirinar…

J’ai décroché après le mot « graminée », tandis que mon acolyte à moitié elfe, à moitié casse-bonbons, hochait du menton d’un air très sérieux. Je le connais assez bien maintenant pour deviner qu’il n’en a rien à botter, pas plus que moi, et qu’il commence à s’ennuyer aussi sérieusement que son visage le montre.

Depuis l’aube, l’université de je-ne-sais-plus quelle spécialité (sur les plantes et celles qui se mangent) faisait se succéder d’éminents scientifiques qui tentaient de nous vendre la formidable opportunité de développer de nouvelles céréales et d’en profiter pour étudier les plantes ramenées des expéditions en zone inconnue mais aussi de Mirinar. Jusque-là, selon eux, les petites serres de l’Université n’ont pas été assez volumineuses pour contenir tout l’élan que la recherche demande…

Je regardais les environs sans mot dire, apercevant au loin une caravane marchande arriver. Et j’entendis Ayame répondre :

-Cela nécessiterait de déplacer des zones de cultures, les agriculteurs n’en seront pas très heureux.
-Nous pensions leur proposer de louer leurs terres, si K’ouen veut bien appuyer le projet.
-Hum ? Fis-je en me retournant à la mention de mon pseudonyme le moins fameux. Les productions de la région agricole de Trinity sont essentielles à l’approvisionnement d’Atlantis, il va falloir vous montrer plus convaincant si vous voulez que j’autorise la réduction de ressources régulières pour des essais.

Sur ces mots, je laissais Ayame se débrouiller avec le spécialiste bien décidé à défendre sa cause.
La caravane marchande arrivait sur nous et j’étais curieux de voir si j’y trouverai un visage connu.

Les marchands itinérants qui utilisent encore des attelages et des voitures de bois pour transporter leurs marchandises s’entourent toujours d’une cohorte de mercenaires et de chasseurs de monstres. Avec ça, les voyageurs ou récents pèlerins se faufilent dans leur sillage pour traverser les terres sauvages sans encombre. Tout le monde n’acquiert pas de titre Perçant ou de vaisseau pour voyager, et toutes les montures ne sont pas aussi efficaces qu’un Cyliong ou un Lorfang.

Ma propre escorte pour cette sortie scolaire se massa aux rives du sentier, laissant passer les animaux et les premières voitures. Leur allure était lente et aux marques peintes sur les flancs j’en déduisis qu’ils avaient voyagé depuis le désert jusqu’à Trinity.
Je connaissais quelques habitués de là-bas, je m’empressais de demander à la première personne qui marchait à contresens s’il y avait des voyageurs venus de la zone inconnue. L’homme haussa les épaules sans pouvoir me répondre. Mon enthousiasme retomba aussitôt.

-Ça dérange si je jette un œil aux voitures ?

Le mercenaire me laissa faire et je commençais à observer minutieusement tous les visages qui passaient… Sauf ceux qui n’étaient pas à la hauteur de mes yeux. Mince ! Je bousculais quelqu’un sans faire attention.

-Désolé !

Spoiler:

Depuis combien de temps est-ce que je marche...? Je ne sais pas. Pour aller où...? Je ne sais pas non plus. Je suis complétement perdue... Je ne me suis réveillée que depuis peu, environs deux jours je pense, mon mécanisme constitué de rouages semble quelque peu rouillé par tout ce temps passé sans bouger. Combien de temps ai-je dormi d'ailleurs ? Tellement de question se bousculent dans mon esprit...

Mon errance me conduis dans un drôle d'endroit qui me rappelle un peu le monde d'où je viens. Il y a beaucoup de personnes de je trouve, je ne suis pas forcement à l'aise. Du haut de mes soixante quinze centimètres personne ne me voit vraiment en fait, du coup je me fais un peu bousculer dans tous les sens, heureusement que je suis solide. Au moins je passe relativement inaperçue, c'est une bonne chose parce que je n'ai pas envie de me faire remarquer. D'un coup, il y a de plus en plus de gens autour de moi, je crois bien que je suis tombée parmi une foule de voyageurs, c'est bien ma veine. J'essaye de me frayer un passage entre toutes ses grandes jambes et autres qui prennent toute la place, mais c'est peine perdue. Je me sens vraiment oppressée moi là dedans... On me bouscule depuis le début mais, alors que je regarde ailleurs, quelqu'un me rentre dedans avec une certaine violence, pour moi car pour lui ou elle cela n'a pas être un gros impacte, et je tombe à la renverse en un bruit sourd de porcelaine qui tombe au sol tout simplement.

-Désolé !

Je tente de me relever en vain, qu'est-ce qui se passe encore bon sang...voilà que je n'arrive plus à me relever. Je fais un autre essai aussi peu concluant que le premier avant de comprendre en sentant tout mon corps arrêter de bouger petit à petit. J'ai encore oublié de me remonter...génial... Je lève les yeux vers la personne qui m'a pousser et découvre qu'il s'agit d'un jeune homme avec des cheveux noirs et des yeux marrons me semble-t-il. Je reste neutre face à ses excuses.

-Ce n'est rien, je comprends, vous ne l'avez pas fait exprès, si j'étais un peu moins petite cela ne serait pas arrivé je suppose.

Dois-je lui demander ? Si quelqu'un ne me remonte pas je vais rester coincée pour très longtemps. Oui mais cela ne se fait pas d'aborder quelqu'un comme ça, enfin je crois. Oh et puis zut. Qui ne tente rien n'a rien, et puis il suffit juste d'un petit coup de clef et c'est reparti, ce n'est pas la lune que je vais lui demander.

-Humm... dites moi... Est-ce que vous pourriez me rendre un petit service ? Ce n'est pas grand-chose mais... c'est très important et là en l'occurrence il n'y a que vous qui puissiez m'aider.

Spoiler:

Ma force n'aidant pas à me faire apprécier des verriers et des collectionneurs de faïences et porcelaines, le bruit singulier que fit la jeune fille en tombant à la renverse alerta le radar de mon équipier semi-elfe.
Il n'avait pas bougé d'un pouce, l'elfe qui discutait avec le marchand en tête de caravane s'était interrompu pour me lancer au loin :

-Tout va bien ?

Je fis comme si je n'avais pas entendu. Je n'allais pas lui donner la satisfaction de constater que j'avais encore cassé quelque chose. Une personne en plus !
Mais en réalité elle avait survécu à sa chute, pas un petit éclat n'avait sauté. Je soupirais de soulagement ! C'était peut-être exagéré, mais il faut entendre une pile d'assiettes tomber pour comprendre à quelque point cela peut devenir très inquiétant quand ce même bruit se répète quand c'est une personne qui chute...
Combien ça aurait coûté devant un tribunal "bris involontaire" ?

-Oui, bien sûr, je dois faire quoi ?

S'il je peux rendre service ça excusera peut-être mon absence totale de bonnes manières.

Je dois l'avouer, si j'avais envoyé sur orbite un bon gars capable de tenir sur ses jambes, je n'en aurais pas fais une maladie. Mais cette petite créature réveillait chez moi un instinct protecteur.
Mon père m'avait bien élevé, on ne fait pas de mal aux filles, c'est la règle. Sauf lorsque certaine exceptions se présentent. Dans ces cas là, on se fiche de savoir qui va prendre les baffes.
Mais c'est un autre problème.

-Tu as besoin d'aide pour te relever ?

Et si j'avais réellement cassé quelque chose là dedans ? Machinalement, je lui tendis la main pour l'aider sans savoir que je pourrais rester ainsi indéfiniment qu'elle ne se relèverait pas pour autant.

-Tout va bien ?

C'est quelqu'un un peu plus loin, que je ne peux distinguer, qui demande cela à l'intention du jeune homme qui m'a poussé.
Il l'ignora completement d'ailleurs. Sûrement suis-je une priorité ? Bon en même temps je suis par terre et dans l'incapacité de bouger. Il soupire de soulagement comme s'il avait eût peur de ne casser quelque chose.

-Oui, bien sûr, je dois faire quoi ? Tu as besoin d'aide pour te relever ?

L'homme me tend la main, je peux encore bouger un peu, je pourrai lui prendre la main mais malheureusement cela n'arrangerait rien et je finirai par m'immobiliser totalement. Mon regard se dirige vers mon bracelet sur lequel est accroché. la clef qui sert à me remonter, j'essai de l'attraper. Mes gestes sont hésitants et saccadés, je sens les rouages à l'intérieur de mon bras forcer pour cette ultime action. Mes doigts finissent par se refermer sur le petit objet que je décroche et tends, tant bien que mal au jeune homme.

"Il suffit... d'insérer cela dans mon dos.

J'ai eût un peu de mal à prononcer cette phrase parce que non seulement mon corps s'arrête mais quand j'ai atteinds mes dernière limites mon esprit aussi se stoppe et là je ne suis plus qu'une vulgaire poupée de porcelaine.

Mon bras retombe immédiatement, laissant la clef dans la main tendue du jeune homme en face de moi. J'espère qu'il va m'aider... Sinon je suis vraiment très très mal. Ce genre de situation m'embarrasse un peu, les personnes qui passent à côté de nous ne me rassure pas non plus d'ailleurs... je n'ai jamais beaucoup aimé la foule.

-Je dois tourner aussi ?

Quelques curieux s'étaient retournés sur nous et notre drôle de conversation. Un Maitre en train de manipuler une poupée c'était déjà cocasse mais si en plus celle-ci était vivante quelques minutes plus tôt... On va finir par croire que j'ai quelques obsessions peu recommandables !

J'insérais la clef avec le peu de délicatesse qu'il me restait. Le temps de faire ça, mon elfe de compagnie (il ne fait pas le ménage et sait tirer à l'arbalète) arrivait tranquillement dans mon dos.

-Tu es en train de faire quoi ?

Je sursautais et manquais de lâcher la poupée sur le sol.
Un regard pour le semi-elfe dont l'oeil restant était surmonté d'un sourcil levé très haut.

-Je sauve une vie, ça ne se voit pas ?

...Son sourcil ne pouvait pas monter plus haut, même s'il le voulait très fort.
Me voyant complètement perdu l'elfe se pencha à son tour et tourna la clef pour moi. Il faut dire qu'avec ma force j'aurais été capable de casser la clef par mégarde.
Il me vit retourner la poupée et demander tout haut :

-Hey, ça va mieux ?

A l'elfe de faire une blague :

-Je croyais que tu préférais les garçons, pas les poupées...
-Des fois je regrette de ne pas t'avoir coupé la tête quand j'en ai eu l'occasion.
-Encore heureux ! Tu as besoin de ma tête pour compenser l'absence de la tienne !

Il se releva et observa très curieux de voir ce qui allait arriver.

-Je dois tourner aussi ?

Je hoche difficilement la tête, mes yeux commencent à se fermer tout seul et ça se n'est pas bon signe du tout.

Je sens le jeune homme insérer la clef dans mon dos, mes yeux sont toujours un peu ouverts, je lutte contre l'immobilisation qui me prend petit à petit. Je sens que plusieurs personnes nous regarde mais tout me parait si lointain...même les voix semble venir de très loin, j'entends à peine ce qui se dit autour de moi.

-Tu es en train de faire quoi ?

Une nouvelle voix ? Qui Est-ce ? Je sursaute, ah non, c'est l'homme qui me vient en aide qui vient de sursauter.

-Je sauve une vie, ça ne se voit pas ?

Je fini par fermer complétement les yeux, n'arrivant plus à lutter... J'ai fait ce que je pouvait pour rester éveillée le plus longtemps possible...et c'est le noir complet...

-Hey, ça va mieux ?

Hmm ? Me...me revoilà ? Le jeune homme me retourne et nous nous retrouvons face à face, je reprends conscience peu à peu et tout me revient au fur et à mesure. Mes sens notamment, l'ouïe revient en dernier ce qui fait que je n'ai pas très bien entendu les deux hommes parler mais peut être n'était-ce pas si important que ça ?

Le second homme qui semble être un elfe se redresse et me regarde, il ne sait pas à quoi s'attendre pourtant ce n'est rien d'extraordinaire qui va se passer.
Je me relève lentement avec quelques spasmes mécaniques, c'est normal, tout mon système se remet en marche. Je cligne des yeux, bouge les doigts et regarde les deux hommes. Un petit sourire étire mes lèvres

"Merci."

-De rien.

Je manquais un peu de sincérité en pensant que j'étais la cause de son malaise. Je m'abstins de le dire à haute voix de peur que l'elfe se charge de me le rappeler la prochaine fois que je devrais sortir une assiette d'un placard.

Un oeil pour Ayame, ce dernier souriait de toutes ses dents. Rassuré que je ne joue pas à la poupée, il s'empressa de se pencher sur la demoiselle à qui il tendit la main.

-J'espère qu'il ne vous a pas causé d'ennuis. Je me présente, Ayame, Capitaine de K'ouen. Et voici :
-Wergeld.

Je l'avais coupé trop tôt pour l'évité, l'elfe eut tout le temps d'ajouter :

-Maitre de K'ouen.

Il adorait son petit effet. La caravane se remettait en marche et bien qu'il aurait adoré compenser mes mauvaises manières par les siennes, bien meilleures, il nous salua rapidement avant de repartir en tête. Plus haut l'attendait les scientifiques de nouveaux prêts à lui remplir la tête de nombres et de mots qu'il aurait bien du mal à coucher sur le papier lors de la synthèse qu'il devra rédiger ce soir.

Ceci dit de mon côté :

-Tu veux que je t'emmène en ville ? Ce sera plus confortable de voyager sur ma monture.

Et moins dangereux pour elle.

-De rien.

Le brun semble mal à l'aise, alors que son compagnon elfe lui, sourit grandement et me tend sa main qui pour moi parait vraiment très très grande... Un peu hésitante, je la lui serre avec le peu de force que je possède. Je peux en avoir plus, de la force, mais bon, je garde l'effet de surprise pour qui me cherchera des ennuis. Et ces deux là ne me veulent pas de mal alors.

-J'espère qu'il ne vous a pas causé d'ennuis. Je me présente, Ayame, Capitaine de K'ouen. Et voici :
-Wergeld.

-Maitre de K'ouen.

Des ennuis ? Il viens de m'aider, cela ne se voit donc pas ? Enfin... Maître de K'ouen ? Dois-je prendre ça comme un grand honneur ? Je n'en sais rien, et puis cela n'a pas réellement d'importance. J'incline la tête en guise de salutation et dit d'une voix posée:

"Je m'appelle Ningyo."

La caravane reprend son chemin et le dénommé Ayame nous adresse une salutation puis il rejoint la tête de toute cette petite organisation. Me laissant seule avec... comment déjà ? Wergeld il me semble.

-Tu veux que je t'emmène en ville ? Ce sera plus confortable de voyager sur ma monture.

Je lève la tête vers lui et le fixe quelques instant. C'est gentil de sa part. Mais Est-ce une bonne idée de suivre quelqu'un que je connais à peine ? D'un côté il m'a beaucoup aidé, il faudra que je trouve quelque chose pour le remercier.

"C'est très aimable à vous. Mais je ne voudrai pas vous encombrer de ma personne, je vous dois déjà beaucoup et je n'ai aucun moyen de vous remercier."

HRP:

-Enchanté.

J'armais un sourire.

-Sarkina !

Le Cyliong apparu, aveugle et placide comme de coutume, il huma l'air et soupira un faible grondement.
Ce passage par le titre Sarkina ne lui avait pas plu. Ça aussi c'était une habitude, de celles dont il aimerait se passer. Il s'approcha doucement et son museau immense se pencha vers ma voisine.
J'en profitais pour me saisir des rênes.

-Cette monture nous porte moi et Ayame, alors je suis sûr qu'il se fera à ton poids.

Je me penchais pour lui tendre une main polie.

-Tu permets ?

Je vie avec l'elfe depuis près de 5 ans, il faut bien que ses manières m'influencent un peu. Ce n'était que la deuxième explication. J'avais seulement peur de provoquer chez elle un nouveau malaise ou pire que je casse quelque chose de fragile.
La porcelaine et moi...

-En fait, ça m'arrangerait que tu acceptes que je t'escorte en ville. Tu vois l'elfe et les gens à qui il parle là bas ?

Je lui désignais le petit groupe à l'écart de la caravane qui attendait patiemment son tour.

-Ces types sont particulièrement ennuyeux et j'aurais bien besoin d'une excuse pour leur fausser compagnie.

-Enchanté.

Il sourit. Pourquoi il fait ça ? Je n'ai jamais vraiment compris cette manie de relever le coin des lèvres. Je ne le fais jamais, je n'en voit pas l'intérêt. Et quand je le fais c'est exceptionnel et c'est pour éviter de paraître trop... "Objet".

-Sarkina !

Un gros je ne sais pas trop quoi fit son apparition. Soufflant et grondant, sa grosse tête se dirige vers moi. Par réflexe et un peu apeurée et impressionnée, je recule, allant presque me cacher derrière Wergeld.

-Cette monture nous porte moi et Ayame, alors je suis sûr qu'il se fera à ton poids.

En espérant qu'il n'est pas la fabuleuse idée de me croquer... Je suis solide mais quand même... Le jeune homme se penche vers moi et me tend poliment sa main.

-Tu permets ?

J'acquiesce d'un signe de tête et pose ma toute petite main dans la sienne.

-En fait, ça m'arrangerait que tu acceptes que je t'escorte en ville. Tu vois l'elfe et les gens à qui il parle là-bas ? Ces types sont particulièrement ennuyeux et j'aurais bien besoin d'une excuse pour leur fausser compagnie.

Levant la tête pour le regarder a nouveau, je comprend parfaitement ce qu'il veut dire. Certains aurait put prendre ces propos mal mais, pour commencer, moi j'ai une dette envers lui.

"Oui je comprend. J'accepte d'autant plus alors votre proposition. Et concernant ces gens... Je vous dois bien ça."

Est-ce que je dois sourire ? Je pense que ça serait pas mal... Alors, un petit sourire retrace mes lèvres, leur donnant la forme gracieuse et arrondie d'un croissant de lune.