Discours étoilés

Tant que je n'abime rien... Etait-il réellement obligé de le préciser ? Imperturbable je croisais les jambes et comptais bien patienter, tout la nuit s'il le faut.

-Pas la moindre idée...

Ce furent mes derniers mots avant qu'ils ne disparaisse. Sans attendre il s'en allait travailler et moi... Et moi, je me retrouvais dans une pièce meublée mais vide de toute présence vivante. L'attente sera longue.

*Dinu ne t'as pas offert la patience. Oh oui tu es belle Dinu Mihai, autant que tes père et mère, mais tu es comme le volcan. Endormie. Et voilà le jour où ta discrète existence se présente, farouche, aux portes du Ciel, comme un nuage de cendres, un nuage brûlant, consumant tout sur son passage.*

Il savait parler, Harmonie, aîné, bien plus âgé que la Guerre. Dinu ne cessait de leur dire à ces deux là, "s'il est ton aîné c'est bien que la nature est née dans l'harmonie et non dans la guerre". (en était-il au moins certain ?)
Amour riait dans ces moments là. Il était secrètement, ou non, amoureux de la Guerre et de l'Harmonie. Le frère incestueux, indécis et frivole qui s'en allait par delà le ciel, il aimait parsemer la voûte céleste de nuages colorés. Il les signait Nébuleuses, et riait encore et encore, parfois s'en amusait-il à nos tablées, prétextant qu'elles n'étaient que quelques cadeaux offerts à la plus jeune des tous les dieux, à l'unique Déesse que Mihai a enfanté.
Les hommes et les dieux sont semblables. Ils sont aveugles de la même manière.
Me remémorer ces vieux souvenirs ne m'imprégnait d'aucune bonne humeur, tout juste haussais-je les épaules en soupirant.

Quelques minutes plus tard, j'avais parcouru du regard quelques titres d'ouvrages entassés ça et là, et je déambulais d'une pile à une autre un verre de citronnade à la main. Ne trouvant rien qui ne soit susceptible d'attirer mon regard sinon le vide omniprésent dans ce capharnaüm impressionnant.

-Comment peut-on recevoir du monde dans un tel débarras ?

Le dieu du désordre, voilà ce qu'il était. Mais, il est vrai, que les étoiles ne sont qu'un désordre inimaginable. Et si on les distingue encore les unes des autres c'est par la seule grâce de l'immensité de l'univers...

Erwann commença par ouvrir les différents parchemins et cartes qu'il avait amené dans sa chambre. Il les étala tout autours de lui et commença à les comparer, cherchant un indice qui le mettra sur la voie pour découvrir quelle était l'étoile illuminant la destinée de la déesse qui se promenait dans son salon-débarras. Pas facile, pas facile, surtout qu'elle n'avait qu'une idée des plus vagues concernant la position des astres au moment de sa naissance. Et c'était d'autant plus délicat qu'il ne faisait nul doute que la dame d'argent avait vécu une longue, voir une très longue vie. Les êtres divins, généralement, ils ont une durée de vie un peu plus longue que les humains. Car contrairement à ce que l'on pourrait croire, les étoiles se meuvent, naissent et meurent. Lentement, certes, même très lentement, mais sûrement. Mesurant la position des constellations sur différentes cartes et les comparant les une aux autres, Erwann réussit à se faire une idée de la voûte céleste qui assista à la naissance de sa cliente. Finalement, il attrapa une feuille blanche et des crayons de couleurs et entreprit de dessiner le ciel nocturne avec ses constellations les plus importantes. Et avec un peu d'aide de la part des étoiles, il rajouta des détails pour arriver à dessiner avec précision l'étoile de la déesse et les astres environnant. Bien sûr, il prit soin de faire un joli dessin avec de belles couleurs dessus. Une fois sa carte dessinée (et qui aurait sans aucun doute méritée un bon 17/20 en cours d'art plastique), il attrapa un gros manuscrit qui était négligemment jeté au pied de son lit qu'il commença à feuilleter. Il lut avec attention une dizaine de pages afin d'être sûr de la meilleure marche à suivre pour être bien sûr de réussir sa mission. Une fois fait, il se mit à lire un manga avant d'avoir une petite faim et décida de descendre grignoter un petit bout, le manga sous le bras.

En passant par le salon, Erwann se rappela que la déesse était encore là. Confus, il rougit et mit quelques secondes avant trouver quoi dire.

-Euuuuuh... La cérémonie aura lieu... vers minuit. Hum... Je vais prendre des biscuits. Vous en ...voulez?

Spoiler:

Les dieux sont les experts de l'ennui perpétuel.
La vie éternelle c'est beau, grisant les dix premiers siècles, ça vous donne le coup de fouet matinal dont tout le monde rêve. Et quand ces siècles passent, quand rien de bien joli n'est venu troubler un morne quotidien à vagabonder ça et là en maitre des lieux (les promenades sont toujours très calmes, vous voyez un bandit venir tenter de vous détrousser quand vos statues bordent les chemines et indiquent les carrefours ?). Il ne s'y passe jamais grand chose pendant l'éternité. Une petite guerre par là qui vous chatouille les moustaches et d'un regard il n'y a plus rien. Le temps s'écoule indifférent au manque cruel d'activité dans votre sphère privilégiée.

Entre-Monde n'échappe pas à la règle.
À moins que l'on me tue, je ne peux pas mourir. Les dieux ne meurent pas comme ça. Il faut perturber la boucle infinie de leur existence pour la contraindre à s'arrêter. Et quand on ne peut pas mourir, le temps passe vite. Et lentement à la fois. Surtout maintenant.
L'ennui est tel que je recouvrais depuis quelques minutes le même stylos de différentes couches de métaux rares ou communs. Un fine couche d'un alliage de titane, un peu d'acier, de l'osmium, du plomb, de l'or, de l'argent, du kobalt... Encore un peu et ce stylos sera l'arme la plus solide et la plus efficace du monde. Un peu de magnésium recouvert d'une couche de fer. Du potassium enchâssé dans du bronze.

Je perdis ma concentration à l'arrivé du magicien des étoiles. Le stylos tomba net sur le sol avec un bruit mat de l'objet trop lourd et trop petit.

-Non merci.

Un léger sourire, je me penchais pour prendre le stylos.

-C'est à vous ?

Il écrira beaucoup moins bien à présent... Lissant d'invisible pli sur mes genoux, je laissais le stylos sur la table.

-Je dois être présente pour cette cérémonie ?

Dansons nus dans les bois en hurlant à la lune !

Erwann fixa le stylo que lui montrait la déesse d'argent, ou du moins l'objet qui y ressemblait. Son fuselage lui rappelait quelque chose mais sa couleur et sa dimension ne lui disait rien. C'était bizarre comme impression, mais il abandonna vite toute spéculation au sujet du stylo et se contenta de hausser les épaules. S'il lui disait quelque chose, c'est qu'il avait déjà dû le croiser. Et s'il l'avait déjà croiser, c'est qu'il devait partie de sa montagne de bibelots en tous genres qu'il accumulait depuis de longues années. Ses pensées dérivèrent vers autre chose : la cérémonie qui allait avoir lieu d'ici quelques heures. La déesse devait-elle être présente? Erwann fixa le bout de ses pieds nus tout en y répondant, réfléchissant encore un peu à ce qui allait se passer.

-Oui? ... Oui. Oui, ce serait mieux. Pour être sûr que ça marche bien.

Sur ce, l'astronome se dirigea vers le placard à gâteau et reparti, un cookie dans la bouche et un paquet à la main. Il laissait sa cliente là, plantée au milieu de ce fourre-tout qui lui tenait place de salle à vivre. Il ne restait qu'à espérer qu'elle trouve un livre qui lui plaise pour passer le temps ou qu'elle ait apporté du travail avec elle. Un peu plus tard, la grand-mère d'Erwann arriva dans l'observatoire, un assistant transformé en homme-à-tout-faire pour la journée la suivant. La vieille déesse du foyer pesta contre son petit-fils préféré qui avait encore mis du désordre partout pendant qu'elle était partie faire des courses à la ville. Lorsqu'elle s'aperçut de la présence de Dinu Mihai, elle la salua chaleureusement et elle lui demanda au moins trois fois si elle ne voulait pas boire ou manger quelque chose avant de disparaitre dans la cuisine. Les assistants d'Erwann commençaient à se réveiller alors que le soleil se couchait, teintant le ciel d'orange, de rose et de violet. A force de devoir étudier les étoiles nuit après nuit, ces petits astronomes en herbe étaient devenus des créatures nocturnes. La déesse à la recherche de son pouvoir perdu fut invité à prendre part au diner. Tout le petit monde de l'observatoire se réunissait chaque soir avant d'aller travailler autours de la vieille table en bois massif qui trônait dans le salon. En fonction du nombre qui restait à la tours d'astronomie (le nombre des assistants présents variant assez fréquemment), il arrivait que l'aïeule d'Erwann doive faire plusieurs services. Mais ce soir là, ce n'était pas le cas : ils avaient réussi à s'entasser autours de la table pour tous y tenir et manger tous ensemble.

Une fois le repas terminé, Erwann fila pour aller préparer tout ce dont il avait besoin pour le rituel. Un peu avant minuit, il retourna au rez-de-chaussé où il avait laisser Dinu Mihai. Il lui demanda de la suivre de la manière la plus polie possible. Il lui fit monter un petit escalier en bois avant de lui faire prendre l'ascenseur jusqu'à l'avant dernier étage. Ils empruntèrent un couloir éclairé par une lumière tamisée et le parquet, bien que bien entretenu, craqua sous leurs pas. Ils prirent la grande porte vitrée au fond du passage et ils arrivèrent sur une immense terrasse. A 10 mètres de la rambarde, une immense croix noire avait été dessinée à l'aide d'un scotch large de la même couleur. Ce X immense était enfermé dans un cercle de bougies éteintes. Sans la moindre hésitation, Erwann prit Dinu Mihai par le main et le traina au centre du cercle, pile à l'endroit où les deux branches du X se croisaient. Il scotcha une cible sur la déesse, plaçant son centre sur son diaphragme. Puis, tout en sifflotant, il alluma les bougies. Il contempla son œuvre : c'était la première fois qu'il faisait une mise en scène pareille, et il trouvait ça assez amusant. Plutôt satisfait de lui, il se concentra et commença à marmonner dans une langue totalement incompréhensible. Au bout d'une minute, un sifflement se fit entendre et une chaine d'argent surgit du fond des cieux. On aurait dit qu'elle venait du néant où repose les étoiles immortelles. en une fraction de seconde, elle transperça la cible qu'il avait collé sur la déesse plein en son centre. Elle se ficha dans son diaphragme. Elle s'y encra profondément et au bout de quelques secondes, elle disparut. La cible en papier et les vêtements étaient percés à l'endroit où la chaine avait frappée, mais Dinu Mihai ne portait aucune blessure. Fière de lui, Erwann se tourna vers la déesse.

-Ça y est! C'est fait.

J'ai essayé de rester en dehors de tout ça. J'entends par là, de retrouver mon véhicule et mon chauffeur avant qu'on ne m'invite à souper en compagnie de la famille et des apprentis de l'astronome, c'était sans compter le charme et la capacité de persuasion de tout ce petit groupe. J'ai fini par accepter, un léger sourire aux lèvres et peu de conversation.
Ils discutaient beaucoup à table, parlant d'une constellation récalcitrante à l'apprentissage de certain, d'un projet de gâteau qui ferait pâlir un dieu de la gourmandise, du désordre que le maitre des lieux mettait sans s'en rendre compte... La soirée s'est écoulée ainsi au même rythme, je jetais des sourires et des politesses comme on en ferait dans un marché. Et l'astronome m'indiqua qu'il était l'heure de procéder à son petit rituel.

Une véritable joie anima mes traits. Je l'ai suivi, je l'ai même laissé scotcher mes vêtements (et il est bien rare que qui que ce soit puisse poser une mains sur moi). Je l'ai entendu psalmodier sans pouvoir retenir les mots ni les sons. Trop éloignés de ce que mes oreilles pouvaient percevoir. Un instant j'ai songé qu'il pouvait se moquer de moi. Jusqu'à l'apparition de la chaine. Alors c'était ça manipuler les étoiles ? Elles exigent un nouveau dressing et des chansons improbables...

Sous le choc, je passais une main sur mon vêtement, d'un geste sec j'ôtais le scotch et examinait l'encoche à présent visible au niveau du plexus.
J'ai levé un regard de défi sur ce pauvre dieu, j'ai tendu le doigt vers le garde corps de la terrasse. Je me devais de vérifier si tout avait fonctionné correctement. À vue d’œil la rambarde devait être fait de fer et peinte. Dans tous les cas, ce fer sera bientôt aussi lourd que du mercure. De l'ongle je touchais une partie à peine tranchée des autres. Aucun doute là dessus c'était du fer, avec sûrement des traces de plomb pour la solidité et du magnésium. Evidemment, si j'avais encore été une vrai déesse je n'aurais pas été sujette à quelques ratés... Au lieu de la densité du mercure, le fer récupéré une propriété tout à fait différente, son caractère liquide. Le bout de métal se désolidarisa du reste de la création et coula littéralement sur le sol. Et de source sûre (sans mauvais jeu de mot) c'était encore et toujours du fer.

-Extraordinaire !

Imaginez une déesse qui a perdu presque tous ses pouvoirs et qui en récupère un après onze années à assumer sa nouvelle... humanité.
Toute excitée par la chose, je découvris un rire qui tintait que des clochettes, léger comme un carillon de métal. Plaquant ma main entière dans la flaque , je le reconstituais d'un battement de cils. Une rambarde comme neuve, mais si jamais il a le malheur de vouloir faire remplacer la chose il sera bien étonné de se découvrir une partie aussi dur que le titane dans la jolie sculpture...

-Vous méritez amplement votre réputation, Erwann !

Avare de mots, je l'invitais à me raccompagner jusqu'à la sortie. Toujours souriante, peut-être aussi fière qu'il pouvait l'être.

-Si jamais vous avez besoin des services de la banque, demandez à me rencontrer en personne, je sais être reconnaissante.

Avec beaucoup de cette prétention qu'on me connait bien maintenant...