Table n°1

Le fenrir, créature endormie voguant au gré des vents. Témari trouvait l'idée d'un speed dating sur le navire aussi romantique qu'elle était amusante.
Vêtue tel un pirate, elle portait un masque noir sur le nez et un sabre à la ceinture. C'est un comble que Mata Hari ait été la seule à jouer aux pirate... On n'a pas idée de refiler des choses aussi sérieuses à quelqu'un de si ennuyant.
Juchée sur un tonneau l'arcturienne tapa des talons sur la caisse résonnante.

-Mesdames et messieurs, bienvenue au nouveau speed dating de l'Entre-Monde ! Pour commencer je vous rappelle la règle principale qui est : le premier qui repart seul ce soir servira de munition pour mes canons !

L'annonce fut à peine terminée qu'un murmure de désapprobation parcouru l'assistance.

-Deuxième règle...

Coupée dans son élan Temari chutait brusquement sur le sol. Le tonneau venait de disparaitre sous ses pieds, avalé par un coffre à pattes affamé.

Sitôt la petite furie calmée le présentateur monotone du précédent événement se faisait remarquer sur la petite scène aménagée.

-Nous vous priions de conserver vos masques durant la soirée. Et avant de vous souhaiter d'agréables rencontres je vous invite à regarder sur les tables si votre nom y apparait installez vous, les autres iront de table en table lorsque le tambour sonnera les moments de rotation. Je vous souhaite à tous de trouver votre âme sœur ce soir.

Le tout dit au raz de la même note sans que les intonations ne trahissent la moindre humeur.
De l'autre côté Témari pestait contre les entre-mondiens vraiment rabats joie sur les bords.

-Et moi on ne me demande même pas si j'ai envie de trouver mon âme sœur... Ces mortels... Tous les mêmes !

Manaë restait dans l’entrée depuis déjà quelques minutes. Elle respirait profondément, et fermait les yeux pour se calmer. Elle n’avait jamais été très à l’aise avec les évènements du genre, mais lors de sa dernière visite, le médecin de campagne qui avait gardé Solana durant les dernières vacances lui avait fait part d’une remarque qui avait déchiré le cœur de la jeune mère.

Solana voulait un papa.

Elle n’avait jamais connu son père, qui avait fui à l’annonce de la grossesse de Manaë. Et son entourage, comme tous les enfants de son âge comparaient leurs parents, en prétextant que le leur était meilleur. La petite fille ne pouvait que baisser la tête ou ne rien dire quand arrivait la question fatidique du « Et toi, il fait quoi ? ». Elle n’en avait pas parlé à sa mère, de peur de la blesser. Elles avaient déjà eu une discussion sur ce sujet, et Manaë avait fini par verser des larmes en prenant sa fille contre son cœur.
Seulement voilà. L’amour maternel, aussi grand était-il, ne suffisait plus à subvenir aux besoins affectifs de l’enfant.

La jeune médecin savait qu’une soirée ne donnerait pas un père de substitution à sa fille. Même 8 ans plus tard, le souvenir de Shukan passait parfois dans l’esprit de la jeune mère.
Mais peut-être qu’une rencontre ce soir pouvait changer cela, guérir des plaies, voir évoluer en quelque chose de plus, au fil du temps. Manaë elle aussi commençait à avoir besoin d’amour.
La perspective de vivre plus longtemps et en bonne santé résonnait aussi dans l’esprit de la Li. Il fallait qu’elle rencontre quelqu’un. Le médaillon Heegie allait peut-être l’aider dans son sevrage.



Manaë avait donc tout fait pour paraitre la plus attirante qu’il lui était possible de faire. Elle avait acheté pour l’occasion une longue robe de velours bleu-nuit laissant ses épaules nues, elle avait brodé de fines courbes de fil argenté en des arabesques délicates sur le devant, affinant sa taille et affirmant ses formes.
Maquillée légèrement afin de faire disparaitre les petites imperfections de sa peau, un délicat mascara ouvrait son regard vert, et un rouge à lèvres bordeaux surlignait sa bouche serrée par le stress.

Ses cheveux blond-argent descendaient en cascade sur son dos à moitié dénudé, et une tresse faite par sa fille pendait à sa droite, glissée derrière son oreille. Solana avait tenu à faire quelque chose pour sa mère.

Son masque, qu’elle avait eu bien du mal à choisir, était un joli travail de dentelle noire, approfondissant son regard et laissant apparaitre sa peau pâle au travers du maillage. Le masque l’avait profondément touchée de par son aspect arachnéen qui lui rappelait, dans un surplus d’élégance, sa nature cachée.

Masque de Manaë:

Elle se dirigea vers l’entrée, et reçu un carton lui indiquant qu’elle serait installée Table 1 pour le restant de la soirée. Au moins, pourrait-elle éviter de tomber à cause de ces fichus talons. Personne ne semblait lui être familière, la reconnaissance faciale n’était pas aisée avec les masques sur les visages de tous et toutes.

Elle prit place à sa table, se revérifia dans son miroir de poche, et inspira un dernier coup.

Elle était sur les nerfs, mais prête.
Son partenaire l’était-il ?

La sensation du bois flottant sous ses pieds perturba énormément Karan à son arrivée. Tout d’abord, il ne sut pas vraiment quel masque choisir, sa vue en noir et blanc ne lui donnait quasiment aucun indice sur ceux qu’on lui proposa à l’entrée. Il demanda un masque blanc, simple, se disant qu’il serait au moins coordonné à sa chemise et à ses yeux.

On ne lui avait pas vraiment refusé son chien d’aveugle, mais le soldat se doutait que venir accompagné d’un loup cybernétique ne serait pas du meilleur effet pour faire des rencontres. Son handicap à lui seul suffisait à restreindre ses possibilités.

Karan laissait courir sa canne sur le sol, évitant soigneusement de buter contre les pieds des autres participants. Il chercha un moment sa table et préféra demander son chemin à un passant altruiste plutôt que de regarder à nouveau l’éclat du réel.

-Merci, soufflait-il à la personne qui s’en allait déjà vers sa propre table.

Il s’installa en souriant et cala sa canne contre la table.

-Excusez mon retard, madame, j’ai eu un peu de mal à trouver votre table. Permettez, il remplit leurs deux verres d'eau, je me nomme Karan et vous ?

A l 'arrivée des deux hommes, Manaë s'est s'est quelque peu interrogée. L'un était-il souffrant. Puis elle vit les yeux laiteux, leva des sourcils étonnés, et un peu déçus.
Après tout, elle avait redoublé d'effort pour se mettre en valeur, et le premier homme qu'elle croisait ne pouvait même pas la voir. Son air neutre s'assombrit pendant une petite seconde avant de se répeter mentalement que l'absence du sens de la vue permettrait peut-être à ce Karan de mieux cerner les gens. Aussi prit-elle légèrement peur, la plupart des gens s'arrêtant à son air fermé pour ne pas trop chercher à la connaître.
De nombreux traits de son caractère n'étaient pas particulièrement attryants.

Elle leva un bras avec une inspiration de surprise quand elle vit son partenaire se saisir de la bouteille et servir deux verres, avec autant d'aisance qu'elle l'aurait fait. Cet étrange fait la mura dans un silence contemplatif, avant de se rendre compte que Karan attendait une réponse.

>Bonsoir, Karan. Je m'appelle Manaë. Désolée d' avoir pu paraître irrespectueuse un moment, votre habileté m'a impressionée.

Elle le remercia oralement pour le verre, et le posa près devant elle, avant deposer ses bras sur ses jambes. Ses joues la chauffait. Sa remarque l'avait gênée, et elle n'avait pas voulu froisser l'homme. Elle savait que les aveugles n'étaient pas pas les pauvres hères maladroits que l'on décrivait souvent. Pourtant, les idées reçues avaient la vie dure...

> Je crois malheureusement ne pas être très douée pour ce genre de rencontres... Dois-je vous demander votre miroir, votre âge, ou votre métier ?

La jeune femme avait du mal à trouver un point d'accroche pour en apprendre plus avec juste un nom. Peut-être des intérêts communs allaient-ils faciliter les choses. Elle se maudit toute de même en baissant légèrement la tête. C'était Shukan qui avait pris les devants, 8 ans auparavant et elle ne connaissait absolument pas le déroulement des parades amoureuses chez les humains.

Karan alla à sourire avec une pointe d'humour.

-Je suis même assez habile pour être Milicien de K'ien, commissaire de K'ouen et prêtre de N'akeisärin.

Il avait répondu à deux des questions. Trois si on juge une question sous-jacente quant à ses compétences peu communes chez aveugle.
Il lui restât à donner son âge. Chez K'ien il n'est pas rare de croiser de véritables momies. Ce n'était pas encore son cas, il avait assez de mal à déterminer son âge exact.

-Si je compte en années j'ai 102 ans. Puis-je vous retourner la question ?

Karan porta le verre à ses lèvres.

-Quel est votre métier ?

Il bu tout simplement.

Spoiler:

Trois occupations, toutes peu communes pour quelqu'un ayant son handicap. C'était donc un membre du Miroir desDieux et Esprits. Qu'était-il alors ? Un Dieu oublié d'une loinaine contrée, un fantôme gentilhomme curieux du monde ?
Manaë hésita un peu à lui demander directement. Lui aussi pouvait être curieux de sa nature, et malgré le mensonge qu'elle donait à tous – y compris sa propre fille, elle craignait qu'un jour quelqu'un de clairvoyant pouvait déceler le vrai du faux. Et elle savait que la plupart des réfugiées de la fermeture des miroirs possédaient certaines capacités ou pouvoirs étranges.

Elle bu à son tour pour chasser ces pensées, et répondre à Karan sans se tromper sur son son âge fictif .

> J'ai 30 ans.

La plupart des femmes de l'Entre-Monde semblent frileuses quand vient la question de l'âge. Nombreuses patientes déclaraient n'avoir qu'une trentaine d'années lorsqu'elles approchaient de la quarantaine. La jeune Li n'avait jamais compris cet étrange phénomène, mais il semblait hors de propos pour une dame de donner son véritable âge. Aussi décida-t-elle de faire comme les autres. Elle n'était plus à un mensonge près.

> Quand à ma profession, je suis urgentiste au Sanctuaire des Braves.

Puis avec un sourire se dessinant lègérement sur son visage jusque là neutre :

> Vous devez être plus prudent que le K'ouen. Je ne vous y ai jamais vu.

Et venait l'heure des questions plus approfondies. Manaë bu doucement le verre offert par son invité, et pencha légèrement la tête sur le côté, dans une posture curieuse, un trait qu'elle démontrait de plus en plus souvent, à son propre désarois, parfois.

> Dites-moi, Karan. Que vient faire un aveugle dans un événement de ce genre ? Non point que je veuille paraître superficielle, mais si vous ne pouvez vous fier au physiques en ces quelques minutes de discussion, pensez-vous trouver chaussure à votre pied dans un si court lap de temps?

En guise de serveur à la table n°6 c'est une violoniste fichée d'une moustache entortillée et d'un costume trois pièces qui servit les verres. Dès que Témari se fut déchargée, violon à l'épaule elle commença à jouer une sérénade en La approximatifs et en Do-Sauve-qui-peut.

Une clochette tinta. Interrompue alors qu'elle espérait enchaîner un brusque solo en grincement-mineur, l'arcturienne leva les yeux vers le barman qui, clochette à la main, la regardait de derrière son bar.

-C'est l'heure de changer de table, dit-il.

La diversion fonctionna à merveille, un serveur, spécialement embauché pour ça, arriva sac à la main et le ficha sur la face presque italienne de Témari. Il la hissa sur son épaule dès qu'elle fut aveuglée.

-Ah ! A moi ! On m'attaque !

Elle se débattait comme un diable mais dû se rendre à l'évidence, elle ne pourrait pas empêcher le second tour de se profiler...

Le présentateur monotone apparu sur la petite estrade et commença à lire sur une note unique (mais très bien jouée...) la liste des nouvelles tables.

J'autorise les couples actuels à poster une dernière fois, sauf si le nouvel arrivant a déjà posté une fois.

Manaë, au second tour du rencontres Nij'aku

Témari observa durant plusieurs minutes le barman. Il était l'instigateur de sa précédente défaite et le détenteur d'une clochette maléfique... celle-ci avait le pouvoir d'obliger toutes les tables à changer ! Mais comment ses invités pouvait trouver quelqu'un à l'heure goût si on ne leur laisse pas assez de temps faire connaissance ?
Témari était assez futée pour avoir remarqué que près de la moitié des convives perdait beaucoup de temps à trouver leur table...

Le barman essayait depuis quelques minutes de ne pas faire attention à la jeune femme habillée en pirate. exercice difficile... même lorsqu'il servit un verre à un client il senti le regard perçant de l'arcturienne sur sa nuque.
Il regarda sa montre et s'aperçut que le nouveau tour devait être annoncé... Il fouilla sa poche et dénicha la fameuse clochette.

Avant qu'il n'ait eu le temps d'en jouer Témari se jeta sur lui et arracha de sa main l'instrument.

La dragonne victorieuse voltigait de mat en mat avec son précieux butin dans la main, le barman bousculait quelques danseurs dans ses tentatives de suivre la demoiselle.

Sur scène, comme si tout ceci était parfaitement normal le présentateur annonça :

-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous prie de changer de table.

Manaë, ce tour-ci tu rencontres Uriel

Manaë soupira une fois encore avant de lentement laisser reposer sa tête contre ses bras repliés sur la table.

Son précédent partenaire n’avait même pas pris la peine de venir, et Manaë se sentait immensément seule. Karan, bien qu’agréable et poli n’avait pas donné l’impression de vouloir revenir. Elle avait passé les 10 dernières minutes à tourner la tête dans toutes les directions, et avait finir par demander un verre de vin blanc léger au barman. Elle resta là à se morfondre pendant un petit bout de temps avant de décider de se lever et d’aller chercher un amuse-bouche au buffet.

De retour à sa table, elle remarqua que la chaise n’avait pas bougé. Son partenaire n’était toujours pas arrivée, aussi décida-t-elle de passer les minutes restantes à replacer ses cheveux soyeux en se peignant lentement à l’aide de ses ongles fins.

Elle plaça le dos de ses doigts contre sa bouche et laissa son regard flotter dans le vide, se rêvant de rencontrer enfin quelqu’un qui serait un tant soit peu intéressé par elle.

> Ma pauvre Solana, je crois bien que maman va avoir du mal à te ramener un semblant de père…

Pourtant, les hommes charmants ne manquaient pas. Mais Manaë était clouée à sa table, et elle avait raté un tour. Si toutefois elle ne trouvait personne avant la fin du 4eme tour, elle comptait bien forcer le destin en allant voir certains hommes qui étaient eux aussi affiliés à un emplacement

"Bonsoir, bonsoir !"

Uriel approcha sa nouvelle table d'une démarche empressée, un sourire charmeur aux lèvres. En son for intérieur, il enrageait. Quelle déveine ! Il fallait que ce soit à cette table-ci entre toutes qu'il arrive en retard ! Pourquoi pas plutôt à la précédente, où il n'avait fait qu'échanger quelques piques divertissantes avec un rival ?

Il s'inclina avant de prendre sa chaise, ses cheveux glissant devant ses épaules pour venir encadrer son masque doré.

"Veuillez accepter toutes mes excuses pour mon horrible retard. Uriel," se présenta-t-il en lui tendant une main ferme.

Devait-il tenter un baise-main ? Serait-ce trop en faire ? Oh, et puis, depuis quand est-ce que ce genre de choses l'arrêtait ? Il avait bien besoin de se rattraper aux yeux de cette délicieuse créature, quitte à en faire des tonnes. Va pour le baise-main.

"Qu'est-ce qu'une charmante jeune femme comme vous fait parmi tous ces indécrottables célibataires ? Il doit y avoir erreur."