Le Bal de la rentrée

Une banquière espiègle, qui l'eut cru ?
Une seconde aveugle, une seconde de plus Karan voyait comme en plein jour. Le plus dur fut de voir le sol de si près !

A ce constat, il élimina méthodiquement tous les objets dépassant cent cinquante centimètres. Voiture, immeuble... Ce qui n'aidait pas puisque l'être humain a inventé plus de mille choses différentes plus ou moins utiles. La liste des possibilités était immense.
Plus immense qu'il ne l'était à présent.

Un vague sentiment de fragilité confirma ses craintes, il y a plus gros que lui dans cette salle.

L'invitation était peu bavarde.
Non pas qu'il refuse le cadeau de dame Welgaia qui lui a rendu la vue (et lui a ôté les jambes), il s'empressait malgré tout de faire travailler ses méninges.
Utile dans un pays chaud.
Utile dans un pays.
Utile.
Des lunettes de soleil.
Un Parasol ?
Une gourde ?
Un cache-nez...

Il se tourna vers son voisin. Celui la même qui n'hésitait pas à maudire Dinu Mihai à haute voix. Il avait reçu un peu d'aide d'une autre convive, c'était le moment pour lui de lui en donner.

-Monsieur, nous serons tous libres quand nous aurons percé à jour ce mystère. Mais je n'aime pas beaucoup les énigmes sans logique.

En dehors d'un maigre indice, Karan aurait supplié pour s'être trouvé face à cette serveuse dont la robe était ornée de mille facettes. Mais les miroirs n'étaient pas de la fête et la serveuse s'était trouvée transformée elle aussi.

-Sauriez-vous me dire quelque chose sur mon apparence actuelle ? Plus vite nous finirons, plus vite nous viderons les lieux.

Voir autant de choses, autant de mouvements et de couleur, tout lui donnait mal au coeur. Une chance il n'avait plus d'estomac à l'heure qui l'est. Mais pour quelqu'un qui ne boit jamais, trop voir, c'est un peu une cuite surprise qui s'annonce.

Aku était énervé par le peu d'informations que voulu lui donner cet objet du nom de Voiz. Il lui rendit vivement la politesse avant de réfléchir. Non, non et non ! Il n'arrivait pas à trouver et cela ne faisait qu'augmenter la rage en lui. Soufflant bruyamment et avec si peu de retenue, il s’apprêtait à lancer une énigme à l'objet Voiz lorsqu'un autre objet tout aussi étrange que le premier s'approcha en lui demandant de l'aide. Décidément, il était connu ce soir.

- Cher ami, dit-il en s'adressant à Voiz, je ne sais point ce que vous êtes mais je puis néanmoins vous dire que la jeunesse vous apprécie.

Content de son charabia, il se retourna vers l'autre objet en se présentant.

- Enchanté, objet, je me nomme Aku et si un quelconque indice sort de ma bouche il se devra d'être échangé par un autre indice venant de vous.

Puis il sourit. jouer les gentleman polit n'était pas dans ses habitudes mais c'était assez divertissant.

- Vous me faites de l'ombre monsieur, dit-il, et ceci n'est nullement un  indice.

Il ricane avant de se la fermer.

-De l'ombre...

Un autre indice alors. Karan souleva sa carte et se demanda un instant ce qu'il pourrait bien dire à cette personne.

-C'est normal, en même temps je me sens plus grand que vous. Pour votre indice je peux vous dire que sur ma table il y en a toujours une.

Ce n'était pas grand chose mais c'était toujours ça.

Donc, Karan était utile dans les pays chaud et faisait de l'ombre.

Le visage de Aku s'illumina. Sans demander son reste, il se dirigea vers la piste de danse. mais pourquoi n'avait-il pas pensé à cela de suite ? Quel idiot il faisait !

Sans autre cérémonie, il saute et atterrit sur la piste de danse. Là il se met à regarder son entourage puis invite Voiz à venir danser avec lui. La joie de savoir qu'il n'allait plus être ce qu'il était en ce moment était si grande qu'il en oubliait son mauvais caractère.

- Venez, dit-il à la charmante demoiselle-objet qu'était Voiz, venez danser avec moi cette danse endiablée.

Puis il commence à bouger lentement puis plus rapidement sur une musique qui n’existait pas. Il bougeait avec non grâce son corps de carafe, produisant ainsi des sons peu reluisants et séduisants. Ah, heureusement qu'il n'était pas un objet naturellement sinon il pouvait dire adieu à sa crédibilité ainsi qu'à son charisme naturel.

Et l'oiseau dansait tout en faisant tourner sur elle même Voiz. Cette dans ressemblait fort à un mélange entre le rock endiablé et la valse lente mais dansée avec rapidité. il y avait aussi une pointe de tango et un soupçon de folie.

Il devait sûrement passer pour un idiot mais tant pis, il n'avait plus rien à perdre, et même s'il s'était trompé sur ce qu'il était comme objet, ce n'était pas grave car en cet instant Aku était comme saoul, ivre d'une joie dont il ne pouvait dire la provenance.

Mais oui !

Karan regarda longtemps Nij'aku danser. Pour une fois dans sa vie, il se prépara intérieurement à rejoindre la piste de danse.

Le trac en profita pour lui engourdir les jambes et les mains. Dans sa poitrine -invisible- son coeur battait sourdement en notes basses. Il n'avait plus de cheveux malgré tout il pouvait les sentir se dresser sur sa tête et lui chatouiller la nuque.

Avez-vous déjà vu un aveugle danser ?
Avez-vous déjà vu une ombrelle danser ?

En faisant des tours et des tours, l'ombrelle se soulevait du sol et commençait à planer comme un parapluie ivre.
En retrouvant le sol il inversa la tendance ! Il entreprit de dévoiler ses talents de danseur hip-hop en tournoyant sur le dos.

Voiz en était encore à ruminer ses deux indices quand la carafe qui l'avait abordée l'entraina sur la piste sans préambule. Désorientée - l'esprit n'avait jamais dansé de sa vie - mais peu encline au refus, elle se laissa guider.

De toute manière, étant donné qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle était devenue, ses options étaient limitées.

La carafe - dont Voiz ignorait toujours le nom - faisait preuve d'un engouement surprenant compte tenu de ses airs guindés et du peu de mobilité qu'offrait son corps actuel. Ses mouvements gagnaient sans cesse en vitesse, et Voiz aurait été bien en peine de suivre le rythme si son partenaire ne la relançait d'un mouvement de anse à chaque fois que Voiz semblait sur le point de s'arrêter.

S'arrêter...

Le monde tournoyait autour d'elle à lui donner le tournis, ses pensées se perdaient. Pourtant une sorte de griserie la gagnait peu à peu, l'impression étourdissante que ce duo pourrait s'éterniser si elle y mettait du sien. Soudain décidée à ne pas laisser son partenaire faire tout le travail, Voiz profita de son élan pour se propulser dans les airs, tournoyant toujours, la surface métallique de son corps projetant des lumières en tous sens sous le feu des chandeliers.

Un instant de panique s'empara de Voiz lorsqu'elle quitta le sol. Un esprit de la terre, perdre le contact avec son élément! C'était pure folie, un suicide!

Sa chute fut arrêtée par la anse de la carafe, et l'instant fut brisé. L'ampleur de la situation frappa soudain Voiz. Pour cette soirée, elle n'était plus liée à la terre. Son apparence d'objet, au lieu de la contraindre, lui offrait de nouvelles libertés.

Ragaillardie, Voiz valsa de plus belle, exécutant pirouettes et bonds aériens avec confiance, son partenaire la relançant dans la danse à chaque perte de vitesse.

Et au milieu de l'expérience, une soudaine inspiration s'empara de l'esprit. Ce mouvement de rotation continue... Quelque chose que "la jeunesse apprécie", et qui peut ne jamais s'arrêter...

'Serais-je...une toupie?'

Ahlala! Ahlala! Que faire, que faire ? C'était la panique dans la petite tête... enfin dans le grand esprit de Nini. Toute belle, toute proprette, elle était entrée toute fière le nez en l'air dans la salle de réception du Love Hôtel. Elle avait eu le temps de contempler deux ou trois éléments d'architectures, deux ou trois décorations, de fureter entre quelques groupes de personnes habillés avec plus ou moins de goût. Et puis, Dinu Mihai était arrivée et avait fait son discours en grandes pompes. Et là, paf! Magique!

Ni une ni deux, le temps d'un brouillage des capteurs, de quelques alarmes à peines déclenchées, pif, pas, pouf! Voilà l'androïde transformée en un autre objet. C'est ce qu'on appelle le recyclage? La banquière la plus rapace de l'entre-monde serait-elle un membre d'honneur d'une association luttant pour la défense des petites plantes et des petites bêbêtes? Peut-être qu'elle faisait aussi dans le bio, en plus de faire dans l'écologie. Voici ce qui traversa l'esprit de Nini alors qu'elle regardait le dos de son invitation. "Les chats les adorent" ... Les chats adorent... Les souris? Les litières? Les petites gamelles de lait? Les limes pour se faire les griffes? Grah! Voilà qui était embêtant, il y avait trop de choix... et la boite de conserve transformée en quelque chose ne savait pas trop ce qu'"adoraient" les chats.

Nini regarda à droite et à gauche dans l'espoir de trouver une surface réfléchissante ou quelqu'un, enfin quelque chose, qui ait l'air suffisamment gentil pour lui donner un indice. Et là, elle remarqua que la piste de dance était occupée. Déjà?! Mais, cela signifiait qu'elle était en retard dans la course aux indices!

-Ex... excusez-moi? Est-ce que vous pourriez me dire ce que je suis? Ou au moins me donner un indice? S'il-vous-plait?"

Ils avaient vite pris goût au jeu. La piste de danse se remplissait et Dinu Mihai ne put s'empêcher de frapper dans ses mains et de rire.
Ah ça oui, elle riait. Elle s'amusait à regarder tous ces petits objets se rendre quelques pas de danse. Elle se sentait de retour dans son monde natal.

La carafe se déhancha. Le dicton dit bien premier arrivé, premier servi ? Elle leva la main et l'immense rideau dévoila deux choses.

-Nij'aku, je t'offre une combinaison de camouflage et la somme de 50 pims.


La carafe s'illumina et l'instant d'après une jeune homme échevelé par ces quelques pas de danse se présentait devant elle. Elle l'invita à s'éloigner de la piste. Une ombrelle déjantée usait ses dentelles sur son beau parquet.

-Pour toi, Karan, j'ai ce modèle Ace à t'offrir ainsi que 10 pims.


Une autre petite chose ne voulait plus s'arrêter de tourner sur elle-même. Dinu Mihai fit s'arrêter l'objet en l'effleurant de la main.

-Et pour toi Voiz, j'ai choisi un cadeau qui te sera utile, j'ai ici un lot de trois potions cursives et 25 pims.


Au fur et à mesure, le rideau présentait des guéridons sur lesquels reposaient les présents.

-Et que la fête continue, j'ai encore beaucoup de cadeaux à vous offrir !

Aussitôt après, des éclats de lumières firent réapparaitre le forgeron et le milicien. Mais il manquait encore quelques convives toujours piégées dans leur nouvelle apparence...

Spoiler:

La course folle de la toupie venait de prendre fin, mais, bien que Voiz ait recouvré son apparence d'origine, la salle ne cessait de tourner autour d'elle. L'esprit entendit comme en écho le rire de Dinu Mihai tandis qu'elle distribuait les présents.

"Merci de votre accueil, ô déesse," lui dit Voiz en se réfugiant dans sa politesse coutumière, désorientée par un reste de griserie après la danse. Son vertige l'empêchait encore de regarder son hôtesse en face. "J'accepte ce présent avec plaisir."

Le monde finit enfin par s'immobiliser, suffisamment pour que Voiz put identifier les deux autres gagnants. Ils s'étaient déjà écartés de la piste, facilement reconnaissables au milieu de la foule d'objets qui se pressait alentours. Dans un concert de cliquetis métalliques, l'esprit leur emboita le pas et s'inclina profondément devant le jeune homme qui avait été son partenaire:

"Et merci à vous de m'avoir accordé cette danse. Je ne pense pas vous avoir rencontré auparavant. Comment vous appelez-vous?"

Avec sa tête ainsi rapprochée du sol, Voiz entendit une petite voix angoissée. L'esprit se trouva un instant pris au dépourvu. D'un côté, il venait d'engager la conversation avec un inconnu; s'adresser à quelqu'un d'autre avant d'avoir obtenu une réponse serait-il perçu comme une impolitesse? De l'autre, une autre personne avait manifestement besoin d'aide; Voiz ne pouvait pas décemment ignorer sa requête.

Voiz se tourna finalement vers le petit objet, et se trouva face à une nouvelle difficulté: elle ignorait tout de l'ancienne apparence de cet objet, aussi lui était-il impossible de décider quel masque mettrait son interlocuteur à l'aise. Faute de mieux, Voiz conserva les traits vaguement humanoïdes qu'elle s'était modelés pour s'adresser à l'ancienne carafe, et tâcha de donner un ton rassurant à sa voix rocailleuse:

"Bonsoir, madame," dit-elle au petit objet. Il lui semblait que sa voix était féminine. "Mon nom est Voiz, ravie de faire votre connaissance. Gardez votre sang froid: comme vous pouvez le constater, cette métamorphose n'a rien d'irréversible. Je vais vous mettre sur la voie. Voyons..."

L'esprit réfléchit un instant, puis lui donna l'indice suivant:

"Telle que vous êtes, vous paraissez petite. Pourtant, vous pourriez couvrir une distance de plusieurs mètres à vous seule."

Aku soupira de contentement en sentant son apparence lui revenir. il offrit un large sourire aux autres danseurs et s'écarta de la piste tout en faisant une courbette majestueuse à Din en guise de remerciement. Finalement, cette petite fête occupait sa journée morose.

- Merci bien, demoiselle Din. Je l'avoue ce début de fête ne m'avait guère enchanté mais je dois dire que je suis épaté par votre ingéniosité.

L'oiseau soupire et marche un peu dans la salle en faisant attention à ne pas marcher sur les divers objets encore là. Il contemple une grande chose sur laquelle il n'arrivait pas à mettre le nom. Il s'approche et celle-ci le remercie pour la danse. Joyeux, ô quel rareté, il sourit de plus belle en inclinant légèrement la tête et en répondant.

- Moi non plus, il faut dire que ce genre de fête n'est pas vraiment ma tasse de thé, dit-il en regardant justement une tasse qui clopinait non loin de là. Je me nomme Aku, et je suis ravi que cette dans vous aie plut miss Voiz.

Il n'était pas dur de repérer qui elle était cette toupie. Car c'était la seule personne qu'il invita à danser.
Puis son regard vert se baisse sur une petit chose qui demandait de l'aide.

- Je ne peux rien vous dévoiler, néanmoins je sais très bien que vous pouvez être utile dans certains métiers ainsi que pour fabriquer certaines choses, dit-il en soupirant, rêveur à l'on ne savait trop quoi.