L'air de la ville [libre]

J'aime bien la ville, c'est vivant, l'air à l'odeur de la cendre, on y croise autant de visages souriant que de personnalités atypiques. Mais ce que j'aime par dessus tout ce sont les embouteillages. L'instant d'avant, la limousine peine à passer dans une rue à moitié bloquée par les éboueurs, et quand le périphérique s'ouvre miraculeusement sous vos pneus, le chauffeur prend sa petite radio, l'air très détendu -mais en réalité extrêmement angoissé quant à son avenir en tant que chauffeur de ma limousine- et m'annonce pour la troisième fois en quarante minute que la rue était bouchée (la première fois c'était un groupe de petites vieilles qui nous avaient salué chaleureusement alors qu'elles traversaient au pas de course (0,1Km/h) le passage piéton.

L'homme ne m'entend pas répondre, je réfléchi. À ce rythme, je ne serais pas au bureau avant une semaine, la méthode la plus rapide pour y arriver tranquillement étant un petit voyage à pieds... Ou par les airs. La portière de la limousine claque, ma main caresse le revêtement métallisé de la voiture, les particules s'en détaches comme attirées par un aimant. Je les rassemble, les façonne et un un siège métallique apparait derrière mes genoux.
Il n'y a pas plus galant qu'une femme, alors quand je plis les genoux le siège se glisse dessous comme tenu par la main experte d'un gentleman. Quelques humains et d'autres créatures bloquées dans l'habitacle de leur véhicule me regardent, bouches bée ou complètement exaspérés, m'envoler lentement, lévitant sur mon siège argenté. Le vent ébouriffe mes cheveux, je baisse les yeux et je vois sortir de la voiture le chauffeur qui me regarde d'en bas, une main en visière.

-Allez tout droit madame, vous arriverez en plein centre-ville !

J'acquiesce, l'homme pense avoir sauvé son job... Qui a dit que je voulais m'embêter à chercher un autre chauffeur ? Je le vois regagner son siège de conducteur, et de derrière la vitre il me fait un signe comme pour me dire bon voyage. Je lui réponds d'un bref mouvement de la main et mon vaisseau file droit sur la ville...
Afin de ne pas trop attirer l'attention au mauvais endroit quand je distingue sous mes yeux le départ d'allées commerçantes, et l'entassement d'une foule de citadins, je défis mon siège, le laissant former une large ceinture sur ma tunique me donnant un air un peu rock, un peu chic. Mes mocassins touchent le sol lisse des larges dalles imitation marbre de l'avenue principale. Me voici arrivée dans Tern-centre !
J'aime Tern, les affaires y sont les meilleurs, les gens y adulent l'argent et de ce fait, ils m'aiment moi, quoiqu'il arrive.
Une horloge sur le clocher, je suis déjà en retard. Je me fiche de l'être encore plus, ça ne tuera personne, aussi, mon estomac crie famine. L'heure du petit déjeuner à sonné. Une petit camionnette sert du café et des viennoiseries chaudes, j'en profite, j'ai toujours aimé le chocolat. Ça ne vaut pas quelques mets divins mais c'est déjà une bonne compensation.

Pain chaud en main accompagné d'un café odorant, je me poste à l'extrémité d'un banc, sous les branches d'un jeune arbre bourgeonnant. Tuteur figé, il me semble fragile, presque triste. La décoration de la ville égaye à peine les environs, mais la modernité n'aime pas s'encombrer de trop de verdure, ce n'est pas assez rentable. Si je voulais voir un endroit beau et verdoyant j'irais à Cerclon, le règne des robots et leur indifférence à la vue des arbres et du lierres qui peut recouvrir leurs constructions donne un effet bizarre, et assez drôle.
Mon café me brûle les lèvres, il est noir, sans sucre, j'aurais dis sans eau s'il ne me coulait pas dans la gorge. Quand je le pose sur la place libre d'à côté, il se renverse, zut...

Un pied métallique, revêtement rougeâtre. Je lève les yeux sur un Androïde beaucoup plus grand que moi, on dirait une montagne vu d'en bas. Il est lourd, je pourrais entendre les dalles se fissurer sous ses pieds tellement il pèse. Il gagne un point, le rouge c'est à la mode, il en perd dix, il s'en prend à la mauvaise personne. Il n'est pas dit que Dinu Mihai déesse du métal se laissera marcher sur les pieds par un androïde... Le comble, se faire dominer par sa matière première !

*Tu peux toujours courir boîte de conserve !*

Un sourire fend mon visage. Je me doute bien que le côté bienveillant ne lui fera guère d'effet, dans mon travail, j'ai déjà entendu parler de l'administrateur du quartier... Un genre de robot associable. Mon Dieu que c'est ridicule ! Il ne manquerait plus qu'il nous fasse un génocide... Mon sourire disparait en quelques secondes. Je n'ai décidément pas envie de sourire. Pour essuyer ma main, je sors de ma manche un mouchoir, je le tâche de café et plutôt que de le tendre au maitre des boites de conserve, je lève l'index sous son nez (s'il a nu nez quelque part). Mon sourire réapparait, et l'air penaude je balance légèrement le doigt.
L'effet est simple, le morceau de revêtement métallique taché de café s'arrache littéralement de son propriétaire et file droit dans une poubelle. Un bruit sourd m'apprend que son bout de métal vient de rejoindre quelques ordures solides.

-Moi non plus je n'aime pas beaucoup le café.

Un grand sourire plus tard, je retins l'envie de lui proposer une nouvelle coupe de cheveux. Vu son caractère agréable des cornes et une queue de diable ne seraient que justice !
Je me doute bien que j'aurais pu tout simplement m'excuser, ç'aurait été bien plus simple et courtois ; seulement, le ton "menaçant" et l'ordre de me convenait pas. Je n'étais pas venue dans l'Entre-Monde pour qu'on y croiser des égo plus gros que le miens. Puisqu'il me menaçait le premier, je lui retournais la politesse.
Je me demande si un revêtement plus léger pour l'été lui plairait, je pourrais lui tailler un bikini dans tout ce métal.
Préciser que ce robot d'une demi tonne était un véritable cadeau de noël pour moi n'est certes pas nécessaire, la quantité de métal n'est jamais trop grosse, il suffit d'y aller par petites touches... Et rien n'est trop lourd. Les fourmis ont raison sur ce point, pour démanteler un géant, quitte à le faire cellule par cellule, il finira forcément en morceaux.

Mon interlocuteur ne donnait aucune réponse à ma provocation ouverte. Soit, je n'allais pas voir s'il s'était décrasser les oreilles ce matin.
Je baissais les yeux sur le blindage éventré et dans un soupire le reconstituais. Il n'était plus vraiment rouge -la flemme- mais au moins n'avait-il pas son isolant à l'air libre.

-La couleur vous donne l'air d'un androïde avec une ressemble à une vache laitière, mais au moins j'ai réparé ma maladresse.

Je détournais les yeux et sans plus de politesse passais mon chemin. Il ne m'aura pas occupé bien longtemps et ma banque attendait que je vienne y faire du nettoyage.