La traque

Augure reprit le rôle de patron et expliqua le plan à la nouvelle venue. Si la banquière de Entre-Monde maîtrisait vraiment le métal comme les rumeurs le laissait dire, le forage et la fragilisation des parois allait être un poil plus simple. Parce que jusqu'à maintenant, je n'avais pas vraiment vu comment faire tomber 2 tonnes de roche sans tomber minimum 10 fois dans les pommes.... Les ordres de l'homme le plus agréable au monde comportaient des failles, mais il repartit aussitôt en compagnie de Syena pour attirer le matou.
Je me pinçais l'arrête du nez en soupirant, et levait mon poing en dépliant les doigts au fur et à mesure que je listais les problèmes que nous rencontrerions probablement :

– Un : Je ne sais pas où il veut qu'on fasse apparaître de la matière pour avoir un éboulis aussi haut que le mur dont il proviendra. Deux : A moins que l'une d'entre vous sache modeler la pierre, les éboulis formeront forcément un escalier. Trois : Si le chat arrive dans 5 minutes, on est tous morts. Quatre... Bon je ne vois que ça pour l'instant. Peut-être que je me rendrais compte d'autres problèmes en haut. Pouvez-vous commencer les puits de forage, Mme Welgaïa ? Je viendrais vous prêter main forte une fois que j'aurais trouvé le meilleur stand de tir. Bon courage. Si le chat venait à se pointer, je vous préviendrais.

Je tournais les talons et longeait la gorge de pierre. Pendant un bon quart d'heure, je cherchais un endroit où le couloir était à la fois droit et plus ou moins étroit -en tout cas pour une bestiole de 10m. J'espérais seulement que le matou n'allait pas comprendre le plan en voyant de trop loin que le canyon serait bouché d'un coté. Mon poste de tir m'offrait une vision sur l'entrée du canyon au loin, et le cheminement dans la gorge rocheuse. Laissant un shuriken planté dans le sable pour que son reflet m'indique plus rapidement mon lieu de tir, je me dirigeais dans le canyon. Les deux demoiselles étaient affairées au forage de la paroi. J'utilisais les balles classiques que je chargais de puissance pour fragiliser le bas des parois, et quand le moment fut venu, je chargeais d'autres balles pour être suffisamment explosives et laissait Dame Welgaïa les envoyer là où il fallait. Dans un faible bruit, puis un fracas de tonnerre, les flans du canyon s'écroulèrent, barrant la route d'un mur rocheux poussiéreux et instable. Si l'Acturien passait par là, il allait se heurter à un vrai mur mouvant.

L'autre extrémité du piège naturel fut fragilisé de la même manière, afin qu'un choc important fasse s'écrouler les roches. Le piège était tendu. Je remontais à mon poste de tir pour étudier le meilleur emplacement quand un éclat attira mon attention. La Magnétic. Utilisant la lunette du fusil, je pus me rendre compte de la dangerosité et de l'énormité de la bête. Bon sang que ça va être sportif. Je sifflais pour attirer l'attention des deux femmes et les avertissaient. Le félin arrivait. J'espérais qu'elles trouveraient une solution pour rester hors de portée des attaques du félin le temps que le piège se déclenche.

Les deux motos s’engouffrèrent dans le défilé de pierre, le chat crachant et tranchant l'air de ses griffes pour éliminer la source du sonar. La chasse était ouverte.

Spoiler:

Ces mâles avaient déjà choisi les méthodes et les outils. Convaincue qu'ils venaient d'une ère préhistorique, Dinu Mihai pris la mouche aussitôt le premier éloigné.

-Des forages... Et pourquoi pas danser sous le soleil pour appeler la pluie !

Bien sûr elle pouvait perforer cette montagne de part en part, d'un trou si net et si large qu'on verrait le soleil de l'autre côté. Bien sûr, encore, elle pouvait garnir ces trous de billes de Sodium. Elle avait prévue une gourde d'eau pleine à ras-bord justement au cas où. Et puisque Mon seigneur Krayt avait un côté explosif, elle pouvait faire s'effondrer un pic de roche en moins d'une heure pour peu d'énergie dépensée.
Tout ça était possible, mais loin d'être ingénieur ou artificière, la banquière se disait que ce serait bien embêtant si le forage était mal fait et que la roche, même avec une explosion, ne se détache pas de la falaise.

Cinq minutes minimum. Comment devait-elle percer deux falaises en cinq minutes dans l'espoir que le simple forage cause assez de dommage à l'intégrité de la pierre pour qu'elles s'effondre à coup sûr ? Interdite, elle commença son travail.

Dinu Mihai avait d'abord songé à un filet. Elle aurait pu visser des filins d'un alliage à base de titane ou peut-être d'acier sur toute la hauteur du canyon. L'exercice était plus long mais bien plus pratique. En effet, ses billes de sodium destinée à faire tout sauter auraient été utilisées pour autre chose. Avec pour support son filet invisible, la lumière produite et la détonation aurait servi à détourner le félin de cette sortie là.
Nul problème d'escalier. Les filins auraient été bien assez tranchant pour le dissuader d'y grimper et bien assez solide pour qu'il lui soit juste assez compliqué de le déchirer. Du temps de gagné pour qu'il inspire longuement les fumées toxiques.

Le premier plan fut exécuté. Dinu Mihai faisait rouler les foreuses artificielles dans la roche. En silence et concentrée sur sa tâche. Elle perfora d'abord de profonds puits sur chaque versant. Allant d'une grève à l'autre à l'aide de son éternel petit engin de métal blanc.
Ensuite elle perfora des cavités horizontales sur les parois. Deux heures plus tard elle fit rouler ses petites perles de sodium pur dedans. Y déversant un peu d'eau de sa gourde. Le sodium réagit violemment. Cela provoqua à chaque fois une réaction en chaîne, les perles produisirent beaucoup de fumée et des détonations étouffées. Au départ, la déesse pensait avoir bêtement raté son coup : trop d'eau, pas assez de réaction du sodium, la pierre était peut-être juste trop dense...

Sur l'une des falaises une fissure apparue à son sommet, elle partait du dernier ouvrage percé. Au départ fine, une explosion tardive la fit s'élargit soudainement. Un grondement sourd donna vie au canyon. La pierre se déchira, l'éboulis était au sol et une épaisse purée de poids s'éleva jusqu'au ciel. Le tremblement qui s'ensuivit finit de détacher de l'autre paroi les pierres que Dinu Mihai avait essayé en vain de faire exploser.

La physique faisant les choses à sa manière, une pointe rocheuse surplombait la montagne de roche qui avait rempli les deux tiers de l'ouverture.

A l'opposé de là elle passa une heure à répéter une opération similaire : des trous. Elle y disposa de faibles support en acier sombre. Une corde de métal s'accrochait à la roche de la falaise jusqu'à l'autre extrémité du piège. Ainsi, le mur et la porte du clapier étaient relié par ce fil d'ariane. L'assurance pour la déesse de réussir à faire s'ébouler de falaise quand le lapin et les chasseurs y seraient à leur tour.

Ce n'était pas encore tout à fait suffisant.
La déesse suant sous le soleil et la fatigue se fit porter jusqu'au niveau du sol.
L'escalier était là. Elle-même aurait pu grimper jusqu'au sommet et passer de l'autre côté en y mettant un peu du sien. Elle resta là un bon quart-d'heure à réfléchir. Ce mur ne servait pas à grand chose en l'état. Il lui était totalement impossible de déplacer les pierres, le temps des miracles étaient révolu depuis longtemps pour elle. Alors, elle s'assit sur le mur. Les bras croisés. Du métal liquide et lumineux se répandit sur la roche, cette écume tapissa en une demi-heure chaque centimètre de cette façade du mur. La pierre en devint si lisse que le soleil explosait dessus en gerbe de lumière. Elle venait de s'offrir un escalier, certes, mais en métal scintillant.

Epuisée, la banquière s'accorda du repos. Elle réservait de belles surprises au premier chat qui se pointera sur son coin de canyon.

Le bruit des véhicules porta jusqu'à eux. Il semblait amplifié dans l'étroite fissure. C'était le moment. La déesse se hissa par magie vers le sommet de sa pente métallique. Elle avait disposée d'une heure de repos. Ses mains tremblaient et pour une fois son cœur était audible dans sa poitrine.
Son cordon à bout de bras, elle n'aurait qu'un geste à faire pour que l'acier se désolidarise comme de la poudre. Là bas, la pierre manquant de soutien ne manquerait pas de chuter à son tour en quelques instants.

Spoiler:

Du haut de mon perchoir, je vis les pans de roches s’écrouler dans un fracas de tonnerre. Le nuage de poussière qui s’éleva me fit plisser les yeux quelques temps. Toute fuite pour le chat géant est désormais impossible.
Mais tandis que j’agitais la main devant moi pour disperser les dernières volutes de sable, l’idée que la fuite –ou pire, l’aide aux 3 personnes en bas- était impossible également. Les trois d’en bas allaient devoir survivre à l’enfer le temps que le félin se retrouve au tapis. Prenant une grand inspiration, je vidais mon sac à mes cotés, étalait mes balles classiques  et enfer, et tirait violement sur le verrou de la chambre de tir. J’armais mon arme, et visait.

La première fois n’est jamais la bonne, on nous le répète souvent. Ma toute première balle rata le monstre d’un bon mètre, le recul de l’arme m’ayant fait trembler le bras et la crosse cogna contre mon épaule avec force. Les épaulettes de cuir absorbèrent une grande partie, mais je compris qu’il fallait que je m’applique si je ne voulais pas mon épaule ne rende l’âme.
Le deuxième tir fut plus encourageant. Une balle ripa contre la peau du chat, mais l’épaisseur était telle que celui-ci ne sembla guère affecté. Bon sang, n’allais-je servir qu’à faire un feu de joie ?

Un rapide regard dans la lunette me montra qu’Augure avait l’air de s’amuser. Ce type apparaissait et disparaissait partout. Certains avaient de la chance que leur pouvoir ne puise pas dans leurs réserves. Si jamais j’osais une telle dépense de magie en si peu de temps, je serais déjà en train de baver dans un coin. Mais sa technique n’était pas stupide. Et quand il sonna momentanément le félin avec l’une de ses –mes !- cestes, je ne puis réprimer un sourire et parlais à moi-même.

– Je fais quand même du bon boulot.

Ouvrant le verrou, je laissais la douille voltiger avant d’ôter un gant. Le prochain tir serait une spécialité maison. Serrant la balle dans le creux de ma main tout en dirigeant le canon de l’arme en direction de la patte, je chargeais la munition de pouvoir. J’avais une dizaine de seconde devant moi.
Insertion, fermeture du verrou, visée rapide, tir.
La balle fila et rata de peu le chat que s’agitait dans tout les sens, frappant au hasard. Un bruit sourd retentit dans le vacarme de la bataille et un impact gros comme un boulet (ndr : aka 15cm de diamètre environ) se creusa sans crier gare dans le sol du canyon. Niveau puissance, ça suffisait. Restait à toucher la bête. Et viser dans un temps limité une partie du monstre qui n’arrêtait pas de bouger….

La deuxième tentative ne fut pas plus couronnée de succès, mais la troisième se planta dans la patte avant droite, alors que celle-ci s’était immobilisée en tenant d’écraser Syena contre le mur. La détonation le blessa légèrement, et un cri de douleur  suraigu résonna dans le canyon.
J’essuyais la sueur qui me coulait du front. La combinaison soleil et magie avait tendance à fatiguer. Mais si j’arrivais à viser les mêmes zones assez souvent, ce gros chat finirait par crouler son propre poids. Restait à savoir qui de lui ou de moi allaient fatiguer le premier.

De son perchoir Dinu Mihai ne savait pas vraiment si elle avait envie d'aider plus que cela les pointures qui se démenaient contre le monstre d'arcturus. Elle les observait sans pouvoir se décider sur la marche à suivre. Elle en avait déjà fait assez, tout de même, ils avaient pris cette mission en connaissance de cause. Ils pouvaient remercier le ciel de leur offrir ce coup de pouce divin.

Le métal sur l'escalier formait des bulles grosses comme des ballons météo. Elles gonflaient et dégonflaient, rendant le passage impossible à escalader à moins de réussir à sauter par dessus. Le métal y était lisse et scintillant. Aucune prise possible même avec des griffes grandes comme des épées. Le passage était scellé.

Au dessus d'eux, Corben tentait sa chance.
Il était clair que les aventuriers tentaient de faire se coucher l'animal. Soupirant, Dinu Mihai accéda à leurs voeux une fois encore.
Elle descendit de sa montagne et enfourcha la moto. La coque de protection l'a recouvrit totalement. Les pneus arrachèrent la poussière du sol en propulsant le véhicule.

Un Dieu n'a pas peur de mourir. Car les dieux ne meurent pas comme ça, n'est-ce-pas ?

La moto projetée à toute vitesse sur une patte arrière du monstre, elle emporta l'appui de la créature en même temps que le véhicule se couchait sur le sol. Dinu Mihai s'éjecta de l'habitacle avant que l'engin n'explose en rencontrant la falaise.
De la roche et des bouts de métaux furent éjectés dans toutes les directions.

Bouche bée, je regardais la Déesse et Augure maltraiter le félin géant à coup de moto et de morceaux de moto. Ma première pensée vint à ma Magnetic, et à la chance qu’elle avait eu de ne pas être conduite pas Dinu Mihai en personne. Ma seconde vint au chat, qui finalement, s’en était pris plein les pattes en l’espace de quelques minutes, et gémissait, peinant à se relever. Bandes de brutes. Et la troisième pensée vint à ce que pourrait me faire Augure si je ne me décidais pas à enflammer rapidement les sachets de tabacs amassés autour de la gueule du félin.
Dans le « silence » du canyon, trois coups de feu résonnèrent. Un nuage de fumée blanchâtre, légèrement bleutée s’éleva autour du museau de la bête tandis que les sachets prenaient feu progressivement. Les grandes barrières de métal qui bloquaient les entrées empêchaient aussi les courants d’airs trop violents et la fumée s’envolait raisonnablement droite pour que la majorité des drogues agissent sur le monstre.

Il fallut tout de même deux bonnes minutes de geignements de plus en plus mous et plusieurs minutes de silence, entrecoupés par les soubresauts nerveux de la bête pour que je me relève, certain que le tabac avait fait son travail. J’avais l’épaule en compote, ma gourde glacière était vidée depuis un bon moment et la soif m’assaillait. Au final, la bataille avait été presque trop rapide par rapport à ce quoi je me serais attendu. Mais le fait d’avoir eu la déesse des métaux dans notre camp nous avait tout de même bien aidés. Augure aussi avait été efficace, mais ça je me garderais bien de le lui dire.

Aplanir les murs de roches argentées pour faciliter le travail du rhinocéros mécanique fut « relativement » facile, une fois l’argent retiré. Et alors que le chat endormi s’en allait vers d’autres aventures, je croisais mes doigts, et les étirais au ciel, pour faire craquer mes épaules douloureuses.

– Si tous les autres monstres sont aussi « faciles » à arrêter, les autres devraient être enfermé le temps qu’on revienne à la bibliothèque.

Un peu plus enjoué que ce matin, je me fendais d’une révérence respectueuse envers Dinu Mihai, qui finalement, avait surement fait plus des trois quarts du boulot préparatoire à elle toute seule, puis remerciait les autres chasseurs.

- Noble dame, soyez remerciée pour l’aide précieuse que vous avez apporté à cette chasse. Beaucoup de scénarios catastrophes ont pu être évités grâce à vous. Dame Syena, Taranya, bravo et merci à vous deux pour votre remarquable travail ………Toi aussi Augure, bien joué.

Il me remerciera surement d’un « Hmmmf » ou même d’un « tu m’as tiré dessus, espèce d’abruti » ou même de rien, mais bon. On était en vie et relativement tous indemnes. Et ça, ça appelait à fêter ça autour d’une bonne boisson fraîche. Par contre, comment allions-nous rentrer ? Nous n’avions plus que deux motos, pour cinq.

En se relevant, elle devait l'avouer. Elle résistait moins bien qu'auparavant. Après un basilic téméraire et une chat géant, elle ne pouvait plus nier ce que révélaient les égratignures qui les parcouraient les bras et les épaules et les entailles variées qui dessinaient autant de papillons rouges sur ses vêtements autrefois blancs.
La Legacy n'était déjà qu'un souvenir à peine sortie de son hangar. Quant à la déesse, elle se massait un poignet qui la faisait grimacer de douleur. Serait-il cassé ?

Les œuvres terminées, le félin fit une dernière révérence en disparaissant avec l'animocanique. Elle rejoignit le groupe attirée par la curiosité de savoir ce qu'ils feront maintenant que le gros de l'aventure était terminée.
C'est dommage elle serait bien restée plus longtemps.

Elle préférait déjà ce ton là ! Noble dame, c'était déjà plus proche de Vénérée Déesse que de Dame Dinu Mihai que l'espèce de bonjour maussade auquel elle avait eu le droit à son arrivée. Allons bon, ceux là n'étaient pas tout à fait irrécupérables, avec un peu d'effets pyrotechniques et des primes conséquentes peut-être seront-ils plus avisés de ne pas contrarier la déesse.

-Le spectacle devait être divertissant depuis ce perchoir, fit-elle en les invitant à se tenir les uns aux autres. Elle ajouta même : Prenez aussi vos effets, sinon nous partons sans.

Aussitôt dit, elle activa son perçant qui les déposa sur une large place au coeur des Fumeroles.

De la lumière éblouissante du désert à la pénombre des souterrains, elle en fut aveuglée partiellement. D'un côté de la place une large voie ouvrait sur le sanctuaire. A l'opposée on discernait la clarté surgissant de l'extérieur, il s'agissait de l'un des escaliers reliant les souterrains aux quartiers extérieurs.

-Lorsque vous irez à la bibliothèque, veillez à donner mon nom à Eva.

Ces quelques mots en guise de salue, elle esquissa ses premiers pas vers le sanctuaire. Pour l'une de ses rares visites. Depuis tout ce temps... Ce devait être la seconde fois.