La séduction, tout un art

Crystal adorait déjà cette petite frimousse craintive, le regard clair et les ailes de papillons d’une cliente qu’elle croquerait sans état d’âme. Elle l’aurait dévoré du regard… Sauf qu’elle avait de la tenue et c’était une habituée du métier. Dans le jargon, c’était une vieille baleine, autrefois abesse elle-même…Comme ça, elle leva un regard intrigué sur la cliente et de son sourire le plus joviale approcha doucement un catalogue.

-Bienvenue au Love Hotel !

Le livre à la reliure neutre glissa jusqu’à la cliente. Crystal en ouvrit la couverture comme si elle révélait un secret capital.
Au dedans, les pages satinées montraient quelques photos, quelques noms ou surnoms.

-Quel genre de conseils souhaiteriez-vous obtenir ? Je pourrais vous aider à choisir celui ou celle qui vous conviendra.

La jeune femme devait être du genre à aimer les hommes commençait-elle par analyser. Le joli minois, l’aspect timide et innocent c’était clair. Cette cliente allait choisir un hôte. Mais lequel ? Le charme téméraire de Gabu ou la douceur sensuelle de Or ? Elle pariait sur Or. Petite, frêle, Or n’en ferait lui aussi qu’une bouchée… C’était presque dommage de ne vendre qu’un coaching...

Oubliant les plannings des repos et des absences, Crystal ne vérifia pas que l’un d’eux soit présent… Elle était trop curieuse, l’envie de savoir surpassa son bon sens si affûté.
En plus, cliente d’un soft un jour, cliente d’autre chose une nuit. N’est-ce pas ? Elle était assez fière de son petit proverbe…

Crystal devrait faire un système de paris dans cette boîte. Elle gagnerait plus souvent qu'à son tour. La petite frimousse balbutiait une demande pour le Barde lui-même. Or allait être ravi.

-Je vais vous appeler Or. Vous voulez bien me suivre ?

Crystal proposa d'aller plus profondément dans l'hôtel. Elle dirigea ses escarpins brillant vers une porte blanche, humble, derrière laquelle un petit salon. On avait gardé le style classique de la pièce, colonnade et hautes vitres factices. Mais on avait enlevé les mosaïques, les tapis poussiéreux, les tentures rouges... A la place, des méridiennes bleu marine aux boiseries en bouleau. Des sculptures de roses et de vigne. Un bloc de marbre blanc en guise de table basse, vitrifiée et lustrée telle un miroir. La pièce était fraiche et l'air y sentait les fruits.

-Je vous apporte une petite douceur en l'attendant. Mettez-vous à l'aise, il ne va pas tarder.

C'est ce qu'elle espérait... Elle retrouva son bureau et son téléphone pour glousser quelques mots à son Barde préféré. J'étais à moitié habillé quand le téléphone sonna et parfaitement vêtu en arrivant à son bureau.

-Tu l'as effrayée ?

Elle me jura n'avoir rien fait, la nymphe était déjà dans tous ses états avant même de lui parler. Je lui pris le plateau de victuailles qu'elle avait préparé pour l'apporter moi-même à :

-Tu as son nom ?

Crystal joignit ses lèvres en un Oups silencieux. Je levais les yeux au ciel. Elle me fit remarqué que j'avais une marque à la clavicule. Les mains chargées du plateau, c'est Crystal qui ferma mon col pour cacher cette disgrâce.
J'entrais dans le salon classique avec un léger sourire et une rougeur tenace aux joues. En silence, je posais le plateau sur le marbre. Lui laisser le temps de m'observer et de se rassurer elle-même.

Je suis allé m'asseoir, sur une méridienne éloignée d'elle, pour conserver son espace vitale intact.

-Comment allez-vous, ce salon vous plait-il ?

-Votre amie à bon goût, je suis à votre service aussi longtemps que vous l'estimerez nécessaire. Mais j'en oublie mes bonnes manières.

Elle a un jolie minois et un petit sourire timide, qui envoie ce genre de petit bout de femme dans un endroit pareil... Je lui souris pour la rassurer et je m'avance sur le siège, les coudes posés sur les cuisses. Je ne suis pas souvent installé comme ça, comme un psychanalyste qui se veut détendu. Je suis une prostituée, il va peut-être falloir que je le rappelle à mes clients.

-Je suis Or et si je peux vous aider, je ferais de mon mieux.

Son amie, je dois lui soutirer son nom. Je sens un genre de traquenard là-dedans.

-ça vous dit d'aller nous promener ? Je suis enfermé dans cet endroit de jour comme de nuit, nous pourrons parler en nous promenant à Rivetiel.

Dans un lieu public, à ciel découvert, elle se sentirait peut-être mieux. Tout plutôt que ce salon un peu trop froid.
Je vais commander des plantes. Ce serait bien. Mais Crystal va toutes les faire mourir... Il me faut un jardinier. Est-ce que Gabu s'y connait en plantes ?

Je suis déjà debout et je lui tends la main. C'est un peu tôt pour un contact physique mais je saurais alors si elle a besoin de conseil en séduction ou d'un véritable thérapeute.

-Commençons par le commencement. Pourquoi avez-vous besoin de conseils en séduction ? Il y a une personne que vous souhaitez impressionner ?

Au gré de notre conversation nos pas menaient à l'extérieur du Love Hotel dans une rue commerçante. A cette heure la foule était présente, pas assez dense, elle nous laissait la voie libre pour avancer.

Ne pas juger. L'excentricité de son idéal masculin ne regarde qu'elle. Moi, un petit peu, parce qu'il va falloir lui donner des pistes sur comment le séduire. Comment séduit-on un homme de ce genre ? J'aimerais bien le savoir. S'il y a bien une clientèle qui ne vient pas et ne viendra jamais dans un lieu tel que celui que je dirige, c'est le genre de Meliel. Procédons par étape...
C'est un cas d'école, intellectuellement enrichissant. Mais j'ai un peu peur d'envoyer cette jeune femme dans les bras de cet homme-là. J'ai plus confiance en moi, et je suis une prostituée, pour prendre soin d'elle... Rester impartial, digne de la confiance que son amie à eu en moi pour m'envoyer une cliente. C'est facile de le dire.

-Vous êtes prête à passer les porte du Love Hotel pour y arriver, ça ressemble à une belle preuve de détermination.

Elle n'était pas à l'aise en ma présence. Ce n'était pas inhabituel, juste exagéré. Je dois donc commencer par comprendre quel est son rapport aux hommes. En général.

-C'est la première fois que votre cœur se montre aussi impérieux envers un homme ?

Voilà qui était clair. J'étais le grand méchant loup et elle le chaperon... Un homme avec mon genre d'expérience devait être une entité mystérieuse loin de son quotidien. L'image du loup et du chaperon m'était venue naturellement.
Parce qu'elle n'avait jamais eu un homme dans son lit. Ni ailleurs. Une vierge pudique qui regardait le bout de ses chaussures avec culpabilité. Pour séduire Meliel, peut-être que ça suffirait.

-N'ayez pas honte de vous. Vous avez préservé ce qui importe, je ne vous jugerai pas pour ça.

Un sourire penché vers cette petite créature timide et l'impression d'être un professeur aux mœurs perverse remplaça l'image du loup. Du coaching de séduction, je n'ai pas pris la mesure de ce service. On ne coach pas ceux qui sont déjà à l'aise avec leur corps et leurs envies. On aide ceux qui n'ont pas trouvé de moyen de se parler et de s'accepter. Le Love Hotel n'était peut-être pas le meilleur endroit pour ça. Ou au contraire, le seul où c'est possible... Qu'en dirais Gabu ? Je l'imagine bien suggérer qu'elle a juste besoin d'amour.
On va tenter de répondre à ce besoin sans essayer de l'emmener sous mes draps.

-Je crois même que ce que vous êtes, qui vous êtes plutôt, c'est tout ce qu'il vous faut pour être aimée de celui qui fait battre votre cœur.

Un bien drôle de conseil...

-Je ne vous vois pas imiter Crystal.

Un pouce en l'air, derrière nous après la foule, l'hôtel et son hôtesse en talons hauts.

-Je ne pense pas même qu'une "Crystal" soit capable de séduire quelqu'un comme lui. Mais vous... Oui, vous avez bien plus de chance. Vous avez déjà parlé avec lui ?