Responsabilités

La juge affectée à l'affaire Morok venait d'arriver. Cette juge n'en était pas vraiment une. Cette femme qui pourtant avait les diplômes requis, était habituellement liées aux affaires du miroir. Un genre de super intendante de la Res Publica dépêchée en urgence sur place pour s'occuper du crocodile le plus populaire du moment.

La mangouste leva sur moi un museau pointu et rehaussé d'une paire de lunettes rondes.

-Vous pensez que je vais l'ouvrir moi-même, cette porte ?

Mon regard se porta sur le tas de documents en version miniature qu'elle portait dans ses pattes antérieures.

-J'imagine que oui puisque je ne vois pas de portier dans le coin. Et comme mon travail c'est d'arrêter les criminels et non d'ouvrir les portes à des inconnus...

Elle montra une petite rangée de dents pointues avant de renifler. Je lui ouvris la porte avec un sourire goguenard.
Mon humeur s'effaça en entrant. Morok avait l'air... Morokien. Quant à moi, je devais me montrer sérieux pour l'enregistrement vidéo de l'audience.

-Pas d'avocat ? M'étonnais-je en voyant l'alligator seul.
-Je suis là !

Un fantôme et son porte-documents fantômatique sous le bras entrèrent dans la salle en me passant au travers. Il se positionna à côté du prisonnier. Il ne s'assit pas, de toute manière, la fin de son corps éthéré n'était qu'un genre de petit tas de matière fantômatique finissant en une pointe ondulante.

Je restais coincé comme un idiot dans l'entrée, empêchant la juge d'y faire aussi une entrée fracassante.

-C'est le tribunal le plus dingue que j'ai jamais vu !

Le fantôme me concéda un petit sourire, il devait avoir l'habitude, et la juge se faxa entre la porte et ma jambe pour réussir à entrer. Elle commença aussitôt à expliquer quelques banalités obligatoires.

-Ce n'est pas encore une audience de tribunal. Mais une audience préliminaire. Nous allons délimiter les faits et la participations du suspect. Après, seulement, s'il est nécessaire d'ouvrir une audience publique elle le sera. Sinon, je prononcerai un jugement reprenant exactement les peines légales.

Elle sauta agilement sur sa chaise, son museau dépassait à peine de la table.

-La vidéo et votre présence, M. Septembre, sert de témoignage. Si l'un de vous souhaite dénoncer cette audience et les sentences éventuellement rendues, il le pourra en s'adressant aux Cours de Li.

-Morok Grrmmmmb.

Je me retins de pouffer de rire.

-Vous êtes aujourd'hui sous le coup d'une enquête pour agressions multiples et provocation à la violence.
-Allons madame le juge, provocation à la violence ? Cela n'existe même pas dans nos lois !
-Il faut un début à tout Maitre. Il semble que M. Grrmmmmb a joué un rôle déterminant dans les affaires de Magna. Vous ne pouvez l'ignorer.
-Si je le peux ! Le suspect n'a tué personne, il n'a fait que mener son enquête. Les violences sont, aux pires, des fautes professionnelles. Certainement pas des crimes.

Elle plissa les yeux derrière ses lunettes, l'avocat-fantôme en fit tout autant, sans lunette.
Moi, je gardais les bras croisés sur la poitrine avec un air compatissant pour Morok qui n'en menait pas large... Et ce tribunal.

Une mangouste et un fantôme commis d'office... Courage collègue, courage !

Morok salue d’un geste lent Septembre. Il ne connait pas personnellement le robot mais il en a entendu parler, et ça lui suffit pour savoir qu’il a déjà de l’expérience. Heureusement qu’ils ne lui ont pas mis un rookie en guise de témoin. Reste que Fantômette a intérêt de connaitre son taf, parce que Morok se retrouve pour la première fois en jugement, et il n’a aucune idée de ce qu’il est censé faire ? Rester dans son coin pendant que les deux causent ? Ou donner son avis ?

Le crocodile fixe des yeux l’entrée de la juge, le regard légèrement vide. Il ne peut retenir le gargouillement de son estomac qui s’affole devant tant de viande fraiche. Il n’écoute même pas la juge déblatérer les banalités, et se contente d’un {color=#339966]°Ouais°[/color] vague quand la mangouste prononce son prénom et le nom de famille qu’on lui a collé d’office.

Le Sanctuari ne comprend pas trop l’énervement soudain du fantôme à la suite de l’annonce de ses charges. Après tout, ce que dit le casse-croute est vrai, non ? D’un autre côté, le fantôme a raison : il n’a tué personne. Il aurait bien voulu, mais tout le monde s’en est sorti…
Son jugement à peine commencé, Morok veut déjà qu’il soit terminé. Ils ne peuvent pas se mettre d’accord avant ? Et est-ce qu’il a le droit de dire quelque chose au moins ?[ /i]

°Le fantôme a raison. J’ai tué personne. En tout cas, pas durant cette enquête : Certains criminels ne se laissent pas prendre. Tout est dans mes rapports.°

[i]Cette foutue paperasse sera peut-être utile en fin de compte. Morok jette un regard blasé et sombre à Septembre, d’un air de dire « ca va durer longtemps ? »

Spoiler:

Spoiler:

-Commençons par le commencement. M. Septembre, vous avez reçu des copies des éléments de preuve. Me Casper sera l'avocat de M. Grmmmmb. Agressions et violences volontaires par un agent disposant d'une autorité particulière. Je requiert un mois d'emprisonnement.

Les preuves étaient vraiment contre Morok. Le fantôme négocia :

-Au vu de la réputation de Magna, il était difficile pour un sanctuari de se faire entendre. Il y eu dérapage, certes, mais la ligne est ténue entre les actes nécessaires à une enquête dans Magna et le moment où cela devient une véritable agression gratuite.
-Un mois d'emprisonnement, c'est ce que recommande la loi et la cour suivra. Sauf si vous pouvez le décharger entièrement.
-Je préconise de réduire à deux semaines, se défendit-il. En raison du contexte particulier de Magna. Il était plus facile de commettre une infraction dans ce quartier que dans un autre.
-Je comprends que le contexte était difficile. D'autant plus que M. Grrmmmmb est un agent expérimenté. Un mois avec la possibilité d'une semaine de sursis.

Me Casper doutait sérieusement que dans le noir total avec des rations rares et distribuées au hasard de la journée Morok soit capable de se tenir tranquille et de gagner une semaine de liberté.

Et comme je ne suis pas capable de reproduire autant de regards aux discours cachés. Et donc pour appuyer une réponse navrée, je hochais gravement du menton envers Morok. Cela serait long, pour lui et pour moi.

Les rapports de Morok ainsi que toute sa vie était résumée dans les dossiers bien remplis devant les juristes.
Mme le juge échangeait avec Me Casper des piques d'usage pour eux, obscures pour le reste du monde.

-Penchons-nous maintenant sur l'accusation de provocation à commettre une infraction. L'enquêteur, par ses méthodes, a contraint d'autres personnes à commettre des délits.
-Pour qualifier de provocation il faudrait trouver un ou plusieurs réceptacles déterminés. Hors, vous n'allez pas me dire que tout Magna avait les yeux rivées sur Morok et que son intention était de les pousser à s'entre-tuer ! Ils n'avaient clairement pas besoin de ça...
-Nous avons quatre personnes affirmant qu'ils ne pouvaient ignorer la position de M. Grrmmmmmb...

Me Casper osa couper le magistrat.

-Nul ne peut invoquer une infraction pour se défendre d'une autre infraction. Ils étaient déjà dans l'illégalité et c'est pour se protéger qu'ils ont commis d'autres infractions. Provoqués par mon client, mais prédisposées par le milieu criminel.

Un messager se fraya un passage dans la salle. Il remit à chacun des juristes puis à Morok et moi un copie de la plainte de Tchen en personne.

-Bien, je décharge M. Grrmmmmmb de l'accusation de provocation. Maintenant, étudions celle de l'incitation à la violence, la mise en danger de la vie d'autrui, la dégradation de biens publics et l'abus de pouvoir.

Le fantôme pâlit.
Elle était contente de son effet...

-Selon la plainte de Tchen, continuait-elle.

Et le fantôme pâlit encore plus. L'avocat jeta un bref coup d'oeil à Morok. Comment établir qu'il n'avait aucunement l'intention d'inciter à la violence. Délit de faciès ou pas, ce serait difficile de convaincre un jury au cours d'une audience. Il devait donc s'en défaire pendant l'audience devant Mme le juge.

-Si vous pouvez prouver l'intention d'inciter à la violence, dit-il victorieux.

Mon processeur s'emballa pour me dénicher un vieil article lu il y a quelques années. Mentionnant cette infraction dans une toute nouvelle loi. Quand les Maitres se réunissaient encore pour discuter des lois et non de qui déverse ses égouts sur qui.

J'avais en mémoire les différents éléments vidéos ou audios, auditions de témoins ou aveux, incriminant Morok. Rien ne parlait d'intention de provoquer un soulèvement. Mais les agressions...

Spoiler:

La discussion avance, bien que j'enregistre tout, je commence à croire que mon processeur n'est pas assez puissant pour le métier que je fais.
Les deux juristes s'envoient des déclarations d'amours sous forment d'injonctions et de regards noirs... Quand tout est terminé, je me demande où j'en étais avant de me perdre.

La juge signe un papier dont elle tend une copie carbone à Me Casper et... à moi. Je la prends avec l'air bête de celui qui n'a rien compris.

-Mais où est-ce que vous êtes formés à la Caserne ?!
-Ben justement... à la Caserne.

Elle roule des yeux.

-Morok sera enfermé 8 semaines avec une possibilité de sursis si un passage en arène ne le tue pas avant pour violences volontaires aggravées avec usage de l'autorité publique, dégradation de biens publiques et faute professionnelle.
-8 semaines, c'est beaucoup pour un animal à sang froid...
-Il y fait nuit, on y mange du pain, mais il n'y fait pas si froid que ça. Il survivra...

Sur ces mots elle referme son sac et sautillent sur ses pattes pour quitter au plus vite la salle. Avant de partir :

-Les informations pour demander une révision en audience publique sont derrière le papier.

Elle nous salue vaguement et se fait suivre par Me Casper :

-C'est difficile de convaincre un juge de sa bonne volonté quand l'accusé s'incrimine lui-même !

Il s'en alla sans me passer au travers cette fois.

-Morok...

Spoiler: