Les clés de la Bibliothèque du Destin

L'ombre faisait traîner ses guenilles sur le sol et en produisait un son frottant qui faisait un écho terrible au milieu du silence aveuglant de la canicule. Des trous perçaient sa forme sombre et des morceaux consumées ouvraient en grand sur une autre couche de vêtements nuitées. Il avait prit la drôle d'habitude de se parler à lui-même alors qu'il s'était rendu ici à pieds en venant de la grande ville, n'aillant pour toute vue et tout interlocuteur son propre absence de lumière reflété sur le sol alors qu'il en cache la vue au soleil.

-J'espère que j'aurais assez de temps.

"Tu devrais être en train de travailler ou chez toi."

-Je suis en vacance j'ai bien le droit de faire ce que je veux, non ?

"Alors que tu prononces ces mots, tu te retournes et voit derrière-toi... personne. Tu es seul, tu regardes à nouveau devant toi, ton ombre te parle. Tu sais que j'ai raison, tu sais que tu devrais mourir, tomber, dormir, travailler, être ailleurs."

-J'ai le droit d'être ici.

"Tu frissonne par cette chaleur, couvert de couche et de couche et de couche, d'un manteau, d'une veste, d'une cape... tu as froid. Tu regardes devant toi, tu lève les yeux et voit une chevelure rose abondante. Tes yeux violets s'étonnent, seul partie visible de ton visage enfoui sous un tagelmust improvisé avec du tissus noir troué et à demi-brûlé.

Il fait chaud, tu avais presque oublié cela alors que tu remarques le manteau blanc sous le bras de la personne aux cheveux colorés. Tu es presque sûr qu'il ne s'agit pas d'une teinture."

Le jeune homme arrive au niveau de la personne, c'est un homme qui le salue distraitement, il est habillé de blanc et de noir.

- Bonjour.

-Bonjour.

L'homme drapé glisse sans bruit jusqu'à pouvoir parler sans hausser la voix, il transporte avec lui une odeur de terre, de rivière morte et de moisie tout à la fois, alors qu'il s'adresse à son interlocuteur il découvre sa bouche des nombreuses couches de tissus.

Sa peau est comme une lune malade et ses lèvres qu'il découvre se devinent plus qu'elle ne se dessinent, de l'air brûlant souffle un instant et une ombre traverse le visage des deux hommes.

Le joueur était venu pour rendre visite à Azolvya et Epsilon, il avait trouvé divertissant leur dernière rencontre. De plus il ne venait pas les mains vides cette fois, il avait prit avec lui des bouteilles de son bar, cela lui permettrait de faire de la pub pour son nouveau lieu de travail.

-Je m'appelle William Smith, je viens voir l'Astronome et vous aussi ?

Il s'avança un peu plus pour dévisager de ses yeux mauves, qui regardaient quelque chose d'absent, l'homme qui attendait à la porte lui aussi. Comme Hiryu il voulait sans doute une amélioration ou un nouveau pouvoir.

C'était pour ça que la plupart des gens venaient après tout.

Azolvya était d’humeur bucolique. Dans une longue robe colorée, elle chantonnait. Elle s’était amusée à transformer une partie du jardin en bassin à poisson. D’où provenaient-ils, Epsilon se le demandait bien. Mais comment empêcher une magicienne de faire ce qui lui chante sur son terrain…
On annonça l’arrivée de clients. Les employés de l’observatoire attendaient qu’il aille ouvrir, de peur de se trouver sur le chemin d’Azolvya quand celle-ci ira à son tour les retrouver et qu’elle aura, encore, changée d’humeur.

Epsilon se présenta donc à la porte, pour accueillir deux hommes.

-Tiens ! M. Smith, vous revenez nous rendre visite avec un autre ami ?

L’androïde salua le nouveau venu et les invita à entrer. La porte du petit salon était déjà ouverte, il leur proposa d’aller s’y installer.

-Je vais tenter de ramener Azolvya…

Pas sûr qu’il y arrive, l’esprit du vide jouait encore avec ses poissons et ses bulles de savon.

- Klaus Ackerman. Et bien oui, en effet j'ai besoin de ses services. Et vous ?

-William Smith. Je suis barman, venez jeter un œil un jour.

Et le jeune homme tendit une carte de visite.



-Et je viens juste pour parler du beau temps, le soleil est dur, hein ?

William accompagna l'homme aux cheveux roses jusqu'au salon.

-En fait, les pouvoirs et la magie me passionnent, j'étais déjà venu une fois pour assister à la création d'un nouveau pouvoir par l'Astronome, c'est extrêmement intéressant. Je me demandais... est-ce que ça vous dérangerait que j'assiste à ce qui va se passer ?

Il la trouvait étrange, par habitude, le robot s’accommodait de mieux en mieux aux éclats de colère, de tristesse, de délires en tout genre de la magicienne. Lorsqu’il la trouva assise telle une reine, vêtue de rouge en plis cascadant à sa taille, Epsilon ne sut quoi faire. Il resta un moment à la regarder depuis le pas de porte.
Elle fredonnait, tandis que ses mains agiles plaçaient une à une de minuscules étoiles dans un globe de verre limpide. Elle créait un univers, tout en chantant d’une voix douce et agréable. Où est passée la véritable Azolvya ?
Epsilon s’éclaircissant la gorge, observa deux grands yeux aux couleurs d’une nébuleuse se poser sur lui.

-Des clients, dans le petit salon.

Un sourire éclatant lui répondit et Azolvya se leva pour le suivre, son univers en création dans les mains.

Elle entra dans le petit salon, elle avait cessé de fredonner et son regard de toutes les couleurs se posa sur William dont elle connaissait l’engouement pour la magie et un client inconnu.

-M.Smith, vous voilà de retour. Voudriez-vous voir un univers ?

Elle fit rouler la sphère de verre sur la table, jusqu’à William.

-Faites attention, je crois que la vie commence à apparaitre sur certaines planètes…

Ou bien il faudrait l’y faire apparaître, songeait-elle. Ou bien l’avait-elle dit tout haut ? Elle se tourna vers l’inconnu. Elle offrait à qui le voulait son sourire léger et serein. Azolvya avait créer un monde et cela suffisait à pérenniser sa bonne humeur.
Epsilon se demanda si l’Entre-Monde n’était pas l’une de ses créations… Vu l’originalité des lieux, ça ne l’étonnerait guère.

-Que venez-vous chercher à l’Observatoire ?

Le jeune homme débita tout d'un coup, son nom, ce qu'il était, ce qu'il pensait être et ce qu'il voulait être. Azolvya se laissa choir sur une méridienne pour accuser ce flot ininterrompu d'explications. Elle accueillit alors le point final d'un :

-Plait-il ?

Jetant un regard alarmé à Epsilon, l'androïde n'eut pas besoin de plus d'une seconde pour réagir car un sourire narquois s'afficha sur ses traits. Il se moquait d'elle et pas qu'un peu ! Si Azolvya n'était pas d'humeur zen, elle aurait fait exploser ses petites fossettes synthétiques en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "pouf!".

-Accès à la Tapisserie, à la bibliothèque du destin, de l'Histoire et de la Trame de ce qui aurait pu être ? Diantre...

Azolvya déglutit. N'est pas donné à tout le monde d'accéder à cet endroit, elle-même pouvait très certainement y faire un tour, mais puisque dans l'Entre-Monde on l'affublait d'un robot imb*cile-de-probation, à quoi devait-elle s'attendre dans l'antre le plus jalousement gardé de tout l'Univers lui-même ? Enfin, presque aussi jalousement gardé que quelques secrets mieux dissimulés, que ce Klaus n'avait pas besoin de connaître, Epsilon encore moins.

-Bien, laissons les enfants jouer avec les univers naissant et allons voir ce qu'on peut faire pour retrouver votre aiguille.

Elle se leva et se corrigea.

-Votre clef. C'est presque pareillement insignifiant, je les confonds tout le temps.

L'androïde allait les suivre quand Azolvya lui ordonna de rester là. S'il venait, elle ne pourrait pas faire son travail. Ce qu'elle allait dévoiler dans le secret de son observatoire était aussi confidentiel que la source de son pouvoir à elle.
Il était prêt à protester et se ravisa, il n'avait jamais vu l'Esprit aussi sérieuse...

Quelques instants plus tard, accrochée à son téléscope constitué de magie, aux loupes capables de déceler les étoiles au delà des mondes, Azolvya fouillait l'Univers. Pour la première fois depuis très longtemps, elle trouvait difficile de visualiser l'étoile d'une personne.

-C'est fou ! A croire que cette étoile joue à cache-cache...

Puis un "Ah ! Trouvée !" retentit dans l'atelier et Azolvya de ses longues mains agiles ajusta la lunette au millimètre près.
Son oeil vissé à la lentille, au dessus d'elle apparaissait un étoile d'un blanc éclatant. Aveuglante, la lumière ondulait en vague de poussières scintillante. Cette étoile avait une bien étrange forme ovoïde...
La naine blanche était au centre d'un système solaire en création, auréolant ses vents d'anneaux plus sombres.

Elle se détacha de son téléscope et observa l'étoile miniature décorant le plafond de la coupole. C'était un lustre particulièrement original et éphémère se dit-elle, dommage, elle trouvait ça plutôt amusant d'avoir une étoile dans l'observatoire plutôt qu'au dessus.

-Hum... Quelqu'un a mis le bazar là-dedans.

Azolvya tendit un bras et caressa le vent stellaire. C'eut pour effet de perturber la vague, celle-ci s'écrasant sur sa main en écume luisante. La poussière en s'éparpillant révéla un objet jusque-là invisible. Un trou noir aux vagues dévorantes prêtes à absorber l'étoile.

-Ce truc ne devrait pas être là, dit-elle enfin.

Ses mains jointes, une nouvelle sphère apparue et d'un seul mouvement, elle enferma dans le bocal le trou noir perturbateur. Aussitôt, les gaz de l'étoile cessèrent de s'éparpiller, seuls les vents stellaires de sa rotation naturelle enveloppait alors les anneaux l'entourant. La naine blanche retrouva sa forme ronde.
Aussitôt, les météores furent prit de frénésie. Libérés de l’injonction du trou noir, certains anneaux se condensèrent et les premières collisions d'un monde naissant apparurent. Azolvya en aurait pleuré de joie tant elle aimait voir ce spectacle.
Mais l'étoile disparue et l'Esprit du vide glissa sous son bras son nouveau trophée. Son regard couru sur l'observatoire retrouvant la lumière du soleil de l'Entre-Monde, puis, ses yeux-nébuleuses se posèrent sur Klaus.

-Des trous noirs, j'en ai des tas dans ma collection, mais celui-là est plutôt mignon alors pour la peine je vous fais un prix.

Elle allait annoncer le coût de ce changement quand elle leva les yeux vers le plafond.

-Le trou noir a causé quelques dégâts, dans l'Entre-Monde votre étoile n'aura pas la possibilité de se rétablir alors tout ce que j'ai pu faire c'est de vous redonner accès à la bibliothèque, en quelque sorte. Cependant, le pouvoir, ici tout spécialement, a un prix. Autre que celui que je vous demande. Ce ne seront pas des pims que vous devrez payer. Actuellement, vous n'aurez accès qu'à l'Histoire de ce qui existe, mais attention aux livres que vous ouvrirez. Certains d'entre-eux pourraient préférer voler votre passé plutôt que de délivrer le leur... Et puis, l'intimité d'un Être n'est jamais plus fragile que lorsque vous jetez un oeil dans sa mémoire.

Elle lui sourit simplement.

-Vos incursions dans la bibliothèque pourraient avoir des conséquences sur ceux dont vous dévoilerez les secrets. Restez prudents et faites preuves de respect

Elle fit quelques pas, pensives. Une fois encore, elle cessa tout mouvements et se tourna vers son client. Toute trace de son discours précédent envolé, son sérieux avec. L'Esprit du vide avait retrouvé sa sérénité.

-Ça fera 50 pims. Personnellement, je préférais le pouvoir précédent. C'est dommage que les mortels soient si peu enclin à apprécier une bonne explosion...

Et elle reprit sa route vers la porte, énonçant des noms au hasard "que penses-tu de Atari ? Ah, non, c'est déjà pris et ça fait trop 'étoile' comme nom. ça n'irait pas à un petit trou noir. Le 'hic' c'est que je n'ai pas envie d'avoir un B23xser-z dans ma collection... Aller, aide-moi à te trouver un nom..."
Sa voix perdant en volume à mesure qu'elle descendait les marches de l'escalier.

Ma demande sembla choqué Azolvya et elle du s’asseoir pour réfléchir. Je pouvais comprendre : un type, sortant de nul part, avec ses cheveux roses et son sourire commerçant, demandant l’accès au savoir ultime ? Ça devait dérouter même les plus grands dieux. Et c’est certainement pour cela que j’ai été puni et que l’on m’avait retiré ma clé. Mais l’Astronome ne sembla pas vouloir me l’interdire aussi et nous quittions le salon pour aller dans la salle la plus importante.

Le télescope qu’elle utilisait était gigantesque, c’était vraiment impressionnant. Elle s’y installa avec aisance et chercha longuement quelque chose. Il me fallut du temps à comprendre qu’elle cherchait mon « étoile ». Cette étoile finit d’ailleurs par apparaître et un drôle de frisson me secoua le cœur. Elle était si blanche… Était-ce vraiment moi ? J’avais du mal à y croire. Un tel éclat irait parfaitement bien à Siegfried, lui qui avait un cœur bien plus pur que moi. Mais pas à moi… J’étais conscient de mes crimes, même si je ne les regrettais pas, et cette blancheur me rendait presque mal à l’aise.

Azolvya effleura l’éther autour de l’étoile et dévoila un trou noir. Là je me reconnaissais déjà un peu plus mais un autre frisson me prit quand elle enferma le trou noir dans un bocal. L’étoile n’en fut alors que plus scintillante encore et un monde se créa autour d’elle. J’étais fasciné par ce spectacle, les yeux rivés vers cet univers qui se créait. Devais-je y voir un signe ? Peut-être pourrais-je enfin créer ce monde que j’ai tant rêvé, un monde rien que pour lui ? J’en frémis d’excitation mais le spectacle disparu et je sortis de ma torpeur en secouant la tête. Le retour à la réalité était brutal mais je réussi à cacher mon trouble et me tournais vers Azolvya.

-Le trou noir a causé quelques dégâts, dans l'Entre-Monde votre étoile n'aura pas la possibilité de se rétablir alors tout ce que j'ai pu faire c'est de vous redonner accès à la bibliothèque, en quelque sorte. Cependant, le pouvoir, ici tout spécialement, a un prix. Autre que celui que je vous demande. Ce ne seront pas des pims que vous devrez payer. Actuellement, vous n'aurez accès qu'à l'Histoire de ce qui existe, mais attention aux livres que vous ouvrirez. Certains d'entre-eux pourraient préférer voler votre passé plutôt que de délivrer le leur... Et puis, l'intimité d'un Être n'est jamais plus fragile que lorsque vous jetez un œil dans sa mémoire. Vos incursions dans la bibliothèque pourraient avoir des conséquences sur ceux dont vous dévoilerez les secrets. Restez prudents et faites preuves de respect

Ainsi je n’aurai plus accès à l’avenir des gens ? C’est dommage, c’était un savoir très utile mais je m’y ferais. Et fouiller les souvenirs des autres semblaient maintenant risquer de détruire les miens… Qu’importe. Je n’y étais pas spécialement attaché. Même les souvenirs de Siegfried, j’en étais certain, me reviendrais si je les perdais : il suffirait d’en créer de nouveaux. Non vraiment, ces restrictions étaient dommages, mais pas trop handicapantes pour mes projets. Je me contentais donc de sourire, bienveillant.

- Merci pour vos recommandations, je serais prudent.

Je la suivais ensuite dans les escaliers, l’écoutant chercher un nom pour le trou noir qu’elle avait capturé. Une fois en bas, je lui tendais ma carte Pims en souriant. 50 pims, je m’en sortais très bien !

- Que diriez-vous de Rudi ?

Je la laissais m’encaisser puis repris ma carte et la saluais polimment ainsi que son assistant.

- Merci pour votre aide, et à bientôt peut-être ?

Je saluais aussi M. Smith et quittais l’observatoire. Je marchais ainsi vers la forêt et, ne pouvant m’en empêcher, décidais de m’arrêter, caché parmi les arbres. Je m’assis au pied d’un chêne et fermais les yeux, j’avais trop hâte de vérifier que j’avais bien accès à la Bibliothèque pour attendre plus longtemps !


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Rien n’avait changé en 18 ans. La Bibliothèque du Destin était toujours la même, lumineuse, immense, écrasante par son gigantisme à en perdre le souffle. Klaus observait les lieux avec un mélange d’excitation et de bonheur de retrouver cet endroit qui était le sien. Il était à nouveau le Lecteur, celui qui savait, qui pouvait tout connaître. Il prit un livre, presque au hasard, puis que le nom de Siegfried E. Abelford y était inscrit. Il parcourut les pages, aussi excité qu’un adolescent à la sortie de son roman préféré. Tout y était inscrit...mais son avenir ne lui apparaissait plus. Dommage…

- Tu en as mis du temps pour revenir.

Klaus sourit. Elle était là, bien là… Il reposa sagement le livre et se retourna pour affronter du regard la petite fille. Elle semblait à peine âgée de dix ans, portait une jolie robe violette. Ses cheveux et ses yeux étaient roses, comme ceux du Lecteur. Elle aussi appartenait à cet endroit.

- Ça faisait longtemps… Monica. J’avais perdu mes clés.
- Et bien, tu es toujours aussi négligent…
- Pardonne moi. Je vais pouvoir reprendre mon rôle.
- Et tes crimes ?
- J’ai un monde à construire.
- Un monde de malheur.

Son sourire s’élargit et il s’approcha, posant un genou à terre pour caresser son visage.

- Tu m’avais manqué…
- Tu m’a manqué aussi… Je te retrouverais et te tuerais enfin.
- J’ai hâte de te voir à l’œuvre.

Klaus embrassa la joue de la petite fille puis se leva et se dirigea vers la sortie, il devait retourner dans l’Entre-Monde. Lecteur et Écrivain étaient réunis, le jeu pouvait commencer...