Adieu mon ami.

Longtemps. Personne n'était entré dans cette pièce depuis très longtemps.

Les sanctuaris fonctionnaient.
Tant bien que mal, ils faisaient leur travail.

Les documents administratifs étaient remplis. Les payes étaient versées. Les commandes d'armes remplies et envoyées. Les dons au Sanctuaire des Braves en remerciement des soins gratuits également. La machine tournait.Sans réelle conviction, sans réelle motivation. Mais elle tournait. Elle était lancée depuis assez longtemps pour pouvoir poursuivre en roue libre.

Pourtant, personne n'était venu ici depuis longtemps.

Stern passa son badge magnétique, entra son code de déverrouillage.
La porte lui céda le passage.
Les rideaux tirées, il faisait sombre.

Mais dans la pénombre, le demi-dieu distingua le bureau envahi d'un bordel monstrueux, la carte immense de l'Entre-monde suspendue au mur. La poussière volait dans les raies de lumière que laissait filtrer les rideaux. Ici, tout dormait, depuis longtemps. Sa main chercha et trouva l'interrupteur, comme dans un vieux réflexe. Le lustre avait été arraché, seule une ampoule pendante au bout de fils éclairait la pièce. Ça ressemblait à un film d'horreur. Avec un pincement au coeur, il aperçut la lampe-torche avec laquelle le prétorien s'était si souvent amusé à l'embêter. Un vrai gosse.
Un vrai gosse torturé...

Un air de boîte de Pandore que lui, Stern, n'était jamais parvenu à ouvrir.
La peur d'y trouver... Quelque chose de trop grand pour lui.

Saisissant les rideaux, il les écarta d'un geste sec, et les rayons du soleil matinal inondèrent le bureau désert.
La Caserne ne se souviendrait probablement pas de ce prétorien atypique et lunatique.
L'Entre-Monde ne garderait aucune trace de cet homme sorti de nulle part et reparti de la même façon.
Aucune mémoire autre que la sienne ne se souviendrait d'Ez Khy.

Pourtant, il l'avait cherché.
Il avait cherché jour et nuit, dans chaque recoin de l'Entre-monde.
Mais l'heure était venue d'admettre que le prétorien, où qu'il soit parti, ne reviendrait pas.
Qu'ils ne riraient plus tous les deux en lisant les rapports d'incidents, se payant la tête des sanctuaris maladroits. Que lui, Stern, ne le harcèlerait plus jamais pour obtenir une petite signature. Que plus jamais il n'aurait à faire le travail d'un autre, puisque cet autre était parti sans lui. Ils ne se promèneraient plus dans Magma à la recherche de n'importe qui à l'air suspect. Il ne se lamenterait plus jamais de l'appétit sans fin du prétorien.

La page tournait.
Leur duo, à l'agonie depuis longtemps, trouvait ici son point final.

Dans une grosse cantine en fer, le demi-dieu poussa tout ce bordel auquel plus personne ne toucherait jamais. Quelque part dans leurs archives, il irait prendre la poussière dans l'attente d'un retour inespéré de son propriétaire.
Un robot de Ken entra pour le ménage, deux sanctuaris de Li couvrirent les meubles de drap blanc.
Ils emportèrent avec eux la cantine sur laquelle Stern colla un bordereau signé de sa main.

Le Ken ouvrit la fenêtre, l'air entra.
Comme pour chasser le souvenir d'un prétorien perdu.

Stern laissa la porte ouverte derrière lui, s'en alla s'égarer dans les couloirs jusqu'à l'armurerie.
Il s'arma légèrement, passa choisir une mission.
En échange de quoi il laissa quelques lignes écrites de sa main.

Aux maîtres de l'Entre-monde,

La Caserne des Sanctuaris a le regret de vous annoncer la disparition d'Ez Khy, Prétorien.
Devant l'échec de nos efforts pour le retrouver, il est destitué de ses droits et devoirs.
Déclaré décédé par nos soins malgré l'absence de corps.

Dans l'attente d'un nouveau Prétorien choisi par vos soins,
le sanctuari Stern accepte d'être le représentant temporaire de la Caserne,
dans les limites de ses disponibilités.

Respectueusement,

La Caserne des Sanctuaris.

Et, usant de son propre miroir, le semi dieu songea que celui d'Ez n'avait pas été retrouvé.
Il avala sa salive, presque de travers.

Adieu, mon ami...