Affronter le fauve

Parce qu'en plus il faut faire demi-tour en bâteau ? Je donnais mes derniers deniers à un armateur lubrique qui avait les yeux plus bas que prévu : je suis petite mais quand même, et je gagnais le port d'Aberlaas, de là, j'ai fais envoyer un télégramme à Caël le prévenant de mon retour très prochain et après l'achat de quelques provisions pour le voyage, je suis rentrée à Entre-Monde. Passage par Magna obligé, mon appartement sentait le renfermé et la poussière depuis le temps que je n'y avais pas mis les pieds, d'ailleurs Pan se fit une joie de faire du surf sur la table basse dessinant ainsi son propre portrait avec ses pieds... Si je devais me battre dans l'arène j'aurais peut-être besoin d'une arme : sauf que je ne sais pas manipuler d'arme ! J'ai toujours le magnifique sabre gagné lors du concours de Northrives, mais... mais... je suis acteur, je peux brandir une épée pas me battre avec. Tant pis, je l'ai accroché à ma ceinture, pour l'ornement vu que je serais incapable de le dégainer.
Un passage chez Caël, il me regarda comme une folle furieuse avec mon sabre à la ceinture alors que je lui racontais mon voyage... Et je suis partie vers Ciel.

Installée dans une montgolfière j'ai caressé Pan en lui susurrant des prières : si je meures tu meurs avec moi, si tu veux vivre, va falloir m'aider. Il n'y a que ça qui marche avec lui.
Le garçon, chargé de vérifier l'état de la nacelle du brûleur et du ballon, me fit un clin d'oeil quand je descendais de l'engin pour me diriger droit vers l'arène. Il eut même l'outrecuidance de me demander si je ne me trompais pas de chemin... Je lui répondis en tirant la langue. J'étais en ce moment une fille, petite et maigrichonne, mais j'avais une arme de destruction massive : Peter Pan. Je devais compter sur lui, c'était ça ou mourir dans d'atroces souffrances.

-Je vais mourir.

Ça ce fut quand j'entrais dans l'arène, quand je croisais des gladiateurs dignes d'Achille et ses comparses, quand je passais devant des gardiens et quand j'entrais sur le sable de l'arène. Le soleil était éblouissant au dessus des îles volantes, le sable sentait le chaud et l'azote, et mes jambes tremblaient quand je me dirigeais vers l'aire de combat. Un mot pour un grand chat ressemblant bizarrement à un humain qui se tenait là.

-Excusez-moi, je cherche Kallistrat, peut-être le connaissez-vous, il est mon prochain indice pour trouver une statuette de Hi-bou.

Petit sourire et air un peu paniquée -incontrôlable-.

-Vous battre ?

Mon petit visage de fillette trop vite grandit et mes bras moues comme du pain humide ne feraient pas le poids une seconde face au colosse tout en muscles et en fourrure. J'ai déglutis et j'ai réfléchis. Pan s'était échappé de mon épaule pour jouer à faire un château de sable et que sais-je encore ! Moi je souriais comme une idiote sous le regard du public venu là pour voir du sang, de la chic et du molard... Ouai, le molard encore on peut s'arranger mais le sang. Les larmes me montèrent aux yeux quand j'eus une idée :

-Et si on remettait le combat à plus tard ? Je prends le Hi-bou, j'apprend à me battre et je reviens pour gagner un match, non ?

Brillante idée ! Brillantissime même ! C'est du grand art...
Pan profita d'un instant d'inattention de ma part pour s'éloigner encore et continuer une file de château de sable sûrement destinés à finir écrasés à la chaine comme des dominos.

J'ai resserré mes bras contre moi et j'ai levé vers le grand lion un regard tout embué sous les mèches perdues de mes cheveux jamais attachés.

-Vous allez pas me faire de mal, hein. Vous ne ferez jamais ça, dites ?

Caël le sait que je suis actrice par vocation, que j'endosse tous les rôles sans me soucier de la cohérence même de l'univers, de l'environnement, des circonstances ou de l'intérêt. Je changeais d'humeur comme le ciel change de couleur. Le forgeron avait pris l'habitude, si au départ il s'inquiétait du moindre changement de comportement, de la tristesse à la joie excentrique, aujourd'hui, il sait qui se cache derrière tous les personnages. C'était bien plus facile d'ignorer les larmes quand on sait qu'elles sont fausses.
Le lion sentira-t-il que je joue la comédie par pure envie de rester en un seul morceau et saine de la tête aux pieds... Si ça ne marche pas, je tenterais d'utiliser mon arme secrète, ou de l'inviter à dîner : Aux grands maux les grands moyens !

Pas pour les gosses ? Non mais il s'est regardé dans un miroir le chaton ? Le Hi-bou, je viens de passer des semaines à ne chercher que lui avec pour seule compagnie : Peter Pan. Autant dire que j'en avais soupé des voyages horribles avec le singe en papier plus enquiquinant qu'une montagne de gremlins pendant halloween. Certes je suis petite et même sous forme masculine je ne suis pas bien épais, mais je reste un adulte consentant pour me faire tuer... Heu, non, pardon, pour devenir riche ! Je n'avais certainement pas fais ce long chemin pour le plaisir d'abandonner maintenant sous prétexte qu'un lion avec des pectoraux plus épais que moi me renvoyait dans les jupons de ma mère.

Oui sauf que monsieur Kallistrat fait toujours deux fois ma taille, deux fois ma carrure, deux fois ma force, deux fois mon potentiel à faire peur... Bref je suis moitié moins bien que lui en tout, ou presque, s'il faut crier je suis sûr qu'on se vaut bien tout les deux.

Et pendant ce temps...

Pan se trimballait derrière le postérieur du grand félin et s'il était invisible tant que l'homme-lion persistait à ne voir que moi -hélas- il n'était toujours qu'un singe en papier. Mais je connais Pan, et je sais que personne ne doit sous-estimer sa capacité à vous faire péter une durite. Ces derniers temps il bat ses propres records... Alors énerver encore plus un Chertan déjà bien remonté c'était forcément possible pour lui, évidemment !

Devant le Chertan je tremblais comme une feuille, j'aurais dû envoyer un mercenaire armé, ou me payer un bazooka, ou un tank, ou encore boire un genre de potion de témérité... Je me serais fait démonter pièce par pièce mais je ne l'aurais pas vu ainsi -comme après une bonne cuite.
J'inspirais. Expirais. Inspirais et pointais du doigt sur le nez du lion.

-Tu devrais faire attention à ce qui se cache dans ton dos gros malin !

Pan évita la queue furieuse du lion et lui bondit entre les pattes. Il lui montrait son derrière et tapait dessus pour inviter la grand "monstre" à s'occuper de lui. David contre Goliath ! Mais dans l'ancien testament il n'est pas écrit que David était fait de papier et que Goliath avait des griffes. Mais Peter Pan n'a peur de rien, encore moins de courir entre les pattes du Chertan quitte à se faire écraser sur le sable. C'était lui ou ... Et bien lui ou lui dans tous les cas, Pan était dingue, ce n'est pas un scoop, et c'était parfois très utile.

Je m'éloignais du Chertan et de Pan. Et espérait que le lion m'offrirait un brève seconde de répit pour trouver le Hi-bou d'Or. Il a dit qu'on devait se battre pas forcément le terrasser ! Qu'il se batte avec Pan, je ne connais pas une créature capable de le terrasser, lui... Il faut dire qu'il taperait même sur les nerfs d'un dragon. Coure petit Pan, coure ! Je t'invite à mourir en héros pendant que je m'enrichis !

Spoiler:

Pour une fois dans ma vie j'aurais vu quelqu'un rester de marbre face à la bêtise congénitale de Peter Pan. Pour une fois dans ma vie je me suis demandée si je n'allais pas finir en spaghettis... Ou en pâtée pour Chertan. Et puis non, sur le faciès impressionant de la créature il y avait comme un calme glaçant.
Bien sûr que je cherche quelque chose mon châton, un Hi-bou, en or en plus ! Et peut-être mon regard implorant lui a fait de l'effet, ou pas, mais il changea d'idée. Du combat je passais à devoir résoudre une autre devinette.

Non mais, non. Faut le dire, les énigmes y en a marre, raz le popotin même, si je puis dire. Et je peux le dire après avoir esquissé des centaines de kilomètres à pieds pour "juste" trouver un petit indice qui m'a emmené chez un savant fou qui m'a conduite chez le maitre le moins cordiale que je connaisse (facile je n'en connais qu'un) puis à parler à un mélomane qui lui même m'a faite embarquer sur un bâteau pour d'autres kilomètres. Autant dire que mes économies y étaient toutes passées, tout ça pour finir sur le sable de l'arène de Ciel à me demander avec une sincérité presque ironique à cette étape du voyage : mais qu'est-ce que je fous là ?

Pan, totalement estomaqué d'avoir ainsi été ignoré par la bête se décida à grimper sur ma jambe comme il aurait colonisé un bananier... Il préférait les valeurs sûres : les gens qu'il était certain d'énerver pour de bon. Moi bien entendu.
Cette teigne de singe en papier finira bien sous un bus. Foi de Virgile, si je mens je me fabrique un autre Peter Pan.
Oh pitié, non pas ça.

Et il y eut quelque chose de lourd dans ma poche. Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? Je le sortis à l'air libre et tournant la clef sur son dos l'objet se mit soudain en marche et bondit de mes mains.

Autant dire que je l'ai regardé comme une nouvelle blague de Pan : l'air blasée.

Spoiler: