Les vacances de deux boites de conserve

Mes nano-copains en frémissaient encore de surprise et de joie pure. C'était bien un baiser. Un léger et gentil baiser mais s'en était un. La première fille qui me trouve assez sympa pour se pendre à mon cou même une brève petite seconde.
L'espoir renaît et je repense à mes programmeur qui n'avaient pas prévu qu'il existe dans l'Entre-Monde quelqu'un d'assez fou pour apprécier un androïde à moitié terminé.

Mon processeur mis sans dessus dessous en sortant, je relançais plusieurs fois ma carte interne pour enfin réussir à la comprendre. Northrives. Elantra. On fit un détour pour éviter les ponts trop fragiles, moi tout seul c'est déjà limite, mais deux androïdes sur une passerelle... Est-ce qu'elle résiste à l'eau ? Elle peut manger après tout.

Enfin arrivés à Elantra. Il nous fallait entrer. Trouver le gérant et lui soutirer une vente. C'est qu'il faut se rappeler qu'il est tard, très tard. Beaucoup trop pour imaginer que la tour est encore ouverte aux clients. Mais quand on est sanctuari, aucune porte ne reste fermée bien longtemps. Si je veux entrer...

Technique infaillible. Je passais mon miroir de sanctuari sur mon bras et j'ébranlais la porte de furieux coups de la paume de la main.

-Ouvrez, Sanctuari !

Avec ça on est sûr d'entrer !
Bombant le torse, tout fier de mon air très sérieux et de mes mauvaises habitudes de sanctuari qui, pour une fois, s'avéraient utiles.

-Tu verras, ils vont vite ouvrir, au pire on entre...

Un miroir donne beaucoup de droits.

Nini, sa bonne humeur toujours au beau fixe, suivi gentiment Septembre tout en regardant le paysage. Elle profitait de la ballade nocturne en attendant d'arriver à Elantra. Pour l'instant, elle ne s'était promenée que de jour, rentrant sagement à sa chambre lorsque le crépuscule faisait rougir le ciel et chassait le soleil pour laisser place à la lune. Du coup, elle laissait son regard se promener un peu partout sauf là où elle mettait les pieds. Forcément, ce qui devait arriver arriva : elle trébucha, fit peur à quelques bêtes errant dans les rues, shoota dans des trucs divers et variés, cassa deux ou trois bidules qui étaient forcément déjà fragilisés... Sans pour autant jamais se décider à regarder là où elle allait. Non, elle faisait confiance au sanctuari et le laissait la guider jusqu'à la tour de l'alchimie qui avait l'air fermée...

Toutes les lumières étaient éteintes, et la porte semblait définitivement close. C'était mal partie et bien que très fortement déçue, l'androïde au féminin se résignait à faire demi-tour pour revenir le lendemain matin. Mais voilà que Septembre, l'air de rien ou presque, se mit à frapper de grands coups sur la porte en lançant un "ouvrez, sanctuari" qui avait dû réveiller toute la maisonnée de l'alchimiste. Finalement, c'était assez cool d'être avec un représentant des forces de l'ordre. Surtout quand celui-ci se faisait ouvrir la porte d'une boutique fermée, quitte à réveiller ses employés et propriétaires. Et c'était toute émoustillée que Nini aperçut une fillette blonde, en pyjama abîmé, avec un truc sale sur les yeux et des espèces d'excroissances dans le deux. Vite, vite, laissez-le entrer dans la boutique, qu'ils fassent leur achat et partent à la plage! La fille mécanique attendit que son compagnon entre dans la tour pour le suivre à petits pas sautillants et pressés. A l'intérieur, elle laissa Septembre se charger de tout : de toute façon, elle était trop occupée à regarder la décoration et les objets en vitrine pour penser participer à la vente...

*pitié qu'elle ne casse rien...*

J'étais tout retourné avec toutes ces filles. La première a failli renverser la tour d'Elantra elle-même, la seconde reniflait son genou écorché, sortie du lit de force... Nouveau saut de l'ange vers mon estomac. J'y suis allé un peu fort c'est vrai.
Septembre ! T'as pas honte de terrifier une gamine ! Bon... Aller, finissons-en rapidement avant que Nini n'approche de trop près les vitrines.
Avec un peu plus de douceur que pour l'entrée, je tentais de lui expliquer pourquoi un sanctuari débarquait à Elantra à n'importe quelle heure :

-Ecoute, on est assez pressé, sinon on ne t'aurait pas réveillé. Alors voilà, on a besoin de produits en particulier, tu peux nous les vendre ?

Tout doux le cabot.
Mon processeur ne savait plus où donner de la tête ! Il me fit savoir, au moins, que je pouvais sourire de toutes mes dents métalliques, ce n'est pas elle qui serait effrayée par mon meilleur profil...
Bateau ou avion ? Bateau, je rame jusqu'au bout à regarder Nini devant les étalages tout en alternant avec la gamine.
Sans attendre de réponse, sans rien écouter surtout, tellement concentré sur l'autre androïde aux deux pieds gauches :

-On a besoin, note bien, fis-je en listant patiemment nos courses : 6 paquets de noix chérumènes, 8 perles de cristal, un paquet de graines caméléon, et cinq billes insonores. Tu as tout bien mémorisé ?

Je peux tout répéter, je suis un robot... la mémoire parfaite.

Le Sanctuari passa la porte sans un bonjour et monta les marches, et un autre bruit de pas le suivait. Soit c'était un genre de centaure, soit il y en avait deux. Kalyn grimpa difficilement les marches en sanglotant et en se frottant le nez. Une fois arrivée dans la salle des ventes, le Sanctuari l'interrogea. Elle répondit d'une voix fatiguée, trainante, mais toujours peinée.

<< Oui....>>

Elle n'aurait pas eu le courage -et le droit, Sanctuari oblige- de dire non. Aussi se dirigea t'elle en clopinant vers le comptoir. Elle chercha à tâtons le camitou du maître et tapota dessus pour le réveiller. L'animal mécanique eut un "Kriitzz" de mécontentement, mais enclencha sa fonction microphone quand le Sanctuari fit sa commande. Une fois terminée, elle mit en route la fonction "repeat" pour que l'animal lui rappelle la liste. Sauf que le caméléon n'e fit qu'à sa tête et se mit à répéter en boucle la commande. Ainsi, Septembre et Nini purent admirer le spectacle d'un caméléon répétant la même chose toutes les 10 secondes sur l’épaule d'une enfant ange qui vagabondait lentement entre les rayons pour récupérer ce qu'ils voulaient.

Quand elle revint, Le caméléon n'avait toujours pas arrêté sa litanie, et semblait bien content de sa mauvaise blague. Kalyn chercha à l'éteindre mais il se réfugia en haut d'une étagère où il la regarda d'un œil mauvais et continua à hurler la liste de course. Gémissant, Kalyn se désintéressa de lui pour faire l'addition.

<<... Alors euh... -cinq billes insonores !!- oui euh donc les billes... 5Pims par bille. -6 paquets de noix chérumènes !!!-... Soit 25pims... Euh...non 50… -un paquet de graines caméléon !!!- Tais-toi ! Arrête d'être méchant devant les clients ! - Tu as tout bien mémorisé ? Kritzzz- >>

La pauvre Kalyn n'eut la paix que grâce au coffrapatte de l'Alchimiste qui s'était fait réveillé par le camitou et qui aboya son mécontentement en grognant et chargeant dans le meuble. Et tel un chat et un chien, les deux étrange créatures coururent à l'étage pour se poursuivre. Kalyn récupéra un vieux boulier pour compter le total, sa calculette sur patte étant partie.

<<... Pardon pour tout ça... 6 paquets de noix à 10 pims le paquet… 60pims. 8 perles de cristal… 40 pims… Un paquet de graines caméléon… 10 pims. Attention il n’y a que 5 graines… et 5 billes insonores, 50 pims… Soit –elle recompta prudemment les boules – 160 pims, s’il vous plait monsieur. Votre badge, s’il vous plait monsieur.>>

Elle tendis une main molle, exténuée par le reveil brutal, le camitou, et le nettoyage qui l’attendait demain pour laver les catastrophes que déclenchaient les deux créatures, a l’étage.

Oh que c'était intéressant de faire un tour dans la boutique de l'alchimiste. En plus, chance, il n'y avait personne! Oui, bon, faut dire aussi, que quand on passe faire ses emplettes au milieu de la nuit, on croise rarement d'autres clients... En tout cas, ça laissait à Nini tout le loisir et le plaisir de voleter de vitrine en vitre, collant presque son nez aux verres protecteurs tenant hors de portée des mains les plus curieuses les objets les plus rares, les plus chers et les plus fragiles. Autrement dit, autant de choses que l'androïde aurait bien eu envie d'examiner encore de plus près et de jouer un peu avec. Mais heureusement pour la vendeuse ensommeillée, le sanctuari qui l'avait emmené ici avec lui et la fille mécanique elle-même, elle n'eut pas le temps de poser un doigt sur ses vitrines. Sinon, elle aurait cassé quelques chose, à coup sûr. Et qui allait payé la facture dans ce cas? Certainement pas elle, fauchée comme les blés qu'elle était!

Un truc rigolo, mais drôlement bruyant attira son attention. Un petit caméléon qui ne paraissait pas vraiment issu de la nature, perché sur l'épaule de la petite chose blonde un peu pathétique qui leur avait ouvert la porte et qui répétait à intervalles régulières la commande de Septembre : c'était ce truc énervant et qui donnait l'impression d'être à la poissonnerie à répéter tout fort une liste de marchandises qui avait attiré l'attention de Nini. Amusant ce truc, même si elle se promit de ne jamais s'acheter une de ces bestioles. Elle avait quand même l'air bien casse-pieds à brailler comme ça... Rapidement, mais faisant un certain bruit elle aussi à marcher sans délicatesse dans la boutique, elle vint rejoindre Septembre rien que pour pouvoir voir le caméléon de plus près. Et bien sagement, elle resta planté là à regarder l'espèce de coffre sur pattes se mettre à courir derrière le faux reptile vers les étages supérieurs. Gentille comme elle était, et surtout parce qu'elle avait terminé son tour des vitrines, elle resta toute droite, sans bouger, en attendant que Septembre finisse les achats pour ensuite sortir à sa suite. Comme quoi, elle aussi elle peut être sage. Elle est même d'ailleurs toujours sage... enfin, ça dépend du point de vue...

Un camitou ! Il était drôlement déréglé ce petit robot utilitaire. La personnalité choisie était vraisemblablement espiègle et casse-pied. Un sursaut plus tard, le caméléon mécanique s'enfuyait poursuivit par un coffre mangeur de camitou.
Voilà pourquoi je ne suis encore jamais allé chez l'alchimiste.

Revenant à la fillette aveugle, j'étais bien content qu'elle ne voit pas mon air ahurit.
Mon badge... Mon badge.
Pour un androïde à la mémoire parfaite, j'avais un petit bug interne. Trainait un rire mal à l'aise ouvrant une longue session de recherche.
Premier problème, je ne me sers de mon badge que très rarement. Second problème on a réinitialisé ma mémoire à court terme pour nettoyer l'encombrement, les cookies, les fichiers temporaires... Tous ces trucs qu'on doit expulser régulièrement comme un humain s'en moucherait.
La position de mon badge était, malheureusement, enregistrée dedans. Je commençais par fouiller chaque rangement interne à ma carcasse. On voyait s'ouvrir et se refermer plusieurs panneaux sur... presque toute ma carcasse.
Dépité, je finis par retrouver un soupçon de mémoire (les résidus) en me rappelant de la présence d'un rangement pectoral. Le badge s'y trouvait coincé à côté d'un pinceau (pour le sable et la poussière)...

-Et voilà !

Paiement fait.
Je ramassais nos paquets dans un bras et de l'autre je tenais la main de Nini, le badge récupéré dans un sac.

-Merci pour tout ! Bonne nuit !

J'emportais dans mon sillage le pas lourd de deux androïdes qui quittaient Elantra pour profiter d'une semaine de vacances aux frais de l'Entre-Monde.