Une histoire de poule

Après s’être perdue maintes et maintes fois, Lusionnelle pénétra pour la première fois la bibliothèque. Pourtant, à bien des égards, il n’était pas facile de se perdre, la tour s’élevant jusqu’au ciel près des remparts, mais Lusionnelle mettait un étrange point d’honneur à ne pas retenir son chemin ni même aucun endroit – ou presque. Cela faisait déjà quelques années qu’elle se trouvait dans l’Entre-monde, mais elle ne s’y habituait pas. Elle ne cessait de voguait à travers les quartiers à la recherche d’une personne – ou plutôt d’un Dieu – qu’elle doutait pouvoir retrouver un jour. À plusieurs reprises, elle s’était interrogée sur la véracité de la note laissée par son père, mais comme il s’agissait de la toute dernière, elle n’avait pas le choix que de s’y fier.
Mais cependant, même si elle refusait de s’installer dans cette ville, elle devait quand même trouver de quoi se payer une chambre et de quoi manger. Elle ne pouvait décidément pas vivre au bon gré des passants ou même à la charité de quelques habitants, pas plus qu’elle ne désirait voler – même si, malgré tout, elle l’avait déjà fait de par le passé.

Alors la voilà donc entrant dans l’immense salle de la bibliothèque. Ignorant tout de l’endroit, elle s’arrêta près de l’entrée et évalua l’espace qui s’offrait devant elle. Il y avait monde en ce jour de semaine, et certains s’agglutinaient sur des panneaux étendus de part et d’autres de la salle. Au centre, quelques tables et chaises où s’installaient quelques étudiants, adultes et autres personnages étranges. Les livres, qui s’alignaient par centaine sur d’immenses étagères, donnaient une vision multicolore à la salle et rendaient le tout impressionnant. Lusionnelle grimaça, mal à l’aise dans un tel endroit.

Puis, se sentant bousculée de toute part – et Zeus savait comme elle détestait ça – elle décida de se diriger vers les panneaux, pensant qu’elle trouverait là ce qu’elle était venue chercher. Quant à ses pensées, elles n’étaient guères difficiles à deviner. Les passants qui avaient le malheur de la toucher ou de la brusquer en acquéraient un certain panel d’injures et de malédictions dont ils se seraient bien passés – surtout une fois qu’ils eussent vu à quoi ressemblait Lusionnelle.

Quelques uns se tournaient à son passage, et ce n’était pas parce qu’elle était jolie. Mais sa blancheur – sa monotone et inévitable blancheur – rendait son physique peu ordinaire. Seuls ses yeux, ses cils et ses sourcils étaient noirs. Le reste, à l’exception d’un par-dessus aux manches courtes et d’un pantalon noir, était, et bien, blancs.

Décidant de laisser ses pensées réagir à sa place, elle se fraya un chemin jusqu’aux panneaux, bousculant physiquement et mentalement tous ceux qui se trouvaient sur son passage.

« Bon sang ! » pensa-t-elle. « Mais vous comptez y passer votre vie, par bleu ? Faites votre choix, de toute façon, c’est payé ! »

Cependant, quand elle se trouva devant les affiches, elle comprit pourquoi cela prenait tant de temps de les lire. Il y en avait des dizaines, certaines si longues qu’elles s’étalaient sur deux pages. Lusionnelle jeta un coup d’œil d’ensemble et soupira en pensant que jamais elle n’irait jusqu’à décortiquer les missions. De toute façon, son choix allait vite être fait : elle pouvait se battre, mais certainement pas contre d’immenses créatures. À moins de penser qu’un médaillon hérité de l’association de deux Dieux de l’ancien Olympe était une arme valable et que son pouvoir d’être lue au moindre toucher avait le moindre avantage devant un monstre redoutable, elle n’avait pour défense que son propre corps. Cela dit, elle n’était pas sans défense.

Avoir été la souffre douleur de ses compagnons de jeux et puis camarades de classe lui avaient appris une chose : que, quoi qu’il en coûtait, elle ne pouvait compter que sur elle-même pour se défendre. Et si elle devait chercher Héphaïstos dans des endroits dangereux, elle avait tout intérêt à maîtriser les arts martiaux.

Pourtant, Lusionnelle ne s’en servait pratiquement jamais – sauf en cas d’extrême urgence. Mais elle n’irait pas jusqu’à défendre quelqu’un dans la rue ou ailleurs.

Lusionnelle jeta donc un rapide coup d’œil sur les annonces se trouvant à sa portée et conclut qu’aucune ne lui convenait. Finalement, elle se trouvait dans la même situation que les autres : à traîner devant ces panneaux tout en empêchant les nouveaux arrivants d’y accéder. Se faufilant dans la petite masse, elle se trouva coincer par un homme d’une grande carrure. L’imbécile ne semblait pas comprendre le principe de laisser les uns sortir pour se créer une place où passer…

« Bougre d’imbécile ! Quel con ! Mais laisse-moi passer ! Et en plus ! Il pue ! La poisse ! »

Soudain, elle eut extrêmement envie de jouer des poings… Cette pensée, bien sûr, n’échappa à personne qui l’entourait et certains la regardèrent étrangement, se demandant si elle avait parlé à voix haute. Personne ne se rendait compte qu’elle n’injuriait personne autrement que dans ses pensées, si bien que, très vite, les choses parurent s’envenimer. Quelqu’un lui attrapa le poignée mais d’un geste plus chanceux que calculé, elle s’en dégagea et se heurta contre une autre personne, l’étalant contre la vitrine…

– Désolée !

Ses pensées étaient toute autre… Elle s’efforça de se contrôler mentalement et se recula hors des personnes présentes. Elle se trouvait alors à l’autre bout des panneaux mais avait encore une faible vision des premières affiches. Ainsi commença-t-elle à lire sans plus porter d’attention aux rouspétassions et aux marmonnements des autres à son égard :

– ‘Poule o pot. Deux personnes requises. La famille Crib élève des poulets de génération en génération depuis des siècles…’
« Mais qu’est-ce qu’on s’en fout… »
– ‘bla bla bla… Retrouvez les poules… bla bla bla’ Quoi ? 45 PIMS pour ça ? Ce n’est pas grand-chose… Mais ça a l’air plutôt facile.
« Ouais, sauf que, Lusionnelle, tu le trouves comment ton partenaire ? Réfléchissons, est-ce que le barman m’a expliqué ça… ? »

Lusionnelle était un peu perdue… Elle regarda autour d’elle mais personne ne semblait intéresser par la chasse aux poules. Sans doute préféraient-ils une quête mieux payée ou plus intéressante ? Lusionnelle également, à vrai dire, mais elle n’avait pas le choix et la rapidité de la mission l’attirait. Voyant que certains l’observaient du coin de l’œil, elle les foudroya du regard.

« Crétins ! »

Lusionnelle se demandait si elle devait oui ou non s’adresser à un membre de la bibliothèque pour lui demander si quelqu’un s’était déjà inscrit pour la mission et, au cas échéant, si elle pouvait s’en charger seule. Bien sûr, elle doutait qu’on accepte mais elle n’allait pas rester plantée là, indéfiniment et n’avait guère très envie d’aborder quelqu’un dans la foule alors qu’aucun ne s’arrêtait sur cette affiche. Chasser des poules n’avait en rien un caractère très attirant, elle le concevait – mais comment pouvaient-ils refuser une telle offre ? C’était moyennement bien payé et très rapide. Du moins, elle se l’imaginait. Car à moins que les poules ne fussent dotées de dents et d’armes, les attraper ne serait pas très sorcier ! En plus, ils fournissaient un panier à poule et indiquaient une adresse pour trouver de quoi les attraper. Ce n’était pas non plus comme s’il y avait quoi que ce soit à financer, pas même le droit au port d’armes.

N’y avait-il pas des désespérés dans cette ville ? Lusionnelle se demandait comment les autres s’en sortaient si ce n’était en acceptant des missions rapides et faciles. Peut-être y avait-il des astuces dans cette ville dont elle ignorait encore tout ? Pour le savoir, encore faudrait-il qu’elle prenne contact avec les habitants ; or, à part pour se disputer avec eux, elle n’avait encore lié aucune amitié. Ceux qui l’abordaient finissaient immanquablement par la toucher et, de ce fait, découvraient en elle des pensées intimes, parfois embarrassantes, ou encore insultantes. Lusionnelle ne lésinait nullement sur les critiques.

Décidant qu’elle perdait son temps à poireauter à cet endroit de la bibliothèque, elle s’apprêtait à se diriger vers l’accueil quand quelqu’un l’aborda. Il s’agissait d’un homme élancé, aux cheveux sombres et aux yeux clairs. Le contraste fascina un court instant Lusionnelle ; c’était tout le contraire d’elle qui avait les cheveux et la peau claire et des yeux si sombres qu’ils apparaissaient noirs. Il la dépassait d’un quart de tête et avait un corps svelte mais on devinait à travers ses vêtements le fruit d’un entraînement physique soutenu, à moins que cela fut naturel – mais Lusionnelle en doutait.

Elle quitta un instant sa contemplation passive pour l’écouter parler et pensa que c’était par chance qu’il s’adressait à elle. Sans doute ne l’avait-il pas encore touchée, et c’était tant mieux.

– Je ne sais pas encore si vous me dérangerez, dit-elle sans sourire. Mais je n’ai pas d’autre choix que d’accepter.

Ce n’était sans doute pas la meilleure façon de lier le contact, mais Lusionnelle n’était pas franchement à cran sur l’amabilité… Au moins, se révélait-elle froidement polie.

– J’ai repéré une mission, reprit-elle. Mais je doute que vous l’acceptiez. Elle n’est ni glorieuse ni même intéressante. Il n’y aura donc ni combat et encore moins de prestige à l’accomplir. Mais elle est assez bien payée pour ce qu’elle prendra de temps et d’effort et ça nous permettra de gagner de l’argent rapidement et de prendre une autre mission ensuite. Je n’ai ni arme ni bouclier. Ces habits et ces mains – Elle agita ses mains devant elle. – sont ma seule protection. Donc, si vous tenez vraiment vous alliez à moi, il ne vous faudra pas attendre à vous dépenser beaucoup. Vous pouvez la lire, elle est juste ici, rajouta-t-elle en pointant l’affiche du doigt.

Lusionnelle s’avança et força une femme à se décaler, puis en reculant pour empêcher quiconque de prendre la place, elle fit signe à l’homme de s’avancer pour lire. Pendant ce temps, quelqu’un rouspéta contre elle, « Vous pourrez au moins garder vos pensées pour vous ! », auquel elle répondit :

– Mais c’est le cas, monsieur.

Elle se tourna vers l’homme et attendit qu’il jette un œil sur la quête.

– Au fait, appelez-moi Lusionnelle. Comment dois-je vous appeler, monsieur… ?

Ça arrive à tout le monde d'être en retard au travail, surtout quand un embouteillage à Tern a bloqué le bus pendant plus d'une heure à cause d'un éléphant (un Li, pas un vrai éléphant) qui a fait un malaise en plein milieu d'un rond point. Après ça il a fallut traverser la ville à pieds car le bus est tombé en panne dix minutes après le redémarrage. Et quand enfin je suis arrivé à Cerclon j'ai été happé par une réunion inter-services. Un genre de syndicats des services indépendants fixés dans les quartiers, on nous a juste remis une feuille et un petit chauve a fait un discours pendant une plombe.
Résultat, je mets enfin les pieds dans la bibliothèque, échevelés et peu enclin à subir cette longue journée de travail. Je devrais retourner jouer dans les théâtres, l'intérim' c'est plus pour moi...

J'ai déboutonné le haut de ma chemise, retroussé mes manches et je me suis approché des gens qui attendaient près du panneau d'affichage. Loin d'être gêné de les couper dans leur conversation, j'armais un sourire forcé et leur fis le discours habituel.

-Bienvenue à la Tour du Savoir. Si vous êtes là pour remplir une mission dirigez-vous vers le bureau de la secrétaire, elle vous fera remplir un petit formulaire, indiquez bien vos noms et prénoms ainsi que ceux des personnes qui vous accompagnent dans votre quête. Pensez au nom de la mission ou nous aurons du mal à vous payer lorsque vous reviendrez. S'il y a un paquetage fourni elle vous le donnera aussi. Sur ce, bonne chasse...

Je tournais les talons pour filer vers le bureau du bibliothécaire. Ce n'était pas le miens mais presque, il n'y manquait que mon nom sur la porte.


[HRP : j'ai rien contre vous, hein XD le perso est un peu fatigué.
La mission est libre, si vous souhaitez que le maitre du jeu intervienne envoyez un mp à Wu. Sinon dès que vous aurez rempli votre devoir revenez à la bibliothèque pour être payé.
Amusez-vous bien !]

– Enchanté Lusionnelle, appelez-moi Ryner. Sinon je suis partant pour cette mission si cela ne vous dérange pas de m’avoir comme partenaire.

Il lui tendit la main. Lusionnelle le regarda et n’hésita pas une seconde. Après tout, il finirait bien par le découvrir et elle n’avait aucun intérêt particulier à camoufler son secret. Si plus jeune, elle redoutait le moment où les autres le découvraient et se moquaient d’elle, aujourd’hui, elle était comme blasée. Une certaine lassitude avait rendu son caractère lunatique et décalé. Qu’on s’emmêle entre ses pensées et ses paroles ne la gênaient plus : le message finissait toujours par passer. Et il était souvent très bien comprit. Quoi de plus direct et clair que des pensées ? « Enfin, » songea-t-elle. « C’est discutable. »

Elle attrapa donc sa main et le regarda droit dans les yeux. Retenant d’autres pensées, elle inséra dans sa tête une réponse.

« Cela me convient tout à fait, Ryner. »

Mais comme cette pensée était plus courte que l’instant où ils se serrèrent la main, d’autres pensées s’entremêlèrent ensuite. Il y avait l’envie de manger qui tiraillait son ventre depuis ce matin (elle n’avait même pas l’argent pour se payer quoi que ce fût). Il y avait aussi l’envie d’en finir au plus vite avec cette mission – ce que la société et la bienséance la fatiguait ! Un moment ou à un autre de ses pensées, l’image floue d’Héphaïstos et son nom dut apparaître. « Il est quand même bizarre ce Ryner… Si on finit vite, je pourrais peut-être me réserver une nuit et un bon repas pour ce soir… Et « Ryner », c’est quoi ce nom ?… Un poulet entier, humm !... D’ailleurs, je doute que ce soit un nom… Ou bien un porc ?... »

Peu après, Lusionnelle lâcha la main de Ryner et se tourna vers la personne qui avait élevé la voix. Un homme à la chemise déboutonnée – « Pas mal… » - dont le haut du visage était caché derrière un masque au long nez - « J’aime quand on ne voit pas la tête. C’est souvent décevant, la tête… » - se tenait face à eux et leur expliquait la procédure à suivre. Ce n’était pas trop tôt !

– Bienvenue à la Tour du Savoir. Si vous êtes là pour remplir une mission dirigez-vous vers le bureau de la secrétaire, elle vous fera remplir un petit formulaire, indiquez bien vos noms et prénoms ainsi que ceux des personnes qui vous accompagnent dans votre quête. Pensez au nom de la mission ou nous aurons du mal à vous payer lorsque vous reviendrez. S'il y a un paquetage fourni elle vous le donnera aussi. Sur ce, bonne chasse...

Lusionnelle hocha la tête et sourit. Au moins, ils n’auront pas à chercher longtemps pour savoir ce qu’il leur restait à faire. Elle se tourna vers Ryner.

– Et bien, allons donc remplir ce fameux formulaire et commençons ! dit-elle. J’ai envie d’en finir au plus vite.

De crainte que d’autres ne les devancent sur la mission qu’ils avaient sélectionnées, Lusionnelle se dirigea rapidement vers le lieu destiné. Elle demanda deux formulaires et attrapa deux plumes…

– Poule o Pot, cita-t-elle, puis s’adressant à Ryner : Voilà pour vous, Ryner.