Contrat à perpétuité.

Je suis rentré sans un mot pour Ayame, le soleil se couchait quand j'ai quitté ma fontaine. La pierre froide ne m'avait pas aidé à me sentir mieux alors plutôt que de passer par l'aile administrative j'ai tracé jusqu'à chez moi. La jeune femme qui s'occupe de l'entretient quotidien me dit bonjour son sourire effacé, forcé et elle se permit de m'annoncer la présence d'un "invité".

-Monsieur Rurik vous attend dans le salon.

Je l'ai regardé sans comprendre, elle s'est enfuie sans dire un mot de plus. C'était bien ma veine, mon visage fermé ne l'avait pas rassuré et j'étais coincé dans le couloir à essayer de me rappeler pourquoi j'ai un ex-assassin dans mon salon.

J'y pense. Il est chez lui aussi maintenant. Je fais vraiment des conneries toujours plus grosses chaque jour.

La porte s'ébranla quand je la repoussais sèchement en entrant dans la petite salle. J'ai fixé un point lumineux au travers de la fenêtre et j'ai avancé tout droit jusqu'à un épais fauteuil. Ma veste échoua sur le guéridon et je m'enfonçais dans le coussin d'appui.

De mémoire je repérais une bouteille de gin sur la table inférieur du guéridon ainsi que deux verres propres. Aya et moi nous arrêtions ici au retour de mission, c'est la salle de notre premier repos. Et là j'ai besoin d'alcool parce que les anti-douleurs ne font plus effet depuis des heures et que ma visite chez Constance ne m'a pas arrangé. J'ai rempli à moitié deux verres, fit chuter ma veste sur le sol en les déposant sur le guéridon. Et j'ai tapoté l'accoudoir de l'autre fauteuil. Cela signifiait "viens t'assoir là", parce qu'on devait faire les choses correctement pour s'entendre.
Comme un vieux couple... Dans quelques années l'un se mettra au tricot et l'autre lira le journal. Et on se parlera juste pour se dire des banalités dans le genre "t'as reçu du courrier, sort le chien au passage"... Le genre de scène mental à me faire faire des cauchemars pendant des mois.

Au fond je sais qu'avec lui ça ne durera pas éternellement. Le premier à mourir aura gagné. Chiche ?

Epuisé. Drogué ou lessivé, c'était pareil, sur son visage la même lassitude. Mes jambes m'ont porté jusqu'au fauteuil, un vague sourire sur les lèvres, j'ai plié les genoux avant d'effleurer l'assise.

Son col entre mes doigts, je fis basculer mon poids pour repousser le fauteuil. Le dossier s'écrasa sur le sol. Il nous emporta tous les deux. Un genoux sur l'un des pieds pointé dans le vide, je gagnais quelques centimètres de hauteur à bout de bas et levait le poing de ma main libre.

Et je l'ai frappé. Sans compter les coups, sans restreindre ma force.
Déjà blessé... Et alors ? Il a besoin d'une claque.

Il cognait dur. Aya aurait retenu son bras, pas lui. Et devant mes yeux je voyais des étoiles filantes se détacher du lustre. Ce n'est pas la douleur que je ne sentais plus tant elle était omniprésente derrière chaque cellule de peau, mais le goût du sang qui me réveilla.
L'instinct de survie, développé à son paroxysme chez toute créature ayant été élevé à traverser Ing et le désert toute son adolescence, une partie de son enfance.

Il relevait le poing pour frapper encore quand j'accrochais son cou au creux de mon coude et que je nous retournais sur le plancher.
Le temps de retrouver l'équilibre, de me redresser au dessus de lui et de frapper.

Ma main percuta le sol, la douleur du parquet écrasé, fissuré, remonta jusque dans mon épaule derrière les os à peine reconstitué de ma main. J'ai serré les dents. Cette fois ça faisait mal. Vraiment mal.

-Un mouvement et t'es mort.

Ma voix était rauque et du sang glissait sur mon menton. J'étais pas en état de me battre.

-Tu te réveilles enfin, ça fait une paye qu'on s'était pas vu !

J'aime chercher le chasseur au fond des ses yeux. Son sang goutte sur ma gorge. Je me redresse pour atteindre son menton. Du fer sur ma langue, j'ai dû lui ouvrir l'arcade. C'est fragile et ça saigne beaucoup pour rien.

-T'es partant pour une nuit torride ?

Et il est déjà en selle le petit malin. Je sens déjà qu'on va beaucoup s'amuser. Sauf que je ne suis pas totalement stupide il n'était pas en état.
Alors, j'ai bougé ! Tu me tues maintenant ou tu me laisses une chance d'ouvrir une session de réconciliations sur l'oreiller ?

Mon bras me lance assez pour ne pas entendre les battements affolés de mon coeur. Douleur, fatigue, je ne pensais atteindre si facilement les limites de mon propre corps. C'est tellement fragile un être humain.

-La ferme.

C'est toujours moi qui l'embrasse le premier. On dirait qu'il n'attend que ça, que je décide de le toucher. Il veut que je lui sois redevable de se laisser faire. Avoir l'occasion de m'envoyer sur les roses.
Non. Il est juste timbré et assez intelligent pour ne pas risquer sa vie en me collant à tout va.

-Tu sais ce que j'ai laissé de côté pour toi ? je lui parle dans l'oreille. Personne d'autre ne doit entendre ça.

Je me relève, approche de la porte et appelle une domestique à l'aide de l'interphone. L'objet grésille quand elle se précipite pour chercher ses détergeant.
Le gin sur le tapis allait puer pendant des jours si elle n'y faisait pas quelque chose.

J'essuie mon visage, le sang ne s'arrête pas de couler pour autant. Un mouchoir dans ma poche fini sur l'ouverture quand je me masse la mâchoire. Il m'a pas loupé.

Ton cerveau, ton hétérosexualité, ta crédibilité et une jolie fille. La liste est presque complète, j'ai dû oublier quelque chose. Oui ! Ton abstinence aussi.

La domestique entra pour voir, du sang, des vêtements froissés, des bleus, une table et un fauteuil renversé, une odeur d'alcool. Elle nous regarda tour à tour avant de filer dans le couloir chercher un produit nettoyant ou une astuce de grand mère qui sauvera le tapis hors de prix.

-Je vaux plus que tout ça, admet-le.

La domestique revint. Et oui, je suis le nouveau locataire. Si tu entends des bruits louches aucune crainte à avoir, ça fait de la gym dans la chambre du maitre.

Je saisi le bras du brun, l'emportait avec moi dans le couloir. Destination la chambre. Mais nous rencontrâmes un problème de taille : Ayame.
Debout dans le couloir, l'oeil plutôt sombre et... tiens un cache oeil, j'ai déjà vu ça quelque part, mais où ? Impossible de m'en souvenir !

Ayame déposa quelques enveloppes sur un guéridons collé au mur du couloir.

-Tu as oublié ça.

Il tourna les talons et s'apprêta à partir avant de finalement revenir vers nous. Son regard noir en disait long sur ce qu'il pensait de Fafnir. Surtout quand il vit le bleu apparaitre sur mon visage, le sang qui perlait toujours sous mon sourcil.
D'un geste ample, il nous sépara comme on tranche une part de gâteau. Il me poussa sur le côté et attrapa le col de l'assassin. Les deux étaient peut-être aussi grand l'un que l'autre, aussi blond et aussi borgne, à cela prêt que leur cache-oeil n'était pas positionné au même endroit. Alors de face, on aurait dit le miroir l'un de l'autre.

Je n'ai jamais vu Ayame vraiment furieux, haineux. Ses traits crispés, l'ombres sous les fines ridules de ses yeux semblaient dessinées dans une pierre meuble à l'aide d'un ciseau.

Ce que j'ai compris me glaça le sang, et je me suis détourné d'eux. Les mains dans les poches et mon courrier sous le bras. Las. Je voulais faire autre chose de ma vie que d'écrire un remake des feux de l'amour.

-Rends le moi en bon état Ayame, ça vaut aussi pour toi Rurik, fis-je en levant le bras pour leur dire au revoir.

Un sourire narquois pour l'elfe manqué.

-Moi aussi je sais le soigner.

Je me soustrayais a sa poigne avant qu'il ne se décide à me rouer de coups.

J'ai trotté dans le couloir rejoindre un petit brun trop calme et bizarrement adulte. Il a grandi le Wergeld qui pleurait ses parents morts, celui qui ne savait plus s'il devait se venger ou continuer un combat stérile.

-En selle beau gosse, on a des choses à se dire !

Et je m'en fichais bien que toute la maisonnée m'entende. J'avais un pied dans la bergerie, j'y resterai longtemps.

La chambre est toujours parfaitement rangée quand j'y rentre. C'est agaçant, j'avais laissé trainé une chemise à peine portée sur un fauteuil, elle devait déjà être dans la buanderie à sécher.
Il y avait aussi un dossier éparpillé sur une table basse... Et là encore, le bordel était convenablement rangé sur l'étagère de la bibliothèque.

-Bordel ! Manquerait plus qu'ils entrent pour ranger les fringues quand on...

Coupé en cours de route. J'ai serré les dents.

-Au fait, y a une demi douzaine de chambres libres rien qu'à cette étage, prends en une et casse-toi de la mienne.

On sauve les apparences comme on peut.
Je m'étais déjà esquivé vers la salle de bain. Une partie de mon visage me lançait, et c'était on ne peut plus normal quand je remarquais les traces violacées naissant sur ma peau. Depuis le lavabo, où coulait de l'eau froide :

-Appelle la femme de chambre, dis-lui d'apporter de la glace !

S'il vit ici, autant qu'il se rende utile.

Pas besoin de crier, elle entrait déjà dans la chambre une poche de glace dans la main. Elle en profita même pour me tendre mon courrier alors que je m'asseyais.

La première lettre était un rapport de la banque, le charme de Mirinar était actif. J'ai buté un bon moment sur celle ci d'ailleurs, on nous indiquait que le réseau des perçants venait de gagner une destination pour les membres V.I.P. ... Soit moi et ma prochaine expédition. On ira voir si c'est pas trop dangereux et... J'ai un truc à y faire aussi.

La seconde lettre indiquait que tout allait bien, en gros, A'vogenlhil continuait de survoler l'Entre-Monde et peu de gens paniquaient. Même si l'idée d'avoir de vrais dieux au dessus de nos têtes n'enchantait pas l'intégralité de notre population (les dieux exilés en premier ligne). D'ailleurs il nous faut trouver un flûtiste qui n'a pas peur de se faire bouffer par le lumineux A'vogenlhil... On a déjà eu quelques dingues venus sonner aux portes de K'ouen, des fanatiques et souvent de mauvais musiciens. Je ne sais pas vraiment ce que nous cherchions mais les joueurs qui eurent le fifre entre les mains n'en tirèrent pas grand chose.

J'ai laissé tout en plan, mes lettres sous le bras. Je voulais passer quelques coups de fils et continuer de bosser. Je voulais partir en voyage même si le sanctuaire m'a assigné à résidence jusqu'à guérison complète. On s'en fout, ils viendront pas me chercher même si je vais danser la nooba avec un autre tauracle.

... Je crois qu'en quittant la chambre j'ai oublié quelqu'un. Tant pis. Ayame m'a déjà emboité le pas. Un léger sourire sur le visage, sa main caresse nerveusement le manche de son arbalète qui dépasse de son étui. On reprend du service avec l'équipe d'origine. Chauffer le banc de touche c'est pas son truc.

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