Sable fin et crabes galets

L'appellation de gros lézard tire un rire à Baakan. Je n’ai pas vraiment trouver d’autres mots pour décrire un dragon sur le coup. Je me demande bien à quoi il peut bien ressembler son sa véritable forme, il a l’air jeune peut-être qu’il serait tout petit et mignon. Il commence à m’expliquer comment il s’est retrouvé piégé dans son corps d'apparence humanoïde. Bien que jeune, il est très philosophe sur sa situation. Il est étrange parfois de constater que les dieux n’ont pas forcément appliqué les mêmes règles à tous les nouveaux arrivants. Certains comme lui ayant perdu la faculté de revenir à leur forme initiale et d’autre au contraire ayant gagné la faculté de prendre une forme humanoïde temporaire. J'assène une tape sur son épaule.

Il faut voir le bon côté, les dragons, ça fout la chair de poule.

Me retrouver face à un gros lézard de deux mètres au garrot ne fait pas partie de ma liste d’expérience à vivre. Je ne suis pas suicidaire à ce point. Questionné sur son pouvoir, il essaye de jouer aux devinettes avec moi. Je suis nulle à ce jeu… Je tente la tactique de la mine perdue pour passer mon tour. Il essaye de me faire deviner par moi-même avant d’abandonner et de me lâcher la réponse. Il en profite pour m’expliquer qu’il ne peut pas me faire une démonstration sous peine de me laisser faire la surveillance toute seule. Je pointe un doigt accusateur vers lui.

Hors de question que tu me laisses tomber ! Qui ira à l’eau sauver un nageur en danger si tu n’es plus en état ?

Je lui fais un clin d’oeil complice. L’idée de devoir plonger me rebut un peu, avoir de l’eau salée dans mes oreilles est très désagréable et c’est l'inflammation assurée.

Du coup, tu ressembles à un garçon tout ce qu’il y a de plus humain ? Même pas une écaille par-ci par-là? Je compatis, tu ne peux même pas te servir de ça pour draguer…

Je le taquine un peu. Il est mignon, je ne doute pas que les filles lui courent après. Comme lui, je balaye du regard la plage. Pour l’instant, rien à signaler. Quelques crabes galets retournent à l’eau et des touristes les pointent du doigts. Rien de bien extraordinaire pour l’instant. Je me reconcentre sur mon partenaire.

Tu es venu pour qu’elle raison en ville ? L’aventure, l’Amour, la célébrité ? Tu t’es trouvé un endroit où dormir ?

L’hospitalité est une chose importante chez les renards polaires. Dans la taïga, être seul, c’est mourir. C’est moins vrai à Entre-Monde, la ville regorge de vie mais je garde mes bonnes habitudes.

Le désert de Munghor, je n’y ai jamais mit les pieds. C’est comment ?

Le clan de mon père ne s’aventure jamais aussi près du désert, il y fait trop chaud pour eux d’après mon père. Du coin de l’oeil, je repère une personne qui lance des choses en direction d’un crabe paisiblement installé dans l’eau. Ils ne savent donc pas se discipliner et partager la nature avec ses habitants naturels ?

Je rit lorsque Baakan tire les conclusions qui s’imposent de ma remarques concernant les écailles… À croire qu’il n’a jamais fricoté avec des filles. Jeune et ingénu, il est trop mignon ce petit dragonnet ! Je le laisse continuer, je l’embêterai plus tard. Cela m’attriste d’entendre que ce qui semble être sa seule famille l’a quitté dernièrement mais il a l’air de bien s’en remettre. Nos objectifs différents finalement beaucoup, instinct et envie de se rendre utile pour lui, aventure et recherche de l’âme soeur pour moi. Et finalement, on se retrouve réuni pour le bien commun.

Baakan remarque mon regard tourné vers l’homme jetant des objets au pauvre crabe. J’hésite à lui lancer à mon tour un truc sur la tête mais je doute que cela fasse partie des gestes de premiers secours autorisés… Mon partenaire saute rapidement de sa chaise interrompant notre discussion pour aller corriger l’homme. Il prend néanmoins le temps de me demander si je souhaite l’accompagner. Je lui sourit, agitant ma queue de droite à gauche. L’occasion est trop belle pour ne pas la saisir, je cache ma bouche avec ma main et prend un air timide.

On ne peut déjà plus se passer de moi Dragonnet ?

Fière de ma bêtise, je lui fais signe d’y aller seul, il n’a pas besoin de moi pour gérer un seul homme. Je préfère rester sur mon poste d’observation pour surveiller les nageurs et les crabes-galets. Un groupe de ces derniers barbotent tranquillement un peu plus loin de la plage, normalement, les nageurs ne devraient pas les importuner. A moins d’être suicidaires… Je me concentre sur les enfants présent dans l’eau, vérifiant qu’ils ne s’éloignent pas trop de la plage et des adultes. Après quelques instants, mon comparse revient et reprend la discussion sur son désert. A sa description, j’en conclus que ma taïga et son désert ont plus de points communs que l’on veut bien le croire. Des zones difficiles à vivre sauf pour les “natifs” de ces contrés, chaude ou froide peu importe, elles sont hostiles à toute forme de vie. Ce constat m’amène à m’interroger sur ma recherche d’âme soeur… J’ai besoin de retourner régulièrement “au froid” pour ma santé, maman a déjà essayé de rester avec papa dans les zones tempérées mais sa santé s’est dégradée après 2 années. Notre corps doit produire quelque chose d’important grâce au froid intense de la taïga… Est-ce que mon âme-soeur pourra supporter ce froid où serais-je comme maman seule pendant les six mois d’hiver ? Dragonnet me tire de mes réflexions en me questionnant sur une éventuelle faculté à me transformer en renard. Mes oreilles tressautent signe d’impatience, il est trop chou, je vais pouvoir le taquiner. Chose qu’il va devoir apprendre et vite, certaines femmes sont capables de simuler des émotions. Je me force à rougir et me dandine doucement sur ma chaise d’un coup pleine de timidité, je murmure :

Il faudrait que je me déshabille pour te montrer…

Aucune chance que je lui montre puisque j’en suis incapable mais cela m’amuse beaucoup de voir sa tête. Je baisse les yeux et me tortille les mains pour parachever ma taquinerie. Je le laisse mariner un peu avant de reprendre sourire aux lèvres.

Plus sérieusement, non, je ne peux pas me transformer en renard. J’ai déjà de belles oreilles et une queue magnifique pour attirer les hommes, pas la peine de les faire fuir en jouant la renarde à 100%.

Dixit So’ à 16 ans… A cela, il faudrait certainement ajouter les formes à faire saliver les hommes… Je continue la conversation en décrivant ma taïga.

La taïga, c’est de la neige au sol dix mois sur douze. Des sapins à perte de vue, des grosses bestioles bien poilues. Et du froid ! En hiver, au plus chaud de la journée, on dépasse rarement les -10 degrés. C’est mon désert de glace. Je conseille la visite en été où la température peut atteindre 5 degrés parfois.

Et les renards polaires se trimballent habillé légèrement dans la neige en plein hiver sans problème. Pour que So’ et Al’ puissent passer un peu de temps avec maman et moi pendant l’hiver, il a fallu trouver un lieu de campement proche des sources chaudes, la température y est moins désagréables pour elle.

Si tu as besoin d’un logement, n’hésites pas, je t’hébergerai si nécessaire. L’hospitalité est importante chez nous.

Je scrute à nouveau la mer à la recherche d’éventuels nageurs en détresse. Je repère à quelques vingt mètres de la rive, un nageur en plein milieu d’un groupe de crabe. Je n’ai pas l’impression que les crabes ne soient agressifs mais le nageur semble en proie à la panique. Je pointe du doigt la zone.

Il va falloir plonger on dirait.

Je saute de ma chaise et m’élance, bouée à la main. Je traverse la foule qui commence à s’accumuler à grand renfort de cri et de bousculades. Sans réfléchir, je me jette à l’eau pour rejoindre le nageur. Tant pis pour mes oreilles...