Chasse à Choups

La saurien s'éloignait. Mécontent, et moi tout sourire. Empiéter sur l'espace vital des autres est un de mes passe-temps favoris. J'aime contredire et m'imposer, toujours pour mon seul plaisir. Avec mes deux guides et l'alchimiste en moins la taverne me paraissait bien moins encombrée. Tout était exactement rangé à sa place, un groupe là était en pleine discussion, les uns penchés vers les autres, celui qui monopilisait la parole insistait sur chaque mot en appuyant de l'index sur la table. Armés jusqu'aux dents, ils se préparaient à une sacrée chasse.
Je ne faisais pas encore le lien entre leur frénésie et cette histoire de chupacabra dont il fallait s'assurer qu'il soit encore en vie et bien portant...

Quand on m'a engagé c'était pour une "filature en milieu rural"... Traduit par les commissaires qui m'ont accompagné cela donnait : "filer le train à un chupacabra pour faire plaisir à des scientifiques". Jamais on n'a mentionné que je venais pour cueillir des fleurs. Comme il le dit si bien, je n'ai pas l'air d'une cueilleuse. Je ne savais toujours pas à quoi il jouait dans cette taverne, l'animal était sauvage pour peu qu'il soit assez intelligent pour ne pas s'approcher de cette communauté trop portée sur la bière bon marché.
Dans le doute, je me retins de le contredire.

-On est jamais trop prudent de nos jours. Moi c'est Dité.

Pas de poignée de main, on m'a prévenu que le nouveau commissaire était un favoris de son altesse K'ouen. Et le magazines en disait long sur ces deux là. Juste assez pour que je sois sage une minute.

-On sort ?

Il devait entendre ces mots : "on sort pour que tu me racontes tout ce qui est important pour ma survie". Un séjour à l'hosto et j'ai remplis mon quota d'arrêts maladie de l'année. Commissaire favoris ou pas, nous devions trouver cet animal et s'en sortir sans une égratignure.

[hrp : je nous fais avancer, tu me bip si tu veux que je change un truc]

Il céda, on quittait la taverne et s'éloignait du village. La nuit ne lui faisait pas peur, moi un peu plus. C'est un truc de fée. Un instinct dont je me passerai bien, car les fées aiment le soleil et la lumière... Mais je suis une fée du lotus bleu, je devrais apprécier cette nuit en montagne. Il y avait du vent et l'air était froid, assez pour me faire frissonner en sortant de l'enceinte du village.
Près d'un frêne assez épais pour nous dissimuler tous les deux, il se pencha pour chuchoter. Il m'expliqua la chèvre morte, les villageois qui traquent l'animal, son idée de leur donner un coup de main.
Soit le chupacabra qu'on cherche est juste un prédateur, il fallait l'imaginer comme un tigre en plus intelligent.
Soit le chupacabra était un humain le jour, alors, il pourrait être une personne disparue récemment ou quelqu'un qui faisait partie des chasseurs (un bon point pour l'animal si c'est ça).
Donc les gens allaient enfermer leurs bêtes dans l'étable du village et entourer le bâtiment de piège. C'était un bon plan, si on voulait qu'ils tuent Choups...

-Sauf si on le prévient.

Problème du village réglé si j'ai bien compris. Ils resteront cloitrés le temps qu'on aille s'amuser en montagne pour trouver la bête. Dans les deux cas, prévenu ou non, humain ou animal, il restera à l'écart les premiers temps. La faim le rendra moins méfiant, on saura l'attirer ou le trouver... Et je compris l'excuse de la cueilleuse de fleurs en même.

-ça nous permet de nous éloigner sans risque donc. Faut voir qu'ils nous collent pas un larbin dans les pattes. J'aime pas trop l'idée de mener l'enquête dans le village. Ils l'ont dit, ils n'ont perdu personne, ça m'étonnerait que choups se soit aventuré à l'intérieur de l'enceinte, et ces types ont vraiment l'air de chasser le sanglier plutôt qu'un prédateur aussi gros...

Au moins on était tous d'accord là dessus. Des éleveurs font de mauvais chasseurs... De dangereux chasseurs même. Qui sait s'ils ne feront pas de bêtises avec leurs armes.

-T'as sûrement besoin de repos. Demain on pourra commencer à repérer le terrain, les endroits où il pourrait se dissimuler et autre. A moins que tu aies une meilleur idée.

Le vent levé contre la fenêtre, il siffle dessous, dessus, à l'interstice inégale. Il siffle depuis une heure ou deux.
Les bras croisés derrière la nuque, je somnole sur un lit à l'étage de leur auberge. Je préférai rester éveillé. Des bruits de pas et des rires venant du dessous me rendaient nerveux. Des villageois enragés en voulait à Choups, ils s'improvisaient chasseurs de monstres. Et quand on improvise on fait forcément des erreurs. Dité savait se défendre mais éviter les balles, elle sait faire ? Je sais ne pas être dans la ligne de mire, jusque là on devrait pouvoir s'en sortir sans dégâts imprévus. Avec un peu de chance.

*Choups était un prédateur extérieur et dans ce cas nous n'aurions qu'à faire la chèvre loin du village. Il viendrait nous voir à un moment ou à un autre. Avec pour mission de nous dévorer. Il faudra penser à une stratégie de repli.
Mais si Choups était un humain et donc qu'il se transformait la nuit par exemple, il était déjà dans le village. Il était tout proche et il resterait là un moment. Nous devrons mener l'enquête, le débusquer, lui conseiller d'aller ailleurs ou de faire comme tout le monde : s'acheter un troupeau de chèvres pour sa consommation personnelle. *

La fée préférait la chasse extérieure. Je voudrais éliminer d'abord les villageois avant de m'aventurer en montagne. Chercher dehors sans être sûr qu'il est...
Des bruits de cloches et des voix s'interpelaient mutuellement à l'extérieur. De la fenêtre je vis les villageois s'atteler à réunir les animaux dans une seule et même étable. C'est en les voyant fermer la porte avec des chaînes que j'eus une idée plutôt dangereuse mais elle nous ferait gagner du temps !

Le jour se levait, pas beaucoup dormi et cette drôle de position m'avait offert de bonnes courbatures. RIen de suffisamment douloureux pour faire disparaitre mon bonheur. En trouvant Dité, je l'éloignais des oreilles indiscrètes :

-T'as déjà piqué une chèvre ?

Et le plan était :

-Viens avec moi, on quitte le village. Dans une heure tu reviendras pour dire qu'on a été attaqué en forêt, que la bête m'a emmené.

J'enlaçais sa taille et nous entrainait sur la route qui sortait du village. Quelques regards se posèrent sur nous, cela suffirait à éviter que des curieux nous suivent.

-Pendant qu'ils s'éloigneront pour chasser le possible chupacabra qu'ils imagineront, j'irais voler une bête. J'aime pas servir d'appât pour un animal aussi dangereux que Choups, je préfère de loin qu'on s'en trouve un sans avoir les villageois dans les pattes.

Subtiliser des chèvres n'est pas dans mes activités préférées. Mais en plus de ça, le borgne se propose de me faire jouer la damoiselle affolée. S'il n'y a ne serait-ce qu'un seul pécore qui connait ma réputation de fée bourrine, son plan tombera à l'eau. Bien sûr, c'est supposer l'intelligence du guss qui saurait se méfier. Son plan fonctionnera...
A l'abris dans la forêt j'essayais de bien comprendre l'idée. C'est qu'il cogite dur pour quelqu'un qui n'a pas dormi.

-Tu veux coincer les villageois dans le village afin de chasser en forêt tranquillement. Et que Choups soit humain ou non tu veux l'attirer en forêt, pour lui causer peut-être ?

A-t-il pensé que si l'autre truc griffu va en forêt pour attaquer notre appât ce sera avec une fringale d'enfer ?

-Qu'on soit d'accord, je veux bien t'aider à voler une chèvre, à attirer Choups et ce qui s'ensuit. Mais on ne sait toujours pas s'il est doué de raison ou non. Si on tombe sur un ours tu comptes t'y prendre comment ?

La réponse "on le tue" était sage, mais si l'ours c'était Choups adieu notre prime. Donc on le capture. Et comment on capture un chupacaba ?
Le Sarkina. Dinu Mihai était un génie, une déesse qui savait faire plaisir aux aventuriers et rendre la chasse aux monstres vraiment marante. Dinu Mihai, si tu lis dans mes pensées en ce moment même, sache que je suis folle de toi. Une vraie fan comme t'en as jamais eu.

Une heure plus tard...
On avait évidé le sang d'un sanglier sur le sol t envoyé des trainées morbides dans toutes les directions.

-Okay, c'est l'heure, planque toi.

La gorge éclaircie, je suis allée jusqu'au village, jouant la comédie de la sorte : larmes aux yeux, tremblantes, du sang puant sur les vêtements et le visage... Mais surtout une voix perçante (je suis une femme !).

-Il l'a emporté ! Le Chupacabra il l'a emporté !

Une foule dense se réunit autour de moi et pendant que quelques femmes m'entrainaient avec elles pour me réconforter et me débarbouiller, les hommes prirent faux et fusils et gagnèrent la forêt pour lui faire la guerre.

A côté de la taverne le gérant avait empilé des cageots et des caisses parfois vides, parfois pleines de bouteilles vides. Des tonneaux aussi tenaient lieux de gardes à un petit cul-de-sac que personne ne surveillait. Il n'y avait que moi, et un rat dégustant son poids en détritus. Tous les deux nous étions aux premières loges pour voir Dité se faire emporter chez une voisine accueillante dans les bras d'un groupe de femmes. Je n'irais pas la sortir de là, je tiens à la vie.
Et ceux qui m'intéressaient bien plus venaient de quitter le village armes à la main. Très peu d'hommes restèrent dans le village. quelques couards préféraient faire semblant de monter la garde au village, et d'autres finissaient de faire rentrer les bêtes dans l'étable commune.
Une dizaine de têtes en tout, sans compter les femmes. L'homme lézard qui ne cessait de se méfier la veille était là lui aussi, il craignait une entourloupe.

La taverne était le dernier bâtiment avant qu'une ruelle ne sépare le village de l'étable du village et de son grenier. Après avoir forcé une porte de service, je traversais la salle entièrement vidée, derrière le bar je trouvais une corde un peu abîmée mais elle semblait assez solide pour tenir une chèvre au silence.
De l'autre côté, la ruelle était à découvert, notre ami saurien et les quelques meneurs de troupeaux encore en présence avaient choisi de se poster là. Je soupçonnais la présence d'autres hommes de l'autre côté. Craignaient-ils le choupacabra ou moi ?
De jour et sur le sol j'aurais été immédiatement repéré, j'aurais pris mon pied à assommer ces empêcheurs de tourner en rond mais j'avais besoin d'une chèvre, une seule. Et l'étable était dotée de deux fenêtres d'aération, certainement pour éviter le pourrissement de la paille et faire entrer de la lumière. Cela me suffirait. Je n'avais plus besoin que d'une petite diversion le temps de traverser la rue par les airs.

Accroupis sur le toit de la taverne, je me concentrais sur l'empilement de caisses. L'une dégringola et renversait le reste de la pile, déversant bon nombre de bouteilles et provoquant l'inquiétude des gardes de l'étable. Deux se précipitèrent vers le cul-de-sac de peur que le chupacabra s'y trouve encore. Ce qui me laissa deux gardes à assommé. Je surprenais l'un d'un coup sur la nuque et l'autre : notre lézard favoris gagnait le droit de supporter une lourde migraine quand je le frappais du pommeau de mon épée.
Les indiscrets endormis, je me faufilais par la fenêtre grande ouverte dans l'étable. Une chèvre sous le bras je lui bouclais le clapet d'un noeud bien serré et prenait la fuite juste à temps par le toit du grenier.

Une heure plus tard je retrouvais Dité armes à la main elle aussi. A la nuit tombée nous laissions la chèvre retrouver sa liberté. La fée et moi planions au dessus de la dense canopée. Choups ne tarda pas à se montrer... Seulement il se contenta de reprendre la corde attachée au cou de la chèvre et de la fixer à un arbre. Muni d'une épaisse cape, le chupacabra n'était pas vraiment visible depuis le ciel, jusqu'à ce qu'il lève les yeux vers nous.

-Vous pouvez descendre, éructait-il d'une voix caverneuse en s'éloignant sous l'ombre des arbres.

La fée fut la première à se poser sur l'herbe, je me contentais de gagner une branche basse et de m'y tenir.

-C'est la première fois qu'on envoie de vrais chasseurs pour me trouver.

-T'as oublié d'envoyer une carte postale...

Il nous expliqua qu'il se transformait à la nuit tombée depuis des décennies, depuis qu'une créature l'avait blessée alors qu'il protégeait ses troupeaux. Il finit par ôter sa cape dévoilant une bête faite de fourrure et d'écailles. Ce qui nous coupa le sifflet à moi et à la Dité ce fut son regard. Deux prunelles fendues que j'avais assommé quelques heures plus tôt. Il ricana en voyant notre surprise, sa langue fourchue cinglait l'air en quête d'odeur, il imprimait qui nous étions.
Il nous promit de s'éloigner de ce village et de s'installer avec son propre garde manger là où personne ne tenterait de le tuer et de sorte que la prochaine fois qu'on nous enverrait ce ne serait pas pour le ramener à la caserne.
Après cette aventure, Dité prit son envole pour quitter la région, je la laissais partir de son côté et prenait le miens avec le chupacabra. Nous sommes allés jusqu'à Main'l pour faire savoir aux sanctuaris qu'il était en vie bien qu'un village entier avait juré de le tuer. Ils le guidèrent vers une association qui devait l'aider à se trouver un endroit confortable où élever ses propres chèvres... Et moi je m'éclipsais par perçant.
Ma première mission réussite et sans chaperon. C'est Wergeld qui sera fier ! Tout ça mérite bien une récompense...