Dagues et Arbalètes

Ma nouvelle amitié avec un griffon plus grand moi commençait à peine. Nous en étions à apprendre à nous connaitre, par exemple, quand je lui indiquais de descendre, j’espérais qu’il descendrait un peu moins vite vers le sol.
Dans Ordae, des passants et mêmes des miséreux se moquaient de moi. J’étais accrochée à mon animal comme un singe à sa branche en pleine tempête. Le griffon, debout et fier, attendit quelques minutes. Est-ce qu’il voyait ça comme le côté doudingue de sa nouvelle propriétaire ou bien comme un câlin, je n’arrivais pas à en juger. Une fois descendue de son dos, il me poussa doucement du bec à l’épaule. Peut-être même qu’ill essayait de me rassurer de sa bonne volonté.

-Fais un effort aussi… On n’a pas besoin d’être rapide en ville. Sauf si on se fait courser par des sanctuaris, là, tu auras le droit de me foutre la trouille. Mais en dehors de ces cas-là, soit sympa avec moi. Je suis une débutante.

Il me regarda de côté, je devais vraiment lui paraître complètement atteinte. Être, aux yeux d’une créature non pensante, la dernière des folles sortie de l’asile, ne me mettais pas dans les meilleures conditions. Ma seule consolation c’était ma visite précédente à Sash. Elle avait été plus sympathique que tous les griffons de la terre. Même si j’étais très loin de mériter autant d’encouragement de la part de la chasseuse.

J’entrais dans l’ambiance religieuse de la forge.

-Bonjour ! Excusez-moi, puis-je entrer ?

Ordae n’est pas le quartier dont les coutumes me parlent le plus, faut l’avouer.

J'avais observais la scène qui s'était profilait au dehors par l'une des fenêtres de la forge. J'accueillis la nouvelle arrivante avec le sourire.

- Je vous en prie entrez. Il est rare de voir des montures tel votre griffon,
qui est magnifique soit dit en passant.

De la tête je lui indiquait la fenêtre par laquelle j'avais tout observé.

- Dites moi tout, que puis-je faire pour vous ?

Je ne savais pas trop quoi lui dire, c’est vrai que mon griffe était beau, il avait l’allure noble d’un aigle et d’un lion. Pourtant, mon estomac n’était pas de cet avis, peut-être parce que je tremblais encore de la descente rapide.

-Je viens vous acheter du matériel. C’est logique, vous êtes le forgeron, vous ne voyez que des gens qui viennent acheter…

Je me tais. Mauvais départ et trop de mots dans la même phrase. Je tremblais encore un peu. Comme ça, accrochée à mon sac sans fond comme au mât d’un navire j’avais l’air fine. En fait, une fois dedans et l’œil attiré par les armes exposées, je finis par arrêter de trembler. J’étais mal à l’aise car jamais je n’avais jamais acheté d’objet spécifiquement fais pour tuer.
Je ne savais pas comment m’y prendre. Mais j’avais les conseils de Sash. D’une valeur inestimable quand on a vu ce dont elle est capable.

-Vous avez quoi comme arbalètes ?

Je vis l’œil de la jeune femme attiré vers le râtelier des armes à distances, lorsqu'elle me demanda mon stock en arbalète je la menais avec moi prêt des armes, un sourire aux lèvres lorsque je lui détaillais mes différentes armes :
- Voici une arbalète toute simple, en bois de chêne, autrement dit dur à casser. Recharge après chaque tir manuellement.

Je lui tendis l'arme pour qu'elle puisse la prendre et l'appréhender.
- Voici la même arme mais en acier, quasiment incassable, seul le fil est à prendre avec précaution, comme celle que vous tenez. Plus lourde, un peu plus chère aussi, à vous de voir l'usage que vous en aurez et l'aisance avec chacune d'elle.

Je reprenais l'arbalète en bois pour lui donner celle en acier. Repartant sur le coin du râtelier j'attrapais la même arme de taille réduite.
- Les deux armes existent de taille réduite, permettant de la manier à un bras. Il faudra compter 10 Pims de plus pour cette amélioration. Je peux aussi vous rajouter un mécanisme à coup successif, c'est-à-dire que vous pourrez recharger ici, je fis la démonstration en mettant cinq carreaux dans la fente, tout en parlant. vous pourrez donc tirer cinq carreaux successivement avant de le recharger à nouveau.

Je m'écartais pour laisser le temps de réflexion à ma nouvelle cliente.

-Je peux ?

Tenant l'arbalète à coup successifs sur un bras, je notais rapidement que pour recharger les cinq carreaux il fallait être habitué à l'arme. Un truc que j'allais encore devoir bosser pour être parée pour la chasse au gros.
Pourtant, c'est celle-là que je choisi. Plus petite, on charge une fois avant de se lancer à l'assaut de créatures méchantes et baveuses. J'avais l'air de ne pas être la femme la plus musclée du monde mais les sumériens ont une musculature et une ossature héritée de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs. J'étais certaine de réussir à manier cette arme avec un peu d'entrainement.

-Je prend celle-là, en acier, plus petite et avec les coups successifs.

En plus, si je ne prenais pas toutes les options dès maintenant, je finirais forcément par revenir pour échanger contre quelque chose de mieux dans une ou deux missions. Une ou deux semaines...

-Au moins, j'ai tout ce qu'il me faut pour aller en mission. Mais... je me demande si j'aurais assez pour un couteau. Sarressinashira m'a conseillé une dague ou des armes légères. Je vais lui faire confiance.

La jeune femme ne mit pas longtemps à faire son choix.
- Une arbalète en acier de taille réduite avec coup successif très bien. Cela fait 75 Pims donc. Voici 100 carreaux offerts pour votre achat.

A quoi bon prendre une arbalète sans recharge ? Je pouvais largement faire ce geste commercial pour ma cliente. Celle-ci se demandait si elle avait assez pour un couteau ou une autre arme tranchante légère. Elle mentionna le nom de Sarressinashira, la femme serpent faisait donc de la publicité pour mon établissement, j'en étais flatté.

- Etant donné votre achat je peux vous faire deux dagues pour 15 Pims ou une pour 10 Pims, cela vous convient ? De combien disposez-vous que nous trouvions un arrangement ?

Mes clients venaient de tout l'Entre-Monde, si je pouvais leur éviter un allé-retour je le faisais. Et puis les affaires fonctionnaient bien, je pouvais me permettre quelques gestes commerciaux, cela ramènerait bien d'autres clients grâce au bouche à oreille.

Il m'était sympathique ce forgeron. 15 pims deux dagues, c'était trop tentant pour dire non. De combien disposais-je sur mon compte après tout ce dur labeur terminé... Je crois qu'il me restait une centaine de pims. Pas assez pour vivre la belle vie comme certains chasseurs mais assez pour des dagues.

- Un lot de dagues, je pense que je peux me le permettre.

Il m'avait donné le sourire et je le suivais avec un entrain nouveau jusqu'à son comptoir, pour les paquets et le paiement.

- Vous avez l'air d'en voir défiler des chasseurs sans le sous... Mais attendez, je crois que je vous ai déjà vu à la bibliothèque. Vous êtes du genre à prendre des congés dans des zones dangereuses ?

C'était une question et un moyen de nous amuser tous les deux. Je n'achetais pas une arbalète pour faire du tricot et il ne vendait pas des cure-dents...

- Mais si vous êtes du genre aventurier, je pourrais vous remercier pour ce geste. Si l'occasion se présente, nous pourrions mener une mission.

Je tus le flot de paroles inutiles pour lui donner une chance d'en placer une. L'effet perte d'altitude avec ce griffon bourré d'humour et de boules de poils avait des effets indésirables sur mon cerveau.

- La bibliothèque ? Oh oui j'y traîne régulièrement ... Avant c'était pour les missions et les Pims qu'elles rapportaient, maintenant, j'y allais pour voir Eva, l'aider avec Kip et de temps à autre m'éclater dans une mission plus périlleuse que la précédente.

Ma cliente me proposa alors une mission à deux si l'occasion se présentait.
- Avec plaisir ! Je crois que le flot de missions ne cessera jamais de croître, il faut bien quelques irréductibles pour les plus dangereuses. Quoi que le nombre d'aventuriers augmente de jour en jour ... finis-je songeur.

J'indiquais à ma cliente de me suivre jusqu'au présentoir des dagues :
- Je me nomme Ayren et vous prénommez vous ? Époussetant les armes je continuais. Les gardes des dagues ont différentes factures, il y en a des simples si vous préférez. Je vous laisse choisir, à moins que vous vouliez quelque chose de particulier, dans ce cas il faudra repasser plus tard pour que je puisse vous le réaliser.

Repensant à Hiryu et à sa lutte pour le droit des armes ... On croirait vivre dans un monde parallèle parfois ... Je trouvais bon de rajouter :
- Je sais que certains clients aiment nommer leurs armes, je peux vous offrir la gravure de votre choix sur la deuxième lame. Une gravure achetée, une gravure offerte. Journée exceptionnelle de promotion ! Dis-je en riant.

En voilà une drôle d’idée… J’étais amusée par cette étrange promotion. Nommer une arme c’était lui donner beaucoup de pouvoir sur l’esprit de son porteur et de ses victimes. Je déclinais d’un sourire cette proposition. A Uruk on ne nommait pas les lances ou les javelots, par respect pour les dieux qui seuls donnaient la vie. Si on écoutait les racontards des prêtres et des prêtresses -et les sumériens sont très pieux- tout ça ne se faisait pas sans risquer leur colère.
En fait même si on vivait sans leur chatouiller le nez, la moutarde pouvait tomber n’importe quand. Monstres, guerres, pluies torrentielles en pleine saison sèche…

-Azura. Je crois que j’ai tout ce qu’il me faut.

Je le laissais m’annoncer un prix, lui rappelant que je devais payer mes achats en sortant mon badge de la banque.
J’étais partie pour quitter la forge en lui disant au revoir à ce charmant forgeron et puis j’ai pensé à autre chose.

-Ayren, vous avez beaucoup de clients aujourd’hui ? C’est que je vais partir pour la bibliothèque et comme on parlait de faire une mission…

La jeune femme se présenta à son tour, j'inclinais la tête à son prénom. Lorsqu'elle sortie sa carte de paiement j'annonçais le prix détaillé :
- Donc ça fera l'arbalète améliorée pour 75 Pims, les 100 carreaux offert et une paire de dague pour 15 Pims, un total de 90 Pims.

Je pris le badge et le passais dans la machine avant de le rendre à sa propriétaire.

Azura me proposa indirectement de l'accompagner à la bibliothèque si mon activité le permettait.
- Et bien ma fois, cela peut s'arranger. Je vous laisse prendre les devants, je range et prépare mes affaires pour une mission, et je vous rejoins à la bibliothèque grâce au perçant, ça ne devrait pas être trop long.

Je commençais déjà à m'activer, et juste avant que ma cliente parte je lui lançais :
- Ah et si cela vous convient, je pense que nous pouvons nous tutoyer ! Je souris de plus belle, après tout nous allions devenir compagnons d'aventure, autant laisser le cérémonieux ici.