Pugilat félin

Non mais il croit quoi le minou là? Que je le vois pas venir avec ses gros sabots? C'est pas parce que j'ai mis du temps à me retourner pour voir où il était passé que je ne l'entends pas! Et puis c'est qu'il est pas discret en plus, un tauracle ferait moins de bruit en chargeant. Plantant solidement mes pattes dans le sol, sentant mon estomac et mes épaules douloureuses après son coup de pied et mon numéro de contorsionniste, j'attends le dernier moment pour rouler sur moi-même de manière à le laisser se planter tout seul dans le sable!

Non mais oh! Il croit quoi lui? Qu'on allait jouer à saute mouton? Par contre, j'ai un de ces mal de crâne! C'est qu'il miaule fort le bougre!

«Hey! T'as fini de gueuler oui? On n'est pas au karaoke!!»

Secouant violemment la tête puis le reste de mon corps, j'essaie de réfléchir à ce que je devrais faire, mais déjà il revient vers moi... bon sang, jamais il ne s'arrête? Faut croire que non, c'est têtu un lion! Faut croire qu'il savait que j'allais esquiver de nouveau car il a tendu beaucoup plus le bras cette fois-ci et en roulant sur le côté pour l'esquiver j'avais eu le temps de sentir deux griffes m'entailler l'épaule. Un feulement de colère sort de ma gorge alors que je me redresse tant bien que mal, sur trois pattes pour le moment.

Bon, je sais que le museau est la partie sensible, c'est là que je dois viser, quoi que les jarrets aussi si je veux qu'il cesse de me sauter dessus! Allez! On emploie sa technique! Mais de manière plus intelligente! On va se la jouer à tournez-manège!! Je me mets à courir en cercles autour de lui, d'abord large, puis de plus en plus proche, je ne suis pas aussi rapide que je le voudrais à cause de mon épaule, mais j'attends de lui donner le tournis alors que je m'essouffle un peu jusqu'à pouvoir m'arrêter brusquement et bondir pour viser les jarrets cette fois-ci... faites que j'ai suffisamment déstabilisé parce que là, s'il tend le bras pour frapper, ça va faire très mal! Je sens qu'il va m'envoyer valser contre le mur de l'arène!

Il y eut un grand jet de sable clair lorsque Kallistrat se retrouva les quatre pattes au sol, Uriko lui ayant filé sous le nez plus vite qu'un ragondindon mécanique. Un « vrrrt » plus tard, il bondissait de nouveau comme s'il était victime d'une décharge électrique, et repartait à l'assaut d'Uriko comme un chat fou. Nouvel assaut, sauf que ses griffes touchèrent enfin au but cette fois-ci, et tout fier de son exploit, il repartit en sens inverse, la féline sur les talons. Pendant quelques minutes, le public en resta muet d'étonnement de voir deux grands chats courir partout. Certains quittèrent même les gradins en grommelant des injures à l'attention de ces adversaires qui leur faisaient perdre leur temps. Ils étaient venus pour le sang ou – au minimum – un combat dans les règles. Pas pour assister à un remake de tournez manège.

Sentant la présence d'Uriko à ses trousses, Kallistrat joua à piller et changer de direction brutalement. Mais les Chertans n'étaient pas très endurants. Eux privilégiaient la force, et à faire l'andouille, il s'épuisait. Alors il s'arrêta pour reprendre son souffle et en fut quitte pour apercevoir la silhouette sombre de la panthère fondre sur lui au moment où il ne s'y attendait pas. Tout à coup, il se souvint où il était et pourquoi. Ce n'était pas un jeu. Il ne pouvait pas dire « pouce ». Tant pis. Se retournant tant bien que mal, il ouvrit les bras et... y accueillit Uriko avant de se laisser tomber au sol avec elle, sur le dos. Depuis les gradins, ça devait ressembler à quelque chose comme un combat de chiffonnier... ou de catch, la boue en moins.

Les griffes de sa concurrente lui entaillèrent les bras, ce qui le fit hurler de nouveau. Et puis tant qu'il avait la bouche ouverte sur un feulement, il en profita pour planter ses crocs dans ce qui se présenta à lui, au hasard. Pas le cou, c'était interdit de tuer, mais un bout d'épaule en moins ça pouvait être avantageux. Problème : Uriko était suffisamment proche à présent pour en faire autant.

Ok alors là ça partait dans tous les sens. J'avais visé les jarrets, j'avais chopé le bras, il s'était retourné pour me cueillir dans ses bras, désolée mais les câlins c'est pas mon truc - faites que Khrones n'assiste pas au combat, il serait capable d'être jaloux le bougre!

Et nous voilà parti dans un véritable combat de fauves, là, plus de place pour l'esquive, l'agilité ou la vitesse, il me tenait dans ses bras et sa force musculaire ne me laissait pas vraiment l'occasion de faire quoi que ce soit. Sentant ses crocs se planter dans mon épaule, je feulais avec grand bruit avant de planter à mon tour mes crocs dans son avant-bras qui me maintenait prisonnière. Une fois, deux fois, j'ai probablement moins de puissance dans la mâchoire que lui et il faut que je le morde un peu plus pour qu'il me lâche enfin, du moins suffisamment pour que je me dégage en me recroquevillant sur moi-même et me retournant pour essayer de lui labourer le ventre de mes pattes arrière, et ainsi pousser de toutes mes forces pour bondir en arrière et faire un nouveau roulé boulé dans le sable. Je laissais une trainée de sang derrière moi là où mon épaule était rentrée en contact avec le sol, haletant sous l'épuisement qui me gagnait suite à ma course poursuite d'un peu plus tôt. J'étais encore à quatre pattes pour le moment, soufflant comme un boeuf à la recherche de l'air dans mes poumons et fixant le chaton, espérant que les quelques coups que je lui ai portés suffisent à le maintenir calme quelques secondes.

Avalant ma salive avec difficulté, la seule chose qui me rassure, c'est que si je perds face à un lion gris qui fait plus de deux mètres de haut pour deux fois mon poids en muscles au moins, ben ce sera pas trop la honte! J'aurais tenu pas mal de temps. Plantant solidement mes griffes dans le sol, j'essaie de rassembler mes forces pour repartir à l'attaque, allant désormais beaucoup moins vite à cause de mes blessures, cherchant de nouveau à le contourner pour frapper de nouveau les jarrets, ou peut être le museau s'il veut encore s'amuser à se retourner!

Nouveau rugissement, et tant pis pour les oreilles délicates des spectateurs. La douleur méritait d'être évacuée par un éclat de voix remarqué. La mâchoire d'Uriko avait beau être plus petite que la sienne, elle n'en mordait pas moins fort... et souvent ! Il tenta de la maintenir contre lui lorsqu'il la sentit se replier sur elle-même en vain, et en fut quitte pour de nouveaux feulements de douleur lorsque les griffes de ses pattes arrière lui lacérèrent le torse, faisant voler ses poils gris dans un nuage autour d'eux. Relâchant son étreinte dans l'espoir de calmer la féline d'un bon crochet du droit – après tout il était à demi humain – il ne fut malheureusement pas assez rapide et la vit s'éloigner rapidement. Il souffla, les narines pincée, l'air vexé, puis se releva et s'ébroua de nouveau afin de se débarrasser du sable. Il était là pour le combat, par pour jouer. Alors il se redressa. Fini les courses poursuites ventre à terre. La douleur cuisante qu'il ressentait tant dans ses épaules, ses bras, son museau ou son ventre ne l'amusait plus tellement.

Il s'accorda quelques secondes pour reprendre son souffle à son tour, jusqu'à ce qu'Uriko ne reparte à l'attaque. Cette fois il se méfia. Immobile comme une statue, il suivait seulement son mouvement afin de toujours lui faire face. Problème : elle lui tournait autour et il eut bientôt le tournis, ce qui le fit chanceler sur deux pas. Bien évidemment la panthère en profita pour se jeter sur lui. Traîtresse ! Avant qu'il ait eu le temps de comprendre ce qu'elle cherchait, il roulait de nouveau au sol, les appuis fauchés par un coup de griffe bien placé. Et comme lorsqu'il s'était battu contre Marcus, la colère commença à le gagner. Uriko l'agaçait au moins autant qu'une mouche sur la croupe d'un cheval. Alors peu lui importa la douleur – les plaies n'étaient pas si profondes mais quand on est un mâle, une petite coupure et c'est tout un drame – il opta pour repartir à quatre pattes.

Et cette fois, s'il mettait la patte sur Uriko, il ne ferait pas de quartier. Il avait les poings prêts à lui faire voir trente-six chandelles.

Pas content le chaton, ouais ben je vais lui en apprendre une bonne, moi non plus! J'ai réussi à le choper où je voulais mais bon, c'est à peine si j'ai réussi à vraiment entailler la peau - note pour plus tard, allez chez un forgeron pour aiguiser tout ça. Et le voilà déjà reparti, sauf que moi, je suis crevée et j'ai pas le temps de rouler sur le côté que je le sens m'attraper et me filer un sacré coup de poing dans le ventre. Le souffle coupé, je me sens reculer mais il me tient comme pour me transformer en punching ball... là on va pas être d'accord!

Un second coup de poing m'atteint au visage et emportée dans mon élan, je plante mes griffes sous son aisselle, là où la peau est bien fine et je serre de toutes mes forces en feulant de douleur... oui, je vois trente-six chandelles. Secouant la tête en profitant de sa douleur pour reprendre mes esprits, je ramène mes jambes comme pour l'enlacer autour de la taille - faites que Khrones ne voit pas ça, il va vraiment être jaloux là! But du jeu, être trop proche pour qu'il donne encore d'autres coups de poings, donc m'agripper à lui comme une sangsue en gardant mes griffes sous son aisselle pour l'instant, surtout que je ne vois plus d'un œil, le coup porté a fait enfler ma paupière et me bouche la vue. Saleté!

Les griffes de mon autre main plantée dans son dos, j'ai l'air d'un sac à dos qu'il porterait sur le ventre à être ainsi agrippée, mais au moins, je peux mordre! Plantant mes crocs entre son cou et son épaule, essayant de bloquer son visage avec ma tête, je me dis qu'à être ainsi agrippée, il ne pourra pas trop bouger... j'espère

Un humain aurait fait un scandale à propos du fait de frapper sur une femme. À Kallistrat en revanche, ça ne lui posait aucun problème. Œil pour œil, dent pour dent disait-on, des attributs que lui comme Uriko avaient particulièrement aiguisés. Pas autant que les griffes de la demoiselle féline apparemment, au point que chaton poussa un hurlement de rage mêlée de douleur lorsqu'elle l'atteignit à l'aisselle. Il allait être bon pour un petit séjour au Sanctuaire des Braves. Arriverait-il à remporter une victoire sans la moindre écorchure un jour...? Rien n'était moins sûr. Entre-Monde regorgeait de combattants hors pair souvent plus fort que lui. Un peu trop souvent à son goût d'ailleurs. Toujours était-il qu'il n'avait pas tellement l'intention de se laisser faire, d'autant qu'il y avait un public et qu'en tant que mâle qui se respecte, il avait sa fierté personnelle. Multipliez par deux pour la fierté féline.

Bientôt, il ne fut plus en mesure de porter ses coups. La panthère était beaucoup trop près de lui et le collait comme un koala son eucalyptus préféré, ce qui l'empêchait de frapper. Privé d'élan et d'amplitude, il lui fallait opter pour une autre stratégie. Et en même temps, son instinct animal ne l'avait jamais autorisé à la moindre stratégie. Nouveau hurlement de fureur lorsque les griffes de son opposante se plantèrent dans son dos, ponctué d'un second à la sensation des crocs entaillant son cou. Pour la peine, il opta pour la technique du Chertan numéro deux : l'écrasement.

Sans autre sommation, Kallistrat plongea en avant, Uriko contre lui. Peut-être que ça servait à cela les énormes mamelles des femelles hybrides, amortir !? Car pour le coup, il y avait bien une bonne centaine de kilos à réceptionner. Oui, il aimait bien se rouler par terre...

J'en étais sure!!!!

La seule manière qu'il avait de me faire lâcher prise, c'était de me tomber dessus pour m'écraser de tout son poids. Lâchant prise sous le coup de la douleur, je me retrouve les bras en croix en feulant et grondant de douleur, entre son poids sur ma poitrine et ses bras dans mon dos, je crois bien avoir entendu un "crack", je suis bonne pour le Sanctuaire des Braves. Grondant et feulant sous la douleur qui me paralyserait presque, je ramène mes mains devant moi pour lui labourer le visage afin qu'il me lâche et se pousse sur le côté...

Roulant sur moi-même lorsqu'il me libère enfin, j'essaie de me redresser sur mes quatre pattes, chose pratiquement impossible pour le moment. Soufflant horriblement, je nous regarde tous les deux... au final, ses blessures à lui sont plus visibles car il s'est pris surtout des coups de griffes et de crocs, mais moi... que des coups, et pas des petits. Une paupière enflée, probablement une côte en moins et quelques vertèbres fêlées aussi surement maintenant.

Finalement je me retrouve à genoux le temps de reprendre mon souffle et de chercher la force de poursuivre, c'est qu'il est costaud le bougre et je doute que les blessures que je lui ai infligées l'empêche vraiment de se battre, contrairement à moi... mais bon au moins je n'ai pas été ridicule.

Me redressant tant bien que mal, je me dis que cette fois, je dois vraiment viser les jambes pour qu'il ne puisse pas se relever, mais il faut d'abord que j'attende la bonne ouverture... ce sera le dernier assaut cette fois-ci.

Est-ce qu'il a compris de son côté? Peut être, j'ai l'impression que lui aussi se prépare à attaquer à tout moment. Dégourdissant mes griffes dans le sable de l'arène, les secouant un peu pour retirer les grains entre mes coussinets, je m'ébroue un peu de manière à calmer les douleurs de mon corps... Allez courage Uriko, c'est qu'un chaton, un bon gros chaton, oui... mais un chaton quand même!

Ouh que c'était drôle Uriko gesticulant entre ses bras dans l'espoir de lui échapper. C'était comme un gros oiseau qui se débattait entre ses griffes en poussant des cris de panique. Et avec ceci ? La sensation délicieuse de tenir sa proie à sa merci. Un coup de crocs et elle finirait en repas du soir... ah non, c'était interdit par le règlement. Est-ce que l'instinct animal du Chertan avait retenu le règlement ? Il n'était même pas dit qu'il en ait eut connaissance. Pourtant, lorsqu'il sentit les griffes lui entailler le visage, Kallistrat trouva la situation beaucoup moins plaisante. Il ferma les paupières avec force afin de protéger ses yeux, ouvrant la gueule pour attraper au vol les premiers doigts qui passeraient à sa portée, puis finit par tout lâcher et laisser filer la féline déchaînée.

Brrr... ce n'était pas drôle...

Il se releva à son tour, s'ébroua tout autant, les pupilles fendues posées sur Uriko à quelques mètres. Et il haletait après avoir couru comme un fou, se demandant s'il devait repartir à l'assaut ou attendre que la panthère le fasse, la deuxième solution ayant sa préférence. C'est qu'à force de se faire lacérer de toute part, il commençait à y voir trouble. En tous les cas, il restait en position pour résorber l'assaut suivant, profitant de l'occasion pour reprendre son souffle. Et puis zut pour le public qui commençait à s'impatienter de les voir se regarder en chien de faïence.