I'm singin in the Rain...

Rendez-vous avez été donné au nord de l'Antre, sur les rives de l'Arcos. L'expédition partirait bientôt mais pour l'heure j'étais seule. Je venais juste de récupérer la livraison des montures et des nécessaires de voyage. A mes pieds, cinq gros sacs pleins à craquer. En les voyant, je me demandais si Caliope arriverait à porter le sien sans le faire traîner au sol. Qu'importe ! Cette naine saura se débrouiller. A côté, cinq grands lézards tachetés attendaient leurs cavaliers. Ils avaient mangé peu avant leur départ de l'Épicerie m'avait affirmé Médusa. J'espère bien, vu le prix que m'ont coûté ces braves bestioles. Elle est bizarre quand même cette vendeuse... Enfin, c'est Cerclon qui régalait pour le coup. C'était bien le moins que pouvait faire cet enfoiré de Grizbo actuellement aux commandes de mon quartier après ma mise à pied. Vive les vacances.

- Je me demande bien qui peut être cette cinquième personne dont m'a parlé Caliope...

Bon, ben, n'ayant plus rien à faire qu'attendre, je m'allongeais dans l'herbe. Le soleil, le bruit de l'eau, les petits oiseaux et les insectes... Que du bonheur. Un brin d'herbe en bouche, je me délassais. Après ma visite chez l'Astronome, j'avais un peu de mal à dormir. Comme si chaque partie de mon corps voulait profiter de mes nuits pour s'exprimer. Je vous raconte pas la galère... Enfin, pourvus que les autres arrivent vite. Partir loin de cette cité ingrate me démangeait copieusement.

Comme la sensation d'une présence. J'émergeais en sursaut de mon assoupissement quand un bloc de métal vint s'enfoncer juste au dessus de ma tête. K'ouen...

- Qu'est-ce que tu fais là, toi ?

Puis l'entendant parler de voyage. Caliope arriva sur ces entre-faits.

- Ah non, non, non, non, non, je refuse qu'il nous accompagne, il ne va nulle part avec nous lui ! J'ai déjà bien eu trop affaire à lui ces derniers temps, ça suffit. Rentre chez toi et va te trouver une autre occupation, petit homme, j'ai pas besoin de toi et de ton hachoir.Va voir ailleurs si tu cherches du fric, rat d'égout ! Rien à cirer qu'on ait ou non besoin de lui, on s'en passera. Il ne sait apporter que des ennuis de toute manière, c'est un fouille-merde et je n'en veux pas avec nous.

Non mais c'est vrai, ils attendaient pas que je l'accueille à bras ouverts non plus ?!

- K'an est peut-être quelqu'un de respectable et de bon mais il devrait apprendre à s'occuper de ce qui le regarde. J'ai bien assez à faire de ma chimère sans les conseils évidents d'un petit elfe.

Ben quoi ? Si K'an avait fait preuve d'un tant soit peu d'empathie, peut-être aurait-il su combien c'était difficile pour moi de me contrôler. Alors pour qu'en plus on vienne me rappeler de rester calme, alors ça, non! Cette claque, il l'avait méritée. Et de toute manière, ça n'a jamais tué personne... enfin si mais euh pas dans ce cas-là. J'avais retenu mon coup quand même... et ma chimère.

- Ces lézards sont d'excellents grimpeurs. Nous en auront besoin pour aller là où nous devons nous rendre. Je n'ai pas envie que cette expédition dure des mois. Mais ne t'en fais pas, tu n'auras pas à subir ces pauvres bêtes vu que tu NE VIENS PAS !!!

« Bizarres... »

C'était le seul mot qui venait à l'esprit de Kallistrat à cet instant. Planté un peu à l'écart comme une statue de granit, ses bras puissants croisés sur le torse, il observait les élucubrations de l'assemblée sans souffler le moindre mot. Déjà à la bibliothèque, il n'avait pas été très causant... mais là, il en était muet ! Ses pupilles fendues allaient de la toute petite chose rose à la brunette aux « yeux en plastique », comme il l'appelait mentalement. Ben quoi, les Chertans ne portaient pas de lunettes, c'était pas sa faute. Bref, deux hystériques selon lui, mais pas bien méchantes. En revanche, elles provoquaient chez lui un état de lassitude avancé. Impassible, il ne répondait pas à leurs provocations – furent-elles involontaires – et se contenait d'observer en attendant que l'on veuille bien se mettre en route. Il avait appris que le bonbon rose s'appelait Caliope, et l'autre, Immacolata. À vrai dire, aucune ne s'était présentée à lui ni même ne lui avait demandé son nom. Ça lui était égal, parce qu'il n'était pas tellement coutumier des formules de politesse dans cette société nouvelle pour lui, mais il en éprouvait un bizarre pincement au cœur. Il se sentait exclu, sans trop savoir pourquoi. Heureusement, Têk sur son épaule lui tenait compagnie et lui témoignait toute son affection, fouillant de son bec à la recherche de puces à grignoter...

Et puis il y eut un nouveau, Wergeld, que les autres appelèrent « Wu » - mais Kallistrat fut bien incapable de déterminer si ce surnom était affectueux ou non. Peu importait. Tant qu'il y répondait, ça irait à Kallistrat. Wergeld, il le connaissait vaguement pour l'avoir affronté lors du tournoi d'Atlantis, et s'être pris une bonne leçon d'humilité en passant. C'était lui, le souriceau rapide et puissant qui lui avait fait goûté le sable de l'arêne... Bref, bientôt, une tension palpable s'éleva. Attention, acte I scène 1 : Wu plante son épée dans l'œil en plastique. Oui ? Non ? Non ! Kallistrat avait tressaillit, il aurait pourtant juré, de sa place. Une chose était sûre en tous les cas : ces trois là ne s'appréciaient pas. C'était curieux d'ailleurs, qu'ils cherchent tant à faire la route ensemble. Il y avait des subtilités qui échappaient à notre Chertan. Le trio semblait sur le point de se mettre sur la figure, c'était un peu déconcertant, et encore une fois, Kallistrat pensa...

« Bizarres... »

Sans deviner qu'il n'était pas au bout de ses surprises. Son esprit se détacha un instant de la représentation à laquelle il assistait pour se poser sur les lézards. Il se demanda vaguement s'ils seraient capables de supporter son poids, regrettant qu'on lui impose une bestiole pour se déplacer. Lui préférait ses pieds, c'était plus sûr... et considérablement moins odorant ! Il plissa les narines dans une moue contrariée, observant Fafnir, le seul à ne pas sauter partout en lui brisant les oreilles – et autres parties de son anatomie dont nous ne ferons pas mention ici – de sa voix insupportablement aiguë. Le seul, également, à faire allusion au « chat mâle » qui se trouvait ici, immobile comme s'il faisait partie du décor. Ah. Il y en avait au moins un qui se souvenait qu'il était là... Oh. Par terre. Kallistrat écarquilla les yeux subrepticement. Non mais vraiment ! Il avait l'impression d'assister à ces jeux auxquels les enfants Chertan se livraient dans l'arêne, se jetant les uns sur les autres pour s'habituer à leur force et pour apprendre à coordonner leurs mouvements. Ouep, des bébés lionceaux batifolaient devant lui. Il soupira... décidément, il n'était pas fait pour avoir des enfants... Toujours était-il que pour la première fois depuis un bon moment maintenant, il se sentait gratifié par la réflexion de messire Fafnir – ou Rurik, il semblait porter les deux noms – et bomba légèrement le torse. L'espace d'une seconde, il se vit volontiers en héros légendaire qui sauvait tout le monde, avant de réaliser que cette histoire de danger n'était pas tellement à son goût...

Et de nouveau, il soupira. La petite chose rose était partie d'une grande tirade dans l'espoir de remettre chacun des individus – deux fois plus grands qu'elle sinon plus – à leur place... Il battit des paupières, attendant patiemment la suite des évènements. Oui, décidément très bizarres ces gens là...

- Raaaah...

Criai-je frustrée au possible par la tournure des évènements. Je suis gentille mais il y a des limites. Et là, franchement, ça commençait à devenir lourd. Croisant les bras sur ma poitrine, je me tournais d'un bloc dans une attitude purement boudeuse.

- Faites ce que vous voulez. De toute manière, ce n'est que le résultat de ces recherches qui m'importe, pas la nature des bras qui creuseront pour moi.

Ce faisant je remarquais enfin Kallistrat qui nous observait d'un air pour le moins dubitatif -pour peu qu'un gros chat puisse afficher un tel air-. Je m'avançais vers lui, oubliant le trio ligué contre moi. Je lui tendais une main qui se voulait amicale.

- Bonjour, euh... monsieur.

Force était de constater que je ne connaissais pas son nom.

- Désolée, j'ai oubliée de faire les présentations à la bibliothèque. Je suis Immacolata Jugalez, la naine derrière, c'est Caliope Inari, l'échalas qui s'prend pour un caïd avec sa pelle à tarte c'est Wergeld Ulsarys, et le nabot qui broute la pelouse, euh... je sais pas trop en fait.

Me tournant vers Caliope, je demandais à mi-voix, comme si Kallistrat ne pouvait pas m'entendre.

- C'est Rurik ou Fafnir, la carpette, au final ?

En fait, j'en avais strictement rien à cirer là. Je fis donc de nouveau face à Kallistrat puis sembla prendre mesure de l'homme-lion. Les lézards n'étaient peut-être pas une si bonne idée au final... Hum, j'avais peut-être eu tord dans le fond. Qu'importe !

- Bon, puisque que nous sommes, malheureusement, tous là, il serait peut-être temps d'y aller. Nous avons un long voyage à faire jusqu'au cœur des montagnes nord.

Ce disant, j'amorçais une métamorphose partielle. Ailes et queue commencèrent à jaillir sous mes vêtements alors que je continuais à parler en grimaçant de douleur.

- Débrouillez-vous comme vous voulez. Courez, volez, prenez les lézards, je n'en ai rien à cirer. N'oubliez surtout pas les sacs, ils seront bien nécessaires où nous nous rendons.

Un déchirement humide indiqua la fin de ma métamorphose, comme jaillissaient mes ailes trop lourde et ma queue trop longue pour mon anatomie humaine. Oui, j'ai l'air bizarre comme ça mais bon, c'est le meilleur compromis que j'ai trouvé pour voler facilement sans peser des tonnes. Me saisissant de mon propre sac, je le jetais nonchalamment entre mes élytres dures où il se cala sans mal. Commença alors un décollage made in Imma, tout en grâce maladroite et tentative de recherche d'équilibre précaire.

- Bon ben euh qui m'aime... ouais non en fait, en avant ça suffira.

Et je m'envolais joyeusement au dessus de l'Arcos. Nous allions devoir le remonter sur une jolie distance, j'allais être carrément crevée mais là, pour le moment, j'avais une énergie de frustration à dépenser.