Re: A l'Auberge Providence

Avenka soupira, fit une moue boudeuse et répondit :

- Non, même l'agitation de Tern m'ennuie. Je me faisait trop remarquer à sauter de gouttières en gouttières, j'ai dû me mettre à raser les murs.

Elle prit un air rêveur, comme lorsqu'elle regarde le ciel, se mit à s'imaginer dans les grands espaces, avec des gens qui seraient comme elle, rapides et souples, avec qui elle pourrait faire des courses sans qu'on la regarde avec des yeux ronds.

- C'est pour ça que je pense partir en mission bientôt, ça me permettra de quitter la ville quelques temps, de me bouger un peu et enfin de braver du danger dans la zone du dehors. Et avoir l'occasion d'apprendre à me battre !

Elle avait dit ces derniers mots d'un air hargneux, presque agressif, en tirant sa dague de son fourreau à la vitesse de l'éclair, et faisant mine de poignarder un ennemi imaginaire.
Tout en rangeant son arme, elle regarda l'aubergiste. Il venait de dire "depuis que je voyage", mais avait-il tant bourlingué ? Il n'était pas beaucoup plus vieux qu'elle, après tout ! Elle eut du mal à imaginer cet ange à l'air rieur se battre contre des bandits de grands chemins...

- Vous avez beaucoup voyagé ?

Al n'avait aucun mal à imaginer le peu de discrétion dont elle devait faire preuve en sautant de gouttière en gouttière. Même en rasant les murs. Cette jeune femme le fit un instant penser à un oiseau survolté dans une cage trop petite. Oui, elle trouverait sûrement son bonheur à l'extérieur de la ville.
Mais si elle ne savait pas se battre, elle avait intérêt à ne pas voyager seule. Cela représenterait sûrement une contrainte pour elle, mais l'ange se dit qu'il valait toujours mieux être en vie.
Mais après tout, il ne connaissait pas vraiment la sensation de sa cliente. Lui avait plutôt besoin de paix, de calme, de grandes étendues.

-Non, je n'ai pas énormément voyagé... Mais le peu que j'ai fait m'y a donné goût.

Il fit un clin d'oeil, puis continua :

-Mon père a déjà perdu plusieurs fils, et, dans un petit élan d'égoïsme, tente de garder ses derniers auprès de lui et en sécurité. Ainsi il a souvent saboté mes plans de voyage. Je ne lui en veux pas, il a déjà tant perdu...

Et puis, Al savait que, d'ici peu, il pourrait aller où bon lui semblerait. Il voyagerait à dos de cheval, les cheveux agité sous le vent frais des plaines, avec de la verdure pour seul horizon.

-Vous feriez bien d'apprendre à vous battre avant, tout de même. Je doute qu'on vous égale en matière de vitesse, mais certaines créatures ne sont pas si faciles à esquiver.

Rien que dans la ville, il y avait déjà beaucoup de créatures potentiellement dangereuses. Alors au dehors...

-Au fait, comment vous appelez-vous?

- Où apprendre le mieux, à part sur le terrain ? Je n'ai jamais eu peur, donc comme je ne sais pas ce que c'est, je ne sais pas ce qui est dangereux pour moi. C'est vraiment bizarre, de n'avoir jamais eu peur.

Elle se mit à réfléchir, les yeux perdus dans le vague. Si elle mourrait, elle pourrait peut-être enfin voir les nuages ? mais elle ne voulait pas mourir, et elle se dit qu'il était important de savoir ce qu'était la peur. cela lui rappela une bande-dessinée du temps qu'elle était sur Terre. Elle trouva très triste que le père d'Al aie perdu tant d'enfants.

- Moi on m'a recueillie, d'après la vieille tante, j'étais pas comme les autres. Sur le drap qui me couvrait lorsque le vieil oncle m'a trouvée, il y avait écrit "Avenka Siaiyone". On m'appelle comme ça depuis. En fait, c'était écrit en runes, on a du faire appel au prêtre du village qui connaissait toutes ces sortes de choses. Ils n'ont pas voulu que j'apprenne à lire les runes, là-bas.

Elle soupira, s'appuya les coudes sur le comptoir et posa sa tête sur ses mains. Sa vie d'avant ne lui manquait pas. Juste le vieil oncle. Où était-il ? Était-il mort ? Avait-il eu d'autres enfants avec la chercheuse ?

- La vieille tante n'aimait pas les trucs hors du commun. Quand j'étais petite, j'avais les oreilles pointues. Elle voulait qu'on me coupe les pointes, mais le vieil oncle s'y est opposé. Il a dit "on ne peut pas mutiler Avenka. Si tu fais ça, je te tue".
Elle imitait la voix grave des hommes d'âge mûr, en balançant la tête de chaque côté.

- Ils se supportaient plus, parce que le vieil oncle, il avait encore l'air drôlement jeune pour son âge, et toutes les jeunes femmes du village étaient folles de lui. Peut-être parce qu'il avait des manières, et que c'était le plus galant de tous...

Elle se caressait le bout des oreilles, à présent ronds, comme tout le monde. Elle se tut quelques secondes, s'aperçut qu'elle devait sûrement ennuyer l'aubergiste à raconter sa vie, et finit, précipitamment :

- Et puis quand j'ai grandi mes oreilles se sont arrondies petit-à-petit, mais j'ai toujours gardé le vert au paupières, et puis après avec le vieil oncle on s'adorait, et on s'est enfuis, et puis on s'est installés ici, et puis il y a un an il s'est enfui avec une femme qu'il avait séduite au Love Hôtel, moi je m'en fiche il fait ce qu'il veut, mais il avait toujours tout plein d'activités super-chouettes à faire du genre se promener ou attraper des chapeaux à l'hameçon depuis notre balcon...

Elle se tut subitement, fit le tour de la tasse avec son doigt, leva les yeux vers le plafond d'un air triste et reprit:

- Je n'avais rien bu d'aussi délicieux que votre chocolat depuis le verre de grenadine qu'il m'a laissé sur la table avant de partir.

Il y eut un long silence, on entendait les bruits de la rue, des gens s'arrêtaient pour lire la pancarte à l'entrée, chargeaient, déchargeaient, s'interpellaient... Avenka leva les yeux, mit les mains devant la bouche et murmura d'une voix étouffée :

- Je... je suis vraiment désolée. Je vous ennuie avec mes histoires de bonne femme, ch'suis confuse, excusez-moi... Je suis trop bavarde, il va falloir que je corrige ça à l'avenir.

Al trouva touchante l'histoire de la jeune femme. Pas tellement malheureuse. Bien sûr elle n'avait pas été gâtée non plus, mais ce n'était pas une histoire triste qui vous faisait vous tordre les intestins et soudain vous faisait regretter d'avoir été un tantinet heureux dans votre vie sous prétexte que d'autres ne l'avaient jamais été. Non, son histoire semblait à la fois joyeuse et triste. Authentique. Elle n'avait pas vécu dans l'illusion. Et c'était ce qui, du point de vue de Al, rendait cette histoire belle.

- Vous ne m'ennuyez pas du tout, au contraire, votre histoire est intéressante. J'imagine que vous n'êtes pas tout à fait humaine? Savez vous exactement d'où vous venez, et ce que vous êtes?

L'ange n'avait jamais vu un être tel qu'Avenka. Il ne connaissait pas l'existence des runes, et n'aurait pas pu aider la jeune femme à retrouver ses origines.

- Ma foi, si vous ne trouvez pas quelqu'un comme vous dans l'Entre-Monde, c'est que vous n'avez pas assez cherché. Il y a tout, ici !

Mais Al ne savait s'il croyait lui-même ses paroles. Après tout, existait-il seulement un autre ange sans ailes? Qui les ait perdues sans qu'on les lui coupe? Peut-être qu'elle ne trouverait jamais quelqu'un comme elle, et ce serait peut-être pareil pour lui. Le monde est fait de bizarreries.
Il sourit à Avenka.

- Ma foi, si d'aventure vous repassez par ici, venez donc boire un chocolat, à l'occasion.

Spoiler:

Non c'est bon ^^

L'évocation de ses origines fit frémir Avenka. Elle ne savait pas, non. Mais il y avait une vieille guérisseuse, la bonne du prêtre.

- La bonne du prêtre, elle était guérisseuse. Un peu bizarre, mais elle savait plein de choses. Elle m'a dit que j'avais des racines elfiques. Mais que mon côté humain avait pris le dessus.

Avenka eut envie de pleurer. Elle ne s'était jamais posé la question d'où elle venait, mais à présent chercherait ses ancêtres. Cette discussion avec l'ange avait été bénéfique en tous points, en tout cas. Elle renifla, un silence puis elle reprit :

- En fait... elle a tiré les cartes, elle m'a dit qu'un jour, "la vrai force prendra possession de son bien". À l'époque, j'ai pas compris, mais maintenant que vous m'y faites penser, je pense savoir ce qu'elle a voulu dire.

Avenka se demanda alors pourquoi elle avait été abandonnée sur Terre, alors qu'elle aurait pu vivre chez les elfes, si réellement, elle en était une, ou une demi, enfin qu'importe. milles questions se posaient dans sa tête. Puis elle remarqua quelque chose...

- Euh... désolée si je suis indiscrète mais... vous n'avez pas d'ailes ?

Des racines elfiques? Al avait déjà rencontré un elfe, enfin, il n'était pas entièrement sûr qu'il s'agissait bien d'un elfe, mais d'après ce qu'on lui avait dit, il s'agissait d'hommes immortels, aux traits plus fins, au corps plus élancé, et capable de bien plus de choses qu'un être humain normal, surtout concernant la rapidité et l'agilité. Voilà qui expliquait bien des choses concernant les prouesses de la jeune femme.
Mais il lui semblait que les elfes étaient des êtres calmes, réputés sages, voire même amorphes parfois. Ce qui était en total contraste avec la manière d'être d'Avenka. Sans doute son côté humain, associé à son jeune âge.
Lui ne comprenait pas vraiment ce que signifiait les paroles de la femme.

-Que voulait-elle dire par là? Que votre côté humain était le plus fort?

Cela rappela étrangement son propre statut à l'ange. Al était né incomplet. Les anges étaient supposés immortels, du moins ne mouraient-ils pas de mort naturelle. Sa mère avait-elle eu la force de lui donner l'immortalité? Il ne savait pas. Il espérait que non. Et en même temps...
Les paroles de la jeune femme le sortirent de ses questions qui ne trouveraient pas de réponse dans sa propre tête.

-J'ai eu des ailes, lorsque j'étais plus jeune. En fait je suis né incomplet, comme ma mère n'avait plus assez de force après avoir tant donné la vie pour me mettre au monde entier, et survivre. Je n'avais pas de pouvoir, ce qui n'était pas quelque chose de normal pour un ange destiné à protéger. Mais lorsque j'ai appris cela, et que ma mère était mourante, j'ai prié pour pouvoir l'aider. Les dieux m'ont accordé un don, et en échange, m'ont pris mes ailes.

Des larmes embuèrent le regard de l'ange. S'il n'avait pas été aussi désespéré, il aurait pu demander un don qui ne l'aurait pas aidée, mais sauvée. Mais ce qui est fait est fait.
Il tenta de se ressaisir. Ces souvenirs lui faisaient toujours aussi mal, malgré le temps qui s'était écoulé depuis. Mais il était un adulte désormais, et en plus, ce n'était pas digne d'un aubergiste de pleurer devant ses clients.

- Je n'en suis pas mécontent. Ce don m'est très utile, et me permet de rendre service à ceux qui en ont besoin. Et puis, vous imaginez la place que prennent des ailes d'ange? A force on s'y habitue, mais c'est difficile de vivre dans une ville avec peu d'espace pour soi lorsque l'on est ainsi - demandez à ma famille.

Un sourire vint barrer le visage de l'aubergiste. C'était tout de suite mieux qu'avoir le regard plein de larmes.

- D'un côté, nous sommes tous les deux des "bizarreries" de la nature.

Le récit de l'ange attristèrent Avenka. Un ange sans ailes... alors, il ne pouvait pas voir les nuages, lui non plus...

- Des bizarreries... Ici, tout le monde est bizarre, vous ne trouvez pas ? Quand à mon côté humain, je suppose que c'est parce que je les ai côtoyé depuis ma naissance, alors évidemment à force...

Avenka brûlait de demander à l'ange quel don il possédait. Elle ne le fit pas. Un étrange sentiment commençait à naître en elle. Peut-être un sentiment de solitude, mais celui-ci était différent. Parce que toutes les personnes qu'elle avait rencontrées jusque là connaissaient leurs origines, et qu'elle avait perdu ceux qui auraient pu lui en apprendre plus. Pourquoi abandonnée ? Tenait-elle son côté elfique de son père ? de sa mère ? d'ailleurs ?
Ses yeux se perdirent dans le vague, elle ne dit plus rien et appuya sa tête contre le mur. Un étrange silence s'installa. Ce n'était pas dans les habitudes d'Avenka, même si elle ne s'en rendait pas compte, de rester aussi calme.

Une auberge venait d'ouvrir, tout du moins étais-ce ce qu'avait appris le jeune esprit lors de ses diverses pérégrinations. Bien qu'il ne se moquait pas mal de l'ouverture de l'établissement en lui même, il était tout de même venu le visiter poussé par la curiosité et par la possibilité d'étendre son réseau d'informateurs. Après tout, les auberges étaient des lieux reconnus où venaient se reposer nombre de voyageurs et avec un peu de chance peut être que l'aubergiste pourrait devenir une source fiable d'informations sur l'entre-monde.
C'était donc ainsi qu'il s'était retrouvé aujourd'hui devant le bâtiment en question et qu'il passait la porte d'entrée d'un pas assuré.
Jetant un furtif coup d'œil autour de lui comme à son habitude, il repéra d'un air professionnel les potentielles sorties de secours ainsi que dangers éventuels. Au vu de ses occupations on n'était jamais assez prudent, mais la présence d'aussi peu de monde le surpris. En effet mise à part un jeune-homme, qu'il devinait être l'aubergiste, et une une jeune femme il ne pu compter d'autres clients. L'ouverture de l'auberge devait être bien récente pour qu'il y ait si peu de personnes présentes, pensa t-il furtivement. Mais au contraire de l'importuner cela l'arrangeait beaucoup, ainsi il était sûr de venir arriver un danger, si il y 'en avait un, et il devait avouer ne pas vraiment apprécier les foules.

« Bonjour ... »

Un simple mot de politesse afin de saluer les personnes présentes. Arcanta n'avait pas vraiment l'envie ni le désir de se mêler à la conversation des deux individus, pensant qu'il les aurait plus importuné qu'autre chose, surtout qu'il aurait eu beaucoup de mal à trouver un sujet de discussion intéressant. Finalement l'esprit restait fidèle à cette image froide qui se dégageait de lui, son caractère et son accoutrement n'aidant pas vraiment. En effet comme à son habitude, il s'était rendu ici vêtu de pied en cap d'habits noirs : Un pantalon, une chemise légère et bien sûr son inséparable long manteau cachant à la perfection son arme de poing. Pour rajouter à cette atmosphère sombre, il arborait toujours son regard bleu azuré qui en aurait refroidi plus d'un. Mais à vrai dire il se moquait pas mal de ce que pouvait bien penser les autres et c'est d'un pas agile et félin qu'il rejoignait un des fauteuils situé auprès de la cheminée, prenant naturellement une position noble.
Ce grand âtre où rougeoyait des flammes aux multiples couleurs faisait naître en lui un sentiment de fascination. Cette attraction était-elle du au symbole destructeur et insaisissable du feu ? Il ne le savait pas mais il aurait pu rester des heures entières à regarder ce bois brûler. En attendant qu'une occasion intéressante de discuter arrive afin de satisfaire sa soif d'informations, il resterait ainsi à regarder ce brasier d'un air impassible et contemplateur.

[Un nouveau client ! *o*]

- Bah, je pense surtout qu'ici, la normalité est bien plus relative que nulle part ailleurs !

Elle n'avait pas touché à son potage. Mais au moins il avait eu le temps de n'être plus brûlant.
Il allait ajouter une petite blague pour détendre l'atmosphère, mais fut surpris par l'arrivée d'un client. Pas tellement l'air commode, tout en noir. Et puis son "bonjour" vide d'enthousiasme. Il lui fallait sûrement quelque chose pour le rendre plus joyeux, celui-là. Al pensa à donner un effet hilarant à la commande que l'homme passerait, mais se dit que s'il allait raconter qu'il avait fait autre chose que satisfaire simplement son client cela risquait d'éloigner le peu de clientèle qu'il avait déjà.

- Si vous voulez bien m'excuser, s'excusa-t-il auprès de la jeune femme.

Et il fit le tour du comptoir, se rapprocha du fauteuil occupant par l'homme au regard azur, et l'aborda avec un sourire sincère.

- Bonjour et bienvenue ! Vous désirez quelque chose en particulier?

Il émanait une sorte d'absence de cet être, une froideur étrange, une distance. Comme s'il voyait le monde sans pouvoir en profiter. Mais ce n'était là qu'une impression, et Al ne voulait pas juger quelqu'un sur si peu.

Avenka observa l'homme qui venait d'entrer. Rien qu'un fantôme, pensa-t-elle. Aucun sentiment ne se lisait sur son visage, aucune expression. Elle détourna le regard, et s'aperçut que le potage attendait, elle n'avait pas vu l'ange le poser. Elle se mit à le boire avec application, savourant chaque goutte. C'était doux et chaud. Un peu comme le chocolat, mais plus salé. Elle eut l'impression que ses cordes vocales allaient se mettre à chanter toute seules, c'est pour cette raison qu'elle plaqua sa main sur sa bouche. Elle se retourna, Al était de dos, l'homme apparemment ne la regardait pas, ce qui la soulagea un peu.

*C'est délicieux, mais il ne faut surtout pas que j'ouvre la bouche !*

Elle se blottit, la main toujours contre sa bouche, et observa l'homme, tentant d'imaginer qui il était.