Re: Le candidat inespéré

Il m'arrache un sourire amusé, une deuxième récompense pour le loup en si peu de temps, il me fait penser à un apprenti. J'ai déjà juré de lui révéler son potentiel.

-Vous êtes déjà dans la situation.

Mon ton se fait plus dur et des yeux je scrute son visage à la recherche de ses réactions. J'ai mis le doigt sur quelque chose, je ne sais pas encore quoi. Gabu Van Derel devenait mystérieux et je brûlais d'envie d'en savoir plus sur les raisons de sa soudaine gêne.
Mon bras étiré jusqu'au plateau, je prends un fruit. Arrivé à mon visage, je mords dedans, son jus coule sur ma langue, rafraichissant. Je me serais damner pour une boisson.
Ce décor en plus avait le don de m'assécher la gorge.

-Parlez-moi de vous. Êtes-vous né dans l'Entre-Monde ?

A croquer comme ça dans un fruit frais, l'envie de me métamorphoser me prit. Je ne l'avais pas exercée depuis longtemps... En quoi ? Je n'ai parmi mon panel de créature aucun hybride de loup comme Gabu. Il suffirait d'un baiser et ce serait réglé.
Les cheveux blancs, nous pourrions passer pour des frères. Une idée de génie, ce garçon pourrait devenir l'acteur principal de soirées encore jamais vu au Love Hotel. Il a un don pour m'inspirer.

-Ou bien vous venez d'un endroit plus exotique encore.

Son visage s’était durci si soudainement. Je prenais ça pour un “Passons aux choses sérieuses.” ce qui me fit hausser un sourcil, une légère commissure aux lèvres. L’une de mes oreilles s’était baissée. Mon regard alternait entre les friandises sur la table et le visage de cet homme troublant en face de moi. Il m’était encore difficile de juger intérieurement de s’il me fascinait ou m’inquiétait.

Je ne le quittai plus du regard. Je notai que le moindre de ses gestes était calculé pour se vouloir sensuel. Comment faisait t-il pour dégager autant de charisme en ne faisant pas grand chose ? Je serais incapable de l’expliquer, même à l’heure actuelle. Or retenait mon attention, à sa façon.

Et vinrent les sujets sur mon passé. Je peinais à croire que c’était réellement à entretien pour un job, surtout à partir de ce moment à vrai dire. Parler de mon ancien monde n'était pour le moment pas la chose la plus compliquée.

- Je ne suis pas originaire d’ici, je me suis retrouvé coincé contre mon gré comme beaucoup.

J’allais certainement pas lui parler de la petite Leiline. Si ça se trouve, il la connaissait et il aurait pu sous-entendre une infime partie de son intimité. Non, je n’étais pas prêt pour ça. Je m’allongeais de nouveau sur l’accoudoir de tout à l’heure, reprenant peu à peu mon assurance perdue tout à l’heure.

- Mon monde s’apparentait beaucoup au quartier de Ciel. À contrario que nous étions sur la terre ferme. À part cela, pas grand chose à en dire.

Mon regard hagard sur la table basse, je souris légèrement et ressassai ces tendres souvenirs passés là-bas. La garde de la Reine, les sessions d'entraînement à l’épée et les combats sur le terrains. Aldwin …

Mes yeux se relevèrent sur Or. J'estimai avoir le droit d'en savoir plus sur mon éventuel futur patron. De toute façon, ne comptais pas lui raconter tout tout de suite, ça ne serait plus amusant. Et puis, tout le monde a le droit à sa part de mystère.

- Et vous, Or, qu’en est t-il ?

Je me penchai pour arracher délicatement une petite brindille de raisin blanc présente sur le plateau. Je me délectai de quelques graines en attendant silencieusement une réponse de mon charmant hôte.

Mes pensées me distraient du beau Gabu. Si les miroirs venaient à s’ouvrir de nouveau, je serai le dernier à les franchir. Gabu se précipiterait-il, lui ? Ce serait un gâchis. Mon bel apprenti m'échappera en même temps et ma fierté serait déçue. J’avais très envie de convaincre Gabu de rester. Une pure folie en vérité. Prostitué est un mode de vie des étreintes sans devoir qui s’estompent au levé du jour. Je suis si distrait qu’il me retourne ma question. Bon point pour lui, il sait rebondir.
Il vient d’un genre de Ciel, c’est amusant car moi aussi. Nous avons tous les deux l’oeil sur cette décoration sordide autour de nous. Nous avons tellement vu de colonnades et de villa que cette parodie de decorum doit nous indisposer autant l’un que l’autre.

-L’Entre-Monde est un refuge devenu vraiment confortable avec le temps. Un jour je dirais que je viens d’ici.

Pourquoi Crystal a-t-elle mis autant de fruits sur ce plateau… Il faut que je me note de refuser le raisin. J’avais envie de voir les dents de Gabu mordre d’un fruit, un vrai fruit avec une chair épaisse à saisir à pleine bouche. Mais les grains de raisins sont si petits, ça me prive du plaisir de voir le jus couler sur ses lèvres. Mon métier n’est pas très satisfaisant, j’aimerais qu’on ne me prive pas des détails que je préfère. Crystal ne faisait pas ce genre d’erreur. Avait-elle essayé d’aider Gabu à me résister… A méditer.

-Vous avez du mal avec les hommes, n’est-ce pas ? Les femmes vous regardent comme un reproducteur digne, leur instinct fait le travail à votre place. Mais les hommes…

Est-ce moi qui cherche à le séduire, ou lui qui doit y arriver. La réponse est floue et cet entretien ne rimait plus avec embauche. Changeant quelques lettres, les futures heures avaient des chances d’être intéressantes.
S’il ne se lançait pas dans un numéro de séduction, c’est à moi de prendre l’initiative. D’où le côté ambigu de cette situation…

-Je vais vous apprendre les secrets de la magie d’un Love Hotel. La séduction d’un inconnu, c’est un plan conçu avec minutie. Nous sommes des magiciens, des prestidigitateurs qui ont pour seul but de faire s’étendre sur un lit le client venu d’abord boire un verre. Faites le rire, d’abord, pour faire baisser la garde. Ensuite, il faut faire parler l’autre, pour le mettre en confiance. Avec un corps comme le votre, servir un verre, piocher un fruit fera tout le travail de diversion. Evitez le raisin. Prenez un abricot, tendancieux, une pomme, innocente, une poire, juteuse.

J’avais tout de même une recommandation pour lui et ses futurs clients.

-N’essayez pas de faire travailler une assistante pour divertir votre public. Pour commencer nous n’avons pas d’assistante ici sauf Crystal, mais elle pourrait subtiliser l’attention de votre partenaire… Elle est très séduisante avec ces talons, non ?

J’appliquais sous ses yeux les règles d’or pour séduire proprement quelqu’un de peu connaisseur. Les clients vraiment compliqués doivent être maniés avec plus de malice. Redressé et une cruche d’étain se pencha sur un verre. Une fois rempli je me levais pour gagner la place à côté de lui pour le lui donner.

-Une fois que son attention est captive, rapprochez-vous. Un prétexte pour se rapprocher vous en trouverez des dizaines ici. Par exemple, regardez, Crystal a ajouté quelques friandises au plateau.

Sucre-plume, glace, et quelques pâtisseries inconnues étaient soigneusement posées sur des coupelles.
Je cueillais une goutte d’eau au bord de la cruche et posais mon doigt sur le sucre-plume.

-Vous avez déjà goûté au sucre-plume ? C’est doux et sans addiction, n’ayez crainte. Je m’en porte garant.

Je lui proposais de s’y essayer. Comme un chat, je jouais à voir tout ce que je saurais lui faire révéler sans qu’il ne s’en rende compte. J’approchais ma main pour partager le sucre sur mon index.

Ces paroles posèrent le doigt sur une chose évidente : je n’avais aucune expérience dans le monde de la nuit. Je me demandais réellement ce que j’allais apporter à cet endroit mais alors, pourquoi rester ? Pourquoi continuer cet entretien ? Je pouvais très bien me dire que ce n’était pas la peine d’insister plus longtemps et partir poliment.

Mais cet homme était une énigme. Il me gardait collé à ce canapé comme il pourrait garder quelqu’un dans ses bras, les yeux plongés dans ceux de l’autre. Juste en me parlant, me dévisageant. Il avait ce petit quelque chose … J’étais parfaitement conscient que c’était voulu de sa part mais que voulez-vous, quand nous sommes curieux …

Il voulait faire de moi le parfait courtisan. C’était motivant, moi qui pensait pendant une fraction de seconde que je n’étais pas qualifié pour ce travail. Ce qui était justifiable, je n’avais jamais travaillé dans ce domaine. J’acquiesçai donc de simples gestes de la tête lorsqu’il évoqua mon problème avec la gente masculine. Il lisait en moi comme dans un livre ouvert.

Je notai scrupuleusement les consignes d’Or et - non sans amusement - qu’il me les donna tout en les appliquant sur moi à cet instant, s’asseyant bien sagement à mes côtés comme-ci de rien n’était. Il était pédagogue le bougre.

Je pris le verre gentiment servi, le remerciant d’un léger sourire. J’ignorai si c’était happé par les charme de mon hôte ou mon écoute attentive qui me laissait sans voix. J’avais ce sentiment d’être atteint d’une aphasie étrange générée par une situation qui me dépasse.

C’était sans compter la technique d’approche du Barde pour me sortir de ce mutisme. Mon sourire s’affichant aussitôt sur mon visage. J’allais tomber dans le piège mais vu la situation, je m’y accommodai parfaitement. Inconsciemment, je pris délicatement sa main entre mes doigts.

- Ça serait criminel de ne pas profiter de l’occasion.

Mes lèvres se déposèrent avec une lenteur calculée le long de son index, ma langue jouant légèrement avec le bout de son doigt. Je me délectai de la douceur de cette sucrerie, m’abandonnant pleinement à la gourmandise sans même me rendre compte du sucre qui se colla sur une partie de mes lèvres.

Je lâchai sa main de mon emprise et laissai l’effet du sucre faire le reste. Je me sentis léger, tel sur un nuage. Le tissu divan sur lequel nous étions tous deux posé me sembla plus doux et la présence d’Or bien plus forte. Face à lui, je plongeai mon regard dans le sien et finis par rire doucement.

- Sans addiction vous dites ? J’ai du mal à y croire.

Le sourire du loup fut accueillit avec un sentiment de victoire. Il pencha le cou et je profitais de cette faiblesse pour admirer ses muscles rouler sous sa peau. Gabu me rend faible, j'ai déjà succombé à mon premier instinct et le loup devait bien rire intérieurement de me voir si facilement briser les murs nous séparant, les uns après les autres.

-Sans addiction connue, sauf peut-être... Cela dépend du serveur.

Je léchais le peu qu'il restait des cristaux sur mon index. La bouche sèche, je m'éloignais de Gabu et de cette fausse drogue qui pouvait en devenir une posée innocemment sur la pulpe de ses lèvres. Je me levais d'un mouvement fluide. Trop rapide... Je me suis levé comme une souris qui fuit. Mon verre à la main, je me tournais vers lui pour lui offrir un clin d'oeil.

J'étais conscient de jouer avec lui, il était conscient que je jouais avec lui. Un truc cloche.
Pour un entretien d'embauche, nous avions depuis longtemps dépasser la simple prise de référence. Il me plaisait alors mon instinct faisait exactement ce pourquoi il existe. Je voulais séduire Gabu Van Derel.
Je me maudis d'avoir laisser mon instinct échapper à mon contrôle. Le but était de l'embaucher et non le mettre dans mon lit. Ce à quoi il répondit que les deux n'étaient pas incompatibles.
Je suis un cas désespéré...

J'allais ouvrir la porte, l'air frais s'engouffra dans la pièce, la distance entre Gabu et moi replaçait ses murs et mon instinct était frigorifié. Ça ne durerait pas éternellement alors si mon nouvel employé voulait bien se donner la peine, nous allions marcher un peu pour nous calmer tous les deux.

-Venez, j'ai un hôtel à vous faire visiter.

Avant de sortir je précisais pour Gabu l'effet du sucre qu'il avait goutté, au cas où personne ne le lui en aurait parlé et pour faire taire ma culpabilité.

-Le sucre plume amplifie les sesations liées au plaisir, laisser-le agir. Je vous promets de garder pour moi tout ce qui surviendra dans l'enceinte du Love Hotel.

Ce court instant de douceur fut vite interrompu par le déclencheur de la situation lui-même. Certainement sa manière de me dire “revenons-en à notre entretien”. Bien que la barrière de cette entrevue était abstraite à ce stade.

Je lui souris donc franchement lorsqu’il m’invita à faire la visite et donc de reprendre une discussion un peu moins “corps à corps”. Je me levai donc et écoutai ses aveux. Un très léger rire fit tressauter les épaules et je lui répondis à voix basse.

- J’aime les gens taquins.

Il était vrai que ma vision des choses fut bien différente par rapport à mon arrivée ici. Rien qu’Or lui même me paraissait bien plus séduisant. Non pas qu'il ne l'était pas de base mais … tout de même.

Je le suivis à la trace, sans même faire attention à sa pauvre assistante qui se tourna les pouces à l'accueil, faute à l'absence de clients. Il y avait pourtant un potentiel monstre à faire de ce commerce quelque chose de florissant. Des idées d'événements germèrent déjà dans mon esprit très fertile à ce genre de scénario. En même temps, venant d'un ancien maître du jeu, il ne fallait pas s'étonner.

Nous avançâmes jusqu'à de grands escaliers, menant très certainement aux salles de réceptions. Voire à quelques chambres. Ce n'était qu'à ce moment que je sentis le sucre collé a ma lèvre, que j'enlevai d'une simple coup de langue.

- Et pour ce qui est des travaux et de la re-déco, cela concerne aussi les salles de réceptions et les chambres je suppose ?

Autant lui poser une question professionnelle, il fallait que je l'aide à reprendre son sérieux après tout. J'esperai juste que les autres décors n'était pas du même acabit que la petite salle précédente. Même si c'était la raison de ma venue, il y aurait vraiment beaucoup de boulot …

Si la décoration lui donnait déjà mal au cœur... C'est qu'il a pris son compte de sucre-plume. Faible endurance aux exhausteurs de plaisir ? Je garde ça au chaud dans mes pensées. Un jour viendra où Gabu devra apprendre à mieux tenir ces produits ou à accepter d'ajouter une ligne dans sa fiche de poste comme "services divers au Barde". Ça sonne vulgaire même en pensée... Je dois trouver une autre formulation.

-La déco ça viendra en temps utile. Avant de casser les murs, nous avons des clients que le déménagement n'a pas mis dans les meilleures dispositions à notre égard. Faire cinquante kilomètres pour aller à l'hôtel... Il va falloir leur en donner pour leur argent et valoriser leurs efforts.

Gabu devait tout apprendre. Les codes du métier, les types de clients, la magie derrière les tours. Nos pas menaient à l'accueil, la moquette épaisse absorbait les sons. L'ambiance douce et silencieuse réchauffait le cœur.
C'est un réflexe quand je m'approche de ce bureau, je m'attends à croiser le regard de l'hôtesse. Crystal aurait un beau sourire. Cette seconde est essentielle, le client a le temps de m'observer. Il se décide en une seconde si je lui plais ou non. Comme je regarde l'hôtesse au lieu du client, il génère son propre plaisir dans l'impatience. Là, je me tournerais vers lui et le poisson serait ferré.
Aujourd'hui pas de client, je bifurque vers le premier salon, le plus grand. Double porte en chêne noir, colonnes corinthiennes de part et d'autre.

La salle est en marbre blanc cassé, style classique, neutre. Des baies vitrées fictives donnent l'impressionnisme d'une vue sur l'océan. Le plafond culmine à six mètres par dessus nous. A cette heure du jour il y fait froid et l'écho nous rappelle comme nous sommes tout petits ici.

-Salon de réception. Capacité ouverte à environ trois cents personnes. Cela dépend si elles sont allongées ou debout... On y place le mobilier choisi par les clients ou bien de temps en temps nous organisons nos propres événements.

Je lançait un regard à Gabu.

- Cette pièce recèle des escaliers dissimulés.

En passant derrière une colonne, je lui montre une porte peinte à la façon d'un mur, les moulures collées dessus renforçait cette impression. Derrière un escalier escaladait une courbe.
Je passais devant mon visiteur tout en évitant soigneusement son regard. Mon bras effleura son flanc dans l'espace étroit.
Quelques marches et un autre couloir. Ambiance marine, des portes aux hublots de bronze nous dévisagent. Des chambres de tout calibre files le long d'une courbe douce suggérant la coque d'un navire. Une fleur dans le vase accolé à la porte d'une chambre m'indique un client terminant sa nuit. Un vase vide, espace libre. J'ouvre la porte en utilisant le pass des employés. La pièce est coquette, un peu froide en teintes de gris et de blanc. Le lit est fait, à cette époque c'est un épais duvet qui orne la couche d'une taille considérable. Mobilier vernis et des rideaux tout aussi épais masquent la vue sur Rivetiel.
Dans les chambres la chaleur est plus élevée. Après le couloir gelé, le sauna...

Spoiler:

Or avait mit le doigt sur un point très important : la prestation passe avant la décoration. Autant pour les habitués que pour les nouveaux clients. Cela voulait dire que j’allais devoir mettre le paquet si je souhaitais vraiment travailler ici.

Je me laissai guider par mon hôte, notant avec étonnement son changement de comportement. Là où tout à l’heure il me cherchait du regard et me souriait souvent, jusqu'à en être tactile, il était désormais distant, évitant à tout prix le contact visuel. Tel les jeunes hommes un brin intimidés qui tente de se cacher. J'eus un rictus rien que d’y penser, profitant qu’il eut le dos tourné pour le faire.

La salle de réception était particulièrement grande. Un comble si ce n’était pas le cas pour un tel établissement. Alors que j’observai les environs avec intérêt, je sentis enfin le regard d’Or sur moi. Des pièces cachées dit t-il ? Je vis la supercherie lorsqu’il ouvrit une porte secrète vers un escalier en colimaçon. Passant devant moi, il évita de nouveau mon regard.

Or, ne me tentez pas de vous taquiner comme ça.

Nous longeâmes un couloir pour accéder aux pièces les plus utiles d’un tel hôtel : les chambres. La différence de température entre le couloir et celle-ci était notable. J’avançai jusqu’à la fenêtre, effleurant la douce couverture du lit du bout de mes doigts. Je me retrouvai dos au Barde. Par un simple réflexe, je tirais légèrement sur le col de mon kimono. C’est qu’il y faisait chaud comme dans un four dans cette chambre.

- Effectivement, elles sont plutôt accueillantes les chambres.

Je ne résistai pas à l’envie. Je me tournai dans sa direction, me rapprochant un peu et le regardai droit dans les yeux, un léger sourire aux lèvres.

- Dois-je comprendre que mon initiation commence ici ?

HRP:

D’abord, il me suivait et je le sentais bouillir. C’est vrai qu’il faisait chaud dans ces pièces. Mais l’odeur virile de son corps me parvint à son approche. On dirait que Gabu s’impatiente.
Là il s’approche, assez près pour percevoir les minuscules expressions que son corps laisse transparaître. Le miens est un habitué, je ne frissonne plus à l’approche d’un homme depuis des siècles, c’est à peine si je ressens cette pointe de plaisir à être si intime avec quelqu’un.
Sauf pour cette fois. Une tension s’empare de mon dos, de mes reins, Gabu a enfin compris. Il sait comment s’y prendre.
C’est tentant de parcourir la distance qui nous sépare.

Je cède ? Aller, j’y vais. Je termine à sa place de parcourir les quelques centimètres qui nous éloignent encore. Je pourrais sentir la pointe de son nez effleurer la mienne s’il n’y avait nos deux souffles pour me retenir.

-Vous sentez-vous prêt pour la suite de la leçon ?

En quelques secondes, cette embauche, la première leçon, pouvait devenir un peu plus.
Je me pose encore la question de savoir si c’est lui qui doit me séduire ou l’inverse. Au départ, il était clair qu’il devait montrer de quoi il était capable.
Dans un autre registre, s’il me montre de quoi d’autre il est capable… Ce serait compliqué de refuser une offre si généreuse.

Il me rappelle tant le jeune homme d’un autre monde. Un lion avec de la force et du désir qu’il ne savait pas contenir.
A croire que j’ai une malédiction sur la tête. Je dois être fou pour tomber dans le panneau une seconde fois ... Un homme à moitié animal, une belle âme aux corps sculpté et qui doit avoir le goût du sucre. Du raisin et du sucre-plume. Peut-être d’autre chose, un poil plus musqué… Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir.

C’était un homme qui n’avait pas froid aux yeux. Qui connaissait parfaitement les ficelles du métier, qu’il m’apprendra certainement avec le temps. Et pourtant, il me rejoignit dans ce petit jeu de regard, allant jusqu’à écourter cette distance physique entre nous deux.

Je commençai peu à peu à comprendre comment il fonctionnait. Les méthodes et les réactions diffèrent tant entre les personnes et les espèces. Je ne l’avais jamais autant appris que depuis mon arrivée dans l’Entre-Monde.

Mais pour Or, c’était bien plus qu’à double tranchant. Jouer avec lui sans trop le brusquer, sans voguer vers le vulgaire. J’avais le sentiment que le moindre faux pas de ma part me coûterait très cher. Le funambule qui peut tomber dans le vide sans la moindre attache et sans de quoi se rattraper en bas. Situation qui mêle le stresse et l’excitation.

Et ce sucre-plume qui faisait son effet, jouant un peu plus sur mon envie d’aller plus loin avec lui. En voulant cacher mon désir, j’étais certain que je lui montrais encore plus. Et pourtant je voulais continuer ce petit jeu. Ne pas succomber aussi vite à la tentation et aux solutions de facilité. J’étais un joueur après tout …

J’approchai mon visage à côté du sien, m’enivrant l’odeur de ses cheveux et de sa peau. J’espérai secrètement qu’il en était de même pour lui. Je souris à son oreille, lui susurrant ces quelques mots.

- Je n’ai jamais été aussi prêt pour une leçon.

“Prêt”, “près”, les deux se valaient, vu la situation.