Livraison express

Pan a pris un bain de mer. Sisi, quand nous étions sur le bâteau, il m'a faussé compagnie et un courant d'air l'a emporté droit vers la flotte. Il s'est hissé sur la coque du bateau et est revenu par lui même avant de finir en papier mâché... Evidemment maintenant qu'il a séché il semble vraiment dans un sale état j'ai donc passé toute la dernière journée du voyage à chercher du papier solide. Et croyez moi, le capitaine m'a limite balancé sur le quai à coup de pied dans le derrière. Je ne pensais pas avoir été si encombrante comme passagère.

Quoiqu'il en soi, j'en ai trouvé et je finissais de refaire le corps de mon singe qui s'était roulé dans une poche. Il faisait semblant d'éternuer et de renifler pour le spectacle.

-Je t'avais prévenu qu'il y avait du vent gros malin. La prochaine fois je te remplis de billes de plombs, tu couleras à pique !

Mon rire ne lui fit pas vraiment plaisir, il voulu frapper dans le paquet à livrer pour manifester son ennui dans notre aventure mais ... il se retint au dernier moment ses yeux portaient vers une maison.

-On est arrivé. Touche pas à ça ou je te découpe avec.

Il se ravisa, replongea dans la poche et fit un grand sourire hypocrite. Fatiguant comme animal de compagnie, n'est-ce pas ?
J'ai armé mon courage et tapotant la tête du primate en papier je détendais mon pas. Livraison presque accomplie et normalement je serais bientôt riche.

-Qu'est-ce qu'on fera de l'argent ? On ouvre un théâtre ? On rénove la forge de Caël ? Peut-être s'offrir une maison digne de ce nom...

Et l'animal acquiesça vivement. J'avais bien envie de lui rappeler que nous n'aurions pas eu une inondation s'il n'avait bourré le conduit d'évacuation de l'évier avec de la purée de pomme de terre... Je lui file son nouveau corps.
J'ai découvert récemment quelque chose de formidable avec ce petit être, il me suffit de plier le papier pour en faire un singe et Pan le serre contre lui pour changer de corps. Sa conscience change du papier au papier le vieux corps inerte fini écrasé dans ma poche et le nouveau tout neuf bondit sur mon épaule en faisant gonfler ses biceps invisibles. Il a l'air heureux de changer de peau.

Les livres me conviennent mieux, ils s'imprègnent du temps et récoltes les poussières de nos visages qui les observent incrédules pendant les longues heures de lecture. J'ai le livre entre mes mains et je l'observe, un franc sourire aux lèvres. Il pèse dans mes mains, il sent le vieux papier et ses feuilles colorées me font penser à toutes les aventures qu'il a pu voir.

Pan se penche par dessus mon épaule le même regard curieux. On y prend goût à cette chasse au trésor, on se questionne tous les deux sur ce qu'il y a sous la couverture. Du bout des doigts je la soulève, trop pressée de savoir ce qu'il contient je suis restée debout. Je soulève l'épaisse reliure de cuir, la première page est vide, le suspens s'accroît inexorablement quand j'appuie sur le coin et tire à moi cette page sans texte. Je découvre les caractères, les courbes de la plumes de calligraphies dont la main s'est escrimée à en donner les formes. Les "l" comme une goutte de pluie, les "p" déséquilibrés penchent légèrement tant leur tête est lourde.

Je lis et si mon sens de l'esthétique apprécie les vers je reste scotchée devant ce code de formes incongrues. Elles ne vont certainement pas avec l'époque à laquelle j'aurais volontiers attribué ce livre. Pan est descendu sur mon bras et il avance patiemment jusqu'à la page, il lit et relit les symboles mais ni lui ni moi ne trouvons un sens correcte à cette nouvelle énigme.

Pan me regarde dégainer une feuille de ma poche et un maigre crayon de bois trop de fois taillé. Je recopiais le poème et les symboles, je feuilletais le livre en quête d'indices supplémentaires et finalement, j'allais rendre son ouvrage à son propriétaire.

-Merci pour le livre. Je vais retourner en ville à présent, bonne chance pour vos collections !

Il me remercia pour le livre et je quittais l'endroit à bord d'un bâteau en partance pour Aberlaas.