Princesse en détresse à secourir (Libre)

Uriel revenait d'une livraison à quelques kilomètres de la ville quand son estomac grondant avait repéré des buissons chargés de baies très appétissantes. Ni une, ni deux, il s'était posé et avait entrepris de se faire un petit encas en attendant de rentrer chez lui pour déjeuner. Ce sur quoi il n'avait pas compté, c'est l'énorme bestiole qui lui sauta bientôt dessus avec un cri perçant et de furieux battements d'ailes, manquant le déchiqueter à coups de serres. Quelqu'un avait jugé bon d'équiper la créature, qu'Uriel reconnut vite comme un hippogriffe, d'un joli collier à fleurs. Apparemment, les buissons n'étaient pas aussi sauvages qu'il l'avait cru, et quelqu'un avait une drôle de vision du classique chien de garde.

Et c'est comme ça qu'Uriel entreprit de battre des records de vitesse de vol en rase-mottes, tentant désespérément de distancer Kiki. Il jeta un coup d’œil paniqué par-dessus son épaule et fonça droit dans un bosquet qu'il n'avait pas vu, repliant ses ailes juste à temps pour ne pas les briser sur les arbres. Il surgit de l'autre côté à fond de train, pour se trouver nez à nez avec une très jolie jeune femme aux prises avec un type très louche.

Il aurait aimé dire que son intervention était planifiée et qu'il n'avait écouté que son courage, mais à la vitesse à laquelle il allait, il n'eut guère d'autre choix que de leur foncer dedans. Ils s'écroulèrent tous les trois en un gros tas confus, Uriel battant des ailes et envoyant des plumes grises voler partout pendant qu'il s'emmêlait le bras dans les longs cheveux de la demoiselle.

"Pardon, pardon !" s'exclama-t-il, avant d'être interrompu par un cri perçant qu'il aurait préféré oublier.

Kiki s'était immobilisé au-dessus d'eux, et après quelques secondes, au grand soulagement d'Uriel, il fit demi-tour avec mauvaise humeur. Apparemment, Uriel avait atteint la limite des terres de son propriétaire. Soulagé, il se retourna pour s'apercevoir que le type louche lui brandissait son poignard sous le nez. Il avait l'air paralysé par la surprise ; il avait sans doute essayé de poignarder Uriel avant d'apercevoir l'énorme hippogriffe qui avait failli descendre les déchiqueter. Uriel n'apprécia pas trop les dix centimètres de métal qui avaient manqué lui percer la poitrine.

"Non mais dites donc, espèce d'individu de bas étage !" s'exclama-t-il en se battant pour lui arracher son arme.

L'homme masqué résista et ils se mirent à se battre comme des chiffonniers pour prendre la maîtrise du poignard.

Peu expérimenté comme il l'était, Uriel avait sous-estimé la force de son adversaire. C'est comme ça qu'il reçut un coup de pied puissant dans l'estomac, trébucha en essayant d'éviter un uppercut, et se retrouva allongé par terre, à moitié assommé par la rencontre entre son crâne et un rocher. Le temps qu'il se reprenne, il entendit la jeune femme hurler, puis de nouveaux sons de combat. Il se hissa sur ses pieds, mais le type masqué avait déjà repris le contrôle de la situation.

"Dites donc, ce n'est pas comme ça qu'on traite une jolie femme !" protesta-t-il en le voyant tripoter copieusement sa prisonnière.

Uriel n'était peut-être pas le gentleman le plus prévenant de l'Entre-Monde, mais il y avait des manières de se montrer insistant qui ne vous faisait pas passer pour un gros pervers dégoûtant. Un peu de classe, que diable ! se disait-il alors qu'il titubait et louchait encore sous l'effet de son coup à la tête, et dégainait son katana maladroitement et avec trois heures de retard. Il faut dire aussi qu'il n'avait pas encore l'habitude de trimballer l'arme, et était loin d'être un expert dans son maniement.

"C'est cela, oui" grogna la brute. "Jetez-moi ça et reculez, ça me ferait mal de devoir abîmer cette belle peau."

En disant ça, il enfonça son couteau un peu plus près du cou de la jeune femme, la forçant à lever la tête. Elle n'avait pas l'air bien du tout ; sa plaie à la jambe continuait de saigner abondamment, au point que ses yeux devenaient flous. Ou pas, se dit Uriel en y regardant à deux fois. Il n'était pas sûr de quelle race pouvait changer l'aspect de ses yeux comme ça, mais ça n'avait peut-être pas grand-chose à voir avec la perte de sang. Peut-être qu'elle préparait une revanche ?

A tout hasard, il se baissa lentement et posa son arme par terre.

"Et qu'est-ce qu'elle vous a fait, au juste ? Elle a volé vos bijoux de famille, ou quoi ?"
"Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! Reculez, faites demi-tour et tirez-vous... Non, à la réflexion, vous n'irez nulle part avec ces ailes. Je ne vous fais pas confiance. Vous venez avec moi, on vous trouvera bien une utilité. Et sinon, tant pis pour vous."
"Dites, il faudrait vous décider. Je viens, je ne viens pas, vous me tuez ou vous ne me tuez pas ? J'ai connu des malfrats avec beaucoup plus d'envergure et de charisme que vous."

Pour toute réponse, l'homme grogna et quelques gouttes de sang commencèrent à perler à la gorge de sa prisonnière. Apparemment, il n'avait pas non plus le sens de la répartie. Les hommes de main pouvaient être vraiment décevants.

"D'accord, d'accord" capitula Uriel.

Il leva les mains à hauteur de ses épaules en signe de paix, et de l'une de ses paumes jaillit une salve de foudre qui vint frapper à la fois l'homme et sa victime. Enlacés comme ils l'étaient, Uriel pouvait difficilement faire dans la dentelle. Le type grogna et vacilla un instant, étourdi par la brûlure qui lui parcourait les membres.

Uriel en profita pour se ruer sur lui, attrapa le poignard d'une main et visa les yeux de l'homme de l'autre, dans lesquels il balança une deuxième salve. C'était la première fois qu'il essayait de viser un endroit aussi sensible, et à en juger par le hurlement qu'il reçut en réponse, c'était très douloureux. D'ailleurs comme il le touchait, Uriel se reçut aussi une partie du coup de jus, et ça ne faisait pas vraiment du bien.

"Désolé !" s'exclama-t-il en dégageant la jeune femme. "Ca brûle, je sais, mais ça va passer !"

Ceci étant dit, il la repoussa sans délicatesse, lâcha l'homme et lui balança un troisième éclair pour bonne mesure. Ils s'écroulèrent tous les deux à genoux, Uriel sous le contre-coup de la fatigue et l'homme à cause de la douleur.

Oh là là, pensa Uriel en voyant la jeune femme virer littéralement à l'indigo et se parer de ce qui était presque des griffes et des crocs.

Oh là là ! pensa-t-il très fort quand elle se changea carrément en dragon, ouvrit la gueule et vomit un feu noir sur son agresseur.

Fort heureusement, elle ne tint pas longtemps sous cette apparence et s'écroula aussi sec, inconsciente, ce qui permit à Uriel de ne pas s'affoler trop fort et de retourner son attention sur le danger le plus immédiat. Grognant de douleur, l'homme se tordait au sol pour éteindre la drôle de brume noire qui s'accrochait à ses vêtements et les réduisait en cendres. Uriel lui donna des points bonus pour être particulièrement coriace.

La tête lui tournait toujours, mais le livreur fit un effort pour se relever et aller récupérer son katana. Dès que les flammes s'éteignirent sur le type, il lui fracassa la poignée de son arme sur la nuque. L'homme s'écroula. Uriel se pencha sur lui, méfiant. Il n'y avait plus personne à la maison, mais ses blessures continuaient à se refermer à vue d’œil. Par principe, Uriel évitait de tuer. Il n'aimait pas penser à d'où lui venaient ce genre de scrupules, ça lui rappelait de mauvais souvenirs et lui faisait presque penser qu'il était encore esclave d'un dieu qu'il détestait, dans un univers qu'il méprisait.

Mais il n'avait quand même pas envie de tuer cette crapule, donc il valait mieux qu'il évacue avant que l'homme ne reprenne connaissance. Il jeta un coup d’œil indécis à la jeune femme, se demandant si ça valait le coup de l'emmener avec lui alors qu'il était épuisé, et se rendit compte à cette occasion qu'elle était totalement nue.

...

Bon, en dehors de ses propres instincts de mâle, il devait bien avouer que ça le dégoûtait de penser à ce qui se passerait si ce pauvre type se réveillait avant elle. Les vêtements de la jeune femme gisaient en tas non loin. Il l'enveloppa dans sa cape (et comme il n'était pas un parfait gentleman, il ne détourna pas le regard autant qu'il l'aurait probablement dû), et se pencha pour examiner sa blessure. Le flot de sang avait commencé à diminuer, mais elle semblait profonde. Il dénoua hâtivement les bandages autour d'un de ses avant-bras et les noua autour de sa cuisse, aussi serré qu'il l'osait.

Puis il posa le reste de ses affaires sur l'estomac de la jeune femme et la souleva dans ses bras. Ses jambes n'étaient pas très musclées, et combiné à son état de fatigue, il vacilla un peu. Heureusement, ses bras et ses ailes, eux, étaient habitués à porter de lourdes charges.

Il prit poussivement son envol et les éloigna, tout en prenant bien soin de ne pas entrer dans le territoire de Kiki. Dans son état, il ne put pas aller bien loin - c'est-à-dire qu'il parcourut un petit kilomètre avant de devoir se poser dans une clairière au milieu d'un petit bois désert, près d'un ruisseau.

Il déposa la jeune femme au sol, et posa sa robe et ses bottes à côté d'elle. Il lui faudrait un petit moment de repos avant de pouvoir la porter sur toute la distance jusqu'au Sanctuaire des Fumeroles. Elle n'avait pas intérêt à lui clamser dans les bras. Qu'est-ce qu'il ferait d'un cadavre ? Il glissa ses mains en coupe dans le ruisseau et éclaboussa d'eau le joli visage à la peau indigo. C'était dingue la diversité qu'on trouvait dans cet univers.

Uriel buvait un peu d'eau pour s'éclaircir l'esprit quand il entendit un cri de surprise derrière lui. Il tourna la tête pour voir la jeune inconnue s'asseoir tant bien que mal et s'examiner. Il intervint quand même quand elle tenta de se lever.

"Dites, restez tranquille, vous avez perdu beaucoup de sang..."

Elle ne sembla pas l'entendre, puisqu'elle perdait déjà connaissance. Uriel se leva d'un bond et voulut l'empêcher de se cogner la tête par terre, mais elle ne trouva rien de mieux à faire que de lui envoyer une botte à la figure ! La semelle lui percuta le torse et il dut faire un pas en arrière.

"Hé !" s'exclama-t-il, outré. "Non, mais quelle mégère ! Je rêve, là !"

Tout compte fait, il aurait mieux fait de la laisser sur place. Elle aurait toujours pu essayer de matraquer son agresseur à coups de botte ! Furibond, il décida qu'il avait assez traîné. Plus vite il se débarrasserait d'elle, plus vite quelqu'un d'autre aurait à subir ses sautes d'humeur.

Par acquis de conscience, il jeta quand même un coup d’œil au bandage. Le trouvant dans un état pitoyable, il jura et l'échangea avec la longueur de tissu enroulée autour de son autre avant-bras, serrant encore un peu plus fort. Puis, parce Mademoiselle l'avait cherché, il lui enfila sa robe comme il put. Apparemment, son état de nudité lui avait semblé plus primordial que sa blessure ; ce serait bien fait pour elle si elle en crevait. (Bon, et puis il n'avait pas spécialement envie de débarquer au Sanctuaire avec une jeune femme nue dans les bras. Ils avaient beau en voir de toutes les couleurs là-bas, ça risquait de faire mauvais genre.)

Ceci fait, il la hissa à nouveau dans ses bras, esquissa un mouvement pour s'envoler, puis réalisa quelque chose.

"Put***, je peux être vraiment con quand je m'y mets" jura-t-il en sortant son titre de Perçant.

Il passait son temps à oublier qu'il avait ce truc dans la poche. Ce serait quand même trois fois plus court et moins fatiguant. La demoiselle dans ses bras, il disparut pour l'Entre-Monde.

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