Rencontre du troisième type.

Le jour se lève à peine lorsque j'atteins la porte Est de Cerclon. Le retour d'Ing s'est fait dans le calme et le silence. J'ai appris là-bas ce que je voulais savoir. En plus d'un écusson j'ai maintenant un nom : "Les traits célestes". Un nom bien pompeux pour des mercenaires de seconde zone ! Ils se sont attaqués à plus fort qu'eux. Je ne sais pas pourquoi il m'en veulent mais cela aussi je compte bien le découvrir à leur dépend.

Je rentre chez moi et fais le ménage. Les six corps qui commencent franchement à puer finissent un par un dans la chaufferie de l'immeuble. Un à un ils rendent cet endroit plus chaleureux. Cette besogne faite je répare ma porte et me change, avant de repartir. Un nom et un quartier, c'est tout ce que j'ai put tirer du fuyard, mais c'est amplement suffisant et je prends un taxi pour Tern. Tern, le quartier qui ne dors jamais. Un univers tellement semblable à ce que j'ai abandonné. Un territoire de chasse que je maitrise totalement.

Sang et larmes.

Je me fonds dans la foules en quête des ces "traits célestes". De tripot, en arrière-salle, de ruelles en cul-de-sac je me renseigne, je traque. J'apprends qu'il s'agit d'une société de sécurité tout à fait légale et composée uniquement d'anges. Apparemment, ils s'occupent de pas mal de contrats sans poser de questions et ont élu domicile ici à Tern, dans un immeuble non loin de la banque. S'il y a un coin qui doit grouiller de ces raclures de sanctuaris, c'est celui-ci ! Tant pis, il faut que j'entre dans cet immeuble et c'est ce que je vais faire.

Je trouve rapidement l'endroit et passe la journée à rôder discrètement autour. J'essaye de voir les points d'accès, les failles dans le système de sécurité. Les trente-six étages du building sont loués à des entreprises diverses et variées. Les "traits célestes" occupent les trois derniers étage, ce qui n'est guère surprenant. Les anges aiment l'altitude et dominer le monde. Foutu emplumés !

Le soir venu je file un type en costard. Un de ces cadres toujours trop pressés. Un de ceux aussi qui croient qu'ils sont les rois du monde. Alors qu'il passe devant une ruelle sombre je l'empoigne et l'attire à l'abri des regards. Avant qu'il ne dise quoique ce soit je l'assomme. Lorsqu'il revient à lui, il est entravé, baillonné... et suspendu au dessus d'une allée quelque 50 mètres en contrebas. La seule chose qui le rattache à la vie est un câble attaché à sa cheville droite. Je vois dans ses yeux la peur, l'angoisse grandir à mesure qu'il prend conscience de sa situation. Tapis dans l'ombre nocturne j'attends. Finalement il se rend compte de ma présence et tente de m'appeler au secours. Que c'est pathétique. Je lui décoche une droite sans sommation.

- Daniel Howard. Est-ce ton adresse que je vois là ?

Mon ton est froid et mon regard détaché lorsque je lui met sous les yeux son porte-feuille. Je n'ai rien à faire de ce type. S'il répond gentiment, s'il m'aide de son plein gré, il vit, sinon sa femme meure, sa fille aussi et même son chien s'il le faut. C'est ce que je lui explique calmement avant de plonger dans le vif du sujet.

- Tu vas me faire entrer dans ton bureau Dany... ce soir. Tu es d'accord ?

Je lui enlève son bâillon et il ne crie pas. Je crois qu'il a bien compris que c'est une bêtise à ne pas faire. Au lieu de ça il commence à débiter des mots à la vitesse de l'éclair.

- Je... Qu'est-ce que vous voulez ?! Nous n'avons pas d'argent, ni accès aux données de nos labos...

Je lui refourre son bâillon dans le bouche avant qu'il ne me noie sous le flots de conneries inutiles qu'il sort. Toujours avec ce ton détaché et calme je définie les règles du jeu pour la suite de notre conversation.

- Je pose les questions. Tu y réponds par "oui" ou par "non". Oui ou non rien de plus. C'est clair ?

Je lui enlève son bâillon une seconde fois. J'espère pour lui que je n'aurai pas à lui remettre.

- Oui.

- Twin Helix se trouve bien au 33me étage ?

- Oui.

- Il y a des gardes à l'étage ?

- Non.

- Ton bureau est bien au coin nord-est de la tour ?

- Oui.

Notre petit entretien se prolonge ainsi pendant plus de vingt minutes. Tête à tête au cours duquel Mon nouvel ami accepte de me faire entrer dans ses bureaux. Il refuse cependant de venir. Il se contente de me donner le code de l’ascenseur, de l'alarme et le mot de passe de son bureau. Je m'en contente. Au final je suis plutôt soulagé de ne pas avoir à me coltiner un boulet. Sans un mot je m'éloigne et disparais. Le pendu met d'ailleurs un peu de temps à s'en apercevoir. Il est dur de voir une ombre dans la nuit. Je l'entends s'égosiller à appeler de l'aide. Quelqu’un l'entendra bien assez tôt., mais je sais qu'il ne dévoilera rien de notre aparté car au cas où il oublie ce qui lui en coûterai je lui ai laissé la photo de sa femme et de sa fille sur le rebord du toit.

Mes pas me mènent désormais vers une quincaillerie. Il me faut un peu d'outillage.

Il n’était pas rentré seul.

Depuis qu’il avait quitté l’Entre-monde, depuis qu’il s’était endormi…
Pour la première fois depuis bien longtemps, il avait l’impression de se retrouver, d’être lui-même. Son âme de Sire s’étirait dans son corps et ses croyances le rendaient fort. Il n’était pas seul. Ses frères et ses sœurs existaient toujours. Ils étaient là, silencieux parmi les profanes. A l’attendre, leur foi demeurant inébranlable…

Lui n’avait pas besoin de d’avantage.
Les siens qui n’attendaient que lui…

Fredric marqua un temps d’arrêt dans la rue, chercha dans ses poches la clé du bazar où il se rendait. C’était une bonne chose d’avoir à présent Vind à ses côtés. Seulement le donjion était tellement démuni que… Ah une telle misère, c’était…
Du coup il devrait également lui acheter des armes, mais ça attendrait.
Pour l’instant, c’était des frusques qui manquaient.
Vind ne possédait qu’un seul pantalon, une seule chemise, une seule paire de chaussettes… Du coup l’ensemble était dans un état minable, crasseux. Et ça, ça le gênait. L’image avait un semblant d’importance, et il se refusait de voir un des siens dans une pareille misère, alors que lui ne manquait de rien.

Il connaissait un quincailler de Tern qui possédait quelques vêtements bradés. Personne ne se soucierait de ces fringues en moins, et surtout pas le quincailler qui n’arrivait pas à s’en débarrasser.

Il était tard, la nuit était tombée.
Venir en plein jour ne l’aurait pas dérangé : il était maître de Touen, il allait où il voulait. Mais de jour, Vind aurait tellement insisté pour venir qu’il n’aurait pas pu refuser. Et franchement, se promener avec un de ses frères dans un état pareil… Non merci. Alors il avait attendu que le donjion s’endorme, et il était parti.

A la porte du personnel, Fredric utilisa la clé retrouvée dans ses poches avant de fermer derrière lui.
Son intrusion ne l’embarrassant pas plus que ça, alors il n’hésita pas à allumer la lumière. L’endroit était propre. Il erra brièvement parmi les tables et les rayons chargés.
Au bout de plusieurs minutes il se lassa de sa petite visite et gagna la penderie. A des cintres, manteaux, chemises. Dans des cartons en dessous et au dessus, des pulls, des sous-vêtements. Des pantalons. A côté de son jeans de luxe et sa chemise d’un gris ardoise, ça semblait être des frusques de clochards.

Mais bon…
Vind avait besoin de n’importe quoi de propre à se mettre sur le dos, pas de vêtements de prince.

Sifflotant un air de son invention dans le grave, le Sire retira son sac de son épaule, entreprit d’y plier ce qui lui semblait le plus présentable. Après ça, il pourrait emmener Vind s’acheter de quoi se défendre.
Ce qui lui semblait bien peu de choses comparées au service qu’il lui avait rendu.
Jamais il ne remercierait jamais assez le donjion…

Les quelques centaines de mètres qui me séparent de la quincaillerie sont vite avalés. Je fais le tri du matériel dont je vais avoir besoin. Arrivé devant le magasin j'essaie de voir à travers les vitrines, mais de lourds rideaux obstruent la vue. J'emprunte alors la ruelle qui le longe et grimpe sur le toit via l'échelle de secours. Le conduit d'aération se trouve là juste en face de moi. Une téléportation et me voilà dedans, tel un rat. Je rampe et finis par sortir du conduit. Heureusement je n'aurais pas à repasser par là quand j'aurais fini.

Je parcours les rayons et trouve un de ces gros sacs militaires. Il pourra aisément contenir tout le matos. Mes yeux s'habituent peu à peu à l'obscurité et le noir laisse place à la pénombre. Cela ralenti à peine mes recherches et j'ai rapidement tout ce qu'il me faut. Rampes métalliques, scie sauteuse, visses, visseuse, spray, poudre magnétique, scotch, bombe de peinture... Je m’apprête à partir lorsque j'entends la porte de derrière s'ouvrir. Le sac sur le dos je me téléporte dans la ruelle sans attendre.

Une coïncidence ? Un autre voleur ? Je crois plutôt que mon tout nouvel ami a été un peu trop bavard. La voix en moi se réveille et m'ordonne de tuer l'intrus. Un instant je suis tenté de suivre son conseil et même aller au-delà. Lorsque je me serai occupé de ce type j'irai rendre une visite à la famille de Danny, histoire de repeindre les murs. Il y a bien longtemps que je n'ai pas laissé ma rage. La voix se fait séduisante, attirante... Elle sait comment me parler, me manipuler...

Sang et Larmes

Oui mais je suis plus fort que ça. Je garde le contrôle et je ne vais pas laisser parler mes instincts les plus sombres sur une simple porte qui s'ouvre dans mon dos.
Je quitte la ruelle et grimpe sur le toit de l'immeuble qui fait face à la quincaillerie. D'ici je peux voir toutes les sorties. Il ne me reste qu'à attendre que ma proie sorte. Car c'est ce que je suis après tout : un chasseur, un combattant, parfois un meurtrier... Je ne renies rien de cela, mais si cet individu s'avère être sur mes traces, alors je lui ferais déballer tout ce qu'il sait avant qu'il rende l'âme. Et s'il ne s'agit d'un type étranger à toute cette histoire, alors j'aviserai.

Sang et larmes...

C'est bientôt tout mon corps qui réclame du sang. Je bouillonne. Je lutte contre moi-même. Je ne suis pas loin de lâcher prise, de m'abandonner à cette folie meurtrière, à cette libération...

Une ombre sort du bâtiment et cela met fin au conflit qui m'enflamme. Soudain, plus de division, de rage ou de raison. Il n'y a plus que la proie et le chasseur. De toits en toits je suis ma cible qui circule dans les rues en contrebas. De loin, il ressemble à un humain mais je ne présume de rien. Dans ce monde les apparences sont le plus souvent trompeuses. Il pourrait très bien être un dragon de six mètres comme un foutu cyborg !

Je descends des toits pour regagner les rues et m'approcher de lui. Le détailler un peu mieux, le jauger à vue de nez. Je reste discret, fondu dans la foules mais je ne le lâche pas de vue. J'analyse sa façon de marcher, de bouger. Il a l'air de quelqu'un de confiant. Tant mieux. Plus confiantes sont les proies, moins attentives elles sont. J'ai hâte de lui tomber dessus. L'ébauche d'un sourire carnassier nait sur mon visage.

Sang et larmes.

Longtemps, il s’était demandé ce que les siens avaient gardé de lui.
Un vague souvenir ? L’avaient-ils remplacé, de même qu’ils avaient remplacé Anger, le premier des Aîné a les avoir quitté ? L’avaient-ils cru mort dans sa quête de l’immortalité ? C’aurait été un comble…

Vind lui avait dit que ses frères et sœurs ne l’avaient jamais oublié.
Ils l’avaient attendu, persuadés qu’il reviendrait.
Dankrad, à l’époque, s’était terré dans une grotte de la Citadelle pour y graver l’histoire de Fredric. Graver dans les mémoires ce que le premier d’entre eux avait fait pour les siens, comment il n’avait jamais baissé les bras ni faibli. Comme il avait honoré la mémoire de leurs morts tout en tirant les vivants toujours plus loin. Comme il avait toujours été fort parmi eux, déterminé.
Comme il avait voulu ne jamais mourir pour toujours pouvoir donner sa vie aux siens.

Dankrad était mort aujourd’hui. Vind n’avait pas su lui dire les noms des Aînés actuels, car depuis longtemps il n’avait pas rencontré un des siens. Il descendait de ceux qui avaient eu pour rôle de surveiller les miroirs, attendant le retour du Sire pour lui rendre son dû. Et parce qu’il fallait bien survivre, Vind avait choisi la voie des armes.

Dans les larges avenues de Tern, Fredric erra pendant près d’une demi-heure. L’exercice était simple, il aimait s’y prêter. Poser son regard électrique de-ci de-là, voir au fond d’un homme ou d’une femme une goutte de leur sang à eux.

Il se fichait bien d’être regardé.
Pourtant c’était fait avec une telle attention…
Ignorer plus longtemps se révéla impossible.
En sortant tard, il avait pris le risque d’avoir des ennuis.

Même si dans l’Entre-monde…
Le risque était faible.

Il tourna la tête à droite, à gauche.
Sans regarder par-dessus son épaule.
« On » ne l’approcherait pas.

Il quitta l’artère principale du quartier pour s’engager dans les ruelles nettement moins fréquenté. Qui que ce soit, il avait sans doute compris qu’après cette traque silencieuse, ils allaient tomber l’un sur l’autre.
Il atteignit une petite place. Le monde qui jusqu’ici s’était fait de plus en plus rare, était finalement complètement absent. Cette solitude ne l’impressionna pas, au contraire. Il garda son sac sur son épaule, comme s’il ne s’apprêtait pas à rester ici.

N’avança plus d’un pas.
Si on voulait sa peau, ou quoique ce soit d’autre…

Ca l’intéressait.
Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas goûté à cette adrénaline-là…

Je regagne les toits. Inutile de se dévoiler plus, je sais qu'il m'a repéré. Pourtant il ne panique pas, au contraire, c'est calmement qu'il s'engouffre dans une ruelle. Je le suis d'en haut et à mesure qu'il s'enfonce dans les territoires oubliés de Tern, ma méfiance augmente. Personne ne se balade si négligemment alors qu'il se sait suivi. Personne n'entre délibérément dans un cul de sac alors qu'il est traqué. A moins d'avoir un atout dans sa manche. Et chacun de ses pas sonne comme des aveux. Ce type n'était pas dans le coin par hasard. Il est sur mes traces et il semble dangereux. C'est une menace que je ne vais pas tolérer plus longtemps !

Sang et larmes.

Ma cible est immobile au centre d'une place vide. Je descends des toits et marche dans l'ombre de la ruelle. Droit devant se trouve l'inconnu, baigné dans la lumière lunaire. J'enfile mes cestes, dépose mon sac et pénètre sur la place. Je ne fais pas l'affront à mon adversaire de m'avancer dans son dos. Cela ne sert à rien puisqu'il est au courant de ma présence. Je m'arrête en face de lui et reste à une distance prudente. Mon regard dur et froid ne laisse transparaître aucune émotion. Je vais tuer ce type... et cela ne m'empêchera ni de dormir, ni de manger. Il va rejoindre tout un tas d'abruti qui ont voulu ma peau et qui ont perdu la leur.

- C'est moi que tu cherches ? Alors viens.

Immobile, je ne l'attaque pas, j'attends qu'il ouvre les hostilités, qu'il abatte ses cartes pour ensuite abattre les miennes. Je veux le jauger avant de me lancer. Je n'aime pas les surprises et les yeux de ce type sont surprenants...

Si c’était de la prudence, alors ce type connaissait bien son métier.
Ca n’était pas les enfants de cœur qui se promenaient sur les toits pour suivre quelqu’un.

Fredric observa l’animal de haut en bas. La place n’était pas moins éclairée que les rues, ils y voyaient clair. Pas autant qu’en plein jour, mais presque. Les ombres étaient juste plus sombres, prêtes à leur jouer des tours. L’emballage du bonhomme était quelconque, digne de n’importe qui : t-shirt et jeans. La veste vaguement originale, sans plus. Pour se mouvoir c’était soit encombrant pour lui, soit traitre pour les autres. Et le Sire pencha plutôt pour la deuxième option.
Ce type savait ce qu’il faisait, vu les gants il était même habitué aux situations vinaigrées.

Indifférent au temps que ça pouvait lui prendre, il s’attarda d’avantage sur le physique de l’inconnu. Franchement grand, plus que lui. Au moins d’une tête. Sans aucun doute plus lourd. Cependant rien de superflu.
Bien fait de corps, il avait un visage qui, illuminé d’un sourire, aurait été agréable à regarder.
Un soupire passa ses lèvres : pour l’heure, il était aussi expressif qu’une assiette en aluminium.
C’est propre, poli, ça brille. Mais ça ne reflète rien.
L’inconvénient de l’absence d’émotion, c’était une ressemblance frappante avec un merlan frit…

Ce qui est certain, c’est que je vous ai trouvé.

A défaut d’avoir cherché…
Ce type était excessivement paranoïaque, ou bien trop sûr de sa réputation. Pour croire qu’un inconnu puisse lui en vouloir…

Doucement, il laissa glisser son sac de son épaule. Il ne se pencha pas, ne quitta pas l’autre de son regard électrique, de ses prunelles d’un bleu vieux de plusieurs siècles.
S’ils devaient en arriver à se battre, il ne porterait pas le premier coup.

On se regarde en foutu chiens de faïence ! Il m'observe, me détaille. Je vérifie s'il est armé, s'il porte un tatouage. D'armes, aucune trace visible. Des tatouages, il en a... mais pas celui qui m'intéresse. Je ne vois ni lance, ni aile. Jusque là tous les mercenaires à mes trousses avait ce symbole juste en dessous de la mâchoire. Est-il possible qu'il appartienne à un autre groupe de franc-tireur ? Peu probable. S'il y avait un contrat sur ma tête je croulerai sous les abrutis. Et rares sont les chasseurs de primes aussi bien sapés.

Trouvé ?! Il croit m'avoir trouvé ! Il arrive à m'arracher un sourire. S'il veut vraiment me trouver, ça peut s'arranger. Mais patience. Il pourrait être un des lieutenants des "traits célestes". Plus on monte dans la hiérarchie d'une organisation comme celle-là, moins l'on a besoin de signe distinctif. Il est hors de question que je baisse ma garde sous prétexte qu'il n'est pas marqué au fer rouge. En parlant de ça, il est manifestement sur ses gardes aussi. L'un comme l'autre nous sommes prêt à réagir. Mon sang bouillonne, mais je me contrôle. Je veux vérifier un dernier détail.

- Jal Alvar un déi ternam firamen.

Peu importe le monde d'où ce type vient. Peu importe le dialecte qu'il parle. Si c'est un ange il reconnaitra, mieux encore, il comprendra la langue céleste. Elle diffère selon les monde mais en générale elle est similaire. Et là, en l’occurrence je viens d'insulter son divin père et de maudire ses ancêtres à l'enfer. Par expérience je sais les anges chatouilleux dès qu'on touche au domaine sacré. Si ce type est un ange, il va réagir. Violemment je l'espère.

Sang et larmes.

Ca n’était pas ses souvenirs à proprement parler.
Quelque part dans une mémoire secondaire, la langue inconnue de l’Entre-monde se trouva un écho. Un instant, le Sire hésita, avant de se laisser aller à ce savoir venu d’une autre existence. Une des nombreuses vies d’Ez qu’il avait lui-même vécu comme un spectateur. De loin et sans y prendre part, comme dans un rêve. Mais ce savoir accumulé était resté et devenu sien. Il avait perdu une forme de conscience de surface, comme une graine que l’arbre avait aujourd’hui remplacée.

La langue des anges.
Il se prit à rire.

Vous ignorez l’aberrance de vos propos.

Lui était le premier de sa race.
Le premier à avoir respiré l’air de l’Entre-monde.
Pour parler ce dialecte, ce type devait être apparenté à cette race. Les anges…
Donc, un tchen.

Comme ravi, son regard pétilla d’un orage amusé.

Mais je vous pardonne.
Après tout, vous n’êtes qu’un enfant.

Il ne pouvait surtout pas savoir. Personne ne le pouvait.
Mais un jour viendrait où ils ne se cacheraient plus.
Et là, ce type, peut-être, pourrait comprendre.

La réaction première de l’autre sembla assez primaire. Un peu comme un barbare frappé du syndrome du neurone bouclé, dit « qui se mord la queue ». Forcément, ça limitait le champ de réactions possibles.
Quelque chose du cependant le convaincre qu’il n’était pas face à un danger potentiel, car il recula, tourna les tallons.

Le Sire se garda de bouger.
Même quand de l’ombre, cinq types tatoués…
Cette marque lui évoquait peut-être quelque chose, et peut-être pas.

Pour l’heure, ses souvenirs étaient bien désuets.
Il n’allait bientôt s’agir plus que d’une seule chose…
Survivre.

Aralakh. Comme un mécanisme bien huilé, sa conscience fit écho.
Dragon de sang. Original… Ce mec était donc ce qu’il semblait être.

Cinq gars dans la ruelle, une vingtaine au-dessus d’eux.
Et l’ordre qui tomba, aiguisé, sans pitié.
Tuez-les tous les deux.

Il n’était pas un super héros, il ne se déplaçait pas plus vite que la normale. Il n’était pas en béton armé, à l’épreuve des balles et de n’importe quoi d’autre. Son instinct de survie sélectionna ce qu’il fallait absolument éviter : la magie. C’était encore les projectiles qui allaient le moins vite.
En dehors d’un banc, la place comprenait quatre arbres, un en chacun de ses coins.
Pas bien épais, sans être fluets. Dégarnis.
Esquivant les attaques magiques, Fredric roula boula par terre.
Tant pis pour sa chemise…

Accroupi, dos contre l’un des arbres, il serra les dents.
Vingt types armés… Ca faisait beaucoup.
Il accosta l’autre.

Pardonne mes paroles.
Tu n’es pas un enfant, je t’ai pris de haut sans te connaître.
Accepte mes excuses.

Ca n’était pas le moment.
C’aurait pu paraître hypocrite, s’excuser pour bénéficier de son aide pour s’en sortir. Mais au fond de son étrange regard électrique, il n’y avait que de la sincérité. Les humbles excuses de celui qui sait reconnaître ses tords. Même âgé de milles ans, il n’aurait pas du traiter d’enfant un inconnu qui avait tout d’un homme.
Un homme lancé dans une quête dont il ignorait tout.
Mais dont il venait de rencontrer les ennemis…
A ses frais.

Une balle l’avait effleuré à la tempe droite, et pour le coup il avait plutôt eu de la chance. De la chance de ne pas la prendre en pleine tête. De ne pas non plus être vitalement touché, en dehors d’une flèche au niveau de l’épaule. Elle avait perdu assez de puissance sur son trajet pour que la pointe heurte l’omoplate sans la traverser. Heureusement, ça n’était que de l’aluminium. Chose qu’il n’aurait pas faite avec du carbone, il cassa la hampe pour ne pas être d’avantage gêné dans ses mouvements. D’autres flèches l’avaient effleuré, ne laissant que des éraflures superficielles. Des balles également, une l’ayant atteinte au-dessus du genou, une autre dans la cuisse du même côté. Une dernière s’était fichée entre deux côtes, avec trop peu de puissance pour atteindre les organes.
Un juron bien senti, il ravala cependant un soupire douloureux.
Jeta la hampe loin de lui.

Si tu peux nous débarrasser de ces oiseaux, je devrais pouvoir retenir ceux-là un instant.

Parce qu’avec ces vingt mecs hauts perchés, lui ne tiendrait pas longtemps.
De sa main gauche, bras valide, il chercha au fond de son sac la poignée de son épée.
Sa belle épée que lui avait rendue Vind…
Elle n’était pas très longue, la lame ne faisait que cinquante centimètre, la poignée vingt. Fine et élégante, quelques millimètres d’épaisseur. Deux tranchants. Son épée qui lui avait tant manqué… Les anciennes runes de son peuple traçaient délicatement son nom sur la garde.
Elle sortit sans un bruit de son fourreau posé au fond du sac de sport.
Il se releva péniblement.
L’usage de l’arme nécessitait une liberté de mouvements et une finesse digne d’une danseuse.
Il doutait d’y parvenir blessé à la jambe… Mais ça demeurait possible.