Oui Maîtresse!

Ainsi donc, le Prétorien en branlait pas une? Première nouvelle... pourtant, c'est pas faute d'être tombée sur des Sanctuari moi! Et puis bon, il m'en a filé quelques uns aussi pour la protection de ma Res Publica, mais peut être que, comme moi, il a de bons seconds qui s'occupent du boulot à sa place? Peu importe en tout cas, je garde mes pattes derrière ma tête, il semble s'être calmé pour le moment.

«Si après il fait pas son boulot, c'est clair qu'on pourra rien faire.. va falloir que j'assure mes fesses toutes seules!»

Je garde les yeux au ciel, bon ben j'aurais à peine pu boire une goutte de café finalement, le reste est désormais éparpillé un peu partout pendant que les robots font le ménage...

Il semble vouloir en profiter pour taper la discute, il me demande alors pourquoi j'ai voulu être Maîre... je regarde ailleurs, comme si je fuyais son regard, peut être que c'est le cas en fait, j'ai l'impression qu'il peut m'observer aux rayons X et ça me fait chier...

«C'était pas spécialement prévu. Si je te raconte mon histoire tu vas penser que je suis qu'une pauvre petite minette qui a misé le sommet et y est parvenu... mais c'est plus compliqué. Disons qu'il y avait des choses à changer et j'ai choisi de faire ce qu'il fallait pour que ça change.»

Je ne le regarde toujours pas, mon air se faisant assez sombre

«Même si maintenant je me retrouve dans une merde noire et que je suis obligée de me prendre la tête avec des conneries de paperasse administrative et politique... heureusement que je peux déléguer un peu...»

Je me tourne alors vers lui, les pattes toujours derrière la tête

«Et toi? Pourquoi t'as pris ce poste? T'as pas l'air plus à l'aise que moi dans toute cette gerbe politique...»

C'est clair qu'il fait un peu tâche dans le tableau à côté d'Eonwë, mais en fait j'ai l'impression que celui là est le seul qui fasse vraiment «Maître». Entre K'ouen et ses tendances suicidaires, Tchen qui... que j'ai jamais rencontré, K'ien qui disparait mais qui semblait plus être une baudruche qu'un véritable Maître, Et c'est moi ou y'a pas une seule femme dans le lot? Enfin bon on s'en fout, en attendant, s'agit de voir s'il va m'expliquer un peu ce qu'un gus dans son genre a pu faire pour se retrouver là car quand même... ouais il sort du lot.

C'était un peu bizarre de voir Uriko lui parler en gardant le nez en l'air, mais en même temps... bah c'était peut-être son côté chaton excité par les petites bêtes qui couraient au plafond, allez savoir. Il paraît qu'il y avait un Chertan dans ce goût là en ville. Il avait lu un truc là-dessus, à propos de Mirinar justement. Bref, c'était pas le moment de partir dans une suite d'association d'idées tordues.

« Janus, le café. Et de la flotte pour moi.
_ Ordre numéro 47 transmis par Maître N. : apporter du café et de l'eau. Ordre annulé. Mode surveillance : activé. Ordre relayé à un agent cybernétique d'entretien. Veuillez patienter. »

Pire qu'un ordinateur qui plante : Janus en mode surveillance. Y'avait des coups de barre à mine qui se perdaient... mais comme Haine n'était pas tout à fait en état de tenir tête à son aimable serviteur en tôle froissée, il laissa tomber, un soupir exaspéré pour seul témoin de sa lassitude. Et puis un sourire revint s'épingler au coin de ses lèvres, ironie ou simple amusement, allez savoir avec sa sale gueule. La bonne santé de ses fesses, il la devait à son service courrier. C'étaient eux qui avaient intercepté la lettre empoisonnée. Quant à sa petite mésaventure à Cerclon même, ça le faisait chier de l'admettre mais sans K'ien il y serait encore. Les Sanctuari en fait, ils couraient après les méchants une fois qu'on les leur avait désignés, mais pour ce qui était de prévenir ce genre de choses... Bah on était pas dans un film quoi... Heureusement d'ailleurs, parce qu'ils passeraient leur temps à faire des syncopes les Précognitifs avec Haine et son foutu caractère. Ça le fit presque marrer d'imaginer les boules rouges tomber comme des Smarties toutes les secondes, avec une alerte clignotante pour dire que « Haine allait tuer... ah ben non en fait ». Le genre de trucs qui devait arriver au moins aussi souvent que les tentatives de suicide de K'ouen. Être Maître de Miroir, ça vous forge le caractère... ou ça vous rend taré, au choix.

Les deux... ou alors ils recrutaient directement chez les tarés.

Là-dessus, Haine pouffa de rire. Non mais pas comme une pouf' non plus, n'allez pas croire. Juste un rire bref en réaction directe à Miss Li et son franc parler. Comme quoi il avait pas besoin d'être bourré comme un coing pour se marrer, hein. Entendre quelqu'un d'autre se plaindre des petites notes de service et autre saletés administratives, ça le rassurait presque. Finalement, il était peut-être normal alors.

« Bri m'l'a d'mandé... et j'suis dressé à obéir aux ordres. » fit-il en haussant les épaules.

Un coude enfoncé dans l'un des bras du fauteuil, il alla caler son menton sur sa paume, l'index et le majeur remontant sur sa joue fraîchement recousue. Et puis tenez-vous bien, il tendit l'autre bras pour désigner un fauteuil et inviter Uriko à s'asseoir. Même qu'il en resta comme un con une seconde, à se demander ce qui lui prenait. Bah mon gars, les antalgiques combinés au système d'alarme de Janus, ça lui réussissait pas, mais alors pas du tout ! Il récupéra son bras ni vu ni connu j't'embrouille et détourna le regard, feignant de s'intéresser à autre chose. Tiens, un agent d'entretien qui revenait avec le café et la flotte dans une main par exemple, et une table d'appoint de l'autre. Ses trois clones filèrent après avoir balayé, nettoyé, aspiré, épongé, lustré, ciré, briqué le sol, et seul Janus resta entre eux. Même la table fut emportée pour réparation. Un balais réglé au millimètre, et en deux temps trois mouvements, hop ! Plus aucun indice sur les lieux du crime.

« J'me fous d'la politique, j'me fous du pouvoir, et j'me fous d'mon image. J'fais l'boulot, c'est tout. R'garde c'que ça donne quand on réuni un Conseil des Maîtres : blah blah blah. Machin veut avoir l'dessus sur bidule, ça s'insulte avec des mots savants, ça veut avoir raison, et pendant c'temps, ils font pas leur job. P'têt que la profession manque de coups d'pieds au cul. »

Et peut-être même qu'elle serait de son avis... ou alors pas du tout. M'enfin elle était venu pour faire la causette sur un problème de sécurité, alors autant jouer cartes sur table. Qu'elle soit pas choquée d'apprendre qu'il préférait cogner avant de parler... voir souvent pas du tout parler et seulement cogner.

Pas la moindre idée de qui est Bri, mais lorsqu'il balance qu'il est fait pour obéir, je me dis que ça doit pas être drôle d'être un cyborg, je croyais pourtant qu'il était plus ou moins humain avec quelques petites conneries de technologies qui servaient à rien à part nous perdre sur une île flottante... je garde le nez en l'air à fixer les bestioles jusqu'à ce que je l'entende bouger, il a changé de position dans son fauteuil et va même jusqu'à me proposer de m'assoir? C'est qu'il est quand même civilisé le pare-choc!

Je m'avance alors, restant tout de même sur mes gardes pour le cas où il ait envie de «taper la discut'» au sens propre du terme. Je m'installe dans le fauteuil en tailleur, ou plutôt en position du lotus en fait, je suis souple et j'aime bien être comme ça... pendant ce temps, il me parle un peu des Maîtres, de leurs histoires de pouvoir et de leurs chamailleries...

«On dirait des gosses qui font mumuse à la guerre quand t'en parles comme ça. À croire qu'ils ont jamais connu les vraies galères pour savoir comment les résoudre.»

J'ai de nouveau les mains derrière la tête, fixant les lézards du plafond en prenant bien appui sur le dossier du fauteuil.

«Si je pouvais éviter de me retrouver dans ce genre de conseil, ça m'arrangerait... je peux comprendre que tu sois du genre à obéir aux ordres, mais je comprends pas pourquoi on t'a confié ce rôle à toi...»

Puis je me tourne vers lui, en ricanant un peu

«Ou alors c'est justement parce que t'en as rien à foutre et donc que tu sais garder tes neurones en place qu'on te l'a proposé?»

Sauf quand il se les fait secouer par un K'ouen et sa force colossale... mais bon je préfère éviter de mentionner l'autre chef humanoïde, la dernière fois c'est là qu'il s'est énervé...

«En tout cas, on est dans un sacré pétrin. Je sais pas si tu écoutes les bruits dans les rues, mais pas mal de gens semblent mécontents des Maîtres... il est probable qu'on ait affaire à ce genre d'attaque à nouveau...»

C'est ça le problème... je suis pas spécialement inquiète pour ma vie, mais tant qu'à faire, maintenant que j'ai quand même ce que je cherchais dans la vie, j'aimerais bien le garder...

Bon bah au moins, elle se rasseyait, comme quoi il faisait pas si peur que ça quand il voulait. Il la considéra un moment en silence, évaluant la portée de ce qu'elle avait traduit de ses propos. Ouai, c'était un peu ça. D'un côté ça le faisait un peu chier de se permettre de penser un truc pareil, parce que bon, il était qui pour se permettre de juger les autres ? De l'autre, le souvenir rasoir de K'an et Tchen voulant tous les deux avoir raison, sans se soucier des dommage collatéraux que ça pouvait engendrer, ça lui filait un peu la gerbe. Le fric, c'était le seul accord qu'ils étaient parvenus à trouver. Et Haine n'aimait pas le fric. Pour preuve en était sa Res Publica. Vide, plate, sans fioriture, à peine fonctionnelle. Son seul excès avait été ce foutu Hécatonchire dans le hall. Sans qu'il sache pourquoi, il se l'aimait bien ce truc. Ça le détendait de compter ses têtes et ses bras. Pour le reste, sa tour produisait sa propre électricité, la flotte c'était de la pluie recyclée. Restrictions budgétaires, comme disait Briarée. Lui il s'en foutait, sauf quand il avait faim. La bouffe pas chère était dégueulasse, fallait l'admettre. Pour le reste, il se contentait de rien. Vestige d'une vie à éponger des dettes sans toucher un seul centime. On s'habitue à ces conneries... et puis ça devient pénible à gérer quand il faut mettre le nez dedans. Ça fait combien, vingt pims ?

« J'sais pas j'ai pas d'mandé. J'étais dans la zone du dehors quand elle est v'nue m'chercher. J'faisais joujou avec des monstres, un peu comme K'ouen. Sauf que moi j'espérais pas mourir à tous les coins d'sentier. Il marqua une pause comme pour l'évaluer. Un esprit mal tourné aurait prétendu qu'il la déshabillait du regard, mais si y'avait bien quelque chose qui était pas son truc, c'était bien ça. Dommage, ça pourrait être marrant un Conseil où tu s'rais impliquée. J'aurai compté les points. »

Quelque part au fond de son crâne douloureux, il se fit la réflexion que s'il devait être lui même embarqué dans un de ces Conseils, à tous les coups la table volerait, et les fauteuils, et puis Janus dans la foulée, pour par qu'il lui casse les bonbons avec son processus d'urgence. Il haussa les épaules. Oui, peut-être bien que Bri l'avait choisit lui pour son désintérêt du pouvoir... mais pour ses neurones, ça restait à voir. L'air déjà bien lugubre de Haine s'assombrit. Ça aussi il s'en serait volontiers passé. Tout réapprendre avec le cerveau d'un type de trente piges, il fallait pas s'étonner qu'à quarante et des brouettes, il en sache pas davantage qu'un môme de quinze ans... précisément parce que techniquement, c'était l'âge qu'il avait. Comment on en arrive à foutre un môme de quinze ans aux rênes d'une Res Publica et d'un quartier-rempart ?

« J'avais pas fait le rapproch'ment, tiens. Lâcha-t-il sur le ton du type un peu à la ramasse qui réalise un truc important avec deux trains de retard. Un peu comme le coup de K'ouen et Aliénor... J'm'en fous tell'ment d'ce qu'on dit d'moi, j'avais pas fait gaffe qu'on pourrait essayer d'me tuer pour ça. »

Il s'arrêta pour réfléchir une seconde.

« C'est sûr'ment très con d'ma part, mais mine de rien j'me suis toujours dit que tant qu'j'faisais mon boulot, personne viendrait m'chercher des poux... apparemment je m'suis gourré... »

Qu'est-ce qu'il pouvait y faire s'il avait un caractère de chien ? Rien. D'ailleurs ça se saurait si on pouvait plaire à tout le monde, mais c'était pas le cas. Y'avait toujours des types jamais contents pour trouver quelque chose à reprocher. Alors après évidemment, lui il plaisait à personne, d'accord. Mais lui parlez pas de juste milieu... il serait bien capable de s'énerver.

« Aliénor Mireamwen est pas Maître de Miroir, et c'est elle qu'y'a le plus morflé. En même temps avec c'qu'à balancé Onirie sur sa gueule, c'pas trop étonnant. J'compte même plus l'nombre de lettres de menaces que j'reçoi depuis qu'c'te plaie pollue l'Entre-Monde avec son torchon. Li ou pas, sans t'vexer hein, si j'la choppe j'te garantis qu'même à Touen ils en voudront pas après qu'j'lui ai réarrangé l'portrait. »

Délaissant son dossier, il alla se servir un verre d'eau. La salle d'audience était redevenue d'un calme quasi religieux, avec l'écho autour d'eux à leur en filer les chocottes. Seul Janus était présent, immobile et silencieux comme une mine antipersonnel sur le point de vous péter à la gueule. Haine le surveilla du coin de l'œil. Pas de blague hein, il prenait juste un verre.

« C'est quoi ton histoire de minette au sommet ? »

Non mais qu'il soit pas tout seul à faire un 3615MYLIFE quoi...

C'est drôle comme il cause finalement quand on le caresse dans le sens du poil. J'écoute en revanche ce qu'il peut raconter sur la nana du Sanctuaire, certes elle est pas Maître, mais il me semble qu'elle est la protégée d'un Maître alors ça peut revenir au même...

«Aliénor est la protégée de Kan... pas dit qu'on essaie pas de l'atteindre en passant par elle....»

Il bifurque alors sur l'autre renarde, en précisant que je doive pas m'en sentir offusquée

«T'inquiète, chuis pas du genre à prendre la mouche dès qu'un gars de mon Miroir fait une connerie. Et je suis d'accord avec toi, c'est pas une renarde, c'est une hyène cette saleté!.»

Sérieux, qu'elle s'amuse à publier un article sur moi et je vais la tondre façon caniche royale moi la rouquine. Fixant toujours le plafond, j'essaie de réfléchir à ce qu'il vient de dire. On n'est toujours pas mieux lotis finalement, car il a raison sur un point, il y aura toujours des gens mécontents, c'est peut être l'avantage que j'ai d'être de Li, mine de rien, les animaux sont nettement moins exigeants que les humains ou leurs dérivés... certes, moi j'aime avoir ma part de luxe, mais c'est pas le cas de la majorité des autres. Du moment qu'ils ont à boire et à manger ils s'en foutent et en général, ils savent très bien se débrouiller seuls...

Je fronce un peu les sourcils alors qu'il me demande mon histoire...

«Dans le monde d'où je viens, il existe que deux catégories de gens... les riches et les pauvres. Y'a pas vraiment de milieu..»

Les mains toujours derrière la tête à fixer le plafond comme si c'était la plus grand œuvre d'art qui soit

«Et moi tu t'en doutes, j'étais chez les pauvres... mon monde ressemble beaucoup à Tern, de grands immeubles qui montaient très haut dans le ciel... et forcément les riches vivaient en haut, et je me suis toujours dit qu'un jour moi aussi je vivrais au dernier étage d'un immeuble... mais j'avoue que j'avais pas spécialement l'intention de bosser pour y parvenir!.»

Ça c'est sur. Quand je pense à mon magot planqué dans une des montagnes du Sud, avec toutes ces recherches sur les temples, manquerait plus que quelqu'un tombe dessus... mais je peux pas le rapatrier sur ma Res Publica, ça paraîtrait louche, quoi que je suis sure que Khrones réussirait à glisser tout ça en douce!

«Donc bon, maintenant que j'y suis, je compte bien y rester. Et j'ai déjà vu les riches comment ils se comportent, tous des snobs à la con à toujours compter leurs sous et se foutre du monde tant que ça leur rapporte... moi j'ai connu la galère, j'ai pas l'intention de devenir l'un de ces troufions omnubilés par le pouvoir... je m'en fous du pouvoir... tout ce que je voulais, c'était ma vue au dernier étage....»

C'est con au final... tout ça pour une simple vue. Je suppose qu'il comprendra pas, mais c'est comme ça... il a pas idée de ce que c'est pour moi de me lever le matin, qui plus est avec toujours une vue différente puisqu'elle a tendance à tourner sur elle-même et de voir ainsi le monde d'en haut. Juste la vue...

Je me penche pour reprendre du café vu que ma tasse a fini en peinture abstraite sur le mur avant d'être nettoyée par les robots. Le café est pas top, mais bon, ça reste du café...

«Interdiction de se moquer....» dis-je avec une mine un peu boudeuse...

Neythen marqua une seconde d'hésitation, réfléchissant vaguement à ce que Catwoman voulait dire. S'en prendre à la directrice pour atteindre K'an, c'était débile selon lui. Par exemple, qu'est-ce qu'il en aurait à secouer si on s'en prenait à Janus ou Briarée ? Bon d'accord ça le ferai un peu chier, mais les robots, comme les gens, ça se remplaçait. Et puis ça se soignait. Elle avait bien été soignée la guérisseuse, non ? Il se gratta le menton, l'air concentré sur un truc qui lui échappait. En même temps il avait fait le déplacement jusqu'au Sanctuaire en apprenant qu'Aliénor était dans le coma, et puis il avait fait venir K'ien qu'il pouvait définitivement pas pifrer pour... pour quoi ? Pour la sortir de son état de légume trop cuit... Mais concrètement, ça lui aurait fait quoi qu'elle y passe ? Peut-être rien... et peut-être que ça l'aurait fait chier. Peut-être même qu'il avait une raison un peu plus cohérente qu'un « je m'en fous » pour expliquer qu'il s'en soit pris à K'ouen, après avoir cru comprendre qu'il avait abîmé la dame. Pourquoi ? Il étudierait ce point le mois prochain, éventuellement... Pour le moment, Miss Li causait, et la moindre des choses c'était de l'écouter. Au moins un peu.

Sourire en coin. Devenir Maître du Miroir pour la vue, ça lui plaisait bien. Il s'enfonça dans son fauteuil après avoir avalé son verre de flotte, jouant à passer son doigt sur les bords pour le faire siffler. Mais pas de bol, comme il le tenait dans la main ça marchait pas.

« J'me suis réveillé comme ça sur mon monde, avec la moitié des os en métal et des yeux bioniques. C'est pratique, j'dis pas. Ça m'a permis d'trouver le clébard sur Mirinar et ça m'a bien aidé contre K'ouen. Il cogne dur le p'tiot. Mais l'reste, c'qui s'est passé avant, j'm'en rappelle pas. À partir de là c'était facile d'me reformater. J'étais dans l'corps d'armée, alors on m'a appris à tuer et à haïr suffisamment c'que j'suis pour effacer toute notion d'crainte. C'est toujours pratique d'avoir un kamikaze dans ses rangs. »

Finalement il posa son verre pas marrant qui voulait pas siffler.

« J'sais qu'on m'prend pour un con, mais j'm'en fous. Techniquement, ça fait qu'quinze ans que j'suis dans c'corps, et j'aim'rai bien les y voir les aut', de foutre un gosse de quinze piges dans l'corps d'un type de quarante, et d'lui d'mander d'avoir l'expérience de c'lui d'quarante. C'est bien possib' que j'ai un caractère de merde, mais au moins j'dis c'que j'pense, et puis j'pense c'que j'dis. Le pognon, le pouvoir, qu'est-c'que j'en ai à foutre ? J'ai pas été dressé pour ça. J'te l'ai dit, obéir, c'tout c'que j'savais faire avant d'êt' Maître. Et là, j'me r'trouve à d'voir prend' des décisions tout seul. Pire, à les prend' pour les aut', ces mêmes aut' qui m'crachent à la gueule pa'c'que j'correspond pas à leur idéal masculin. »

Et il se resservit, parce que causer lui donnait soif, et parce que ça lui occupait les mains. Et peut-être aussi par réflexe, parce que la dernière fois qu'il avait vidé verre sur verre, il avait fini trop bourré pour se rappeler qu'il en avait sa claque de cette vie, celle qu'il se trimbalait depuis quinze piges. M'enfin avec de l'eau, il ferait pas exploser les alcootests...

« Pourquoi j'suis Maître ? Suffisait d'm'ordonner c'te mission d'sauvetage. Fallait reprendre Cerclon, pa'c'que c'étaient les remparts et qu'sans eux, la ville d'Entre-Monde était vulnérable. J'ai pris. Mais y'a pas d'poste de maire des remparts. Fallait êt' Maître pour s'en charger, alors j'ai pris aussi. Foutu lot promotionnel, hein ? Il haussa les épaules. C'était plus marrant avec de la Vodka en fin de compte. Pi j'fais mon boulot comme j'peux. J'suis là pour ça : le boulot. Les paillettes, j'm'en cogne, qu'on m'reproche d'passer ma vie dans mon palace, ça m'gonfle. J'bosse comme je peux, avec mes p'tit quinze ans et mon gros trou à la rubrique relations sociales. Et les aut' Maîtres qu'aiment pas mes méthodes, j'les emmerde. Au moins j'laisse personne se noyer pour m'crêper l'chignon pour des broutilles. Chacun son sens des priorités hein. J'crois juste qu'la vie des gens passent avant d'savoir qui a raison et qui a tort. »

Une délégation d'agents cybernétiques entra à ce moment là avec une table neuve. Ils la placèrent à l'endroit exact où se situait la précédente, au poil de fesse près. Leur petit manège dura quelques minutes pendant lesquelles ils s'appliquèrent à poser tasse, cafetière, carafe et verre sur le bois sombre, comme de parfaits hommes d'entretien... ce qu'ils étaient, le côté humain en moins. Janus n'avait pas bougé, si bien qu'il se trouvait à présent sous la table, prêt à intervenir au moindre mouvement suspect. À moins que les décibels y soit pour quelque chose, allez savoir.

« C'est vexant n'empêche. Dans mon monde j'étais l'meilleur. Y'avait qu'des humains et quelques bestioles qu'auraient bien été dans ton Miroir, mais rien d'bien folichon. Alors un type en métal, même si personne pouvait l'blairer, c'était la classe. J'craignais rien. Ici, tout l'monde est tell'ment balèze que j'suis plus qu'une merde...

Et on se privait pas de le lui faire savoir d'ailleurs. Il se resservit à boire et avala le tout d'une traite. Heureusement qu'il pouvait pas rouiller de l'intérieur. Il se leva, une sueur froide à l'idée que Janus était bien foutu d'interpréter ça comme une tentative d'agression.

« J'finance une mission pour trouver les p'tits malins qui s'en sont pris à K'ien et à moi. Elle a été prise par le nouveau gard'du corps du Sanctuaire des Braves, Dolhan Aulendil du Miroir de K'an et Rtas 'Vadumee, un Sanctuari du Miroir de K'ouen. J'paye aussi une p'tite dame pour avoir le nom de l'agresseur et, tant qu'à faire, du commanditaire pour l'affaire d'la directrice. Alia Atréides, Miroir de K'ouen. Elle s'fait appeler Lyn. Mais compte pas sur le Prétorien pour secourir tes fesses. Deux agressions, trois si on compte le lustre qui s'est cassé la gueule au beau milieu d'la soirée romaine, de c'que j'ai entendu dire. J'me suis tiré avant, mais t'sais c'que c'est, les murs ont des oreilles presque plus performantes que celles d'Onirie. Trois agression et le Prétorien ne daigne pas se remuer, alors non, compte pas sur lui pour protéger tes miches. »

Sur ce, il sortit son PDA et pianota quelques secondes.

« J'ai à faire au nord de Termer. Une piste concernant l'agression d'la directrice, justement. »

Sans dec? Ce type a seulement 15 ans? J'ai du mal à le croire... ouais d'accord il a un côté très con et tête brûlée, mais tout de même, il a une certaine maturité.. mais bon, peut être que dans son monde mine de rien, on grandit plus vite. En tout cas son histoire est assez intéressante, malgré tout je sens chez lui une certaine lassitude. Obéir, oui, mais quelque chose me dit qu'il en a vraiment mare de tout ça, et c'est clair que la plupart des gens que je connais le prennent pour un con. Pour ma part, je peux pas piffrer K'ouen avec ses faux airs de gosse rebelle suicidaire... chacun son truc.

Et c'est enfin qu'il me file les informations que je lui avais demandé. Au moins y'a un sanctuari sur le coup de cette histoire d'empoisonnement et il est le seul à s'être bougé le cul pour trouver qui a kidnappé la Directrice... et après c'est lui qu'on prend pour un con tiens... foutu monde de merde. Je me lève alors souplement, une main sur la hanche et fixant un point invisible devant moi.

«Les gens se foutent de toi, mais j'ai l'impression qu'au final t'es le seul qui se bouge vraiment le cul en temps que Maître. Les autres, moi y compris, on se contente de chasser des temples pour éviter qu'un autre piaf vienne nous cramer la gueule, et d'autres se crêpent le chignon pour une histoire de fric ou de cul.»

J'avoue que je parle du groupe d'Aliénor là... y'a qu'à voir tous les mecs qui se sont précipités dans sa piaule lorsqu'elle est tombée dans le coma. C'est vrai que des Maîtres avaient vachement un rôle à jouer dans sa chambre à ce moment là et leur présence était super utile pour qu'elle se réveille. Quoi qu'une fois de plus, de ce que je sais grace à Onirie - l'avantage qu'elle soit de mon miroir, elle a pas le choix de me refiler ses infos - c'est Ken qui a réellement fait quelque chose d'utile en convoquant l'ancien Maître de K'ien pour qu'il aille trifouiller ses méninges... les autres sont restés là à chouiner. Je passe mes mains derrière ma tête en réfléchissant un peu, il doit se casser pour voir justement ce qu'il peut trouver pour cette histoire d'agression.

«Ok... j'ai quelques fouines et chiens de chasse dans mon Miroir si ça t'intéresse. C'est moi qui paie.»

Je lui fais alors un salut suivi d'un clin d'œil et je commence à lui tourner le dos

«Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin. N'empêche, t'es peut être con sur les bords, mais je crois qu'en fait, t'es plus intelligent que d'autres. J'ai bien fait de venir te trouver, au moins les infos sont données et pas cachées avec toi... je déteste qu'on me prenne pour une conne à filer les données au compte goutte....»

Et je fais demi-tour. Au final, ce que j'ai appris de cette conversation, c'est que si je veux que les choses bougent, tout comme lui, va falloir que je me débrouille moi-même. Ne pas compter sur les Sanctuari, du moins pas sur le Prétorien, ni sur les autres Maîtres... je sens que j'ai rudement bien fait de prendre ce poste, moi...