Le réveil du maudit. (Ouvert à tous/4 personnes max)

Cygne resta perché sur son poste de tir le temps de s'assurer que les brutes ne reviendraient pas, louchant avec méfiance dans la direction qu'ils avaient prise. Son humeur remonta quelque peu quand il vit Lylla se relever par ses propres moyens. Plus de peur que de mal ? Tant mieux !

Pendant que Laen expliquait ce qui s'était passé, il remit la gourde en place, escalada la balustrade du balcon et s'y laissa pendre. Il lâcha prise et atterrit un étage plus bas, l'une de ses baskets claquant dans une petite flaque d'eau avec une joyeuse éclaboussure.

"De rien !" rit-il, pas mécontent de son effet maintenant qu'il pouvait le savourer.

Il se mit à se frotter la figure et les mains. Le tapis de moisissure dont il avait couvert sa peau s'effrita et tomba au sol en copeaux verdâtres.

"Bonne idée, vous devriez tous les deux aller au Sanctuaire. C'est la clinique de la ville," précisa-t-il à l'intention de Laen. "Le Sanctuaire des Braves. Ils font un super travail et on peut s'y faire soigner gratuitement, donc y a pas de lézard pour toi."

Il s'interrompit un instant, puis pouffa de rire.

"Y a pas de lézard... pour un dragon..."

Reprenant son sérieux avec un grand raclement de gorge, il ajouta :

"En plus c'est près de chez moi, donc c'est sur notre chemin avec Laen. Tu viens Lylla ?"

Bien que Laen n'ait pas eu le temps de répondre à son offre, Cygne tenait pleinement pour acquis qu'il serait son invité. Il avait aussi déjà oublié sa résolution d'attendre un peu avant de raccourcir le nom de Laenavenn devant son nez. Les roustes, ça forgeait les amitiés, non ?

-Il faudrait peut-être aussi t'examiner, tu pourrais avoir reçu de mauvais coups... Et aussi, Cygne, encore merci pour les avoir fait fuir. Je ne sais pas si j'aurais supporté de donner ne fût-ce qu'un autre coup...

Je hochais la tête :

-Merci à vous deux.... Je suis désolée que ça se soit passé comme ça... Déjà que ça devait être plutôt violent comme réveil, mais alors là...

Je retins un rire au jeu de mot de Cygne, étouffant par la même occasion une grimace de douleur, portant la main à mon ventre par réflexe. A ce moment, je me rendis compte que mes vêtements étaient humides, ce qui, combiné à la fraicheur du soir me faisait frissonner. Un coup d’œil sur le dragon me fit constater que son état était bien pire que le mien.

-J'arrive dans quelques secondes.

Je remontais, aussi vite que me le permettaient mes ecchymoses, suivie par les deux animaux qui n'avaient de cesse de me réclamer des caresses, pour se rassurer. Une fois chez moi, j'attrapais le premier t-shirt et le premier sweat qui passait pour remplacer mon pull léger. Puis je fouillais dans mes placards, dénichant finalement ce que je cherchais. Un autre sweat, noir, extrêmement large, trop large pour moi qui me servait en hiver. Il y avait des trous pour les ailes, mais tant pis. Je redescendis, luttant un peu pour enfermer les deux pots de colle dans l'appart, et balançais ma trouvaille à Laenavenn.

-Tiens l'arrosoir enfile ça, t'as l'air gelé, ça t'évitera de tomber malade en plus d'avoir une main en vrac.

Seule mon inquiétude pour son état me faisait ressortir après ce qu'il venait de se passer. Je n'avais pas changé de décision, je ne mettrais pas un pied dans le Sanctuaire. Mais je pouvais toujours attendre dehors... Je savais que si je ne les accompagnais pas, j'allais m'en vouloir et m'inquiéter. Sur le trajet, je ne parlais pas beaucoup, concentrée pour ne pas laisser transparaître les signaux de douleur que m'envoyaient mon corps, bien que des grimaces m'échappaient parfois, ruminant mes pensées avant de m'excuser :

-Ça n'aurait pas dû arriver, désolée... Ça ne date pas d'hier, et ça ne s'arrêtera pas aujourd'hui, mais ça ne vous concerne pas, vous n'auriez pas dû être impliqués là-dedans. Après tout, vous n'êtes ni des anges, ni des démons, ni une espèce de mélange des deux...

Une fois arrivée devant la porte, je me reculais un peu.

-Je... vais attendre là.

Cygne bavarda sur une bonne partie du trajet. Il indiqua divers points de repère et autres lieux spéciaux à Laen, ponctuant la visite improvisée d'anecdotes humoristiques, tout en se doutant qu'on ne l'écoutait qu'à moitié. Il parlait principalement pour rompre le silence, de toute façon. Puisque les deux estropiés qui l'accompagnaient avaient clairement autre chose à penser, bonjour l'ambiance s'il n'y mettait pas du sien.

Sa console de jeu sonna dans sa poche. Il s'interrompit le temps de consulter ses nouvelles quêtes du jour, ce qui laissa le loisir à Lylla de s'excuser. Cygne fronça les sourcils. Assez de ses voisins travaillaient au Sanctuaire pour que le discours de la jeune fille ne lui plût pas du tout. Une victime qui s'excusait de ce qu'elle subissait, c'était mauvais signe. Où étaient ses parents ? Pourquoi laissaient-ils faire ça ? Il n'arrivait pas à savoir s'il pouvait se permettre d'aborder le sujet ou s'il risquait de la braquer.

Il laissa la pique de Laen le dérider à la place, cachant son inquiétude.

"Je suis trop charmant pour me faire tabasser ! Je trouverai quelque chose pour ton remboursement, n'aie pas peur," annonça-t-il avec un sourire qui disait exactement le contraire.

Il ne fut pas surpris lorsque Lylla s'immobilisa devant la porte, mais cela ne fit que confirmer ses craintes. Cela le mettait dans une position délicate.

Il connaissait au final très peu Lylla. Elle pouvait avoir de très bonnes raisons de refuser de se faire examiner. Peut-être qu'elle possédait une capacité qui lui permettait de guérir très rapidement (peu probable, vu les grimaces qu'elle avait laissé échapper pendant tout le trajet ; et passer devant un professionnel de santé ne coûtait littéralement rien). Elle pouvait cacher quelque chose et craindre qu'un examen médical révèle son secret (mais le secret médical existait pour de bonnes raisons). Peut-être qu'elle connaissait quelqu'un de dangereux au Sanctuaire et ne voulait pas risquer de le croiser... oui, ça c'était possible. Et il ne pouvait pas le savoir sans lui poser la question.

D'un autre côté, il savait à force d'écouter ses voisins que les victimes de violence à répétition intégraient souvent un sentiment de culpabilité déplacé, et qu'il était très difficile de leur faire avouer leurs difficultés. C'était encore plus vrai quand leurs agresseurs faisaient partie de leur communauté. Elles ne pouvaient alors les dénoncer sans craindre de se peindre une cible dans le dos.

Lylla présentait tous les signes de ce genre de situation. Et si c'était le cas, insister risquait juste de la faire s'enfuir. Alors entre ça et un scénario possible mais somme toute improbable...

"Ok, si tu es sûre !" dit-il, sans mentionner que s'il y avait une personne ici qui n'avait pas besoin de mettre les pieds à l'intérieur, c'était encore lui. "Je l'accompagne au comptoir et je reviens dans quelques minutes, alors."

Il tira Laen par le bras sans se départir de son sourire.

"Bon, ben on ne va pas la laisser faire, hein," lui glissa-t-il dès que les portes se furent refermées derrière eux.

Il y avait quelques personnes devant eux au comptoir, mais dès que ce fut le tour de Laen, Cygne débita :

"Bonjour ! Alors mon ami ici présent," une tape sur l'épaule de Laen, "s'est massacré la main en voulant jouer au chevalier servant, et aussi, on a laissé une jeune fille avec des ailes noires et rouges devant la porte. Elle refuse de rentrer, mais ses côtes en auraient bien besoin, si vous voyez ce que je veux dire."

Dans le doute, laisser faire les professionnels.