Oui Maîtresse!

«Tu ne devrais pas y aller seule. Il n'est pas très recommandable»

«Ça va! J'ai survécu à Mirinar, je survivrai à une boîte de conserve!»

Un soupir quitte les lèvres du grand tigre blanc alors que je sors des bureaux de ma Res Publica. Un coup d'œil derrière moi pour admirer le bâtiment... 'tin que je l'aime cet immeuble! Il me rappelle vraiment ce que j'ai toujours souhaité dans la vie. Certes, je ne m'attendais pas à avoir autant de boulot, boulot que je délègue généralement à Khrones... faut dire qu'entre vigile dans un bar et bras droit d'un Maître, il a vite compris où il avait le plus à gagner, même si pour ça il doit me supporter.

«T'inquiète, je dois juste lui causer d'un truc... ce sera pas long...!»

Je le vois hocher la tête d'un air inquiet. Je vois bien qu'il fait un peu plus que son boulot en ce qui me concerne, et je me dis qu'il vaut mieux pas mélanger boulot et plaisir même si ça me démange un peu. On verra bien, de toute manière, les fauves capables de me supporter sans chercher à me tuer son assez rares sur Entre-Monde, faudrait peut être que j'en profite aussi.

J'embarque dans la montgolfière qui me mène jusqu'à Ken, tranquillement, les coudes appuyés sur la barrière d'osier en observant la ville sous mes pattes... c'est chouette vu d'ici. En attendant, je réfléchis un peu au motif de ma visite... j'ai l'impression qu'il se passe de drôles de choses sur Entre-Monde en ce moment, des Maîtres de disputent en plein milieu d'une inondation, devant tout le monde, on essaie d'en tuer deux à coup de lettres empoisonnées, la Directrice du Sanctuaire qui se retrouve d'abord à l'hosto après avoir vu le Prétorien, puis elle se fait enlever et agresser... un Maître disparait, le Maire d'Atlantis aussi porté disparu... Cerclon est réputé pour son système de surveillance alors qui de mieux que la boîte de conserve pour avoir des renseignements sur tout ça?

Je débarque souplement, pour l'occasion j'ai mis un kimono plus serré, genre tailleur, fendu sur le côté pour que je sois libre de mes mouvements, de couleur ocre à manches longues. J'avance souplement jusqu'à l'espèce de palais, grimaçant en regardant les goût architecturaux du tas de ferraille... faudra que je lui conseille quelques uns de mes architectes... c'est quoi ce truc? Enfin bon, déjà une autre boîte de conserve s'avance vers moi, une vraie cette fois au mois...

«Bonjour. Uriko Sheron, Maître de Li. Je viens voir Haine.»

Je me rends compte que je connais même pas son vrai nom? C'est pas Neythen plutôt? On s'en fout je suis sur qu'il comprendra... ou pas c'est qu'un robot en fait... je suis pas dans la merde, me demander de réfléchir de bon matin, c'est pas bon... pourquoi j'ai pas pris mon café déjà?

Dans le grand hall où trônait l'Hécatonchire d'un goût discutable, Janus, petite boîte cylindrique sur roulettes silencieuses venait au devant de cette nouvelle invitée. S'il avait été pourvu d'une conscience, il se serait sans-doute fait la réflexion que depuis que Haine était en fonction il n'avait guère reçu que des femmes... mais il n'avait pas de conscience, alors il se contentait de faire ce pour quoi on l'avait programmé, récitant de son timbre métallique curieusement mélodieux... toujours plus que le ton peu aimable de son maître en tous les cas.

« Requête numéro 18 : Uriko Sheron, Maître de Li souhaite un entretien. Requête transmise, veuillez patienter... Requête approuvée... Maître N. vous reçoit dans quelques instants. Ordre numéro 45 transmis par Briarée VII : proposer un siège et un rafraîchissement au Maître de Li, Uriko Sheron. »

À ces mots, il tourna sur lui-même comme s'il manifestait sa satisfaction d'avoir relayé les ordres, les requêtes et les instructions puis fila à une vitesse impressionnante par l'un des couloirs. Dans la sorte de patio au milieu du bâtiment d'un autre âge, la tour venait d'ouvrir ses flancs sur un monte-charges, et à l'intérieur du monte-charges, Haine et sa sale gueule, la seconde précédent le premier ou inversement, on ne savait pas trop. Il plissa les yeux à la lumière et traversa la distance qui le séparait du hall d'un pas incertain. Dur de s'orienter en étant aveuglé par ce foutu soleil. Encore plus dur quand on était bourré d'antalgiques à cause d'un gosse incapable de retenir ses coups. Foutu K'ouen. Bénit soit K'an et ses p'tites mimines magiques... ouai non, fallait pas charrier quand-même. Pénétrant le hall avec un peu plus d'assurance maintenant que ses yeux s'étaient habitués à la lumière, Neythen jeta un regard curieux à Catwoman avant d'aller s'affaler sur l'une des duchesses.

Janus revint à ce moment là avec un plateau aimanté sur la tête, deux verres, une carafe d'eau, un pichet de lait. Il se planta devant Uriko pendant que Haine se grattait entre les doigts de pieds. Pieds nus comme souvent, pour mieux réfléchir. Ne cherchez pas à comprendre. Les iris bleus se plantèrent sur son invitée surprise pas si surprise que ça, mais surprise quand-même, parce que la dernière fois qu'il avait vu ses moustaches, c'était sur Mirinar. Et sur Mirinar, elle était pas Maître de Miroir. Promotion canapé ?

« C'était marrant d'entendre ton nom et l'mot « Maître » dans la même phrase. C'est tout neuf ? D'puis quand ? »

Il aurait tout aussi bien pu lui proposer de s'asseoir, lui dire bonjour, prendre de ses nouvelles, éventuellement la vouvoyer... mais l'hospitalité restait un concept encore assez flou dans son esprit. D'un autre côté, il avait fait l'effort de se bouger les miches, et pour lui, c'était un peu le must de l'hospitalité.

Les bras croisés au niveau de mon ventre, je tapais un peu du pied en regardant la décoration douteuse des lieux en attendant que la boîte de conserve daigne se montrer. Je ne me soucie pas trop de ce qu'elle raconte - depuis quand les robots disent des trucs intéressants? - quoi qu'il me semble que ça parle de rafraichissements et déjà c'est plus sympathique.

C'est alors que je commençais à me poser des question... sérieux il me laissait poireauter là? La bonne blague! Ce type est vraiment bizarre, je me demande comment il a fait pour devenir Maître... ok je sais, on se pose la même question à mon sujet. Ah ben le voilà tiens. Sans vraiment daigner le saluer ou autre - je pense qu'on a passé le stade des petites politesses - je le vois me saluer à peine avant de se vautrer sur l'un de ces vieux canapés que j'ai jamais pu trouver confortable... la mode de Northrives ça, qu'est-ce que ça fout chez un tas de ferraille?

Un petit bruit métallique se fait entendre et je vois revenir le robot avec un plateau sur la tête... oh? Du lait? Comme c'est original... il croit quoi? Que je suis un chat peut être? Levant les yeux au ciel - oui bon d'accord j'aime bien le lait, mais le matin je préfère le café... tant pis, je prends rien pour l'instant... baissant les yeux vers l'autre en train de faire une pseudo toilette, je soupire un peu lorsqu'il me demande en gros ce que je fous là...

«Ouais, c'est assez récent. Disons que mine de rien, y'a pas tant de créatures de Li qui aient les tripes de se farcir des Maîtres du miroir sur une île volante tout en ayant les épaules pour tenir une administration...»

Et qui tienne sur deux pattes en sachant tenir un stylo, je crois aussi que ça a été l'un des éléments de ma nomination. Mais je crois qu'effectivement, ce qu'il s'est passé sur Mirinar a pas mal joué. Je sais pas encore si je dois m'en plaindre ou non, d'un côté j'ai tout ce que je souhaitais, mon grand appartement sur Tern, dernier étage, vue panoramique et tout, mais en contre partie, ben faut que je bosse et ça c'est nettement moins drôle... heureusement que j'ai l'autre matou blanc qui me décharge de presque tout!

«T'as vraiment l'intention de me laisser taper la discut' ici? Dans ton hall? Pas que j'ai envie de te sauter dessus mais j'aurais besoin de te parler d'un truc un peu sérieux quand même...»

Et avant même qu'il s'amuse à me faire la réflexion

«Oui ça m'arrive d'être sérieuse! Profites en... ou pas.»

Puis, en baissant les yeux sur le verre de lait, je me tourne à nouveau vers lui

«Ta bestiole là, elle ferait pas machine à café des fois?!»

Je vois pas pourquoi je ferais des efforts de langage avec un homme des cavernes croisé à une tôle en ferraille...

Neythen eut un sourire en coin. Si si, j'vous jure. Cette histoire de tripes et d'administration, ça lui rappelait vaguement quelque chose, mais quoi ? Ah ben lui... Ravi d'apprendre qu'il était pas tout seul à en chier, il délaissa ses doigts de pieds pour mieux considérer son invité. De ce qu'il en avait vu sur Mirinar, elle avait pas vraiment la langue dans sa poche, et en même temps pour ce poste, il valait mieux. On trouvait toujours des réfractaires pour prétendre que les décisions des Maîtres étaient pas les bonnes. On trouvait même une foutue journaliste pour vous le prouver par A plus B, arguments à l'appui (et vous caser avec n'importe qui dans la foulée)... alors ouai, sans les épaules c'était la dépression nerveuse assurée. Puis il en fallait une sacrée paire pour aller se frotter aux Maîtres déjà en place, mine de rien...

Davantage encore maintenant qu'Uriko était dans la place. Avec autant de caractères de merde aux manettes, autant dire que le prochain Conseil s'annonçait folklorique... Haine avait hâte d'y être ! En attendant, il se contenta de hausser un sourcil. Bah quoi, il était pas cool son hall ?

« C'est la pièce la plus confortable. Après y'a la salle d'réception mais elle est vide, ou la salle d'audience mais y'a qu'des fauteuils et une table, ça résonne, et ça m'gonfle. »

Il pointa l'Hécatonchire du doigt.

« Ce truc bouffe l'écho, il prend toute la place. Sinon y'a ma piaule mais t'es vraiment pas mon genre. »

Il s'accorda une seconde pour réfléchir. Y'avait aussi son bureau, mais vu que la lumière n'y entrait pas ça faisait un peu sombre, et de la « sombritude » il en avait bouffé toute la matinée sur les problèmes administratifs de Cerclon. Le soleil, c'était cool aussi. Tiens, il pourrait même faire installer des transats et aller causer dehors.

« Salle d'audience ? »

Et il se leva, au cas où elle lui dise oui, non, ou merde. Depuis quand il proposait des trucs lui au fait ?

« Janus, café.
_ Ordre numéro 46 transmis par Maître N. : apporter du café. Veuillez patienter. »

Haine le regarda s'éloigner comme s'il en revenait pas que son robot se tire avec sa flotte. Non mais lui aussi il avait soif. Au fait, pourquoi il avait ordonné du café ? Demandé autrement, depuis quand il devenait sympa ? S'il avait pas eu un cerveau 100% humain, il aurai soupçonné Briarée de l'avoir reprogrammé pendant la nuit. Ou alors c'étaient les antalgiques.

« T'as dis qu'tu v'nais pour quoi déjà ? »

Bon au moins je vais avoir du café, et une salle d'audience c'est mieux que rien. Sans même lui dire si ça me convient ou non - de toute manière, pas dit que ça l'intéresse - je le suis. Les mains dans le dos, j'avance tranquillement alors que la canette file me chercher à boire... y'a pas à dire, des serviteurs qui réfléchissent pas, c'est cool!

On se retrouve alors dans une grande salle, comme il l'a dit plus tôt, ben y'a que des fauteuils et une table... vu la composition de la pièce, je me dis qu'effectivement, ça doit pas mal résonner.... au moins y'a des fenêtres. J'aurais bien aimé en ouvrir une mais bon...

«Investis dans la tapisserie, ça fait moins de bruit.»

Je m'installe confortablement dans un des fauteuils, je me dis que l'autre boite de conserve va pas tarder à arriver avec mon café alors je prends mon mal en patience

«J'ai pas encore dit pourquoi j'étais là...»

Ben quoi? C'est vrai non? Je pose les coudes sur la table, sans vraiment chercher à prendre une pose séductrice, j'ai pas que ça à faire, ça marche avec Khrones, pas avec les humains, et encore moins avec les bouts de ferraille

«Seulement voilà... autant aller droit au but, ça me fait pas plus plaisir qu'à toi que je sois là..»

Faut pas être devin pour voir que ça le fait royalement chier de devoir jouer les Maîtres, comme moi à cet instant

«Seulement voilà, je suis Maître depuis pas très longtemps, ça m'empêche pas de lire les journaux, que ce soient les torchons de l'autre de mon Miroir ou les officiels, aussi je sais qu'en ce moment, c'est quand même le bordel»

Et pas qu'un peu

«Des Maîtres se frittent en public, subissent des tentatives d'assassinat, que ce soit par des trouffions stupides ou des tauracles en rut, la Directrice de l'hosto qui se fait tabasser puis kidnapper, c'est pas vraiment comme si ça paraissait normal tout ça!.»

Ben quoi? J'ai quand même le droit de douter de ma propre sécurité non?

«Cerclon est censé être à la charge de la plus grande partie de la sécurité de cette ville... donc la logique voudrait que tu sois le plus au courant de tout... je pense que K'ouen doit être pas mal dans son genre, mais il est occupé dans sa maison de vacances de ce que je sais, alors il doit pas savoir grand chose....»

Et les autres, je peux pas les encadrer... quoi qu'il y a un nouveau aussi chez Touen, mais qui dit nouveau, dit «qui sait encore moins de choses» alors je vois pas pourquoi j'irai y faire un tour... surtout que Touen c'est bizarre, on sait jamais sur quoi on tombe...

Et voilà les deux Maîtres en partance pour la salle d'audience, direction le couloir est, ou sud, ou ouest, ça dépendait de la position de la Res Publica à ce moment là en fait. On n'avait pas idée d'habiter sur une pizza pivotante. Pour seuls accompagnateurs, le bruit léger de leurs pas sur le marbre. Haine pieds nus, Uriko... bah pattes nues aussi, constata Ken en baissant le nez. Non pas que regarder ses pieds était particulièrement intéressant, mais il n'avait rien d'autre à foutre pendant le trajet. Et puis il faisait bien ce qu'il voulait, non ?!!

« La tapiss'rie ça gondole quand il pleut, ça cloque quand y fait chaud, ça s'arrache quand mes cyborgs passent trop près, y'a des raccords, ça pue la colle, ça s'nettoie pas et on r'trouve jamais des lais d'la même couleur... »

Vous avez demandé la chaîne déco ? Grommelant face à l'absurdité de ses propres propos – sans rire, il arrivait pas à croire qu'il venait de sortir une tirade sur l'intérêt de la peinture - il se dirigea vers un fauteuil au hasard et s'y vautra comme il pu. Seulement ils étaient pas fait pour ça, alors il eut l'air seulement mal assis. Et là, il failli ouvrir son grand clapet et partir dans une engueulade bien sentie lorsque miss Teigne lui balança, comme ça, que sa visite l'enchantait pas. Non mais sans déconner ? Elle avait qu'à pas venir ! Depuis quand on s'invitait chez les gens pour leur dire que ça faisait chier d'être chez eux ? Sa côte tenta bien de dissuader Haine de prendre trop d'air d'un coup – pour gueuler c'était pratique d'avoir plein d'oxygène en réserve - mais là il en avait rien à secouer. C'était Uriko qu'allait être secouée. Ken-Li par les airs, en visant bien et en tapant fort, ça devait bien être jouable. Au pire elle se vautrait dans un quartier en dessous. Tant que c'était pas Cerclon et qu'il devrait pas ramasser les morceaux...

Mais là, non. Muet. Bon, la bouche ouverte et l'air un peu con, mais muet. Non parce qu'en fait, elle parlait pas de lui... mais de son poste. On avait pas idée de s'exprimer aussi mal. Les incidents diplomatiques, elle connaissait ? Et en même temps, qu'est-ce qu'il y connaissait, lui, en matière de diplomatie...? Les doigts tapotant les accoudoirs, il referma le bec, la regardant avec insistance. Briarée l'avait prévenu qu'un jour, un Maître quelconque lui ferait le coup de vouloir discuter... mais quand-même, il s'y attendait pas. Ou alors il espérait que ça n'arriverait jamais... ou plus tard... ou que c'était une blague pour le faire flipper. C'te poisse... Sans répondre, Haine se cala au fond de son fauteuil, et hop, la cheville sur son genou opposé, il recommença à se tripoter les doigts de pieds. Vous marrez pas.

Une chose à la fois. Minette se fait chier à son poste de Maître, pourquoi elle l'a pris alors ? Parce que les autres n'en voulaient pas. Sacrifice ? Non. La connaissant, sûrement une sorte d'agacement devant l'incompétence chronique de ses pairs. Y'avait une expression dans le genre, qu'on n'était jamais mieux servis que par soi-même... ou que par Janus à en juger par l'enthousiasme mécanique qu'il mettait à revenir avec son café. Des infos. De la curiosité. Ça le changeait de K'ien qui prenait tout de haut et se foutait de tout. C'était bien d'être curieux, mais pas trop. Mais un p'tit peu quand-même.

« Donc si j'ai bien tout compris, tu veux qu'j'te rencarde ? »

Cet abruti de robot n'avait pas ramené la flotte. Tant pis. Haine se servit une tasse de café noir, sans sucre, mais il touillait quand-même. Pour faire genre. Ses iris froids fixés sur Uriko, il cherchait à comprendre ce qu'elle lui voulait. Sa sécurité, elle en avait pas fait mention, alors pour lui, c'était comme une seconde Onirie qui venait fouiller la merde sur son territoire. Ça devait être un truc propre à Li, cette manie de déterrer les trucs pas clairs. M'enfin bon, il avait vraiment une gueule de balance, là ?

« J'y gagne quoi ? »

Dans la liste de ses autres questions qui ne cessait de s'allonger, que voulait-elle savoir exactement ? Pourquoi ? Et pourquoi elle était Maître si ça l'enchantait pas ? Et pourquoi lui ? Y'avait Eönwë aussi, et Gwendal, et puis le dernier né, Rei quelque chose. Genre elle venait le voir lui comme s'il était le plus recommandable dans le lot. Il avait beau être sous antalgique, quand-même, il était pas con.

«Oui je veux que tu me rencardes.»

Forcément il croit que je suis là pour quoi? Prendre le thé? J'aime pas ça. Au moins le café n'a pas l'air trop mauvais. J'en prends une tasse, comme pour l'autre grincheux, sans sucre - ça fait grossir.

Alors que je porte la tasse à mes lèvres - bordel il pouvait pas filer de vraies tasses plutôt que cet espèce de tube digestif? Je peux à peine y mettre les moustaches - je réfléchis à sa question à la con... qu'est-ce qu'il a à gagner?

«Honnêtement, je dirais pas grand chose. Si ce n'est que c'est censé être ton boulot de veiller à la sécurité de la ville, et qu'il vaudrait mieux que t'aies une bonne excuse pour justifier tout ça. J'étais pas là au cours de votre dernier conseil, mais j'ai cru comprendre que ce problème là en particulier n'a pas spécialement été résolu »

Ouaip, chacun a bien voulu participer aux frais, mais aucun véritable coupable n'a été mis en avant. Certes au final, ça n'a peut être pas vraiment d'importance, malgré tout...

«Pour le gars qui a cherché à te zigouiller, je dis pas... mais pour la ptite du Sanctuaire, Cerclon est censé assurer toute la sécurité, faudra que tu m'expliques comment un type a pu l'enlever et l'emmener loin pour lui tirer dessus sans que tes machines le repèrent. Je sais que t'as lancé quelqu'un à sa recherche, ça n'empêche pas que le but du jeu c'est que ça se reproduise plus.»

En gros, sa réputation est en jeu. Je pense qu'il s'en fout, mais je sais qu'il tient pas mal à la ptite du Santuaire

«Je cherche pas la merde, je dis juste que c'est le bordel et que les Maîtres ont vachement moins la côte qu'avant. Tu t'en fous peut être, pas moi. Et à moins que t'aies envie d'avoir toujours K'ouen qui se foute de toi par rapport à la dérouillée qu'il t'a mis à Mirinar, faudrait peut être que tu prouves que t'en as dans le ventre.»

Je plante un peu mes griffes sur ma table et pose mes pattes... là faut que je sois prudente car je le cherche et je l'ai entraîné sur un terrain glissant... il va vouloir taper, Khrones me l'a dit, c'est pas un rigolo. M'en fout, je tape pas fort, mais j'esquive

«Pourquoi t'es Maître si c'est pas pour te soucier un minimum de ce genre de choses?.»

Au moins c'est dit, maintenant je me prépare à recevoir

Haine haussa un sourcil. Ben dites, c'était qu'elle avait pas honte d'avouer qu'elle se rencardait. Au moins elle avait sa franchise pour elle. Un bon point. Ça le changeait des formules alambiquées à lui en filer la migraine pour la journée. Des fois, traduire les doléances écrites en pattes de mouches dans des dossiers mielleux, ça lui donnait envie d'aller se faire lobotomiser. Histoire d'être tranquille et de baver sur ses grolles sans s'en inquiéter, un truc comme ça. Bref, la p'tite Li disait ce qu'elle pensait... pas toujours bon, mais pour l'instant ça le faisait. Pour l'instant... Il posa sa tasse, se souvenant brusquement pourquoi il ne buvait jamais de café : c'était dégueulasse. Et alors qu'il lorgnait sur le sucrier, il faillit s'étouffer avec les propos d'Uriko. Du coup, il lorgna sur elle. Un jour faudra qu'on lui explique par quel foutu coup du sort, plus il faisait des effort, plus il s'en prenait plein la gueule.

Et s'il lui balançait un lézard à travers la tronche, ça marchait pour la calmer la chatte en chaleur ? Les yeux écarquillés pendant qu'elle débitait ses conneries, il la toisait avec l'air du type qu'il croit pas ce qu'il voit. En fait, c'était plutôt la table qu'il allait lui faire bouffer. Ou peut-être sa Res Publica. Celle de Li, ça s'entendait, avec son immeuble à la con au milieu, et puis il regarderait comme elle s'étranglait avec. Sur le moment, il se rendit même pas compte qu'il s'était levé... ou peut-être un peu. Comme un switch qui vous le faisait passer d'un calme je-m'en-foutiste à une fureur quasi meurtrière. La rage aux poings dans une bouffée de haine instantanée faisait grincer sa mâchoire et bouillir ses tempes... et au final, la grande table qui les séparait se souleva comme si elle n'avait rien pesée, tout le bordel de cafetière, sucrier, cuillères et tasses avec. Ça fit comme une bombe artisanale qu'on rempli de tout et n'importe quoi, et qui vous pète à la gueule en envoyant le tout dans toutes les directions. Le café comme une pluie de pétrole, le sucre comme des bris de verre, et la déflagration lorsque le meuble rencontra le sol avec autre chose que ses pieds. Accès dégagé sur Uriko.

Mais non. À la place, un sifflement à vous en faire péter les tympans se mit à retentir dans la salle d'audience, se répercutant en écho d'un mur à l'autre. Haine porta les mains à ses oreilles, se tordant en deux de douleur. Ses yeux artificiels se levèrent à peine sur le fautif, et le bruit s'arrêta, le laissant hébété avec l'écho du sifflement enfoncé dans le crâne.

Entre Haine et Uriko : Janus dont la tête pivotait comme une toupie. Il s'immobilisa tout à fait et fit tourner sa tête dans l'autre sens plus lentement, comme pour défaire la torsion que sa précédente rotation avait due exercer sur ses câbles. Un silence pesant s'abattit, et le robot se remit en mouvement comme si de rien était.

« Procédure d'urgence : activée. Instructions de secours : agent cybernétique d'entretien sollicité, appel vers le Sanctuaire des Braves annulé. Pertes : zéro. Mode surveillance : activé. »

Ce à quoi Haine répondit par un regard éberlué. Ce programme là, il était prêt à mettre sa main à couper qu'il sortait tout droit des initiatives de Briarée. Foutue cyborg de mes deux...! S'il s'était écouté, il serait remonté dans sa tour en faire un jeu de Mécano ! Seulement voilà, elle faisait une grosse partie du boulot pour lui... et heureusement pour elle ! En attendant y'avait pas à dire... ça calmait ! Neythen se redressa prudemment... on savait jamais, au cas où Janus interprèterait son mouvement comme une nouvelle menace envers Miss Li. Sympa comme robot à tout faire, mais une vraie saloperie quand on s'y attendait pas. Une minute plus tard, deux autres cyborgs entraient pour nettoyer les dégâts. Y'avait du café jusque sur les murs... et jugeant que ça pourrait être marrant qu'Uriko en ait sur elle aussi, Haine leva le nez vers elle sans se départir de sa colère. Cette sale petite garce qui se permettait d'ouvrir sa gueule parce qu'elle jouait dans la cour des grands depuis cinq minutes. Il allait lui en foutre des dérouillées et des soucis à se faire.

« Mon Miroir c'est Ken. J'suis pas responsable de tous les abrutis d'Entre-Monde, et même si c'était l'cas, tu m'prends pour quoi, pour Dieu pour savoir qui fait quoi en temps réel ? Ils font quoi tes potes de Li là, hein ? Tu l'sais toi ? C'est pas ton boulot d'les surveiller au lieu de v'nir m'les briser ? Qui t'dis qu'y'en a pas un en train d'étriper un pékin quelque part ? Alors viens pas m'dire c'que j'ai à faire, et viens pas m'reprocher les conn'ries des aut'. Qu'est-c'que tu veux qu'j'fasse ? Que j'colle un drone au cul d'chaque habitant ?!! Que j'leur fasse bouffer des balises GPS ?!! Ouai j'gère Cerclon, et après ? Les remparts c'est des remparts : j'm'assure qu'ils fonctionnent et qu'il protègent la ville, c'est c'qu'on leur d'mande. C'est pas un filtre anti-cons ! La sécurité c'est l'boulot des Sanctuari, pas l'mien, alors oublie-moi et vas plutôt souffler dans les bronches du Prétorien ! J'suis sûr qu'il saura t'recevoir mieux qu'moi ! »

Il passa un doigt sur son front, appuyant dessus comme si ça pouvait arrêter son mal de crâne. Mais en fait, ça marchait pas. Le sifflement, l'énervement, la douleur se bousculaient au portillon pour lui en faire baver comme jamais, et tous les sous-entendus d'Uriko se mélangeaient jusqu'à ne plus former qu'une bouillie inextricable de lassitude. Il regagna un fauteuil, les traits tirés et la voix bizarrement fatiguée tout à coup.

« Ouai, K'an et Tchen ont fait un pong tout l'Conseil. On aurait dit deux gosses, à part « c'est pas moi c'est lui » ils avaient pas grand chose à dire. Après ma priorité c'était les s'cours... ça avait vraiment pas l'air d'les émouvoir qu'les gens puissent se noyer pendant qu'ils s'crêpaient l'chignon. Il soupira. En fait, ni K'ouen ni Tchen n'étaient d'accord pour envoyer les Sanctuari botter l'cul des p'tits malins de Magna. Réclamer du pognon pour pomper la merde ça ouai, ils s'sont tous mis d'accord. Mais la sécurité ébranlée par une bande de mafieux, ça leur est vraiment passé par d'sus la jambe. S'ça s'trouve, ils ont des actions chez eux hein... »

Ça, c'était pour le premier reproche. Et les autres bah... c'était quoi déjà ?

Forcément, fallait s'attendre à une telle réaction, il n'a pas le sang chaud, il a carrément un jerrican d'essence sur le point d'exploser... d'un bon en arrière, j'avais évité le coup de la table, et seule une goutte de café était parvenue jusqu'à mon kimono... on s'en fout il est pratiquement de la même couleur ça se voit pas.

«Heey! Du calme!.»

Bon, il se calme pas, clairement il veut me sauter dessus, chouette de la baston! Après m'être fait étaler par un chat de gouttière au pelage de poussière, voilà que je vais me farcir un tas de tôles... c'est quoi cet Entre-Monde? La loi du plus fort domine, moi je dis que c'est la loi de celui qui reste en vie qui domine! Mes pattes solidement ancrées sur le sol, prête à bondir, je fronce les sourcils alors que mes moustaches frémissent de défi... défi annulé.

Décidément, c'est pas comme si je devais être étonnée de voir encore un robot débarquer pour venir l'empêcher de m'étriper... mesure d'urgence ou je sais pas quoi, je me redresse en mettant également un doigt sur mon front, adoptant presque la même posture que lui ce qui aurait presque pu être drôle si on n'avait pas envie de se tuer mutuellement... j'écoute son charabia, oui et..? au final il répond même pas à ma question

«Je dis pas que c'est ta faute tronche de casserole! Tu me demandes ce que t'as à gagner dans l'affaire! Tu veux que je te dise quoi?»

Ah les hommes! Alors déjà que les humains sont compliqués, mais alors les tas de ferraille c'est vraiment pas mieux!

«Tu gères la surveillance, t'es le plus à même de savoir des choses, et je te demande à toi car t'as l'air d'être le moins omnibulé par le prestige d'être Maître et que j'aurais pas à me prendre le chou avec des courbettes à la con et probablement de la paperasse!»

Je pousse un profond soupir... c'est peut être celui qui se la pète le moins en temps que maître, mais qu'est-ce qu'il peut être con! Je viens à me gratter un peu la tête, je suis un peu débraillée avec tout ça, mais là aussi au moins je me dis qu'il s'en fout. Je lui en veux même pas d'avoir cherché à m'étriper, d'un autre côté, j'aurais surement fait pareil sauf que moi au moins j'aurais pas eu besoin de faire valser la table, j'aurais sauté par-dessus

«T'as rien à gagner si ce n'est peut être de la tranquillité. C'est tout. Si on arrive à comprendre ce qu'il se passe, on pourra aller voir le Prétorien pour qu'il fasse son boulot et on sera tranquille, aussi bien toi que moi... j'avais l'impression que t'étais justement le genre à ne pas vouloir qu'on te prenne la tête.. je me suis trompée!.»

Je ramène mes mains derrière ma tête en fixant le plafond... ils sont là depuis quand ces lézards? Je les avais même pas remarqués tiens... je reste tout de même sur mes gardes, pas dit que le robot soit capable d'intervenir à chaque fois...

Nouveau haussement de sourcil. Ah tiens, tout à coup elle lui faisait des compliments. Oui enfin, tout était relatif mais aux oreilles de la boule de haine, ça faisait vraiment genre comme si c'était des compliments. Son doigt délaissa son front, peine perdue pour faire taire la douleur. Il aurait bien foutu un coup de latte dans Janus pour la vengeance, mais d'abord il n'avait pas mis ses pompes et il n'avait pas trop envie de se péter un orteil, ensuite ce satané robot serait capable de prendre ça pour une agression et d'enclencher son système d'alarme à la noix. Que Briarée aille rouiller en Enfer !

« Prestigieux, êt' Maître ? » fit-il comme si on venait de lui sortir la vanne de l'année.

Ses yeux allèrent d'Uriko à ce qu'elle regardait. Encore un réflexe à la con ça. Quelques lézards au plafond avaient l'air de se demander quel foutoir était en train de se dérouler juste au-dessous de leur petite personne. Enfin techniquement, en-dessous il y avait la plafond et au-dessus c'était le sol, si on considérait que au-dessous n'était constitué que de ce qu'on avait devant le menton et au-dessus ce qu'on avait derrière la tête. Ça dépendait... et ça lui prenait drôlement la tête, au Maître. Le nez en l'air comme un abruti, il lui semblait pourtant que sa migraine était moins violente quand il laissait son cerveau s'échouer à l'arrière de son crâne.

« J'sais pas... Il était au Conseil le Prétorien, mais il a pas dit un mot. Et puis il s'est tiré, et puis c'est toujours autant l'bordel à Magna. Tchen a fini par mettre une annonce pour faire le ménage dans son quartier. Les Sanctuari sont même pas sur le coup. En fait, j'me d'mande à quoi il sert ce type... Ez Khy, pas Tchen. »

Ses yeux glissèrent jusqu'à Uriko, avant d'accrocher Janus qui n'avait pas bougé d'un centimètre. Si Haine n'avait pas su qu'il n'avait rien d'autre sous sa carlingue que des capteurs, il aurait dit qu'il le regardait fixement. Ce qui le fit grimacer. Oui non mais c'était bon là, il allait tuer personne...

« Pourquoi t'as pris c'poste ? »