Re: Tentative d'assassinat

Si le visage de l'esprit avait pu laisser paraître quelconque expression, Neythen n'aurait certainement pas manqué l'hilarité de celui-ci. Lui avoir une gueule à connaître tous les timbrés du coin ? Bien sur que oui ! Après tout il avait le profil de fréquenter ce genre de type là. Hilde répondit ignorant presque la présence de la voix.

-Évidemment que tu connais tous les cons de ton genre ! Je suis certain que tu en croises pas mal au bar le soir.

Puis cherchant la conclusion, il rajouta plus cordialement.

-Et tu es censé connaître la catégorie majeure de ton miroir, des ivrognes !

Hilde commença à tourner en rond, à faire les cent pas. Réfléchir avec cet homme près de lui, c'était un challenge. Il cherchait une solution, mais toutes ses idées s'évaporaient, car son regard se posait sur le maître de Ken. C'était une vraie plaie, coriace et purulente... Seulement, il y avait un petit problème. Hilde n'était plus un homme et donc, les plaies il ne connaissait plus. Donc pourquoi lui, ce Neythen, réussirait à l'infecter ?

La voix oubliée coupa les réflexions de l'esprit.

-Je ne suis pas de Ken...

Hilde leva les bras en signe de défaite. Ils étaient tous contre lui ! Et en plus il l'avait oublié celui-là... Sa colère envers l'autre empoté de Ken était tellement hargneuse que la situation lui échappait totalement. Puis comme s'il avait trouvé la solution, il se dirigea vers son compagnon de fortune. Il le fixa longuement avant de déclarer.

-J'ai la solution.

Hilde se doutait qu'elle n'allait pas vraiment lui plaire. Mais si l'esprit calculait bien, il avait la logique avec lui.

-Il faut que tu te sacrifies, c'est simple. Je t'explique, nous sommes chez toi, si l'un de nous deux doit se sacrifier, c'est bien toi. De plus Ken me semble, et il l'est, moins important que K'ien. Et pour finir, tu ne sers à rien contrairement à moi.

Il leva le nez au ciel comme cherchant à apercevoir une bouche remuer pour annoncer fièrement que le problème était résolu. Seulement la voix ne retentit pas, contrairement aux attentes de l'esprit. Il cessa d'observer le ciel, déçu. Après tout la voix avait raison ! Cette histoire ne la concernait pas, c'était entre lui et Neythen... Finalement, Hilde rajouta comme par charité.

-Mais si tu as une autre idée, je t'écoute. Je suis ouvert, moi.

Spoiler:

Le truc avec N, c'est qu'on l'appelait pas « Haine » pour rien. Il n'y était pour rien s'il était comme ça. Ou peut-être un peu. M'enfin bon, en sortant de son coma il n'avait guère appris qu'à détester tout ce qui l'entourait : les regards insistants, les questions, l'indifférence au mieux, le mépris au pire. L'esprit humain s'adaptait comme il pouvait aux agressions et le sien, il n'avait rien trouvé de mieux que la haine pour se forger un rempart mieux que celui de Cerclon. Ajoutez à cela un entraînement au combat, des réflexes forgés par des années à crapahuter dans la zone du dehors, et vous avez un maître qui dégaine son couteau de chasse plus vite qu'un flingue. Qu'un type soit exaspérant passait encore, qu'il se permette de l'insulter, beaucoup moins. Surtout pour rien et surtout si souvent en trois phrases. Et encore moins après avoir tenté de l'empoisonner avec une lettre à la con. Alors évidemment, avant qu'il ait eu le temps d'y penser, son bras se porta en avant et ses doigts agrippèrent la gorge de K'ien. Techniquement ils n'agrippèrent que le cuir, pas de quoi l'étrangler donc... Mais ça lui offrait une jolie prise. Le visage tendu sur une fureur qu'il avait bien du mal à contenir, il lui mit le couteau sous le nez.

« Avise-toi encore d'm'insulter et on r'trouv'ra ton cuir haché plus fin qu'si t'étais passé dans un destructeur de documents. »

Sous ses doigts, le cuir s'était déformé au point qu'il sentait ses propres phalanges contre son pouce. Il aurait empoigné un drap que ça aurait fait la même chose, et ça l'énervait encore plus. Au moins s'il avait vu l'autre agoniser sous son emprise ça l'aurait un peu soulagé. Là, ça ne faisait qu'exciter sa colère. Il y avait rien de pire que d'être en pétard et de rien trouver pour déverser sa rage. Parce que mine de rien, il fallait bien décharger son influx nerveux quelque part... et puis il le lâcha, sans le quitter des yeux, et sans se départir de son couteau. Au prochain coup qu'il lui mettrait – et il sentait bien qu'il y aurait un prochain coup – la lame en prolongement de son poignet s'occuperait de lui tailler un sourire en travers de la gueule. Le pire, c'est qu'il ne plaisantait pas. Ciel et le peuple de K'ien avaient du soucis à se faire avec un abruti pareil à leur tête. Le mépris, Neythen en avait soupé jusqu'à l'écœurement et était plutôt bien placé pour savoir qu'il n'était l'apanage que des nombrilistes, lesquels n'étaient souvent rien de moins que des pauvres cons... Il soupira et ferma les yeux, cherchant à se calmer. Voilà bien un exercice auquel il était pas du tout habitué. Ça faisait chier.

Ce que fit Hilde à ce moment là ? Aucune idée. N. était bien trop occupé à écoper la marrée de rage qui le submergeait. En soi, être condamné à crever ne l'effrayait pas. Être condamné à rester prisonnier avec cet espèce de gros vent sans cervelle en revanche, c'était carrément flippant. Surtout s'il ne pouvait pas le tuer. Et en parlant du loup – ah non le loup c'était lui – en parlant d'oiseau alors, voilà qu'il revenait lui piailler dans les oreilles. C'était possible de mourir d'une overdose de connerie ?

« J'ai une meilleure idée, j'vais t'sacrifier toi. »

Il rouvrit les yeux et les planta sur le visage inexpressif du suicidaire qui lui faisait face.

« Bon, j'vois qu't'es pas conçu pour réfléchir. C'pas grave, j'vais faire ça tout seul. Contente-toi d'fermer ta gueule, ça t'évitera d'finir en charpie. »

Bulle spaciale

Il fit danser le couteau dans sa main pour illustrer son idée avant de se mettre en mouvement d'un pas furieux. Il avança tout droit, observant les alentours attentivement. Rien. Personne. Mais tout à coup il sentit comme un drôle de courant lui chatouiller les poils, comme s'il traversait un rideau de flotte mais sans être mouillé, presque imperceptible. Sauf pour lui. Une particularité de ses nanoparticules ? L'électricité latente dans son organisme ? Aucune idée. À vrai dire, il s'en foutait. Deux pas plus tard, K'ien apparu sur sa droite, près de l'endroit où il l'avait laissé. Il s'arrêta, assimilant l'information, puis avança de nouveau, l'allure déterminée, tout droit, buté comme un âne, jusqu'à rencontrer le même rideau étrange et s'arrêter net. Là, il se retourna. K'ien était derrière lui. Volte-face, en avant, deux pas. Bingo ! K'ien était devant lui, au même endroit.

« Bulle spatiale. Très malin. » fit-il à l'attention de la voix qui devait bien se marrer à les observer de loin.

Sans se soucier de savoir si K'ien avait entendu, et sans s'en approcher – pour ne pas être tenté de le poignarder comme un psychopathe mal luné – il rangea son couteau et se mit à réfléchir. Parce que oui, mine de rien, détester la planète entière, ça voulait pas dire qu'il était con, quoi que puisse en dire l'espèce de courant d'air qu'il se traînait comme un boulet. Sans rire, ça devait être la pire journée de sa vie. Note à lui-même : ne plus jamais avoir à faire à K'ien. Se barrer très vite et très loin la prochaine fois qu'il le verrait, ou toujours lui rendre visite avec une déchiqueteuse sous le bras... En attendant, il marmonnait pour lui-même.

« Ok, vu. Quand j'touche la limite j'me r'trouve à l'opposé. Y s'passe quoi si d'l'aut' côté y'a pas la place pour me rematérialiser ? »

Il aurait bien fait l'expérience mais il avait pas trop envie de se retrouver comme Brandon Mouche ou pire...

« Bon, si t'as des compétences spéciales c'est l'moment d'les sortir d'ton chapeau. »

La main de cet ivrogne se resserrant sur son cou, bizarrement ne mit pas l'esprit hors de lui. Bien au contraire, ce sentiment de puissance face à une telle violence était jubilant. Lui ne ressentait rien, il lisait seulement l'agacement dans le regard de son agresseur. La lame du couteau refléta le soleil, mettant en garde le maître qu'une menace planait dangereusement. Il ne chercha pas à se débarrasser de cette emprise, de toute façon il en était incapable. Il était fort têtu, mais pas aveugle. Être toujours conscient de ses capacités était important pour l'esprit, car après l'on risquait de devenir tel que Neythen. Et ce dernier était très énervé d'après les flammes qui brûlaient son regard. C'était flagrant, il était quant à lui incapable de passer ses nerfs. Sa force, sa volonté et sa violence lui étaient inutiles face à un homme tel que Hilde. D'un certain côté, l'esprit remerciait ce débauché, grâce à lui, il était pleinement conscient de sa supériorité et de son pouvoir. Il était intouchable, rien ne pouvait lui nuire.

Il était éminent que Hilde était un dieu face à ce maître. Pauvre population qui habitait Ken, être dirigé par un homme impulsif qui ne savait pas maîtriser ses émotions était affligeant. Leur avenir était fermement maintenu dans cette main qui lâcha finalement le cou de l'esprit. Dans un bruit qui résonna en lui, le cuir prit sa forme d'origine, comme si tout ceci n'était jamais arrivé. Seul les expressions de Neythen trahissait sa défaite. Ce souffle de prééminence le fit répliquer, malgré les lourdes menaces.

-Fermez ma gueule ? Au sens physique, c'est impossible je n'ai pas de bouche. Et non, je ne m'abaisse pas à obéir à un... homme tel que vous.

L'Euphémisme était employé de façon à ne pas mettre une bonne fois pour toute Neythen hors de lui. Ils n'avaient tous deux, pas que ça à faire. Sa journée était loin d'être terminée et il ne comptait pas la finir au côté de ce maître tout bonnement incapable. Il ne prit pas la peine de bouger, jugeant que si quelqu'un devait les sortir de là, c'était bien le maître de Ken. Néanmoins, il suivit du regard cet homme qui s'éloignait et avant même qu'il ait atteint la limite imposé par l'affreux criminel ayant osé enfermer deux lions en cage, Hilde se retourna et vit la silhouette de Neythen apparaître. Il comprit sur le champs de quoi il s'agissait, mais autant l'avouer, il ne savait pas comment en sortir. Il fit une proposition à celui-ci.

-Bien sur que je peux être utile. Le 'moi' fut difficile à ravaler, mais il désirait vraiment sortir de là, donc il réussit à s'abstenir.

Aussitôt il matérialisa un double près de lui. Il se douta que c'était un supplice pour Ken étant donné que supporter un homme aussi invincible que Hilde était désespérant pour un homme qui ressentait le besoin de battre, mais deux c'était doublement désarment. Fier de lui, il se dirigea à un à un point de la bulle, à la limite. Il se retourna et guida son double afin qu'il fasse de même à l'antipode de l'esprit. Puis lorsqu'ils furent tous deux bien placés. Il reculèrent d'un pas, aussitôt Hilde sentit le contact du dos de sa marionnette. Seulement il pouvait continuer de reculer, au même titre que son double. Un vent balaya les lieux, cela ne signifiait qu'une chose, la bulle se déformait. Désormais il fallait s'attendre à tout, ce n'était jamais très bon de modifier un espace spatial. Mais qui ne tente rien n'a rien...

-Neythen !! Si tu veux une réponse à ta question, pousse de ton côté !

Peut-être qu'à deux, enfin trois ils réussiraient à éclater cette bulle.

Et voilà qu'il l'appelait par son prénom maintenant, manquait plus que ça tiens ! Ça fit tout bizarre au maître de Ken. Bizarre au point d'en esquisser une grimace de... dégoût.

« Ça va t'excite pas t'es pas mon genre... » grommela-t-il entre ses dents pour lui seul.

La suite fut un tout petit peu plus intéressante puisque K'ien lui fit grâce d'un tour de magie du tonnerre ! En deux temps trois mouvements, hop, rien vu, il y avait deux Hilde au lieu d'un seul ! Magie !!! Et si d'un côté Neythen en était époustouflé, de l'autre il ressentait une certaine angoisse à l'idée que l'esprit devenait deux fois plus exaspérant. Fallait pas que l'un des deux le chauffe, sinon il ne répondait plus de rien. Il tourna la tête vers l'un des antipode de la bulle, celle où il y avait le double, le plus proche de lui, donc. Et effectivement vu d'ici, le paysage remuait légèrement. Un peu comme ces mirages dans les déserts... ou sur l'asphalte des pistes d'atterrissage lorsqu'il fait bien chaud. Cherchez pas, souvenirs d'une carrière militaire sur les ponts d'envols d'un porte-avion. Et donc, l'autre lui demandait de pousser. Ok, mais et s'il se retrouvait « téléporté » comme tout à l'heure à l'autre bout de la bulle alors qu'il y avait déjà Hilde là où il était supposé atterrir... il se passerait quoi ? Non parce que c'était pas pour dire, mais il était hors de question de se retrouver enfermé dans le cuir de K'ien. Là désolé, il le supporterait pas... Quoi que... Réflexion faite, c'était une assez bonne occasion de l'éventrer de l'intérieur... en plus ça lui ferait une raison... Mais juré, si l'esprit se retrouvait coincé dans sa tête, il se jetait du haut des remparts !

« À trois... »

Il savait compter au moins l'autre abrutit ? Neythen se plaça juste derrière le double.

« Un... »

Remarquez même s'il savait pas compter hein, il suffisait qu'il bouge son cul quand il entendrait le mot « trois »...

« ... deux... »

Au pire il lui apprendrait à coup de couteau... Un sourire sadique plus tard, il fit un pas en avant, traversant le double en frissonnant de dégoût. C'était encore plus dégueû que tout ce qu'il avait pu bouffer d'ignoble dans la Zone du dehors...

« … trois ! »

La bulle vibra, Neythen la sentit clairement. Apparemment, ça ne lui plaisait pas qu'on essaie de la traverser à ses antipodes au même moment... ou alors c'était un truc en rapport avec le fait que la zone d'atterrissage était occupée par un autre. Et bref, du coup elle éclata, faisant se redresser les poils des bras – et d'ailleurs si affinités – de monsieur Ken. Ensuite il se passa un truc très bizarre : en dehors de la bulle, les passants s'étaient arrêtés et observaient la scène. Apparemment, tout le monde avait pu les voir pendant qu'ils étaient prisonniers. Avait-on pu les entendre ? Mystère et boule de gomme comme dirait l'autre... en attendant, Neythen n'appréciait pas spécialement d'être reluqué comme un phénomène de foire. En fait, il n'appréciait rien, mais ça, on avait fini par le comprendre...

« Ben quoi ? Z'avez rien d'aut' à fout' ?!! » grogna-t-il afin de disperser les curieux.

Et puis jugeant qu'il avait suffisamment perdu son temps comme ça, il fit demi-tour pour remonter sur sa Res Publica. Parce qu'accessoirement, il avait du boulot... et un « blaireau apprenti assassin de maître » à déloger de son trou. Et lui, juré, il allait prendre cher. Non pas pour avoir essayé de zigouiller Haine, mais pour l'avoir obligé à supporter K'ien trop longtemps à son goût... Impardonnable !

Quelle sensation inédite lorsque la bulle éclata. Le retour à la réalité fut cependant beaucoup plus paisible qu'il n'y paraissait. Aucune mauvaise surprise, absolument rien ! Les passants réapparurent comme des fantômes oubliés. Il les regarda comme s'ils étaient des bêtes de cirque alors que la situation était inversée. C'était les deux maîtres qui étaient réapparus soudainement, brisant le calme pesant dans la rue. Mais bien vite l'amabilité de leur tendre maître leur coupa l'envie de les fixer plus longtemps. Celui-ci partit laissant seul Hilde à son sort, cela dit les adieux n'étaient pas son fort surtout avec ce genre de personne. Il n'avait rien à lui dire, du moins rien de bien aimable, donc autant ne rien dire.

L'esprit prit dès lors le chemin du retour, quelque peu irrité par cette visite. Tout ceci était absurde et n'avait mené nul part ! Seulement avant même de quitter la place maudite, une lettre tomba tout près de lui, intrigué il la ramassa. Il tourna sur lui-même cherchant son propriétaire. Mais il n'y avait personne à moins de dix mètres de lui, il l'ouvrit donc étant donné qu'il n'y avait aucun renseignement sur l'enveloppe. Étrangement, cette situation lui rappela son début de journée. Il put lire ces quelques mots.

"Vous avez eu de la chance ! Mais K'ien et Ken tomberont, la prochaine fois sera la bonne..."

Aucun doute, la lettre lui était bien destiné et l'expéditeur était cet assassin, s'il pouvait bien être appelé par ce mot qui en disait tant. Mais après tout, sa tentative avait été déjouée et il ne risquait pas d'aller plus loin. Comme pouvait le démontrer le maître de Ken, les beaux parleurs étaient ceux qui agissaient le moins... De plus, Hilde ne put empêcher de remarquer ce détail, K'ien avait été cité avant Ken et cela signifiait donc que le miroir de l'esprit était le plus important. Même les misérables bandits n'aboutissant à rien reconnaissent cette vérité.

Il vint alors à l'esprit de prévenir Neythen de cette menace, seulement l'attitude de cet ivrogne ne l'encourageait pas à démarcher ainsi. Il broya le petit papier entre ses doigts et le jeta dans la poubelle qu'il croisa quelques pas plus loin. C'était vraiment une mauvaise idée, après tout Neythen risquait fortement de prendre ça comme une demande de pardon ou même avec un esprit aussi tordu que le sien, il pourrait interpréter cette simple prévention comme un signe de faiblesse. Après une journée aussi chargée de faits malsains, il pouvait rentrer, retrouver ses bureau et parler de tout cela à la petite Victoire qui était toujours là pour l'écouter et diagnostiquer les problèmes.

Spoiler: