De bon matin [ Feliciano ]

Le soleil semblait s’étirer paresseusement ce matin-là. Ses rayons encore fatigués se voulaient trop timides pour pouvoir illuminer entièrement la pièce qu’une jeune femme était en train de balayer. Au creux de ses deux orbes bleus se reflétait encore les quelques gouttes restantes de la nuit…Restes qui disparaîtraient bientôt au profit d’une chaleur plus clémence, du moins, espérons-le. Ses songes s’étaient révélés glacés. L’air, sournois de son état s’était engouffré dans sa chambre par une ouverture inexistante pour lui offrir une mauvaise nuit, cependant, son humeur n’en était en rien altérée. Tandis qu’elle fredonnait un air sûrement étranger de l’Entre-Monde, la fluctuation des passants commençait à se faire ressentir. Des bruits de voix montaient dans les rues, divers moyens de transports se faisaient entendre, on déplaçait des meubles semblait-il, bien qu’elle ne prête pas assez attention pour suivre l’agitation quotidienne. Finissant de nettoyer son auberge, il faudrait bientôt qu’elle soit d’attaque pour recevoir le voyageur égaré qui chercherait repos ou l’habitué qui viendrait redire sur la propreté de ses verres pour continuellement l’embêter. Ce genre de choses ne lui déplaisaient pourtant pas…Une seule chose manquait ici, cette chose rappelait un passé auquel elle ne désirait plus appartenir mais ouvrait les portes sur un présent douloureux sans lui, sans cet être qu’elle portait encore dans son cœur, espérant qu’il vive…

Perdue dans ses pensées, l’aubergiste répondant au doux nom d’Helwenn venait d’achever ses occupations et pouvait de ce fait souffler bien qu’elle ne soit guère fatiguée, venant de se lever. Etirant ses bras, elle poussa un soupir d’aise non dissimulé et voulu tandis qu’elle s’approchait du comptoir, passant un dernier coup d’éponge sur sa surface. Non loin se trouvait des cartes, peut-être un oubli de la part de clients la veille ? Pourtant, la donzelle s’en saisit, les ramenant en un seul paquet distinct bien que des cris étouffés se firent entendre au même instant. Un inconnu aurait cru qu’elle baillonnait et cherchait à expédier en prison un quelconque malheureux mais pour la sorcière, les choses étaient différentes. Un sourire narquois étira ses lèvres tandis qu’elle relâcha la pression sur le jeu de cartes qui se mit à se plaindre, je puis vous le jurer.

« ‘Spèce de folle ! T’agresses pas tes clients et moi tu veux ma mort ? Je ne pouvais plus respirer… »

La concernée étouffa un rire et posa face contre table la carte ayant pour symbole une tête couronnée, le roi du carreau si vous désirez des précisions. Le regard mauvais qu’elle jeta par la suite suffit aux autres pour ne prononcer mot bien qu’elle ne se gêna point.

« Tu respires depuis quand ? T’es qu’un vieux bout de papier rabougri, je sais même pas pourquoi je vous garde encore, je dois être sentimentaliste. »

Evidemment, elle ne se séparerait jamais de son jeu de cartes, casse-tête certes, mais unique et précieux pour elle. Et quand l’un se tait, un autre hurle à la mort pour manger…Le chat. Il appartenait à l’ancien aubergiste, tellement habitué aux lieux, il ne voulait décamper et venait réclamer sa ration quotidienne de nourriture, chose à laquelle ne pouvait refuser notre feu follet, les animaux sont sacrés pour elle. Elle entreprit donc de sortir un bol, du lait et Monsieur fut servi. Décidemment, l’affluence se faisait minime ce matin et cela était pour lui déplaire. Elle pensa aller faire du racolage dans les rues pour tenter d’amadouer quelques audacieux et les ramener dans son établissement quand deux des voyageurs de la veille décidèrent de montrer le bout de leur nez et commandèrent de quoi se restaurer. Tandis qu’elle leur priait de bien s’asseoir, la clochette retentit, signe d’une ou d’un nouveau venu…Ses yeux fixèrent la porte, attendant de visualiser la silhouette qui venait de franchir le pas…

L’heure peut-être trop matinale ne semblait satisfaire aux envies de mouvements de la belle. L’auberge restait désespérément vide, à l’exception d’un seul être qui vint à en franchir le pas. Pas très haut ni très âgé certainement, il semblait seul mais le plus étrange resta son attitude, il ne quémanda pas ses parents mais se dirigea vers le comptoir, sans rien demander à personne, paraissant à l’aise, seul. Chose qui frappa la demoiselle. A son âge, elle n’aurait su se débrouiller de cette façon. Il est vrai qu’elle n’avait guère vécu des choses faciles mais aller et venir, faire irruption dans une auberge et ne pas sembler perdu relevait de l’exploit pour elle. A vrai dire, elle avait été assez trouillarde dans son enfance quand il s’agissait de s’aventurer loin. En compagnie de son frère, partir à l’aventure, faire la petite maligne, il n’y avait aucun problème mais quand elle n’avait plus personne pour l’accompagner, elle préférait rester à proximité de la maison. Elle ne pensait d’ailleurs pas qu’il vive dans les environs, elle connaissait pas mal le quartier et ses habitants à force de les voir déambuler chaque jour c’est pourquoi cet individu attisa quelque peu sa curiosité. Elle se rappela sa condition passée et pensa un instant à une situation similaire mais il ne portait de traces de maltraitance donc elle chassa aussitôt cette idée de ses pensées.

De plus, autre chose attira son attention, délaissant un instant ses préoccupations passagères pour s’occuper de deux clients qui venaient de descendre après une nuit agitée. Lors de sa ronde nocturne habituelle, elle avait pu entendre les cris étouffés qui parvenaient de leur chambre, elle n’avait saisi le sens de leur dispute mais leur air faussement réjoui de ce matin en disait long sur la mauvaise nuit qu’ils avaient dû passer. Peu importe, ils ne semblaient vouloir plomber l’atmosphère et c’est tout ce qui importait selon Helwenn. La donzelle donc, tout sourire, s’avança vers le jeune couple dans l’idée de prendre leur commande. Bien sûr, ils ne savaient ce que préparait la maison et elle récita, chose qui était devenue routine, les mets qu’ils servaient pour le petit-déjeuner. Là où l’homme fut emballé à l’idée de tartines parsemées de confiture et d’un grand jus de fruit, la dame se préserva des calories et ne désirant qu’un grand verre d’eau. Ne mettant mot sur le fait qu’ils faisaient aussi de délicieux gâteaux, elle s’en alla derrière son comptoir, prête à la tâche et posa par erreur le plateau qu’elle avait en main sur son précieux jeu de cartes.

« ARGGGGGGGGGGGG ! »

Ce cri ne pouvait appartenir qu’au roi de carreau, évidemment. Elle s’empara du paquet et le rangea dans un tiroir, faisant comme si de rien n’était tandis qu’elle s’approchait du chat et du bonhomme. Celui-ci, trop absorbé par son repas ne semblait voir l’enfant. Notre sorcière ne s’en mêla pas, connaissant les coups de griffes qu’il prodiguait si on le coupait en pleine alimentation mais elle adressa la parole cependant à son peut-être, futur interlocuteur.

« Il est pas très sociable tu sais. Et encore, quand c’est moi qui lui parle quand il mange, il me mord. T’as plutôt de la chance. Mais je manque à tous mes devoirs, tu veux boire quelque chose ou manger ? »

Elle ne redirait rien sur le fait qu’il soit seul en pleine matinée. Elle avait appris à ne point juger les autres, donc elle s’abstiendrait des réflexions qui sont presque toujours mal recueillies. A la place, elle proposa :

« Si tu veux discuter, j’ai un roi de carreau qui n’attend que ça mais il est un peu dur de l’oreille par contre. »

Ajouta-t-elle tout en sortant déjà un verre pour l’eau de la demoiselle assise plus loin, attendant la réponse du garçon.

La jeune fille se dirigea dans sa direction avant d'engager la conversation, préparant un verre et lui proposant de quoi se sustenter.
Quelque chose à manger voulait dire l’ingurgiter, le digérer…et aller au pipi room quelques heures après. Hors, Feliciano avait absolument horreur de ça. Parce que, bien entendu, ses presque parents avaient pensé à tout, même à ce genre de petits détails qu’il trouvait extrêmement gênant. Il se demandait vraiment ce qui leur avait passé par la tête ce jour là. Mais il était bien heureux de n'avoir été déjà fonctionnel lorsqu'ils en eurent l'idée. Surtout que son très cher frère y avait échappé, lui. C'était quelque chose de parfaitement simple pourtant. Un androïde n'a pas besoin de tout ce système qui lui prend bien trop de place dans son petit corps.
Réticent tout d’abord, il réfléchit cependant un instant avant de trouver quelque chose qui, finalement, valait bien ce petit tracas.

« Vous auriez des gâteaux ? »

Les pâtisseries avaient toujours été l'une des rares choses qu'il acceptait d'avaler et figuraient sur sa top liste des choses qu'il adorait, juste après les chats. D'ailleurs, son regard retourna du côté du félin, toujours absorbé par son lait.

"Pourquoi n'est-il pas sociable ? Le roi, celui que l'on a entendu tout à l'heure, Il est plus sociable ? Il aime parler ? "

Il eut encore envie de lui poser énormément d'autres questions mais ses quelques notions de bien séance lui en dissuada. Il fallait dire qu'il ne rencontrait pas tous les jours des cartes qui parlent. Comment se faisait-il d'ailleurs, que des cartes puissent parler ? Il regarda sur le comptoir mais n'y vit rien. En effet, il aimerait grandement y jeter un coup d'oeil. Dehors, le soleil s'élevait un peu plus dans le ciel, lentement, prenant son temps, parce qu'un soleil, c'est un peu paresseux. Il va à son rythme, et se fichant pas mal qu'on le suive ou pas.
La seule chose qui le poursuivait toujours, fidèlement, c'était l'ombre, qui s'étirait maintenant langoureusement sur le sol de l'auberge et sur les murs.
L'androïde nota bien l'adresse des lieux, dans un petit coin de sa tête, et décida que l'auberge figurera dans son future livre.
Plus loin, sa majesté le chat semblait avoir fini son repas. Alors Feliciano essaya de l'appeler à nouveau, se penchant et tendant la main dans sa direction, tandis que son siège craquait légèrement.

"Monsieur le chat, vous plairait-il de m'accorder un regard ?"

Ce dernier finit par tourner la tête vers lui. Encouragé, le petit continua à l'appeler jusqu'à ce que, finalement, l'animal daigne faire quelques pas dans sa direction. Puis il s'assit et le fixa. Ce comportement provoqua un soupir de dépit de la part du bibliothécaire qui commença à se relever lorsque le chat s'avança de nouveau vers lui. Feliciano interrompit son mouvement, la main toujours tendue. Le félin renifla d'abord ses doigts, lécha l'index avant de le mordre, produisant un petit "cling".
Après quoi il le relâcha vivement et s'en alla plus loin.
Felicano se replaça correctement sur son siège.

"Ah, excusez moi monsieur chat, il est vrai que je ne dois pas avoir très bon goût. En tout cas, moins que ce que vous devez préparer."

Ajouta-t-il en se retournant vers la jeune fille.

"Depuis combien de temps travaillez-vous ici ?"