Une visite particulière

J'en aurais levé la main si la vie était juste simple sur le sujet. Moi j'aurais bien voulu d'une fille comme elle. Travailleuse et il faut l'avouer jolie fille. À la place je me contente d'un assassin, pas moche non plus, juste très mal réputé et dont la morale frôle le 0 absolu. Les nappes de pétroles planquées dans notre sous-sol sont plus haute que sa conscience... Allez savoir où il la range.

Moi ?

-C'est compliqué. Mais si tu veux un avis qui t'engages à rien, tu te sous-estimes si je n'avais pas quelques difficultés... Je t'aurais sûrement invité à déjeuner.

Je regarde mon assiette et relève les yeux sur elle.

-De façon plus officielle.

Mieux vaut le préciser, non ?
Je détourne les yeux, les rougeurs sont pour les autres et je m'enfonce dans ma chaise, un verre à la main et l'appétit brusquement coupé. J'ai les yeux tournés vers la fenêtre et les pensées totalement vides.
Si Eönwë est une tombe pour garder les secrets j'ai peur que quelques verres et Aliénor n'en lâche les morceaux les plus juteux à qui veut bien l'entendre, je préfère ne rien dire. Ayame ne sait toujours pas, elle l'apprendra après lui. Si je trouve le bon moment pour révéler la baleine que je cache dans ma veste...

Une main dans mon col, je ne me rend pas compte qu'en tirant un bouton se détache de lui même. J'ai l'habitude de les faire sauter par mégarde, le souci quand on ne contrôle pas sa force.
Et reprenant le fil du déjeuner, je laisse vaciller un sourire et m'appuie sur la table, à peine penché dessus.

-Et avec Ez dans les parages, tu auras du mal à trouver quelqu'un... Sans qu'il ne le fasse enfermer pour pédophilie ou je ne sais quel principe sans fondement.

Un clin d'oeil. Ez est la poire qu'il me faut pour la faire rire, même si la poire en question n'est pas foncièrement méchante et qu'il mérite bien de l'estime (un peu) pour le si harassant travaille qu'il accomplie (rectification, que Stern accomplie en son nom).

La bonne parade. C'est précisément ce qu'il me faudrait, une parade pour parer le coup. à la vie à la mort. C'est un peu comme ça. Je vois mal l'autre illuminé accepté un "c'est pas que je t'aime pas , enfin si, mais faut qu'on s'arrête là, je suis du genre à préférer les filles..." Il serait fichu de détruire le mot féminin du vocabulaire de toutes les langues existante sur tout le territoire connu. Elle m'a attiré dans des pensées moins agréable qu'un simple déjeuné avec une connaissance. Je l'observe sans la voir quand le serveur perd la main. C'est bien la première fois que je le vois renverser quelque chose, et c'est quand même un comble que ça tombe pile sur elle.

Je jette ma serviette sur la table et me dresse devant le garçon de table qui soudain se sent tout petit.

-Va lui trouver un chemisier propre.

Ma voix blanche, mon regard inexpressif semble faire un total effet. Il fuit à toutes jambes hors de la pièce en quête d'un change approprié et je reste là, debout à observer la tache de vin sur le chemisier clair. C'est comme une tache de sang. Et mon sourire apparait un peu éteint et disparait alors. Je lui tends la main.

-Viens, il faut nettoyer ça.

Voilà un retournement de situation auquel je ne m'attendais pas. Trop longtemps sans un corps aussi fragile dans mes bras, enfin si on oublie toutes les fois où Caliope m'a prit pour un mulet en grimpant sur mon dos... J'hésite, ma conscience me dit que ce n'est pas pire qu'avec Fafnir, et que c'est pas malin de me mettre dans une position aussi délicate. Mais ma conscience, on l'a comprit n'a pas beaucoup d'influence sur mon jugement.
L'alcool y aidant forcément.

Mes doigts glissent sur son cou, se referment sur sa main. Et mon bras encercle sa taille, là, contre moi. Il fait chaud. L'alcool toujours. Ou ce âme vivante juste en face. Je ne serre pas, j'ai peur de l'étouffer, comme un papillon au creux de la paume.

C'est pas sérieux.

Je m'éloigne. J'ai un léger goût de maquillage sur la langue. ça fait quoi, 2 ans, 3 qu'une jeune femme ne m'a pas fait d'effet. Ils ont raison les autres, je suis un genre de moine (un peu déphasé et pas très catholique) sauf maintenant. Je ne suis pas bien loin, je ne l'ai pas libéré de ma prise et son visage est encore à porté de lèvres.

Une toux, perturbateur, il entre dans la salle et dépose le vêtement soigneusement repassé. Quelqu'un avait-il prévu que j'aurais Aliénor à déjeuner aujourd'hui ? La tête me tourne quand le serveur ressort en laissant la porte ouverte.
Le calcul est vite fait. Une minute pour atteindre la chambre. Pas de nettoyage possible pour son chemisier, je ne suis pas sûr que de toute façon il soit en état d'être reporté quand elle partira. La question restante : son prochain rendez-vous est à quelle heure ? Gwendal n'en fera pas une jaunisse que je l'appelle moi-même pour lui annoncer le retard de la protégée d'Eönwë. Non, mais il ira transmettre l'information à tous les journaux du pays. Le choix n'est pas si cornélien. Il ne sera pas à Tchen avant des heures, c'est quasi-certain.

Dans les couloirs de l'aile qui m'est réservée, il n'y a jamais grand monde. Quoiqu'il est facile de rencontrer le majordome ou quelqu'un de l'entretien. Mais cette fois, il n'y avait vraiment personne. Le serveur avait-il déjà passé le mot ? Bonne question. Aucune réponse convenable et intéressante ne se profile quand la main toujours refermée sur celle de la guérisseuse je l'entraine dans le couloir. Le prétexte est qu'il faut nettoyer cette tache, bien entendu. L'idée concrète, le salon est un endroit trop fréquenté à mon goût.
Bref, je l'embarque à bout de bras dans le couloir avant de l'emporter jusqu'à une salle d'eau, attenante à la seule chambre que j'occupe.

Et on dit quoi quand on vient d'embrassé une fille ? C'est pire que de devoir consoler quelqu'un, les mots se profilent sans être opportuns. La porte ouverte sur cette salle de bain, je libère enfin sa main. J'ai conscience d'avoir les joues un peu rouge. Mon sang bat dans mes tempes.
Il est beau le chasseur de monstres qui ne sait pas comment s'y prendre, hein ? Et les actes valent plus que des mots, je me penche, autoritaire comme seul j'en suis capable et son visage en coupe entre mes mains, je lui rends un baiser. Ni hésitation ni peur. Le vin ça a du bon.

[si tu permets on reprends ailleurs.]

[retour de la zone de censure]

Mes yeux s'ouvrent sur la clarté de la chambre. Je cligne des paupières, les frottes de mes mains lourde du sommeil du juste et bien heureux. Le drap m'avait un peu oublié, préférant couvrir la délicate Aliénor, ne restait qu'un pan à peine chaleureux sur mon dos. Je me redressais et m'assit au bord du lit, des courbatures dans le dos. À trop dormir c'est ce qu'on risque.
Je me hisse hagard et nu comme un vers sur mes pattes, de loin je vois une chemise, un sous-vêtement, bon pioche c'est le miens, le tout trainait en boule sur le sol. Je file vers la salle de bain l'air de me repérer en aveugle, au touché des coins de meuble, les yeux fermés.

Un bâillement étouffé, je fermais les robinets d'eau et finis de me sécher une serviette sur la tête et des vêtements propres sur le dos en quittant la salle d'eau. Quelqu'un était passé pour les y déposer, mais personne n'avait semble-t-il pénétré la chambre pour y faire un brin de ménage. C'est pieds nus et cette serviette encore sur la tête que je ramassais l'un après l'autre les quelques vêtements éparpillés sur le chemin entre la salle de bain et le lit. D'ailleurs la dernière chose que j'ai trouvé ressemblait à de la dentelle, je le passais sur mon bras en ignorant le feu qui me monta aux joues. La pile de linge alla s'échouer sur un fauteuil dont le dossier en médaillon m'étonna plus que son existence.

Je viens tellement peu souvent dormir dans cette chambre que lorsque j'y suis je découvre toujours des trucs nouveaux. Et dans la maison, parfois je découvre des pièces, j'ai d'ailleurs découvert un magnifique bureau accompagné d'une large bibliothèque et de divers canapés dont je n'avais pas soupçonné l'existence le mois dernier... Je n'utilise pas le bureau et ne lis que peu de livres (voire pas du tout) mais c'était comme découvrir le sentiment d'un enfant qui apprend à explorer son jardin.

Le son des draps frissonnant attira mon attention, je levais alors les yeux sur le lit pour voir si elle aussi était réveillée.

Elle marche. Mes yeux accrochent les marques visibles sur la peau découverte de ses épaules. Je me mords l'intérieur de la joue, je m'agace moi-même. Si je vis sans me soucier de ma force tous les jours c'est au mérite de devoir passer ma vie dans la zone du dehors. Mais quand je suis en ville, je me rends compte à quel point je suis dangereux pour les autres. Une poignée de main pour en briser les phalanges sans même que je me rende compte de ce que je fais.

Je bégaye par l'affirmative. Je la suis des yeux. Je me questionne. Si je n'avais pas eu mes deux mois de vacances -de mise à pieds- j'aurais été heureux d'entamer cette relation avec Aliénor. Une femme douce et généreuse, c'est tout ce que je désirais au sujet de la gente féminine. Mais comme les choses ne sont pas dans le bon sens, j'ai... Un fou furieux.

J'approche ma main de son épaule, le violet d'un bleu apparait sur sa peau.

-Désolé.

Je m'éloigne d'un pas en arrière. Pas de sourire, pas d'air triste. J'ai l'air aussi buté que d'accoutumé. Le dos droit, le visage fermé. Je l'ai regardé un instant et j'ai préféré fuir. Technique millénaire, il s'agit ici de rappeler l'instinct du mâle qui s'en va chasser pour ne pas rester trop longtemps dans sa caverne : trop risqué pour lui.
Je la dépassais pour rejoindre une comode. J'enfilais une chemise, sans même penser à la fermer j'ouvris la porte de la chambre à la volée. Là dans l'encadrement se tient une domestique rouge comme une pivoine, elle me tend un plateau couvert de viennoiserie et de deux tasses remplies de café chaud. Je pris le plateau, elle s'inclina aussi raide qu'un automate et s'en alla au pas cadencé d'un militaire en plomb.
Tout compte fais je me détourne et je file déposer le plateau sur le lit. Le temps que la guérisseuse profite de la salle de bain, je trouverais bien une solution. Peut-être.