"Enchanté de vous rencontrer."

Depuis mon déménagement à Ciel, je n'avais fait que quelques petits voyages sur le dos d'Hellios. Juste de quoi quitter le quartier de temps à autre pour des courses ou des visites. Ça lui faisait du bien de se dégourdir les ailes hors de la capitale, jusqu'à cette étrange plate-forme solitaire à l'écart de tout.

Depuis mes retrouvailles avec Leiline, je ne comptai plus le nombre de fois où cette dernière m'avait parlé de sa relation avec son compagnon Technomage, non sans un certain enthousiasme à chaque fois. Vous me diriez "quel pourrait être le comble à cette situation ?". Que ma nièce n'eut jamais la décence de me le présenter, ni même de me présenter auprès de lui.

Mais ce serait très mal me connaître que de croire que je n'allais pas corriger cette erreur par moi-même.

J'ignorai la raison à cela. Éprouvait t-elle de la gêne à organiser cette rencontre ? Trop honte de la manière dont j'allais réagir, ou même de moi ou de mon métier ? Trouvait t-elle que c'était encore trop tôt ? Je n'aurais certainement jamais la réponse à cette énigme - à ce stade, je pouvais considérer cette question tel quel.

Hellios et moi arrivâmes sur les lieux. Rien autour, juste une prairie et cette étrange mécanisme pour appeler l'étonnant vaisseau volant dont ma petite protégée m'a si souvent parlé. Mon familier atterrit avec flegme sur le sol, retrouvant enfin le plancher des vaches, lui donnant par réflexe un coup de canne. Je n'avais vraiment pas l'habitude d'utiliser de tel "transports" pour me déplacer ...

Je rejoignis la plate-forme d'appel, attendant tranquillement aux côtés de ma monture que le vaisseau de transport arrive. Malgré un vent fort, le ciel était en grande partie dégagé, ne laissant que peu de place aux nuage. Je profitai de la brise, Hellios se secouant les plumes. Nous n'attendâmes pas très longtemps jusqu'à l'arrivée du vaisseau. Je laissai donc mon compagnon à plume derrière moi et entra dans mon taxi personnel, direction le Vandavel.

J'observai les environs avec admiration, partagé entre la vue de la capital d'en haut et le zeppelin géant vers lequel je m'approchai. Je compris pourquoi ma nièce voue une certaine admiration pour le lieu de vie de son amant. Ça avait beau être spectaculaire, ça doit être une usine à gaz à piloter un engin pareil.

Je posai enfin les pieds sur le sol du bâtiment volant, m'approchant de la porte, prêt à utiliser le heurtoir pour annoncer mon débarquement comme il se doit. Mais je sursautai lorsque ce dernier se mit à parler, à peine mes phalanges effleurèrent son anneau. Me raclant la gorge pour garder un minimum de tenu, je m'adressai donc à lui, mon sourire désinvolte habituel.

- Bonjour à vous. Je souhaite rencontrer Monsieur Krayt, s'il vous plaît. C'est pour un enchantement.

Je me montrai le plus affable possible - du moins, qu'un homme avec une canne et une épée dans le dos puisse l'être. J'étais curieux et très impatient de voir le visage du demi-dieu qui fait encore aujourd'hui rêver ma filleule.

Info:

Le Vandavel était calme, ce matin. Et pour une fois, ce n’était même pas suspect. Les Gobelins avaient mangé, Sash’ était de bonne humeur, le gréement avait respecté sa course, Raku dormait et le service d’ordre n’avait pas de manœuvre ou de parade militaire avant deux semaines. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je pouvais profiter de mon petit-déjeuner tranquillement posé dans ma cuisine, un livre derrière mon bol de céréale et un bloc-note où je déposais les mots que j’extirpais du livre – Physiquement : l’encre enchantée me permettait de copier-coller les mots, phrases ou paragraphes d’œuvres pour les poser sur un autre ouvrage. Très pratique pour « prendre » des notes.

Un thé fumant, un bol qui gardait les céréales croustillantes, même noyées dans le lait et une tartine de pain beurré. Les sifflements enjouées de ce que j’avais appelé la Lavamibe et qui avait élu domicile dans mon évier, expérience ratée de Rainer qui avait donné naissance à un mélange entre un lavabo et une éponge, égaillait ma matinée depuis son bac en inox. Régulièrement, je la nourrissait de couverts et d’assiettes sale et elle me la rendait propre et sèche, comme un lave-vaisselle vivant.
Les ronchonnements de Murray me tirèrent de mon moment de quiétude, et j’allais ouvrir la porte, mon bol de céréales faisant désormais le régal de mon pensionnaire culinaire, avec à la main mon livre dont certaines phrases pendaient entre les pages fermées.

°… Oui parce que bon vous comprenez, la petite demoiselle, j’ai déjà eu bien du mal à m’y habituer, mais j’ai fini par accepter. Elle met ses vilaines pattes griffues partout, elle raye mon bel acier, elle se fiche de moi de façon éhontée. Mais je suis patient et tolérant, donc voila, je passe outre. Alors que vous arriviez avec le même genre d'oreilles pointues en haut du crâne et demandiez à voir le Technomage, notez que je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas, il fait ce qu’il veut hein, il voit qui il veut, et s'il veut en voir plusieurs à la fois, ca le regarde mais si je dois encore en faire passer beaucoup d’entre vous, j’aimerai bien savoir combien vous êtes pour me préparer mentalement, non parce que…

- Murray, plus tu parles, et plus tu devrais apprendre à tourner 7 fois ce qui te sert de langue dans ce qui te sert de bouche.

Je tirais du bout du pied la porte d’entrée, mon livre toujours à la main, laissant quelques mots tomber doucement sur le parquet du couloir. Si mon heurtoir de porte virait raciste, il fallait que j’ai une petite discussion avec lui.

Ce monde merveilleux qu'était le mien…

- Bien le bonjour, cher monsieur. Veuillez excuser mon compagnon ici présent, il semble avoir quelques démêlée avec ma compagne, une hybride féline qui aime bien le taquiner et il est très susceptible. Mais je vous en prie, entrez. Vous serez mieux à l’intérieur.

Accueillant mon client – chaussons au pieds et cheveux un poil ébourrifés – je laissais l’homme s’installer dans le salon d’accueil.

- Servez-vous, n’hésitez pas : il y a du thé, du café ou de la tisane dans la théière. Les petits gâteaux sont au chocolat ou nature, selon le coté où vous ouvre la boite. Alors dites-moi : que puis-je faire pour vous ?

J’avais progressivement abandonné l’idée de paraître « normal » dans un univers où les animaux compagnie chassaient les chauve-souris de papier pendant que le balai d’entretien lisait dans le salon. Le monde connaissait les bizarreries du Vandavel.

Peut-être était-ce pour cela qu’on avait fini par considérer Rainer fou ? A méditer.

L'intriguant et irritant heurtoir parlant partit dans un monologue digne de ceux de cette étrange femme que j'avais rencontré dans mon salon de thé préféré. Celle fan de jeux de cartes - et de jeux morbides aussi mais ça, je préférai l'oublier ...

Selon les dires du gardien de la porte, il était clair que ma petite protégée avait su laisser sa trace sur les lieux. Pas au stade d'y faire ses griffes non plus, contrairement à ce qu'il disait, mais il était amusant de noter qu'elle avait réussi à se faire une place toute particulière dans ce vaisseau bien animé.

Il fut finalement interrompu par un homme à la fine chevelure noir et à l'allure à la fois excentrique et studieuse, son livre à la main. Le regard à la couleur de ses gants violet. C'était donc lui, Corben Krayt. Je ne pus retenir un grand sourire avec un soupçon de malice devant ses diverses réactions et son accueil chaleureux. Hybride féline taquine ? Leiline tout craché. Je le rassurai donc d'une main légèrement levée.

- Ne vous en faites pas, je peux tout à fait comprendre.

Il ne sembla pas me connaître, ni même me reconnaître d'ailleurs. Elle n'eut même pas la sagesse d'esprit de lui montrer une photo ? Mais après réflexion, en avait t-elle une ? En attendant, je trouvai amusant que l'homme que je considérai comme mon “gendre” ne sache pas qui j'étais. Je laissai donc un peu de temps avant de lui annoncer.

J'entrai donc, canne sous le bras, dans cette fascinante usine volante qui fit office de maison de substitution à ma filleule, suivant bien sagement les pas du Technomage. Ses mimiques et sa façon d'être me donna déjà un début de réponse sur ce qui avait plu à Leiline chez lui. Sous l’invitation de mon hôte, je m’installai confortablement sur le divan.

- Merci, vous êtes bien aimable.

J’observai avec beaucoup de curiosité les environs. Les lieux étaient d’un chic mêlant bleu et or, c’était plaisant pour la rétine. Quand je pense que dans le passé, la petite Leiline que j’ai connu s’était assise ici sans même se douter de sa future relation avec le gérant du Vandavel. Mais cessons de penser à cela. Je me devais de lui formuler ma demande. Je décrochai le fourreau attaché dans mon dos et lui présentai, ma canne dans l’autre main.

- J’ai besoin d’enchantement pour ces deux petites merveilles. Une épée fouet rangée dans son fourreau et une canne épée. Des enchantements pour un aiguisage automatique.

Je posai mes deux armes sur la place vide du canapé à côté de moi. Mon sourire amusée prit le dessus avec ce que j’avais prévu pour la suite.

- J’ai pour projet d’offrir l’une de ces armes à ma filleule. J’ai cru comprendre que cette dernière allait partir en vadrouille avec son compagnon dans la Zone Extérieur. Mais vous devez la connaître. Leiline Devalle, une véritable célébrité dans l’Entre-Monde, n’est ce pas ?

Je le fixai avec un grand sourire, bougeant de temps à autre l’une de mes oreilles, lui laissant un peu de temps afin d’avaler l’information. Je ne doutai pas une seule seconde qu’il allait comprendre mais que quelqu’un lui annonce ça de but en blanc, ça devait faire un choc.

Sans le quitter des yeux et dans toute mon espièglerie, je lui tendis une main amicale dans l’attente de pouvoir enfin lui serrer la pince, moi qui avait toujours souhaité faire ça.

- Gabu Van Derel. Je suis le parrain de Leiline. Enchanté d’enfin vous rencontrer.

Mon livré posé sur le bord du fauteuil, je laissais mon client s’installer et faire sa demande. Un enchantement assez classique pour ce genre d’équipement, mais ça faisait toujours plaisir de recevoir de la visite.
Me servant une tasse de thé en attendant la fin de son explication, je levais un sourcil curieux quand il commença à expliquer ses raisons, sourcil qui se bloqua en position haute tandis que mon regard s’écarquilla légèrement, perdu dans le vide, mon sourire commercial mis à mal par la soudaine réalisation de l’identité de la personne devant moi, assis au calme dans mon divan.

Je fermais la bouche en plissant un œil, un air moi aussi légèrement amusé. Leiline ne m’avait absolument pas prévenu de cette visite, je ne connaissais de ce Gabu que ce dont elle m’avait parlé après son rendez-vous organisé plus ou moins officiellement. Je comprenais un peu plus pourquoi Murray avait eu les nerfs en pelotes à son arrivée. Maintenant que je l’observais un peu plus, il y avait une vague similitude. Les oreilles, sans doute.

- J’ose supposer qu’elle n’est pas au courant de cette visite, sinon elle serait en train de se ronger les sangs depuis 1heure…

J’hésitais un moment. Devais-je la prévenir de cette visite surprise ? Je ne voulais pas la mettre en colère ou l’embarrasser, mais je ne voulais pas non plus gâcher le plaisir de ce Gabu. Parce que oui, je trouvais ça assez amusant de sa part, son petit manège.
Je lui serrais la main avec un sourire en coin, les yeux toujours un peu plissés par le doute et la surprise.

- Enchanté également, mais je crois que vous me connaissez déjà.

De par mes salutations, et surement par Leiline.

- Je vais pour l’instant ne pas contacter notre charmante Li commune, et vous demander que me vaut l’honneur de votre visite ?

J’étais curieux : Était-ce une simple visite de courtoisie ou une de ces techniques tordues de certaines familles pour voir si le compagnon était bien digne de la demoiselle ?

Je crois que je l’avais bien pris de court, le Technomage. Je sentais que cette rencontre allait être forte amusante. Il accepta ma poignée de main avec un brin de méfiance, redoutant certainement ce qu’il l’attendait. À tort, je n’étais certainement pas là pour le fliquer. Je lui répondis donc en souriant.

- En tout honnêteté, je profite de faire des enchantements sur ces armes pour enfin vous rencontrer, ma filleule n’ayant même pas eu la décence de me présenter à vous avant cela.

Et je la retiens pour ça.

- Et comme j’ai cru comprendre que Leiline s’est dévouée pour être votre “garde du corps” dans la Zone Extérieur, elle a besoin d’être armée et d’un entraînement digne de ce nom. - Je lui désignai d’un geste de la main la lame sagement rangée dans son fourreau. - C’est pourquoi je compte lui offrir cette épée fouet. Ainsi qu’un entraînement intensif.

Que le pauvre ne se pose pas de question s’il retrouvait des bleus sur le corps de sa belle les prochains jours. Suivant le geste de mon hôte et sous son invitation, je me servis une tasse de thé et d’un des petits biscuits de la boîte. Un sourire un peu plus élargi, je relevai la tête pour le fixer du regard.

- Mais ma visite est notre petit secret. Comme vous l’avez justement fait remarquer, vous savez aussi bien que moi sa réaction si elle est au courant que je me trouve en face de vous en ce moment même.

Connaissant l’hybride, elle serait capable de quitter son travail en plein milieu pour venir en urgence dans le vaisseau volant, prête à m’étrangler dès que l’occasion lui sera permise. L’homme aux gants violets eut tout de même la sympathie de jouer le jeu avec moi. Je compris un peu ce qui avait fait chavirer le cœur pourtant bien sélectif de ma nièce.

Je fronçais les sourcils à « Entraînement intensif ». Avait-il l’intention de transformer ma chère Commerçante en machine de guerre ? Mes voyages allaient être plutôt calmes, n’allant pas non plus au cœur de la foret d’Ing pour trouver les ingrédients les plus efficaces : 8 ans de Technomagie m’avait permis de trouver les plus intéressant… Et surtout les plus abordables.

- Je risque de passer un moment plutôt pénible quand elle le découvrira, mais sa réaction quand elle l’apprendra vaudra sûrement tout l’or du monde – du moins j’espère être là quand elle le comprendra.

Sinon je serais bon pour un bon passage de savon pas vraiment agréable... Mais elle aurait pu me le présenter, aussi..
Reprenant un air un peu plus commercial, je baissais les yeux sur les deux armes exposées.

- Concernant votre commande, un enchantement de ce style vous coutera 35 Pims par arme, soit un total de 70 – Peut-être moins si je me débrouille bien, l’enchantement étant le même sur les deux objets, parfois on arrive à économiser sur les ingrédients. Est-ce que cela vous conviendrait ?

Je pouvais le faire payer moins, mais l’idée de recevoir une Leiline en colère un soir me motivait à lui ajouter un complément pour acheter un très TRÈS gros bouquet d’excuse quand ma Li se rendrait compte de la surprise… Et sinon, ce serait un petit plus dans ma recherche pour l’enchantement d’anneaux qui continuait à me résister..

Je souris grandement à la remarque de l’Artisan. Moi-même j’imaginai déjà voir la tête qu’elle ferait lorsqu’elle aurait eu son épée fouet entre les mains et qu’elle découvrirait qu’il est enchanté. Mais autant être franc, j’appréhendai le retour de flamme après ça. Il était clair que j’allais user de ruse pour m’épargner son courroux.

- Si je pouvais filmer ça, croyez-moi que vous seriez le premier à qui j’enverrai la vidéo … - Lui répondis-je, rieur. - Ne vous inquiétez pas. Je ferais de mon mieux pour en prendre la responsabilité. C’est moi qui suis venu sans prévenir après tout.

Et puis bon, elle n’avait qu’à organiser cette rencontre bien plus tôt, non mais.

En revenant sur la raison principale de ma venue, ma nièce avait beau dire que la Technomagie “ça en jette”, il était clair que ce n’était pas donné. Après tout, cela me sembla logique. Imaginez si une personne avec vingt PIMs en poche pouvait obtenir le pouvoir d’exploser tout ce qu’il voulait grâce à un simple enchantement ? Je ne vous dis pas l’anarchie. J’espérai intérieurement qu’un suivit était fait sur ceux potentiellement dangereux …

J’observai un petit moment les armes. Je vis déjà ma petit protégée, arme à la main, me disant que l’image était drôle à voir. Quant au prix évoqué, je n’y vis aucune objection. Je souris donc à Corben, commençant déjà à fouiller dans ma petite sacoche mon badge PIMs que je déposai sur la table basse.

- Parfait. Faisons comme ça.

Je laissai donc les deux épées entre de bonnes mains, tout en savourant la tasse de thé que je m’étais servie. Quand je pensai aux nombreuses possibilités qu’offrait la Technomagie, bon nombre d’idée effleurèrent mon esprit. Des enchantements pour améliorer la perception, le confort ou le plaisir, ça ferait un carton au Love Hotel. J’étais curieux d’avoir l’avis d’Or à ce sujet …

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